Claudia Deglau, Kerstin Droß-Krüpe, Patrick Reinard et Kai Ruffing (éds.), Volker Losemann, Antike und Nationalsozialismus. Gesammelte Schriften zur Wissenschafts- und Rezeptionsgeschichte II
Claudia Deglau, Kerstin Droß-Krüpe, Patrick Reinard et Kai Ruffing (éds.), Volker Losemann, Antike und Nationalsozialismus. Gesammelte Schriften zur Wissenschafts- und Rezeptionsgeschichte II, Wiesbaden, Harrrassowitz Verlag, 2022, 452 p. / ISBN 9783447118392, 98€
Texte intégral
1La première moitié de ce gros volume est constituée par la republication de la thèse de doctorat de Volker Losemann (Nationalsozialismus und Antike. Studien zur Entwicklung des Faches Alte Geschichte 1933-1945), soutenue en 1975 sous la direction de Karl Christ à l’Université de Marburg, publiée en 1977, mais épuisée depuis longtemps. C’est le cœur de ce livre. La deuxième partie rassemble onze études, publiées entre 1984 et 2019, consacrées à l’idéologie et la pratique de la domination national-socialiste, l’antisémitisme en Allemagne au xixe et xxe siècles, le rôle des Germains et de Rome dans la vision allemande de l’histoire, ainsi que la réception de Sparte en Prusse et sous le Troisième Reich. L’ensemble complète un premier volume d’écrits de Losemann, publié en 2017 (V. Losemann, Klio und die Nationalsozialisten. Gesammelte Schriften zur Wissenschafts- und Rezeptionsgeschichte, sous la direction de C. Deglau, P. Reinard et K. Ruffing, Wiesbaden, Harrassowitz 2017).
2Revenons au cœur du présent volume : le livre publié en 1977. Entreprendre dans la République fédérale d’Allemagne des débuts des années 1970 une thèse d’histoire ancienne sur l’histoire de cette même discipline sous le régime national-socialiste n’allait pas de soi et témoignait d’un courage certain de la part du thésard. Le travail d’introspection des historiens sur les rapports entre leur discipline et le national-socialisme, sur les différentes formes de compromissions et de soumission volontaire au politique et à l’idéologie régnante avait alors à peine commencé. Rappelons l’étude pionnière de Karl Ferdinand Werner (né en 1924, directeur de l’Institut historique allemand de Paris de 1968 à 1989) publiée en 1967 : Das NS-Geschichtsbild und die deutsche Geschichtswissenschaft. Ce petit livre a été fondamental pour l’essor des études entreprises à partir de la fin des années 1970 par des historiens d’une génération plus jeune sur l’histoire de leur discipline entre 1933 et 1945, sur l’orientation des recherches de ses représentants les plus en vue, ainsi que sur les suites de leurs carrières dans l’Allemagne (de l’Ouest !) de l’après-guerre. Ces travaux ont provoqué de vives, voire virulents débats et polémiques qui ont trouvé leur point culminant dans une section du Congrès des Historiens allemands en 1998 à l’Université de Francfort/Main. Cette section était consacrée à la question de l’implication d’historiens allemands dans la politique d’extermination national-socialiste. Ces débats ont été publiés sous le titre Deutsche Historiker im Nationalsozialismus. (édité sous la direction de Winfried Schulze et Otto Gerhard Oexle, avec la collaboration de Gerd Helm et Thomas Ott, Frankfurt am Main, Fischer Taschenbuch Verlag, 1999).
3L’histoire ancienne n’y apparaissait pas. Les controverses étaient exclusivement concentrées sur des historiens des xixe et xxe siècles. Mais il faut garder cette étape ultérieure à l’esprit quand on relit le livre de Losemann. Au début des années 1970, quand Losemann rédigea sa thèse, le contexte politico-académique était loin d’être aussi passionné qu’au cours des deux décennies suivantes. En histoire ancienne les investigations ultérieures n’ont jamais déclenché de véritables controverses polémiques. Losemann avait limité son enquête aux années 1933-1945. Il n’aborda pas la question des continuités personnelle et idéologique au-delà de la fin de la guerre et renonça, pour des raisons méthodologiques (p. 15), à recueillir des témoignages oraux auprès de survivants de l’époque national-socialiste. Sa thèse repose essentiellement sur l’exploitation de multiples fonds d’archives et d’un très grand nombre de publications de la période étudiée.
4L’auteur dresse d’abord le bilan de l’épuration, pour des raisons racistes et politiques, des chaires d’histoire ancienne après 1933 ainsi que celui de l’émigration de très nombreux antiquisants (historiens et philologues). L’inventaire quantitatif est complété par une réflexion sur les domaines qui furent particulièrement impactés : notamment l’histoire sociale et économique, et encore l’histoire de l’ancienne Israël. L’émigration, et par conséquence, l’arrêt de formation de jeunes chercheurs dans ces domaines eut des effets sur l’histoire ancienne en Allemagne encore longtemps après la fin de la guerre. Losemann dresse ensuite un tableau global des nominations sur les chaires d’histoire ancienne. En raison des épurations, de départs à la retraite, de décès et en raison de création de nouvelles chaires, au cours de la guerre, dans les nouvelles « Reichs-Universitäten » Strasbourg et Breslau, en seulement douze ans près de 50 % des titulaires de chaire furent renouvelés. L’auteur analyse ces mouvements en détail et montre que, pour différentes raisons (réservoir limité d’enseignants habilités, conflits entre le ministère et les instances du parti), ces renouvellements ne se faisaient pas sous le signe d’une réelle « Gleichschaltung » (mise au pas) et ne changeaient pas fondamentalement le profil des antiquisants universitaires. Un chapitre à part, très instructif, est consacré à la pratique de l’évaluation des candidats aux postes par des instances du parti national-socialiste qui s’appuyaient largement sur des expertises demandées notamment à Wilhelm Weber (Berlin 1932-1945) et à Helmut Berve (Leipzig 1927-1943, München 1943-1946).
5Après un dense chapitre sur la façon dont l’histoire ancienne se présentait face au régime national-socialiste et concevait sa contribution à la guerre (« Kriegseinsatz »), la deuxième grande partie du livre de 1977 aborde des initiatives nouvelles de travaux sur l’Antiquité en dehors des universités, en particulier dans l’institution d’enseignement et de recherche « Das Ahnenerbe » (héritage des ancêtres), créée par Heinrich Himmler en 1935, et au sein de la « Hohe Schule der Partei » (Grande École du Parti) conçue essentiellement par Alfred Rosenberg. Ces entreprises idéologiques ouvraient de nouvelles sources de financement pour des projets de recherche, historiques et archéologiques. Opportunisme et convictions national-socialistes se mélangeaient dans les motivations des antiquisants qui, ici et dans les universités, adaptaient leurs pratiques scientifiques aux exigences du temps. Cependant, et malgré l’implication d’historiens plus jeunes à partir des années de guerre, le régime ne parvenait pas, de l’aveu même des responsables du parti, à imposer à l’histoire ancienne dans son ensemble une véritable vision national-socialiste de l’histoire grecque et romaine. Ce serait une erreur de parler de résistance, sauf cas isolés. Les véritables raisons étaient la courte durée du régime nazi et la loi de la force d’inertie qui régissait ce monde académique, aidé en cela par les visions concurrentes entre le ministère et de différentes instances du parti avec leurs rivalités internes.
6Après presqu’un demi-siècle, la thèse de Volker Losemann n’a rien perdu de son intérêt. Elle éclaire les contextes personnels et institutionnels de travaux ultérieurs, y compris français, qui s’intéressent plus à la dimension idéologique du rapport entre national-socialisme et Antiquité. Saluons la republication de ce travail important !
Pour citer cet article
Référence papier
Hinnerk Bruhns, « Claudia Deglau, Kerstin Droß-Krüpe, Patrick Reinard et Kai Ruffing (éds.), Volker Losemann, Antike und Nationalsozialismus. Gesammelte Schriften zur Wissenschafts- und Rezeptionsgeschichte II », Anabases, 40 | 2024, 330-332.
Référence électronique
Hinnerk Bruhns, « Claudia Deglau, Kerstin Droß-Krüpe, Patrick Reinard et Kai Ruffing (éds.), Volker Losemann, Antike und Nationalsozialismus. Gesammelte Schriften zur Wissenschafts- und Rezeptionsgeschichte II », Anabases [En ligne], 40 | 2024, mis en ligne le 01 novembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/19142 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12wa3
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