Ernst A. Schmidt, Rudolf Borchardts Antike. Heroisch-tragische Zeitgenossenschaft in der Moderne
Ernst A. Schmidt, Rudolf Borchardts Antike. Heroisch-tragische Zeitgenossenschaft in der Moderne, Schriften der Philosophisch-historischen Klasse der Heidelberger Akademie der Wissenschaften, Band 38, Heidelberg, Winter, 2006, 222 p.
25 euros / ISBN 3-8253-5251-X.
Texte intégral
1Fruits d’une longue passion et écrits avec une sympathie (très critique cependant) que l’on ne partagera peut-être pas toujours, les deux ouvrages ici successivement recensés constituent une mine de renseignements extrêmement précis sur le poète allemand antimoderniste Rudolf Borchardt (1877-1945, ici B.), sur son rapport à l’Antiquité et aussi à l’étude universitaire de l’Antiquité, représentée alors notamment par Werner Jaeger, et plus largement sur la philologie dans l’Allemagne de l’Entre-deux-guerres : tout un ensemble peu connu des philologues d’aujourd’hui (le recenseur y compris).
2Le premier livre est divisé en trois grandes parties, portant sur l’antimodernisme, puis sur les œuvres antiques évoquées par B. dans sa tentative de « schöpferische Restauration », avant une dernière partie offrant une documentation minutieuse et exemplaire.
3Profondément hostile au libéralisme et à la démocratie, B. préférait au slogan de la « révolution conservatrice » celui d’une « restauration créatrice » du passé (fût-ce celle d’une causa victa : cf. Lucain, Bellum civile 1,128), concept d’origine romantique et lié chez B. à des « révélations » apparues lors de lectures du romantisme ou du pré-romantisme, et non sans rapport avec l’ambition originelle de la « science de l’Antiquité ». La restauration du « père » dans une société prolétarisée et dégénérée se fait par une « Katabasis » que seule la poésie, comme recherche, comme sophia totale (Pindare est invoqué comme modèle), peut réaliser, non l’art, ni la science. Il faut alors réinventer les formes : signalons notamment les analyses sur Das Gespräch über Formen. Platons Lysis deutsch et ses multiples modèles, en particulier anglais (p. 49-53). S’agit-il d’un « fondamentalisme esthétiqu » sans issue (S. Breuer), rivalisant avec le cercle du poète Stefan George ? E. A. Schmidt critique vigoureusement, et à différents égards, la formule (p. 53-61), préférant souligner (avec Th. W. Adorno) le modernisme de cette critique de la modernité.
4La deuxième partie du livre se fonde plus précisément sur la lecture que fait B. des œuvres antiques, principalement autour de deux thèmes : « Restauration der Frühe » et « Restauration von Anfängen ».
5« Restauration de l’origine ». Contre Euripide (et mieux que son ami Hofmannsthal), il veut restaurer, à partir de Pausanias, une « Ur-Alkestis », dont le centre serait le nécessaire sacrifice du roi pour la communauté (1920). Dans les Hymnes homériques, il veut retrouver, par élimination des aspects dits tardifs et restauration d’une métrique originelle, une poésie préhomérique, « altionische » [cf. la critique de P. Friedländer, Gnomon 2 (1926), p. 344-349, à la fois « fair » – Friedländer était d’ailleurs, on peut le signaler, proche du Georgekreis –, et tout à fait décalée par rapport au projet du poète]. C’est le travail de B., plus que les Hymnes (p. 81), qui est, montre E. A. Schmidt, « kathartisch und heroisch », à la recherche d’un archaïque originel. Dans le prolongement de son livre Notwehrdichtung. Moderne Jambik von Chénier bis Borchardt (Munich, 1990), E. A. Schmidt propose ensuite une belle étude des Jamben (1935/1936, publiés beaucoup plus tard) : la recréation des invectives d’Archiloque passe avant tout par Horace, mais aussi par Carducci, et est liée à l’« excommunication » que B. vient de subir, lui qui est d’origine en partie juive, en raison des lois racistes de Nüremberg. De Pindare, B. fait le représentant le plus authentique de la poésie grecque, et de la poésie tout court, « ein transzendentes Individuum, die als Person gefühlte geheiligte Stammesgemeinschaft » (p. 107), qui est lui-même un « Restaurator » (p. 112-113), à retrouver par delà les déformations hellénistiques, romaines et philologiques, et… par delà les révolutions démocratiques (qui commencent, contre les Doriens, avec « die Ionisierung und Homerisierung von Hellas » : cf. K. O. Müller et W. Pater) : une figure héroïque et impossible, une causa victa comme celle de B. lui-même. Cette interprétation puissante du poète thébain ne fut pas sans influence sur la philologie.
6« Restauration des commencements ». L’étude et la traduction du Lysis platonicien déjà citées ci-dessus, publiées en 1905, datées par B. de 1900/1901, mais pouvant selon moi faire une allusion polémique au fameux Griechische Lesebuch de Wilamowitz de 1902 (suggestion approuvée par E. A. Schmidt p. 121), ce Wilamowitz dont la traduction de l’Orestie est aussi critiquée avec férocité dans une perspective à la fois nietzschéenne et proche du Cercle de George (cet aspect pourrait être mis en valeur plus nettement, d’autant que le thème même du Lysis rejoint l’idéologie de Maximin), se situent à nouveau dans la réception de Walter Pater. On pourra les lire dans : Das Gespräch über Formen und Platos Lysis deutsch. Mit einem Essay von Botho Strauß (Cotta’s Bibliothek der Moderne 66), Stuttgart, 1987. Le dialogue apparaît à B. comme un genre littéraire inventé par le poète Platon, qu’il restaure dans l’innovation de sa « Forme intérieure » (concept sur l’histoire duquel E. A. Schmidt donne une excellente note p. 128-129). Autre reconstruction propre à B., à partir, comme le montre fort bien E. A. Schmidt, d’éléments de son temps, mais originale : le commencement de l’Europe et du Moyen Âge occidental peut être rattaché à l’Enéide de cette anima naturaliter christiana, Virgile, Vater des Abendlands (qualification de Th. Haecker, Vater des Vaterlands, l’année même où B. prononce son Vergil devant l’université de Kiel, à l’invitation de l’helléniste Richard Harder, conférence publiée dans la revue de W. Jaeger, Die Antike) ; mais Virgile est surtout poète de la fin de l’Antiquité, un poète non épique, lyrique (caractérisation qu’on retrouve chez V. Pöschl), et B. néglige d’en faire le poète de l’État et de l’ordre dont on célébrait alors le 2000e anniversaire ; il préfère saisir l’occasion de lutter à nouveau contre le « classicisme ».
7Une dernière étude analyse l’obscur poème Bacchische Epiphanie, à peu près contemporain de Der Tod in Venedig et Ariadne auf Naxos (1912), rapproché notamment des exaltations antérieures de Bacchus dans le cercle de George et des Cosmiques, et des rêves dionysiaques (issus, eux, d’Erwin Rohde) d’Aschenbach dans Der Tod in Venedig : mais ceux-ci, loin de l’épiphanie, détruisent l’artiste, le conduisent à la débauche et à la ruine qui l’attendaient depuis longtemps.
Pour citer cet article
Référence papier
Paul Demont, « Ernst A. Schmidt, Rudolf Borchardts Antike. Heroisch-tragische Zeitgenossenschaft in der Moderne », Anabases, 8 | 2008, 304-306.
Référence électronique
Paul Demont, « Ernst A. Schmidt, Rudolf Borchardts Antike. Heroisch-tragische Zeitgenossenschaft in der Moderne », Anabases [En ligne], 8 | 2008, mis en ligne le 01 juillet 2011, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/264 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.264
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