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Comptes rendus

André Gob, De Rome à Paris. Retour sur l’origine du musée moderne

Véronique Krings
p. 337-339
Référence(s) :

André Gob, De Rome à Paris. Retour sur l’origine du musée moderne, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2019 / ISBN 9782875622198, 21€

Texte intégral

1Le présent ouvrage vise à mettre en lumière, avec pour cadre Rome et Paris, une translatio majeure dans l’histoire culturelle de l’Europe, selon André Gob, celle, depuis la première vers la seconde, de la genèse du musée moderne. Ce dernier se distinguerait radicalement, en rupture, du cabinet de collectionneur et de la bibliothèque-musée qui l’ont précédé. Sur le plan chronologique, le livre commence en 1768, avec l’assassinat de Winckelmann, et se termine avec la mort à Paris en 1818 d’Ennio Quirino Visconti.

2La première partie (p. 13-162), la plus développée, étudie la création, sur un quart de siècle, du Museo Pio-Clementino, incarnant selon AG le « musée des Lumières », défini comme « un nouveau modèle d’institution qui réinvestit l’an­cienne collection pour répondre à l’ambition didactique et sociale des Lumières » (p. 16). Le premier chapitre présente les principaux acteurs ayant œuvré alors. En premier, ceux que AG rassemble sous la bannière des « archéologues », c’est-à-dire les trois Visconti, Giambattista (1722-1784), le « véritable père du musée », qui a succédé en 1768 à Winckelmann à la charge de commissaire aux antiquités pontificales, et ses fils, en particulier l’aîné Ennio Quirino (1751-1818), ainsi que le sculpteur-restaurateur Gaspare Sibilla. Viennent ensuite, avec en toile de fond la politique pontificale dans la seconde moitié du xviiie siècle, les papes Clément XIV et Pie VI. Au total, des personnalités aux caractères contrastés et tenant sur certains points des positions socialement parlant opposées, mais de la collaboration desquels émergea le nouveau musée. La vente des antiquités de la collection Mattei, importante en définitive dans la constitution de la collection vaticane, est l’objet du chapitre 2. Les quatre phases du projet architectural sont ensuite développées dans le détail, sur la base d’une étude minutieuse des plans et des archives comptables des travaux (chapitre 3). AG montre aussi comment, au fil du temps, furent mises en place, avec une cohérence remarquable dans le résultat final, toutes les fonctions qui, selon l’auteur, caractérisent le musée moderne : exposition au public, conservation, études et animation. Dans les chapitres 4 et 5, dans l’idée d’établir une continuité entre ce qui se passe alors à Rome et se retrouve de nos jours encore, AG étudie, à travers une analyse fine des dépenses opérées par le musée, deux facettes du projet muséal du Pio-Clementino : l’action patrimoniale (acquisition, conservation) ainsi que l’exposition, la recherche et l’accueil au public. Ainsi, par exemple, avec la désignation de Giambattista Visconti, il s’agit bien au départ d’éviter l’exportation hors de Rome d’œuvres antiques dont, en raison du contexte, certaines grandes familles cherchent à se débarrasser, mais la patrimonialisation ne put se faire à terme sans un renforcement de la réglementation des fouilles et du commerce des antiquités. Enfin, le chapitre 6 esquisse « ce qu’aurait pu être le Mission Statement du nouveau musée » (p. 145). La muséologie somme toute propre au Vatican signifia une nouvelle politique de protection du patrimoine visant à renforcer l’attractivité de Rome, à y attirer les érudits, à impulser une archéologie moins prédatrice, à accueillir les visiteurs dans une forme d’immersion, qui établit un lien entre le passé et le présent, l’Antiquité devenant force de régénération de la société. Des publications destinées à différents publics contribuèrent à assurer ces objectifs. Tout cela, selon AG, marque la rupture avec le collectionisme d’antan. Avec ce chapitre, se termine la première partie dans la foulée de laquelle se situe le second acte. Entre les deux, un bref « Intermezzo » (chapitre 7, « Les grands bouleversements », p. 165-177) présente la campagne d’Italie, qui, selon AG, « provoque un gigantesque bouleversement aux conséquences irréversibles dans le monde – naissant – des musées et du patrimoine » (p. 165), avec les saisies révolutionnaires à Rome, dont l’auteur met bien en évidence la logistique, et la création de la Republica Romana, dont à compter du 1er avril 1798 Ennio Quirino Visconti devient un des consuls, avant, à l’abolition de celle-ci, sa fuite vers la France : « Visconti, un des plus habiles antiquaires de l’Europe et ex-consul de la République est à Marseille », annonce la Gazette Nationale le 4 décembre 1799 (citée p. 177).

3Nous sommes maintenant à Paris (p. 179-246), où l’histoire commence un peu plus tôt, en 1793, avec le décret constituant la charte fondamentale d’un double Muséum, Muséum d’Histoire naturelle dans l’ancien Jardin des Plantes du roi et Muséum central des Arts dans la Petite et Grande galerie, à l’ouest du vieux palais du Louvre. Comme le dit AG, à la différence de ce qui s’était passé à Rome, c’est « un acte politique délibéré et précisément situé qui donne naissance simultanément à deux institutions jumelles » (p. 181). AG évoque ici aussi, fort rapidement, l’existence, concurrente, du musée des Antiques au sein de la Bibliothèque nationale de France, ex-bibliothèque du roi. De la même manière que pour le Pio-Clementino, sont étudiés ensuite les lieux d’implantation du nouveau musée et les projets successifs d’aménagement (intéressant tableau comparatif, p. 195). La question de l’arrivée des œuvres d’Italie est traitée avec beaucoup de soin et c’est passionnant de suivre l’histoire « chaotique » de leur longue mise en place. C’est alors que Visconti, arrivé à Paris, entre vraiment en scène. L’étude de son action au Musée Napoléon constitue le cœur du chapitre 9, principalement à travers les modalités d’acquisition des pièces. S’est-il agi uniquement de saisir les opportunités que donnent les opérations militaires et les relations politiques qui se nouent alors ou peut-on parler d’une vraie sélection ? L’action de Visconti, conservateur des antiques, est analysée en matière de restauration, inventaire, catalogues, publications, choix muséographiques et scénographiques. L’acquisition en 1807 de la collection Borghèse est aussi remise dans son contexte. Le chapitre 10 embrasse les années 1812-1818, lorsque le Musée Napoléon, toujours en cours d’élaboration, se voit privé d’une partie de ses collections avec la chute définitive de l’Empire (cf. tableau mettant en parallèle l’histoire du Musée et le contexte politique et militaire, p. 229-230). Au terme de « restitutions », AG préfère celui de « saisies en retour », sans vraiment s’expliquer sur la formule. Pour Visconti, il s’agit alors de réorganiser et d’enrichir par de nouvelles acquisitions la Galerie des Antiques. Avec le voyage en Grèce en 1817 du comte de Forbin, directeur général du Musée, et l’acquisition directe d’objets antiques en Grèce, de même qu’avec l’achat, engagée la même année par Visconti, de la collection des vases Tochon, le Musée, devenu royal, s’ouvre à de nouvelles perspectives.

4Si l’analyse muséologique des deux musées étudiés, fondée sur l’étude d’un corpus d’archives pas ou peu exploitées jusqu’alors, enthousiasme par sa précision et sa fécondité, on reste néanmoins quelque peu sur sa faim pour ce qui touche à la contextualisation historique. Le focus sur Ennio Quirino Visconti, le « héros » en quelque sorte du livre, est un précieux apport. Mais, même si AG explique de ne pas être allé au bout de cette voie en raison des riches enquêtes, toujours en cours, de Daniela Gallo, certaines facettes de sa vie et de son œuvre, pourtant en lien avec ses activités muséales, ne sont qu’effleurées (rôle à la bibliothèque vaticane, au musée capitolin, au British Museum...), son réseau de relations (au sein du Louvre et des académies par exemple) est à peine évoqué, de même que son rapport au pouvoir. Le Visconti antiquaire, le « petit Mozart de l’antiquariat » (D. Gallo), appellerait quelque éclaircissement. Le terme antiquaire, pourtant régulièrement utilisé dans le livre, et pas seulement à propos de Visconti, ne fait pas non plus l’objet d’explications. Comme le collectionisme (écrit dans le livre avec un C majuscule), l’antiquarisme aurait mérité un développement. En ce sens, la cohabitation entre « l’amour pour l’antique » et « l’ambition didactique des Lumières », les deux lignes de force, selon AG, de l’œuvre de Visconti, gagnerait à être éclaircie. Une vue d’ensemble sur les collections d’antiques présentes à Rome et à Paris dans les temps qui précèdent immédiatement les années 1770, lorsque commence le livre, aurait été bienvenue, tout comme l’aurait été une mise au point sur la question épineuse des bibliothèques en lien avec les collections. Peut-être cela contribuerait-il à nuancer le tableau d’une « rupture » entre l’ancien et le moderne pas aussi franche que celle qui est proposée ici. Reste que le livre, écrit d’une plume alerte au plus près de l’enquête, fruit d’une recherche au long cours menée par un fin connaisseur de l’histoire des musées et un expert en muséologie, éclaire magistralement, dans leurs ressemblances et dissemblances, la naissance de deux musées qui comptent encore parmi les plus visités aujourd’hui. L’approche comparative mise en œuvre est en ce sens particulièrement fructueuse. Depuis la parution de ce livre, on signalera entre autres la sortie en 2021 du volume 2 de la trilogie de Krzysztof Pomian, Le musée, une histoire mondiale. II. L’ancrage européen, 1789-1850.

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Pour citer cet article

Référence papier

Véronique Krings, « André Gob, De Rome à Paris. Retour sur l’origine du musée moderne »Anabases, 40 | 2024, 337-339.

Référence électronique

Véronique Krings, « André Gob, De Rome à Paris. Retour sur l’origine du musée moderne »Anabases [En ligne], 40 | 2024, mis en ligne le 01 novembre 2024, consulté le 17 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/19207 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12wa7

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