Hamish Williams, J. R. R. Tolkien’s Utopianism and the Classics
Hamish Williams, J. R. R. Tolkien’s Utopianism and the Classics, Londres et New York, Bloosmbury Academic, 2023, 224 p. / ISBN 9781350241459, £75 (hardback), £28,99 (paperback)
Texte intégral
1Alors que paraît en 2024 le premier ouvrage francophone consacré à la réception de l’Antiquité chez J. R. R. Tolkien (D. Maillard [dir.], Tolkien et l’Antiquité. Passé et Antiquités en Terre du Milieu, Paris, Classiques Garnier), Hamish Williams continue de creuser ce sillon ouvert par les anglo-saxons, et auquel il a déjà apporté une contribution en 2021, avec son ouvrage collectif Tolkien and the Classical World (Walking Tree Publishers). L’objectif reste de dépasser le médiévalisme de Tolkien pour débusquer les emprunts faits à l’Antiquité gréco-romaine, par un écrivain dont la formation reposa d’abord sur les classics. Mais HW se propose d’adopter une approche nouvelle, en abordant cette question sous l’angle de deux notions littéraires qu’il oppose : utopianism et classicism. La première – déjà investie dans son livre The Ancient Sea. The Utopian and Catastrophic in Classical Narratives and their Reception (édité avec Ross Clare, Liverpool University Press, 2023) – renvoie à la part de pure création par l’écrivain d’un monde « meilleur » et support d’un discours moral, par contraste avec son monde réel. La seconde notion signifie la conformation aux canons, styles ou références de l’Antiquité. L’œuvre de Tolkien relève d’un subtil mélange des deux, que HW se propose d’investiguer à travers trois chapitres thématiques.
2Le premier chapitre s’arrête sur le motif de la chute : celle de l’homme, ou des cités et des civilisations. Le motif est récurrent chez Tolkien, appliqué à des peuples comme Númenor, à des cités comme Gondolin, ou à des personnages comme Boromir. Au-delà de l’analogie « géographique » entre la Númenor de Tolkien et l’Atlantide de Platon (deux îles englouties lors d’un cataclysme final), ces deux terres imaginaires partagent une portée morale. Elles racontent une utopie pervertie, passée de l’humilité à l’hubris, pour mieux adresser un message aux époques postérieures, celle de l’Athènes de Platon, ou celle d’Aragorn, héros du Seigneur des Anneaux et héritier de Númenor. Une autre analogie s’impose entre le royaume tolkiennien du Gondor, pâle reflet de la grandeur de Númenor mais finalement restauré par Aragorn, et le thème de la restauration de Rome. Qu’il s’agisse de celle qu’effectua Auguste – et que mit en scène Virgile – ou celles qui hantèrent l’histoire ensuite, depuis le roi Arthur jusqu’au Saint Empire, toutes partagent une dimension morale : c’est par le retour aux valeurs que reviendra la grandeur passée. Tolkien se positionne à la croisée de la littérature ancienne puis médiévale et de la culture de son temps : toute civilisation semble condamnée à chuter, dès lors qu’elle abandonne les valeurs morales qui firent sa grandeur. Mais derrière ce pessimisme se cache bien un discours utopiste qui promet un lendemain meilleur, dès lors que les valeurs en seront restaurées.
3Dans un deuxième temps, HW s’arrête sur la thématique de l’hospitalité et du foyer. Elle scande la narration du Seigneur des Anneaux comme du Hobbit, dont les héros ne cessent d’être ballotés d’un foyer à l’autre, à l’image d’Ulysse, tantôt bien, tantôt mal accueilli par ses « hôtes ». Dans l’Odyssée comme dans le Hobbit, le héros doit se mettre en marche à cause d’invités indésirables qui s’installent chez lui : prétendants ou troupe de nains. Commence alors une succession d’accueils chaleureux – par exemple à Fondcombe auprès d’Elrond ou en Schérie auprès d’Alcinoos – ou au contraire d’accueils hostiles. L’hostilité va jusqu’au renversement des normes, quand l’invité devient la nourriture de son hôte, qu’il soit cyclope ou troll. L’arrivée à destination ramène le héros au problème des invités indésirables. Qu’il s’agisse de Smaug le dragon ou des prétendants d’Ithaque, le conflit se résout par le recours à la violence, avec l’approbation du divin (Athéna ou Gandalf). Tolkien, comme Homère, a donc tenu un discours éminemment moral sur ce sujet. L’étranger doit être accueilli, mais la bonne entente entre hôtes suppose une réciprocité stricte.
4Le troisième et dernier chapitre se penche sur le rapport de Tolkien et de ses personnages à la nature. HW propose de renouveler ce thème déjà étudié en l’approchant sous l’angle conceptuel du sublime. Dès que les hobbits du Seigneur des Anneaux quittent la Comté, ils se trouvent face à ce qui, chez Tolkien, relève le plus souvent de ce sublime : la forêt. Les parallèles sont nombreux avec Ovide, chez qui elle est également pensée comme un lieu fascinant et inquiétant, d’une ancienneté vertigineuse, donc immuable et habité par des entités divines ancestrales, que l’on rencontre au détour d’une clairière. Le Tom Bombadil de Tolkien, qui guide les hobbits dans la première forêt hostile qu’ils rencontrent, apparaît comme une figure orphique. Connaisseur et amoureux de la nature, il est capable de l’apaiser et de la tenir à distance par une musique qui rappelle celle des Ainur, divinités créatrices et ordinatrices du monde. Le sublime chez Tolkien est aussi associé aux ruines, que croisent ponctuellement les héros et qui les renvoient encore à la civilisation déchue de Númenor et à son discours moral intrinsèque.
5HW n’épuise pas le sujet qu’il aborde, et qui pourrait s’étendre à bien d’autres thèmes. Mais il montre, à travers ces exemples, que le classicism de Tolkien ne s’en tient pas à des analogies entre lieux, personnages, événements ou langues de sa Terre du Milieu et ceux de l’Antiquité méditerranéenne. Grèce et Rome antiques ont aussi fourni au Légendaire des éléments moraux, des valeurs politiques, sociales ou esthétiques qui ont nourri l’utopie patiemment bâtie par Tolkien. HW propose en conséquence de qualifier cet entre-deux, cette utopie inspirée de passés classiques bien réels de retrotopism, façon subtile de répondre également à ceux qui veulent voir en Tolkien un écrivain réactionnaire. La démonstration est convaincante et nourrie par une connaissance fine de l’œuvre tolkienienne et de la littérature ancienne, mais aussi par une bibliographie conséquente sur les deux sujets. Elle jette une lumière nouvelle sur la Terre du Milieu, mais aussi – et c’est un autre intérêt majeur des études de réception – sur nos lectures modernes de la littérature ancienne et nos façons d’y projeter nos propres valeurs.
Pour citer cet article
Référence papier
Kevin Bouillot, « Hamish Williams, J. R. R. Tolkien’s Utopianism and the Classics », Anabases, 40 | 2024, 346-348.
Référence électronique
Kevin Bouillot, « Hamish Williams, J. R. R. Tolkien’s Utopianism and the Classics », Anabases [En ligne], 40 | 2024, mis en ligne le 01 novembre 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/19288 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12wac
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