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Comptes rendus et notes de lecture

Francis Larran, Le bruit qui vole. Histoire de la rumeur et de la renommée dans la Grèce ancienne

Geneviève Hoffmann
p. 316-318
Référence(s) :

Francis Larran, Le bruit qui vole. Histoire de la rumeur et de la renommée dans la Grèce ancienne, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2010, 269 p.
21 euros / isbn 978-2-8107-0161-2

Texte intégral

1Dans la collection Tempus antique des Presses Universitaires du Mirail, Francis Larran (F L) présente une version remaniée de sa thèse, soutenue en 2008, sur les rumeurs et les renommées en Grèce ancienne. Les douze chapitres qui composent son livre sont répartis en quatre dossiers thématiques qui conduisent le lecteur de la naissance des bruits publics à l’examen critique de l’information qu’ils diffusent. En introduction (p. 9-17), F L souligne l’intérêt de son enquête sur un sujet neuf, du moins en histoire ancienne, sans masquer les difficultés de son entreprise. Le risque de l’anachronisme est redoutable, le champ lexical est ambigu et le domaine embrassé est vaste, d’autant que les bruits publics sont diffus, imprécis et souvent à l’origine incertaine. Pour surmonter ces écueils, F L a choisi d’étudier les évolutions du vocabulaire « à l’échelle pluriséculaire » dans les contextes littéraires et historiques qui leur donnent sens, du kleos homérique à la phèmè des orateurs attiques du ive siècle. Ainsi entend-il mettre « la littérature au cœur de l’histoire grecque ».

2La première partie : « De la Naissance à la mort des bruits publics » (p. 22-68) est un préambule à l’étude historique qui prend la forme d’« une phénoménologie ». Par une recherche sur les origines des bruits publics (chapitre i, p. 23-30), sur les modalités de leur diffusion (chapitre ii, p. 31-55), et enfin sur leurs temporalités (chapitre iii, p. 57-68), F L entend caractériser la renommée et la rumeur pour relever ce qui les rapproche et ce qui les distingue. Si l’une et l’autre intriguent l’opinion par le mystère de leur naissance, par la rapidité de leur propagation et par le lien social qu’elles créent – du banquet privé aux concours panhelléniques – elles n’en diffèrent pas moins par leur inscription dans le temps : la renommée a pour vocation d’être immortelle, qu’elle soit gravée dans la pierre ou la mémoire, alors que la rumeur est fragile et pour reprendre une belle expression de l’auteur, « l’oubli lui est un véritable linceul » (p. 67).

3Sous le titre : « Les bruits publics ont une histoire » sont réunis dans la seconde partie (p. 73-133), trois chapitres centrés sur la littérature grecque, à savoir Homère, les œuvres majeures de l’Athènes classique et Polybe. Dans ce miroir que tend la littérature, il s’agit d’étudier les représentations des bruits publics. « La matrice épique » (chapitre i, p. 73-94) explore les différentes voies possibles pour acquérir aux yeux de tous le kleos, de l’exploit guerrier à la belle renommée des Phéaciens hospitaliers. Cette question a été très étudiée. Or, la bibliographie dont s’est contenté F L pour écrire ce chapitre est bien mince. En particulier, l’étude de David Bouvier Le Sceptre et la lyre. L’Iliade ou les héros de la mémoire (2002) était une référence indispensable. Pour étoffer son deuxième chapitre sur « Les bruits publics à l’époque classique entre raison et passion, entre collectivité et individu » (p. 95-115), F L juxtapose différentes thématiques. Après les femmes adultères chez Euripide, la piété filiale dans l’Antigone de Sophocle, la question de l’enrichissement pour Aristophane et Andocide, il en vient à étudier « les on-dit sur l’expédition de Sicile entre la peur du nombre et le déchaînement des passions », en s’appuyant sur Thucydide. Alors que les sources sollicitées sont toutes athéniennes, F L conclut à un monde profondément déboussolé par la Guerre du Péloponnèse, dans lequel le temps des bruits héroïques laisse la place à celui des bruits civiques. Ce chapitre n’emporte pas la conviction. L’inventaire proposé n’est ni hiérarchisé ni situé dans un contexte pertinent. L’enseignement des sophistes, essentiel à prendre en compte quand il est question du logos, n’apparaît que sous forme d’une simple mention en conclusion (p. 114). Le troisième chapitre porte sur la dimension militaire du sujet. Au titre : « Dans l’ombre d’Alexandre, rumeurs et renommées à l’époque hellénistique » (p. 117-133), correspond une étude des bruits rapportés par Polybe à propos de chefs militaires capables de témoigner de qualités comparables à celles du Macédonien. Sont ainsi présentés le Pseudo-Philippe, Hannibal dans les marais d’Étrurie, et Scipion Émilien. Sans que la gloire d’Alexandre le Grand n’ait été cernée dans ses origines, les modalités de sa diffusion et sa réception, FL rapproche la renommée du Conquérant du kleos homérique par ses implications. Alors que le kleos a été, selon lui, la matrice des différents bruits publics, « le mythe d’Alexandre » a été « le patron » à partir duquel les bruits sur les souverains hellénistiques (y compris Hannibal et Scipion Émilien ?) ont été forgés. Pour ce chapitre également, les lacunes bibliographiques sont criantes. On peut regretter que l’étude de Paul Goukowski sur le mythe d’Alexandre (Nancy, 1978, 1981), sans doute connue, ne soit pas citée.

4La troisième partie : « La fabrique des bruits publics » (p. 137-247) est centrée sur trois figures : « Ulysse polymorphe » (chapitre i, p. 141-151), « Achille en croix de guerre » (Chapitre ii, p. 153-164), « Phalaris ou la renommée qui venait des confins » (Chapitre iii, p. 165-177). Par la médiation de ces personnages littéraires ou historiques, F L s’intéresse à la réception du fils de Laërte dans la tradition littéraire jusqu’à Apollonios de Rhodes, à la portée de la geste d’Achille comme modèle de bravoure militaire aussi bien pour juger Cléon que pour célébrer Alexandre. Enfin, avec Phalaris, tyran d’Agrigente, c’est la renommée (phatis) exécrable des impies et des mauvais dirigeants qui se nourrit, au fil de l’histoire grecque, des rumeurs les plus folles sur leurs cruautés, qu’il s’agisse d’Agathoclès ou de Nabis, « rejetons de Phalaris ».

5La dernière partie : « Les bruits publics, voix de la connaissance » (p. 182-247) les étudie quand ils sont l’objet de débat et le miroir de la hiérarchie sociale. Le chapitre i : « Dire, voir, entendre, croire » (p. 183-203) souligne que la force du bruit public tient plus à l’autorité de celui qui l’émet qu’à son contenu. Quant aux bruits publics en discussion (chapitre ii, p. 205-224), ils sont jugés à l’aune de la raison par Hérodote et Thucydide alors que les rumeurs sont une arme de choix pour les orateurs et les rhéteurs du ive siècle athénien (Démosthène, Eschine, Isocrate). Enfin, le dernier chapitre de l’ouvrage qui porte sur « les manipulateurs des rumeurs, maîtres du vraisemblable » (p. 225-247) permet de retrouver, après Ulysse et Pisistrate, « la perfidie lacédémonienne ou l’intolérable cruauté des belligérants de la Guerre du Péloponnèse ». Quant au paragraphe qui clôt ce chapitre, sous le titre : « Quand les maîtres du faux-savoir se font maîtres du vraisemblable », il faut comprendre qu’il traite du procès de Socrate.

6Dans sa conclusion générale, intitulée : « Sur les Voix de l’Histoire » (p. 251-256) FL énonce clairement l’apport de son enquête. D’origine divine, la rumeur personnifiée étonne les Anciens par le mystère de ses origines et l’ampleur de sa propagation. Elle n’en engage pas moins l’autorité de celui qui la colporte. Critiquée et jugée, elle nécessite des garants. Enfin, le bruit qui vole est une arme redoutable aussi bien dans les stratégies des hommes politiques que dans les relations diplomatiques.

7Ce livre est d’une lecture agréable. Le style est alerte, avec un sens de la formule heureuse, mais les titres des chapitres et paragraphes, souvent trop longs, trahissent plus souvent leur contenu qu’ils ne l’explicitent. Le projet de F L était ambitieux et suscite beaucoup de questions. Il présente sa thèse comme une étude historique rythmée par l’analyse d’œuvres littéraires. Pourtant la chronologie est bousculée, voire bafouée avec d’incessants retours en arrière. En raison des sources, le point de vue adopté pour l’époque classique est largement athénocentriste et élargir les conclusions à l’ensemble des cités est pour le moins imprudent. Pour ce qui est du vocabulaire, son ambiguïté n’est pas levée et les traductions ajoutent parfois à la confusion. La klèdôn (à corriger, p. 102) n’est ni le kleos ni la phèmé, toutes notions qui ne sont pas suffisamment cernées. Pour un tel sujet, on attendait un développement argumenté sur les media, du poème à la statue en passant par les moyens de communication dans le monde des cités. On espérait aussi une analyse des rumeurs provoquées par l’ennemi pour déstabiliser l’adversaire ou/et une présentation d’Alcibiade qui fut à la fois victime des rumeurs et épris de gloire… Tel ne fut pas le choix de F L et tel qu’il est, son livre a une unité et une construction rigoureuse. Maints passages stimuleront la curiosité du lecteur, en particulier ceux qui ont trait à la réception et à la réécriture de la renommée. Et si de la thèse de Francis Larran, on ne devait retenir que quelques lignes pour en donner l’esprit et la méthode, on choisirait cette réflexion : « L’histoire des bruits publics s’apparente davantage à une histoire palimpseste, élaborée à partir d’un support majeur, Homère, dont la première écriture a été partiellement grattée pour laisser la place à des bruits propres à chaque époque » (p. 177).

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Pour citer cet article

Référence papier

Geneviève Hoffmann, « Francis Larran, Le bruit qui vole. Histoire de la rumeur et de la renommée dans la Grèce ancienne »Anabases, 16 | 2012, 316-318.

Référence électronique

Geneviève Hoffmann, « Francis Larran, Le bruit qui vole. Histoire de la rumeur et de la renommée dans la Grèce ancienne »Anabases [En ligne], 16 | 2012, mis en ligne le 01 octobre 2012, consulté le 25 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/4028 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.4028

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