Alexander Demandt, Andreas Goltz, Heinrich Schlange-Schöninge (éd.), Theodor Mommsen. Wissenschaft und Politik im 19. Jahrhundert
Alexander Demandt, Andreas Goltz, Heinrich Schlange-Schöninge (éd.), Theodor Mommsen. Wissenschaft und Politik im 19. Jahrhundert, Walter de Gruyter, Berlin - New York, 2005, 351 p.
58 euros / isbn 3-11-017766-8
Texte intégral
1L’année 2003, avec le centenaire de la mort de Theodor Mommsen (1817-1903), a vu une efflorescence d’événements et de publications le concernant. On trouvera ici rassemblées quinze contributions proposées en 2003-2004 à la Freie Universität de Berlin ; elles proposent de cerner le rapport central entre politique et science dans l’Allemagne du xixe siècle, à travers la figure emblématique et charismatique de Theodor Mommsen. Les meilleurs spécialistes y proposent des exposés denses et riches, qui apportent un éclairage vraiment significatif sur divers aspects de la biographie de Mommsen et sur les perspectives historiographiques du contexte dans lequel il s’insère.
2A. Demandt propose d’abord une Introduction biographique et souligne les apports majeurs de Mommsen : le renouvellement de perspective par rapport à la tradition antérieure, très philhelléniste, qu’incarnaient notamment von Humboldt et Winckelmann, l’approche scientifique (« positiviste ») des sources, et non plus littéraire et esthétisante, la mise en place d’entreprises scientifiques de grande envergure et de réseaux de recherche, sous la houlette de l’Académie de Berlin. Le même Auteur propose, plus avant dans le volume, une contribution sur l’opposition entre Mommsen et Bismarck : une opposition radicale, pour ne pas dire une haine féroce sépara les deux hommes. Mommsen détestait tout ce qui s’approchait de l’absolutisme césarien ou napoléonien et n’hésita pas à parler, au sujet du chancelier, de « Spottgeburt von Dreck und Feuer ». Tous les ressorts de cette opposition sont examinés et mis en lumière, y compris sur le plan de la politique internationale, envers la France et l’Angleterre notamment.
3S. Rebenich, le grand biographe de Mommsen, s’intéresse ensuite à l’implication de Mommsen et du monde académique dans la révolution de 1848. Il s’agit de comprendre comment l’homme et son œuvre se mesure au « Nerv der Zeit » et interagit avec lui, dans la perspective d’une évolution historique, de type hégélien, qui conduit l’homme vers plus de conscience et plus de liberté. Le paradigme de l’« historien engagé » convient donc pour Mommsen qui utilise l’histoire romaine comme un champ d’expérimentation du présent, avec ses tensions nationalistes, sa recherche d’un équilibre entre liberté et impérialisme, entre universalisme et particularisme.
4Le rapport de Mommsen avec la famille Hohenzollern est examiné par H. Schlange-Schöningen : c’est le modèle du césarisme, celui de l’autocratie qui est ici convoqué pour mener une analyse fine et approfondie de la position de Mommsen envers la dynastie de son temps. On lira avec le même profit la contribution de C. Hoffmann sur la position de Mommsen, représentant du libéralisme et du pluralisme culturel, par rapport à von Treitschke dans la « Berliner Antisemitismusstreit » de 1879/1880. Quant à E. Baltrusch, il enquête sur Mommsen et l’impérialisme, en mettant en relation les ambitions allemandes de Weltpolitik avec les analyses historiographiques de Mommsen sur la guerre, sur l’expansion de Rome et sur l’Empire.
5C’est ensuite le rapport de Mommsen avec le grand médecin, Rudolf Virchow qui est examiné par Ch. Andree (auteur, en 2002, d’une biographie de Virchow) qui montre bien le parallélisme à divers niveaux entre le parcours de ces deux personnages : quant à l’origine, sur le plan politique, sur le plan scientifique et académique, etc. Leur correspondance fournit un éclairage remarquable sur les convergences et les divergences d’intérêts et d’analyses.
6Le nom d’Adolf Harnack ne pouvait évidemment manquer : le couple qu’il a formé avec Mommsen dans le cadre de ce que l’on peut qualifier de Big Science (la science comme Großbetrieb) est finement analysé par R. vom Buch. L’Académie de Berlin devint, grâce à eux, le centre névralgique de réseaux scientifiques extraordinairement productifs qui ont marqué la science, en particulier l’Altertumskunde, de la fin du xixe siècle. Une science moderne est créée, innovative, interactive, ambitieuse, voire hégémonique par rapport au reste de l’Europe. L’étude qu’A. Marcone consacre aux rapports de Mommsen avec l’Italie en fournit une bonne illustration. Cela dit, l’Italie est pour Mommsen bien plus et tout autre chose qu’une terre de conquête scientifique : c’est une patrie culturelle, c’est un terrain de recherche, un lieu qu’il a fréquenté, parcouru et aimé. Du rapport à l’Italie et à Rome, il est encore question, plus avant, dans la contribution d’E. Flaig. Car Mommsen prétend faire l’histoire de l’Italie, donc d’une nation, et non pas seulement de Rome, une ville, une capitale. Faut-il donc voir dans sa Römische Geschchite, dans sa lecture de l’échec de la Res publica, une histoire nationale, écrite au miroir de celle de l’Allemagne (comme Droysen pour la Grèce de l’Hellenismus) ? D’importants éléments de réponse à une question difficile se trouvent dans cette passionnante contribution. De construction spéculaire, entre passé et présent, il est encore question dans la contribution d’A. Goltz sur Mommsen et l’image des Germains, puisque les postulats historiographiques et idéologiques à l’œuvre dans les écrits de Mommsen sont, d’une part, l’identité entre les Germains et les Allemands et la tension naturelle du développement historique vers l’État national. L’Auteur souligne utilement et explicitement les visées pédagogiques de l’historiographie mommsénienne, que les autres contributions tendaient à considérer implicitement.
7G. Mattenklot envisage l’apport de Mommsen d’un point de vue littéraire : comment caractériser, en termes de littérature historiographique, l’œuvre du prix Nobel de la littérature (1902) ? comment définir son rapport à la vérité au sein d’une histoire qui se veut à la fois littéraire et scientifique ? selon quels modèles forgea-t-il son écriture de l’histoire romaine ? W. Nippel concentre son attention sur le Römisches Staatsrecht de Mommsen (plus de 3 200 pages !) et sur son positionnement scientifique, entre tradition « antiquariste » et innovation (le « rationeller Fortschirtt » invoqué dans le titre).
8Max Weber ne pouvait manquer dans cette évocation du milieu intellectuel de Mommsen : c’est J. Deininger qui en traite. Le rapport d’autorité du second au premier est évident (Weber était un antiquisant, spécialiste de l’histoire agraire et du droit : ne l’oublions pas), mais l’évolution de la pensée et des méthodes de Weber l’ont amené à creuser un écart de plus en plus grand entre eux, au point que Weber apparaît comme une sorte d’alternative à Mommsen, un paradigme opposé. Entre proximité et distance, entre Spezialisierung et Globalisierung, l’auteur propose une analyse tout en finesse et nuances. Enfin, pour clore le volume, y compris symboliquement, H. Kloft étudie les Nachrufe de Mommsen, ces notices nécrologiques qui ont l’ambition d’évoquer une personne en quelques pages, qui synthétisent les facta et virtutes, qui entament un parcours de mémoire, de tradition, de réception nécessairement critique et particulièrement riche de sens pour une personnalité aussi articulée que celle du grand Theodor Mommsen.
9Une biographie et un index complètent un volume absolument incontournable pour pénétrer dans le monde de Mommsen, un exemple de la meilleure tradition historiographique allemande.
Pour citer cet article
Référence papier
Corinne Bonnet, « Alexander Demandt, Andreas Goltz, Heinrich Schlange-Schöninge (éd.), Theodor Mommsen. Wissenschaft und Politik im 19. Jahrhundert », Anabases, 5 | 2007, 262-264.
Référence électronique
Corinne Bonnet, « Alexander Demandt, Andreas Goltz, Heinrich Schlange-Schöninge (éd.), Theodor Mommsen. Wissenschaft und Politik im 19. Jahrhundert », Anabases [En ligne], 5 | 2007, mis en ligne le 01 janvier 2012, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/3233 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.3233
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