Philippe Rousseau, Rossella Saetta Cottone (éd.), Diego Lanza, lecteur des œuvres de l’Antiquité. Poésie, philosophie, histoire de la philologie
Philippe Rousseau, Rossella Saetta Cottone (éd.), Diego Lanza, lecteur des œuvres de l’Antiquité. Poésie, philosophie, histoire de la philologie, Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, Cahiers de Philologie 20, 2013, 334 p.
28 euros / isbn 978-2-7574-0444-7
Texte intégral
1Le volume est issu des journées d’étude lilloises autour de la figure et l’œuvre de Diego Lanza, philologue et historien de la pensée grecque, professeur de Littérature grecque à l’université de Pavie durant près de quarante ans. Le livre se veut un hommage à une figure importante des études de littérature grecque en Italie qui a renouvelé l’étude des textes de l’Antiquité. L’ouvrage est divisé en trois parties, poétique des genres et philosophie, théâtre, épistémologie et histoire de la philologie, qui représentent les trois domaines intellectuels qui ont occupé les recherches de Diego Lanza. Ce qui est intéressant dans la formule adoptée par les éditeurs du volume est le choix de faire suivre les articles des réflexions et des réponses rédigées par Diego Lanza après la conclusion du colloque. Aux textes des participants du colloque de Lille s’ajoutent deux articles de Diego Lanza : un inédit qui analyse le rôle de la vue et de l’ouïe dans les textes d’Aristote et un texte déjà paru sur la place occupée par l’acteur « protagoniste » dans la comédie ancienne.
2Dans l’Introduction, Philippe Rousseau et Rossella Saetta Cottone reconstruisent avec précision le parcours intellectuel de Diego Lanza : ses études à l’université de Pavie où il obtient sa maîtrise en 1959, sa spécialisation à Munich avec Rudolf Pfeiffer et Kurt von Fritz, son retour à l’université de Pavie où il est d’abord assistant puis chargé d’enseignement et, enfin, sa nomination comme professeur de littérature grecque. Les auteurs identifient les deux racines principales de la pensée de Lanza, à savoir l’héritage de la méthode philologique de Giorgio Pasquali et la pensée du théoricien marxiste italien Antonio Gramsci (comme le montre bien l’essai, L’idéologie de la cité, écrit avec Mario Vegetti en 1977). Les deux approches mettent au centre de leur analyse le rôle joué par les textes comme supports des idéologies, non seulement dans les mondes antiques mais aussi dans les sociétés européennes qui ont repris et réutilisé le patrimoine littéraire des Grecs. Rousseau et Saetta Cottone accordent beaucoup d’importance à la thèse gramscienne de l’« hégémonie culturelle » et en reconnaissent la base pour la « fonction “militante” de la pratique philologique, en tant qu’instrument de lutte pour la promotion culturelle et politique » (p. 14).
3Un seul point de l’introduction mériterait, à mon sens, d’être nuancé. Les deux auteurs terminent leur texte en soulignant les points communs entre la méthode de Diego Lanza et l’enseignement de l’école philologique de Lille fondée par Jean Bollack, « dans la mesure où […] la critique textuelle, la traduction et le commentaire ne peuvent être séparés d’une problématisation de l’histoire des interprétations » (p. 15). Sans aucun doute les deux hellénistes ont partagé les mêmes thématiques et méthodes de recherche, toutefois il est important de souligner une différence non négligeable : face à la primauté absolue attribuée aux textes par la philologie de Jean Bollack, Diego Lanza (tout comme Mario Vegetti) a privilégié la relation entre texte, société et histoire, ce qui l’a conduit à se confronter systématiquement avec la soi-disant « École de Paris » qui naquit et se développa » autour de Jean-Pierre Vernant. L’introduction ne fait pas référence aux collaborations entre Diego Lanza et Jean-Pierre Vernant, Marcel Detienne et Nicole Loraux. On trouve quelques détails à ce propos dans certains articles du volume : Anna Beltrametti rappelle que les textes de Vernant étaient lus dans le cadre des séminaires dirigé par Lanza et Ioanna Papadopoulou affirme que « les élèves de Nicole Loraux héritaient, en quelque sorte, de sa grande estime pour DL » (p. 113). Certes, Massimo Stella a pu souligner l’écart entre les visions anthropologiques de Vernant et de Lanza (p. 173-174, n. 12), mais il s’agit d’une dialectique qui s’inscrivait dans la norme du débat scientifique entre des savants qui appréciaient réciproquement leurs travaux. C’est d’ailleurs, Lanza qui a rédigé l’article consacré à « Vernant et l’Italie » dans un volume en l’honneur de Vernant (cf. Europe 964-965 (2009), p. 87-106) et les théories de l’idéologie de la cité sont à plusieurs reprises citées par Marcel Detienne dans son livre L’invention de la mythologie (Paris, Gallimard, 1981, p. 66-72).
4Dans le riche et intéressant plan du livre, il me semble important de nous arrêter plus spécifiquement sur deux articles qui permettent de reconstruire la figure intellectuelle de Diego Lanza et, de là, le contexte culturel des études de littérature grecque entre les années 1960 et le début du xxe siècle. Tout d’abord l’article d’Anna Beltrametti, qui reconstruit le cadre culturel de l’université de Pavie pendant les années 1970-1980, complète le panorama proposé par les coéditeurs du volume. Son essai montre la vivacité intellectuelle des séminaires organisés par Lanza : « On lisait non seulement Marx et Weber, mais Finley, Vernant, Austin et Vidal-Naquet, Polanyi, Godelier et Althusser » (p. 159). Beltrametti amène les lecteurs au cœur de la leçon de Lanza sur les textes du théâtre attique du ve siècle : elle souligne l’importance herméneutique des « structures dramatiques » et du « mythe », et le rôle de l’« émotion » comme outil d’interprétation des performances théâtrales. Enfin, Beltrametti met l’accent sur la méthode spécifique de la recherche de Lanza, sur sa démarche consistant à poser des questions qui sont souvent laissées ouvertes : « Des points de repère et de départ, qui sont aujourd’hui plus importants que jamais, aujourd’hui que la partie de la critique s’engage entre déconstructionnisme et révisionnisme post-structuraliste » (p. 165). Ensuite l’article d’Andrea Cozzo, sur le sens des études classiques et l’approche méthodologique de Lanza, souligne l’importance de l’analyse marxiste au sein des recherches du savant. Cozzo permet de dévoiler le rôle joué par le contexte historique et politique italien des années 1960 et 1970 dans l’approche du philologue. Les deux présupposés de la pensée de Lanza seraient, d’une part, que tout phénomène intellectuel est filtré par l’idéologie, et d’autre part, que l’idéologie « offre l’autoreprésentation, déformée mais cohérente, et historiquement nécessaire, d’une société » (p. 214).
5Les trois sections du livre conduisent les lecteurs à travers un parcours passionnant qui permet de réfléchir sur les trois axes principaux de la recherche de Lanza : la philosophie, le théâtre et l’histoire de la discipline. Chaque article prend comme point de départ un article, un thème, une attitude du savant italien pour développer une analyse autonome et originale sur la thématique en question. Dans la première partie, Philippe Rousseau travaille sur la scène de Thersite dans le Chant II de l’Iliade, Claire Louguet sur l’édition des fragments d’Anaxagore par Lanza, C.W. Veloso sur les thèmes abordés et les thèmes exclus par Aristote dans la Poétique, Ioanna Papadopoulou sur les rapports entre Prométhée enchaîné et Poétique d’Aristote, Angela Andrisano sur la méthode philologique appliquée par Lanza à la Poétique d’Aristote. Dans la deuxième partie, Giulia Sissa réfléchit sur la « peur de faire rire » comme élément constitutif de certaines tragédies, Massimo Stella sur l’« inquiétante intimité » entre l’écriture d’Aristophane et de Platon, Xavier Riu sur le regard de Lanza concernant la comédie et sur la nécessité d’étudier l’histoire de la réception de la comédie dans l’Antiquité. Dans la troisième partie, Claude Calame aborde le problème des voix chorales dans la perspective proposée par Lanza de la « discipline de l’émotion », Pierre Judet de la Combe propose une réflexion passionnante sur l’actualité de la philologie et, enfin, Marella Nappi évoque des aspects pratiques de l’enseignement de Lanza à l’université de Pavie.
6Les articles composent une mosaïque équilibrée et cohérente et présentent une sorte de dialogue à distance avec Lanza – qui d’ailleurs rebondit aux remarques dans la partie conclusive de l’ouvrage ; un ouvrage donc qui pourra intéresser les antiquisants par sa vivacité d’esprit et sa rigueur scientifique.
Pour citer cet article
Référence papier
Francesco Massa, « Philippe Rousseau, Rossella Saetta Cottone (éd.), Diego Lanza, lecteur des œuvres de l’Antiquité. Poésie, philosophie, histoire de la philologie », Anabases, 20 | 2014, 437-439.
Référence électronique
Francesco Massa, « Philippe Rousseau, Rossella Saetta Cottone (éd.), Diego Lanza, lecteur des œuvres de l’Antiquité. Poésie, philosophie, histoire de la philologie », Anabases [En ligne], 20 | 2014, mis en ligne le 01 novembre 2014, consulté le 09 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/5172 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.5172
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