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Comptes rencus de lecture

J. Grethlein & C.B. Krebs (éd.), Time and Narrative in Ancient Historiography. The “Plupast” from Herodotus to Appian

Olivier Devillers
p. 276-277
Référence(s) :

J. Grethlein & C.B. Krebs (éd.), Time and Narrative in Ancient Historiography. The “Plupast” from Herodotus to Appian, Cambridge University Press, 2012, 257 p.
64,99 livres / isbn 978-1-107-00740-6.

Texte intégral

1Le plupast recouvre ce qui, dans un ouvrage historique, renvoie à un passé antérieur à celui du récit  ; la manifestation-type en est la présence, dans un discours, d’un exemplum emprunté à une époque précédente (par exemple une mention de la République dans un discours prêté par Tacite à un empereur). Les contributions rassemblées dans ce volume examinent ce phénomène, le plus souvent à partir de l’étude d’un seul passage, ou d’un nombre limité de passages, chez une série d’historiens (ou assimilés), écrivant en grec ou en latin, d’Hérodote à Appien. Dans leur introduction, les deux éditeurs cernent la notion de plupast. Celui-ci, à leurs yeux, implique la conscience d’écrire dans le cadre d’un écrit historiographique, cela incluant un critère de «  vérité  » ainsi qu’une dimension pragmatique, deux aspects que la simple étude de l’intertextualité, par exemple, n’embrasse pas. À cet égard, l’ouvrage met particulièrement en évidence deux fonctions  : d’une part la réinterprétation des situations historiques, d’autre part la valeur méta-historique, à savoir que l’acteur du récit qui invoque un événement passé ne se comporte pas autrement que le fait, à une plus grande échelle, l’historien lui-même et peut à ce titre apparaître comme un miroir de celui-ci. C’est là une réflexion, somme toute assez stimulante, à laquelle invitent plusieurs études présentées ici.

2D. Boedeker, à partir des discours prêtés par Hérodote aux Tégéens et aux Athéniens avant Platées (Hdt. 9.26-28.1), met en évidence deux conceptions du passé  : celle des Athéniens, dynamique, «  démocratique  » (et proche de la vision d’Hérodote lui-même), et celle des Tégéens, statique et d’essence davantage «  aristocratique  ». Étendant alors l’enquête à d’autres textes, et en élargissant aussi le corpus à la lyrique et l’élégie grecques anciennes (Sappho, Alcée…), elle relève la volonté qu’ont les locuteurs d’utiliser le passé à leurs propres fins. En cela, ils seraient en implicite contraste avec Hérodote lui-même, davantage digne de foi.

3E. Baragwanath, toujours à propos d’Hérodote et utilisant également – parmi d’autres textes – le débat qui eut lieu avant Platées, s’attache au plupast mythique. Elle souligne la continuité de ce passé avec le présent, l’efficacité de son évocation dans des contextes contemporains, ainsi que l’instrumentalisation dont il est l’objet de la part de divers acteurs de l’Histoire – une attitude différente de celle d’Hérodote lui-même, dont la pratique semble plus équilibrée.

4J. Grethlein se concentre exclusivement sur les discours des Platéens et des Thébains rapportés par Thucydide pour l’année 427 (Thuc. 3.52-68). Leurs imperfections et leur soumission à des objectifs immédiats rendent les informations qu’ils contiennent inutilisables, ce qui contraste avec la méthode de Thucydide, dont les reconstructions visent à l’utilité sur le long terme. Parallèlement, leur lecture conduit à une comparaison entre la gloire des Guerres Médiques et l’absence de lustre des conflits entre Grecs.

5T. Rood, à partir de divers discours des Helléniques, observe comment, à travers à la fois un plupast interne (allusions à des événements relatés dans des parties antérieures de l’ouvrage) et un plupast externe (mentions de la Guerre de Troie, des Guerres Médiques, d’événements rapportés par Thucydide), Xénophon met en évidence les dynamiques de pouvoir et les liens moraux qui s’établissent entre Spartiates, Athéniens et Thébains  ; la capacité des uns et des autres à manipuler le passé est également soulignée.

6A. Feldherr suggère qu’à travers les discours qu’il prête à César et à Caton, Salluste fait figurer une dimension historiographique, de manière à ce qu’apparaisse la difficulté à laquelle est confronté l’historien-sénateur.

7C. Schultze montre que Denys d’Halicarnasse utilise le plupast à l’appui de sa thèse d’une origine grecque de Rome. L’article se fonde sur un large éventail d’exemples, tirés à la fois du récit et des discours prêtés aux personnages, couvrant un plupast à la fois interne et externe, évoluant lui-même au fil de l’œuvre. Dans le livre 1, c’est le passé des premiers habitants du site de Rome, avant même sa fondation, qui est mis en avant, un passé principalement arcadien  ; une fois l’Vrbs fondée, et dès Romulus, un héritage grec commun devient la référence, notamment en matière institutionnelle  ; les précédents invoqués ensuite sont plus récents, et aussi plus proprement romains, contribuant à la construction du mos maiorum. Simultanément, l’utilité de ce plupast renvoie à l’utilité que l’historien revendique pour son propre récit.

8C.B. Krebs s’attache aux propos par lesquels M. Manlius Capitolinus répond à ses accusateurs chez Tite-Live (Liv. 6.20), et notamment au rôle qu’y joue le Capitole comme lieu de mémoire. Si Manlius évoque ce passé comme le ferait un historien, le passage porte aussi la trace à la fois de sa chute à venir et des manœuvres politiques, qui sont à l’origine de cette chute. En faisant coexister ces deux niveaux, Tite-Live fait apparaître la plurivocité du passé et, finalement, rappelle que l’écriture de l’histoire relève des choix qu’opère l’historien entre diverses possibilités qui s’offrent à lui.

9T. Joseph livre une étude des propos qu’après la mort de Galba, Tacite place dans la bouche des Romains (Hist., 1.50). Le rappel que ceux-ci font des guerres civiles républicaines (qu’ils n’ont pas connues) ne peut que se fonder sur une mémoire littéraire, en partie poétique (cf. Lucain), dans laquelle s’inscrit l’historien lui-même. Néanmoins, cette revendication littéraire d’une inspiration républicaine se double d’une prise de distance envers toute nostalgie de la République  ; Tacite en dénonce le manque de sens critique en attribuant aux Romains un jugement plutôt favorable sur Pompée, jugement qui tranche avec celui, plus défavorable, qu’il procure lui-même dans le récit.

10A.V. Zadorojnyi s’intéresse à Plutarque. Dans ce monde de l’intertextualité qu’est la deuxième sophistique, le passé est constamment revisité. Après des remarques générales sur la mimesis dans les Vies, l’auteur répertorie et classe les passages qui signalent l’imitation par un homme d’un autre qui lui est historiquement antérieur. Est ensuite développé un cas d’intertextualité avec Hérodote (Pomp., 72.5-6).

11L. Pitcher, enfin, part de la description du triomphe de César par Appien (B.C., 2.419-420) pour montrer la diversité des fonctions du plupast chez cet historien. Pour ce dernier, ce sont surtout les intentions des acteurs du passé lorsqu’ils évoquent un passé antérieur qui semblent compter.

12En dépit de quelques absences (Polybe, Suétone, Dion Cassius, voire Ammien Marcellin…), l’intérêt de ce volume, à l’édition soignée, est indéniable. Il tient certes à ses études de détail, précieuses, souvent subtiles, mais surtout aux modèles que ces études fournissent pour des enquêtes à venir ainsi qu’à leur apport à une réflexion plus vaste sur la spécificité du genre historiographique dans l’Antiquité. Bibliographie unique (très anglo-saxonne), deux index (des passages cités, général).

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Pour citer cet article

Référence papier

Olivier Devillers, « J. Grethlein & C.B. Krebs (éd.), Time and Narrative in Ancient Historiography. The “Plupast” from Herodotus to Appian »Anabases, 22 | 2015, 276-277.

Référence électronique

Olivier Devillers, « J. Grethlein & C.B. Krebs (éd.), Time and Narrative in Ancient Historiography. The “Plupast” from Herodotus to Appian »Anabases [En ligne], 22 | 2015, mis en ligne le 20 octobre 2015, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/5518 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.5518

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