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Comptes rendus et notes de lecture

Miroirs de Prince de l’Empire romain au ive siècle, Anthologie éditée par Dominic O’meara et Jacques Schamp

Amandine Declercq
p. 266-268
Référence(s) :

Miroirs de Prince de l’Empire romain au ive siècle, Anthologie éditée par Dominic O’meara et Jacques Schamp, Paris, Éditions du Cerf, collection « Vestigia 33 » : « Pensée antique et médiévale-Textes », 2006, 257 p.
25 euros / isbn 2-204-072168.

Texte intégral

1« Je vous dis, Sire, que vous devez dresser devant vous ce discours en y jetant et en y fixant le regard chaque jour, comme devant un miroir, pour une plus belle ordonnance, non pas de votre coiffure, mais du gouvernement des Romains » (Thémistios, Discours 6, 13, p. 239). Cette maxime, professée par Thémistios dans son Discours à Valentinien Ier et à Valens, devance de plusieurs siècles l’apparition de codices médiévaux intitulés Miroirs de prince, traités de bonne gouvernance pour les détenteurs du pouvoir. Les extraits consignés dans cette anthologie par Dominic O’Meara et Jacques Schamp témoignent que de tels procédés littéraires n’étaient pas inconnus de l’Antiquité tardive, pas plus que la référence au jeu de miroir qui s’opère entre les conseils prodigués par le sage et le reflet que le souverain devrait percevoir de sa propre personne, ou contribuer à forger à travers ces paroles.

2L’ouvrage débute par une série de textes, datés du début du ive siècle de l’ère chrétienne, issus de la correspondance de Jamblique d’Apamée, fondateur d’une école philosophique qui a marqué de manière décisive le dernier grand mouvement de l’histoire de la philosophie grecque, inspiré par Plotin, le néoplatonisme. Jamblique s’est adressé dans sa correspondance à des élèves et notables, s’exprimant sur ce qu’il concevait comme devant être la meilleure façon de gouverner. Suit une série de lettres de Sopatros – dont le père avait été l’un des élèves de Jamblique, devenu après sa mort conseiller de l’empereur Constantin –, rédigées autour de la même thématique : « la gouvernance et celui que doit être le gouvernant ». Ces écrits permettent de mieux éclairer certaines parmi les perspectives politiques proposées dans les écoles philosophiques néoplatoniciennes du ive siècle de notre ère. À cette conception du pouvoir s’oppose ensuite la politique prônée dans le discours préparé par Eusèbe de Césarée pour célébrer les trente ans du règne de Constantin, en 336 après J.-C. Le théologien y expose ce qui, seul, fait selon lui la légitimité de l’Empereur : la fidélité au monothéisme chrétien, la conformité au Christ. Le dernier corpus de textes retranscrit le discours adressé par le byzantin Thémistios à Valentinien Ier et à Valens. Philosophe païen, Thémistios se démarque des cercles néoplatoniciens, et son discours développe une vision de la bonne gouvernance qui évoque plutôt les conceptions de la monarchie idéale d’une période de l’empire romain antérieure, celles avancées notamment au début du iie siècle par Dion de Pruse. L’anthologie ne dispose pas d’index et ne présente qu’une bibliographie sélective, mais chaque source, présentée en grec puis traduite en français, est précédée d’une introduction relativement détaillée, destinée à mieux appréhender le contexte rédactionnel des extraits consignés. Les notes, riches, éclairent certains questionnements liés à la densité de la trame événementielle, renvoient le cas échéant à des études circonstanciées et facilitent l’interprétation des différentes lettres ou discours, en ce qu’elles permettent notamment d’établir le lien entre les auteurs – tardifs – et leurs références, en particulier grecques classiques ou bibliques.

3Pour qui n’est pas féru d’histoire politique, ces textes soulèvent la question, combien passionnante, de l’interaction de plusieurs systèmes de pensée à l’influence majeure, éclairés ici à la lumière de conseils aux princes dispensés par quatre philosophes. Comment le legs des penseurs classiques et présocratiques – si l’on y inclut Pythagore et ses disciples – a-t-il été recueilli et traité par les érudits de l’Antiquité tardive ? Quelle perception de cet héritage ont-ils contribué à forger et à véhiculer ? L’enseignement des philosophes du ive siècle après J.-C. ne s’est pas limité, tant s’en faut, au public restreint des souverains chrétiens dont ils furent les contemporains, pour constituer une sorte de chant du cygne d’un empire romain déclinant. Pour preuve, parallèlement au canal de transmission constitué par les manuscrits byzantins et, dans une moindre mesure, syriaques ou hébreux, c’est en arabe que nous est notamment parvenu le traité de Thémistios Sur le gouvernement, et l’on sait par ailleurs, grâce aux bibliographes de confession musulmane, que les commentaires de ce dernier à la Poétique d’Aristote, ainsi qu’à l’une de ses Éthiques, furent eux aussi traduits dans la langue du Prophète. Il en va encore de la sorte pour la paraphrase du même auteur aux Topiques, qui inspira le Commentaire moyen d’Averroès, ainsi que pour celles de divers traités aristotéliciens, à l’instar de la Métaphysique ou du De Caelo. Or, si l’on songe que Platon et Aristote ont tous deux occupé pour les représentants de la civilisation musulmane, à partir du viiie siècle de l’ère chrétienne, une place de choix parmi les systèmes de valeurs enseignés, par le biais de l’adab, aux califes et à leurs proches collaborateurs depuis Baghdâd jusqu’à al-Andalûs, on comprend mieux alors la portée de l’enseignement et du filtre de l’héritage antique qu’a constitué l’interprétation du corpus des philosophes classiques par les érudits de l’Antiquité tardive et, de là, par les néoplatoniciens.

4Car c’est bien de filtre qu’il s’agit. Pas plus Jamblique que Sopatros ou Thémistios, ni, a fortiori, Eusèbe de Césarée, ne pouvaient faire abstraction d’un phénomène majeur dont ils sont pour nous les premiers témoins : l’assimilation, la reconnaissance puis l’adoption, par la civilisation gréco-romaine, des principes et valeurs du christianisme, avec pour conséquence principale le passage d’un empire de tradition païenne, polythéiste, à une conception monothéiste du pouvoir et de son essence. En ce sens, les philosophes de l’Antiquité tardive ont constitué une étape essentielle dans la diffusion de l’héritage antique à la postérité. Boèce et Averroès ont lu Aristote à travers le prisme de Thémistios, et, peut-être, Platon à la lumière du spectre de Jamblique.

5Témoins des questionnements politiques et religieux de leur temps, ces extraits, dont certains sont pour la première fois traduits du grec, s’inscrivent par conséquent dans une problématique plus large, et tirent leur richesse du croisement des perspectives qu’ils impliquent, alliant, par un second jeu de Miroirs, Anciens et Modernes.

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Pour citer cet article

Référence papier

Amandine Declercq, « Miroirs de Prince de l’Empire romain au ive siècle, Anthologie éditée par Dominic O’meara et Jacques Schamp »Anabases, 5 | 2007, 266-268.

Référence électronique

Amandine Declercq, « Miroirs de Prince de l’Empire romain au ive siècle, Anthologie éditée par Dominic O’meara et Jacques Schamp »Anabases [En ligne], 5 | 2007, mis en ligne le 01 janvier 2012, consulté le 10 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/3240 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.3240

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