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Comptes rendus et notes de lecture

Jean-Marie Pailler & Pascal Payen (éds), Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou », Histoire de l’éducation dans l’Antiquité

Bruno Rochette
p. 271-273
Référence(s) :

Jean-Marie Pailler & Pascal Payen (éds), Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire «le Marrou» Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Toulouse, Presses universitaires du Mirail (coll. « Tempus »), 2004, 388 p.
27 euros / isbn : 2-85816-764-8.

Texte intégral

1L’Histoire de l’éducation dans l’Antiquité (hea), qu’Henri-Irénée Marrou (1904-1977) publia en 1948, est devenu un ouvrage classique, lu et médité, dans ses éditions successives, par des générations d’étudiants et de professeurs, mais aussi en dehors des cercles de spécialistes. Entrepris pour le cinquantenaire de la première édition, en 1998, l’ouvrage collectif que voici propose une relecture – ou plutôt des relectures – de ce maître-livre, dont il analyse les deux dimensions majeures : érudition et engagement. L’ouvrage de Marrou porte en effet l’empreinte de son temps. Œuvre de science, il est aussi un écrit d’engagement, mûri dans le contexte sombre des années de guerre, tandis que son auteur, alors professeur à la Faculté des Lettres de Lyon, prenait part, avec ses étudiants, à la Résistance. Historien engagé, Marrou voyait dans les traditions éducatives de la Grèce et de Rome une sorte de rempart contre la barbarie, dont il avait devant les yeux deux illustrations modernes : l’Italie et l’Allemagne des années 30. En guise d’introduction, les deux éditeurs, Jean-Marie Pailler et Pascal Payen, situent le livre de Marrou dans ses contextes et en dégagent l’art et la méthode. Si l’hea défend une thèse – c’est à l’époque hellénistique que se constitue, dans la paideia, l’héritage de l’humanisme classique, elle se veut aussi une synthèse. En proposant une réflexion dans trois domaines, la méthode historique, l’épistémologie, l’engagement de l’historien, l’hea a nourri toute l’œuvre postérieure de Marrou, dont elle ne peut être dissociée.

2Les relectures sont réparties en cinq groupes. Chacune de ces parties est entrecoupée par un intermezzo – en souvenir du mélomane que fut Marrou.

31. Des relectures pour aujourd’hui s’interrogent sur le comment et le pourquoi du recours permanent à l’analogie dans l’hea. Dominique Julia tente de comprendre combien l’hea rejoint des préoccupations de l’auteur en retraçant le contexte de la formation de Marrou et sa position face à l’éducation contemporaine. Jérôme Grondeux replace Marrou dans l’histoire intellectuelle du xxe s. en soulignant les influences qu’il a subies : Wilhelm Dilthey (1833-1911), via Raymond Aron, mais aussi Henri Bergson, Wately, Bradley et Croce. Yun Lee Too présente les grandes lignes du volume, paru chez Brill, sous le titre Education in Greek and Roman Antiquity, qui, autant que son prédécesseur, est le produit de son temps et de son idéologie. François Grèzes-Rueff traite de l’analogie contemporaine dans l’hea. Ce corpus d’analogies est classé d’après les catégories mises en place par Marrou lui-même dans De la connaissance historique.

42. Des relectures croisées, passé-présent, dégagent les soubassements anthropologiques de tel ou tel comportement « éducatif » dans les sociétés antiques. Chryssanthi Avlami et Charalampos Orfanos étudient le concept d’éducation dans l’hea. Alain Ballabriga s’intéresse à la pédérastie, déjà évoquée dans la contribution précédente. Annalisa Paradiso tente de cerner l’image de Sparte. Marrou combat la représentation raciale d’une Sparte dorienne et prétendument nordique répandue par les historiens-idéologues de l’Allemagne nazie. Pascal Payen s’interroge sur la place accordée par Marrou à l’histoire dans l’hea, l’œuvre des historiens n’occupant qu’une place réduite dans ce livre. Paul Demont examine la charnière entre la première et la deuxième partie de l’hea, c’est-à-dire les chapitres sur Platon et Isocrate, Les deux colonnes du temple, à lire en parallèle avec W. Jaeger, Paideia, paru en 1933. Patrick Le Roux s’attache au chapitre 8 sur l’État romain et l’éducation, une étude sur l’intervention des pouvoirs politiques dans des questions qui touchaient à la formation des citoyens et à l’école.

53. Des relectures régionales cherchent à restituer le devenir de la paideia dans des cadres très divers. Bernard Legras s’intéresse à l’Égypte ptolémaïque et romaine dans ses relations avec le milieu socio-culturel égyptien. Jean-Marie Pailler aborde la question de l’enseignement en Gaule avant et après Marrou. Noureddine Tlili propose une contribution d’épigraphie africaine et interroge des inscriptions mentionnant de jeunes étudiants décédés au cours de leur cursus. Christine Delaplace s’intéresse au maintien de la culture antique au vie s. en Italie, avec Cassiodore, Boèce et Symmaque.

64. Des relectures culturelles tentent de situer l’éducation antique du point de vue de la philosophie, de la littérature, de l’art figuré et de la musique. Sylvie Solère-Queval entreprend une lecture critique du chapitre que H.-I. Marrou consacre à Platon, désolidarisé de Socrate, soucieux d’intériorité et de pédagogie par dépit. Mireille Armisen-Marchetti traite de l’enseignement de la philosophie à Rome, question que Marrou effleure à peine. Élisabeth Asmis tente de préciser la place de l’enseignement dans la philosophie épicurienne et ses spécificités, comme la mémorisation. Raffaella Cribiore centre sa réflexion, avec l’œil du papyrologue, sur un domaine spécifique de l’éducation durant la période hellénistique et romaine, les études littéraires secondaires, et sur l’usage de la poésie tragique par le grammairien. Suzanne Saïd, se référant à la permanence de l’« éducation classique » maintes fois soulignée par Marrou, montre qu’elle n’a été possible que parce que les textes ont sans cesse été redécoupés et réinterprétés, par exemple le De audiendis poetis de Plutarque et la Lettre aux jeunes gens ou comment ils peuvent tirer profit de la littérature païenne de Basile de Césarée. Pascale Jacquet-Rimassa essaie de comprendre comment Marrou percevait le document iconographique, qu’il a peu utilisé dans son approche de l’éducation. Christophe Vendries étudie la place de la musique dans l’éducation romaine selon Marrou, qui fut critique musical sous le nom de Henri Davenson.

75. Des relectures politiques replacent la paideia dans le contexte social et institutionnel de diverses époques. Andrzej S. Chankowski examine, à la lumière des résultats récents de deux courants de recherche, institutionnel et anthropologique, l’exposé que Marrou a consacré à l’institution grecque de l’éphébie. Konrad Vössing tente de vérifier l’exactitude de la communis opinio, reprise par Marrou, selon laquelle l’école aurait sans cesse été plus étatisé. Stéphane Ratti montre que, si l’école d’État n’existait pas, en revanche la question de la culture des empereurs est un sujet politique et une question d’État. Éric Perrin-Saminadayar traite de la rémunération des maîtres dans le monde grec classique et hellénistique. Sandrine Agusta-Boularot consacre sa contribution à la place des jeunes filles et des femmes, élèves ou enseignantes, dans le système éducatif romain.

8Deux contributions font le pont entre l’Antiquité et le Moyen Âge. Hervé Inglebert propose une relecture, fondée sur un rapprochement des termes d’éducation et de cultures, des derniers chapitres de l’hea. Pierre Riché, pour sa part, rappelle le rôle que l’hea a joué dans ses propres recherches qui l’ont conduit à écrire la suite de ce livre, Éducation et culture dans l’Occident barbare, vie-viiie siècle. Pour finir, André Mandouze propose, en guise de conclusion, une réflexion sur la dette de la civilisation hellénistique.

9Une bibliographie sélective et indicative permet au lecteur de poursuivre en matière d’histoire de l’éducation antique, concernant l’ensemble des recherches de Marrou sur ce sujet (avec les comptes rendus de son hea) et, enfin, sur Marrou lui-même. Un index conclut ce beau recueil.

10Il est n’est pas surprenant que les relectures proposées ici conduisent à corriger l’ouvrage de Marrou sur plusieurs points et à en proposer un aggiornamento. Depuis l’époque où travaillait l’historien, les approches se sont modifiées et les développements de branches du savoir comme l’anthropologie, l’épigraphie, la papyrologie, l’iconographie, l’archéologie… ont permis des avancées importantes. Mais peut-être n’est-ce pas là l’essentiel. Au-delà de ces gains ponctuels, ce qui reste, c’est l’appel à la méditation et à l’action que lançait Marrou il y a plus de cinquante ans. La belle leçon qu’il nous laisse en héritage et que les contributions rassemblées ici nous aident à retenir et à méditer est une acquisition pour toujours qui fait de l’hea, livre novateur et érudit, marqué au coin de la culture et de l’historiographie de son temps, un grand moment dans l’histoire intellectuelle du xxe s.

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Pour citer cet article

Référence papier

Bruno Rochette, « Jean-Marie Pailler & Pascal Payen (éds), Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou », Histoire de l’éducation dans l’Antiquité »Anabases, 3 | 2006, 271-273.

Référence électronique

Bruno Rochette, « Jean-Marie Pailler & Pascal Payen (éds), Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou », Histoire de l’éducation dans l’Antiquité »Anabases [En ligne], 3 | 2006, mis en ligne le 01 janvier 2012, consulté le 10 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/2616 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.2616

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