Navigation – Plan du site

AccueilNuméros40Comptes rendusCary M. Barber, Politics in the R...

Comptes rendus

Cary M. Barber, Politics in the Roman Republic: Perspectives from Niebuhr to Gelzer

Clément Bur
p. 321-323
Référence(s) :

Cary M. Barber, Politics in the Roman Republic: Perspectives from Niebuhr to Gelzer, Leiden et Boston, Brill, 2022, 280p. / ISBN 9789004530003, 70€

Texte intégral

1Avec ce livre, C. M. Barber ne va pas se faire des amis au sein du monde universitaire anglophone. Il reproche en effet vertement à ses collègues de ne plus lire les brillants auteurs du xixe siècle et de les écarter avec dédain sans engager le débat avec leurs idées. Il déplore en outre dans une longue note (p. 13 n. 24) « the current crisis of foreign language acquisition facing native English-speakers », mais cela n’explique que partiellement le désintérêt envers Niebuhr, Mommsen, Gelzer et Münzer car il existe des traductions (parfois récentes comme pour Münzer) de leurs principales œuvres. Barber entend donc faire œuvre de pédagogie et aider les historiens et étudiants anglophones à accéder aux travaux de ces grands historiens. Au cœur de sa démarche réside le modèle de la matriochka (p. 20-21) : chaque génération d’historiens est influencée par la précédente et crée ainsi une nouvelle enveloppe recouvrant la précédente et conservant une forme proche, comme le font ces petites poupées. L’objectif est donc de revenir à la poupée centrale (Niebuhr, cf. p. 37) et aux suivantes (Mommsen, Gelzer, Münzer) pour comprendre les méthodes et l’origine d’idées défendues aujourd’hui.

2Au début de chaque chapitre, suivant la mode anglo-américaine, le caractère « ground-breaking » des Niebuhr, Mommsen, Gelzer et Münzer, est répété à l’envi, parfois sans se soucier de l’expliquer plus avant qu’avec quelques formules et citations de divers historiens reconnaissant leur importance. Barber n’entreprend pas de réelle déconstruction des différents travaux entrepris à leur suite. Si le contexte dans lequel travaille Niebuhr est présenté, il n’y a pas de comparaison entre l’avant et l’après pour montrer en quoi son travail constitue une rupture. Il en va de même pour les autres auteurs auxquels s’intéresse Barber. Mais pouvait-il en être autrement ? La tâche eût été titanesque. Il faut dire également que ce qui le préoccupe est avant tout de montrer l’intérêt qu’il y aurait à utiliser ceux-ci dans les débats contemporains sur l’histoire de la République romaine.

3C’est dans cette perspective que la pensée de chaque auteur est ensuite méthodiquement décortiquée, à l’aide de nombreuses citations, avec ses biais et ses limites. Barber s’appuie pour cela sur des exemples précis et sur les commentaires récents de leurs œuvres et de leur postérité. Il entend ainsi réfuter certaines critiques caricaturales ayant conduit au désintérêt pour ces auteurs (comme l’excès de constitutionnalisme de Mommsen par exemple). Il se livre à une sorte d’archéologie des savoirs sur la République romaine, examinant les passeurs, conscients ou non, des historiens du « Long Nineteenth Century », à l’instar de Syme dans le chapitre 6 qui fait office de conclusion. L’auteur de The Roman Revolution fut en effet influencé par Gelzer et Münzer et, à travers eux, par Niebuhr et Mommsen, et, grâce à sa postérité en particulier dans le monde anglo-saxon, contribua à faire infuser les idées des historiens du xixe siècle. Dans cette réflexion historiographique, Barber rejoint G.Anderson pour défendre un «ontological turn»: «The world of the Romans is their own, in other words, and it ill befits the present to superimpose its values upon the past, not least in the reconstruction of past values» (p. 94).

4Les lecteurs familiers de ces opera magna ne découvriront certes rien de bien neuf dans ces présentations critiques des thèses des grands historiens allemands de la République romaine, mais un tel résumé, car il permet une remise en perspective, est toujours profitable. Pas autant toutefois que les quelques sections dans lesquelles Barber s’efforce de montrer toute l’actualité des idées Niebuhr et Mommsen (mais on ne trouve rien de tel sur Gelzer et Münzer) dans les débats contemporains sur la République romaine.

5Ces débats se révèlent principalement anglophones et, autant les historiens non-anglophones sont convoqués lorsqu’il s’agit d’attester de la force et de l’influence des grands historiens, autant ils apparaissent bien moins souvent lorsque l’on passe aux études contemporaines. Il s’agit cependant d’un choix de Barber qui se limite aux travaux des seules dix dernières années en langue anglaise pour montrer la fécondité et l’actualité, encore aujourd’hui, des idées des vieux maîtres (p. 74 n. 162 : « such are the constraints of a study aiming to bring the nineteenth century meaningfully into the present »).

6De manière périlleuse, Barber jongle entre une critique des travaux de ses confrères (F. Drogula, K. Raaflaub, N. Rosenstein, W. Scheidel, J. Tan, N. Terrenato…) pointant du doigt leurs lacunes histo­riographiques et le fait que certains répètent des idées déjà avancées il y a un siècle (le chapitre introductif est à ce titre assez dur), et un éloge parfois contradictoire de leurs apports scientifiques. L’auteur ne pouvait en effet pas s’aliéner l’ensemble de ses collègues pour les encourager à davantage dialoguer avec les grands maîtres du xixe siècle. Bien que la bibliographie soit plurilingue, et qu’on trouve des citations en langue étrangère (traduites toutefois en anglais), ce qui est suffisamment rare pour être signalé, le texte et les notes renvoient naturellement davantage aux études en anglais et, dans une moindre mesure, en allemand (K.J. Hölkeskamp surtout, mais il manque curieusement l’ouvrage de S. Strauß de 2017, Von Mommsen zu Gelzer). Les travaux récents en italien, espagnol ou français sont plus rares : pour ne parler que du monde francophone, on s’étonne de ne pas trouver par exemple l’introduction au Droit Public de Y. Thomas sur l’isolierung du droit lorsque Barber s’efforce de réfuter la rigidité du constitutionnalisme de Mommsen, ou l’ouvrage collectif sur l’auctoritas de J.-M. David et F. Hurlet dans sa discussion sur cette notion qui mobilise cependant Willems et Hellegouarc’h.

7Le résumé des travaux de Niebur, Mommsen, Gelzer et Münzer prend toutefois le plus de place et, s’il ne remplacera pas leur lecture, il peut rendre toutefois de fiers services et donner envie de s’y (re)plonger. C’est sans doute une des réussites de l’ouvrage puisque c’était précisément le but recherché par Barber. J’ai toutefois le sentiment que la situation est moins dramatique en France où l’héritage de Nicolet se fait encore sentir : Mommsen demeure le point de départ de presque toute étude sur la République romaine tandis que Münzer, et dans une moindre mesure Gelzer, demeurent celui des nombreux collègues ayant eu recours à la méthode prosopographique ou travaillant sur l’aristocratie. Seul Niebuhr est relativement délaissé, occulté par Mommsen (voir p. 57-62). Les collègues fréquentant déjà ces auteurs regretteront donc sans doute que seul Niebuhr bénéficie d’une réflexion sur la manière dont il aurait pu être utilisé dans les récentes études anglo-saxonnes. En cela, cet ouvrage s’adresse peut-être davantage au public anglo-saxon que continental.

8Enfin, ce tour d’horizon mériterait d’être plus clairement présenté. En effet, la langue ardue, la mise en page minimaliste et la structure parfois un peu confuse du propos (en particulier dans le long chapitre sur Mommsen) rendent la lecture de l’ouvrage difficile. Cette lecture exigeante en vaut néanmoins la peine car elle incite à méditer les travaux de nos illustres prédécesseurs pour mieux comprendre d’où viennent les conceptions et méthodes qui bercent notre travail et à engager le dialogue pour mieux produire du neuf.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Clément Bur, « Cary M. Barber, Politics in the Roman Republic: Perspectives from Niebuhr to Gelzer »Anabases, 40 | 2024, 321-323.

Référence électronique

Clément Bur, « Cary M. Barber, Politics in the Roman Republic: Perspectives from Niebuhr to Gelzer »Anabases [En ligne], 40 | 2024, mis en ligne le 01 novembre 2024, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/19082 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12w9y

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search