Maciej Paprocki, Gary Patrick Vos et David John Wright (éds.), The Staying Power of Thetis. Allusion, Interaction and Reception from Homer to the 21st Century
Maciej Paprocki, Gary Patrick Vos et David John Wright (éds.), The Staying Power of Thetis. Allusion, Interaction and Reception from Homer to the 21st Century, Berlin et Boston, De Gruyter, 2023, 524 p. / ISBN 9783110678352, 149,95 €
Texte intégral
1Il y a plus de trente ans paraissait un livre ayant renouvelé la compréhension de la plus célèbre des Néréides, sous la plume de Laura Slatkin : The Power of Thetis : Allusion and Interpretation in the Iliad (1re éd. 1991 ; 2nde éd. 2011). Son influence toujours vivace s’est manifestée lors de la 12e Celtic Conference in Classics, tenue à l’Université de Coimbra au Portugal en 2019, et dont le présent ouvrage collectif constitue la publication.
2À première vue divinité marine secondaire, Thétis n’est pas une Olympienne. Obligée d’épouser le mortel Pélée, elle engendre Achille, héros central de L’Iliade. Mais derrière cette rétrogradation, Slatkin avait décelé en elle une puissance cosmique déchue, capable autrefois de secourir Zeus (avec l’aide de Briarée) et de protéger Héphaïstos et Dionysos. La déesse représentait même une menace pour le pouvoir olympien, étant destinée à engendrer, selon d’autres sources archaïques, un fils plus fort que son père alors qu’elle était courtisée à la fois par Zeus et Poséidon. Slatkin démontrait ainsi l’importance d’une colère de Thétis se surimposant dans l’Iliade à celle de son fils, pourtant objet principal du poème.
3Les vingt articles rassemblés ici se situent dans le prolongement de cette analyse, s’attachant à étudier d’autres auteurs ou d’autres sources, dans l’Antiquité mais aussi aux périodes ultérieures. Les contributions s’organisent en quatre grandes parties. La première se concentre sur les pouvoirs de Thétis et sa dimension cosmique. En premier lieu, Ettore Cingano étudie les apparitions de Thétis dans les sources post-homériques. Maciej Paprocki se demande ensuite pourquoi la Thétis iliadique a perdu beaucoup de son agentivité après son mariage, défendant l’idée que son agression (et même son viol) par Pélée a ligoté son potentiel reproducteur et son pouvoir. Ariadne Konstantinou s’intéresse à la question de la mobilité de Thétis dans l’Iliade, entre abîmes marins et hauteurs de l’Olympe, en passant par les plages troyennes. Daniela Milo explore la figure de Thétis dans l’Andromaque d’Euripide tandis que Gary Vos met en lumière la place de la Néréide dans l’Hymne homérique à Apollon. Peter Heslin traite du pouvoir de Thétis dans la littérature latine de la fin de la République et du Haut Empire (Catulle, Virgile, Ovide et Stace). Simona Martorana s’intéresse plus particulièrement au récit sur Thétis dans les Métamorphoses d’Ovide.
4La seconde partie regroupe des articles ayant comme point commun les connexions familiales et la maternité de Thétis (autant symbolique que biologique). Laura Massetti se concentre sur la protection qu’accorde la déesse, dans l’Iliade, au jeune Dionysos fuyant Lycurgue. Katharine Mawford examine les intrigantes connexions des textes grecs archaïques et hellénistiques avec le pouvoir de métamorphose de la Néréide et sa maternité subversive. Hannah Silverblank défend la thèse que le pouvoir de la déesse réside surtout dans son habileté à former des liens de parenté inattendus et étranges. Serena Cannavale étudie ensuite les mentions de Thétis, mère divine en deuil, dans les épigrammes funéraires grecques.
5La troisième partie concerne la culture matérielle. Diana Burton examine l’iconographie de la Néréide sur les vases attiques. De leur côté, Amelia Brown et Nile de Jonge offrent un panorama des cultes de Thétis et des Néréides, à travers les sources archéologiques et épigraphiques, mais aussi littéraires : au Cap Sépias et au Thétidion de Pharsale en Thessalie, dans l’île de Leukè dans la mer Noire, ou les sanctuaires de Thétis et des Néréides dans le Péloponnèse. Elles concluent à la fonction principale de Thétis et ses sœurs comme protectrices des marins.
6La quatrième et dernière partie traite de la réception de Thétis au-delà de la période antique. Tine Scheijnen étudie sa transformation en sorcière humaine dans des textes anglais du Moyen Âge central, particulièrement dans The Seege or Batayle of Troy (xive siècle). Julene Abad Del Vecchio examine le personnage de Thétis dans El Aquiles de Tirso de Molina (1610-1612), la pièce créant une figure humanisée de la mère d’Achille conforme au goût du théâtre baroque espagnol. Naoko Yamagata fournit ensuite une lecture fine du poème de W.H. Auden, « The Shield of Achilles » (1952), où la mère du héros occupe une place de témoin privilégié. David Wright étudie l’évolution du personnage de Thétis dans le film Le Choc des Titans (1981), réécriture de l’histoire de Persée où elle occupe – avec son fils Calibos et le monstrueux Kraken – le rôle d’antagoniste principal, puissante déesse de la mer et divinité poliade de Joppé, mais jalouse de la beauté d’Andromède. Maciej Paprocki s’intéresse ensuite aux figures « thétidéennes » de la sorcière marine Ursula dans La Petite Sirène (1989, 2008) et de la prêtresse vaudou Tia Dalma/Calypso dans les deuxième et troisième films de la franchise Pirates des Caraïbes (2006, 2007). L’avant-dernier article prend la forme d’un entretien avec Bettina Joy de Guzman, à la fois musicienne, chanteuse et chercheuse, qui avait interprété lors du colloque plusieurs compositions basées sur des hymnes et poèmes anciens, ainsi que sa propre création poétique « Thétis et Achille », dont le texte est ici reproduit.
7Le dernier article, sous forme de conclusion, est signé de Laura Slatkin elle-même, la mieux placée pour juger de la manière dont ces différentes contributions reflètent ou prolongent ses propres travaux sur Thétis, synthétisant ces apports en quatre grands thèmes : le rôle sauveur de Thétis, son chagrin et son deuil, son pouvoir cosmique originel et sa colère d’en avoir été dépossédée, et enfin sa capacité de métamorphose, y compris à travers les siècles dans différents contextes. Ce livre, pourtant riche, est loin d’épuiser le sujet. Il pourrait stimuler d’autres études, élargissant le champ au domaine artistique occidental – pensons au célèbre tableau Jupiter et Thétis d’Ingres (1811) – ou à la littérature jeunesse – ainsi la trilogie Pallas de Marine Carteron – et à la bande dessinée – par exemple les séries L’âge de bronze d’Eric Shanower ou Lore Olympus de Rachel Smythe. La seule critique que l’on pourrait faire est le manque de références francophones, notamment dans la bibliographie. C’est cependant un péché véniel qui n’entame pas la qualité de l’ouvrage.
Pour citer cet article
Référence papier
Sébastien Dalmon, « Maciej Paprocki, Gary Patrick Vos et David John Wright (éds.), The Staying Power of Thetis. Allusion, Interaction and Reception from Homer to the 21st Century », Anabases, 40 | 2024, 343-344.
Référence électronique
Sébastien Dalmon, « Maciej Paprocki, Gary Patrick Vos et David John Wright (éds.), The Staying Power of Thetis. Allusion, Interaction and Reception from Homer to the 21st Century », Anabases [En ligne], 40 | 2024, mis en ligne le 01 novembre 2024, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/19245 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12waa
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