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Comptes rendus

Diego Lanza et Gherardo Ugolini (éds.), History of Classical Philology. From Bentley to the 20th Century

Alain Ballabriga
p. 381-384
Référence(s) :

Diego Lanza et Gherardo Ugolini (éds.), History of Classical Philology. From Bentley to the 20th Century, translated by Antonella Lettieri, Berlin et Boston, De Gruyter, 2022, ISBN 9783110722666, 119,95

Texte intégral

1Cette histoire de la philologie classique, traduite de l’italien (Storia della filologia classica, Roma, 2016, nouvelle édition, 2020), comporte douze articles classés en trois parties. Du fait de la densité de chaque contribution, il a paru préférable de souligner pour chacune quelques points importants plutôt que de présenter un résumé analytique détaillé.

2Après une introduction (pp. 1-6) offrant une esquisse historique sur la philologie hellénistique reprise à la Renaissance et se diversifiant jusqu’à nos jours, la première partie, intitulée « Vers une science de l’Antiquité », analyse les œuvres de quatre pionniers de la discipline : Richard Bentley (1662-1742), Christian Gottlob Heyne (1729-1812), Friedrich August Wolf (1759-1824), Wilhelm von Humboldt (1767-1835).

3L’article sur Bentley (de Francesco Lupi, pp. 9-33) fait valoir que le grand mérite de cet auteur fut d’abandonner les études historico-chronologiques du xviie siècle pour l’analyse des formes linguistiques et poétiques. Son ouvrage principal (1699) consiste à démontrer la fausseté, déjà soupçonnée par Politien, Erasme et Leibniz, des lettres attribuées au tyran sicilien Phalaris. Différemment, son édition d’Horace (1711) montre une propension excessive à des corrections arbitraires dont la plupart ne sont pas retenues par les éditeurs du xxe siècle. De son côté, Heyne, étudié par Sotera Fornaro (pp. 35-55), entre autres mérites, renouvelle l’approche de la mythologie grecque par une étude comparée avec d’autres cultures. Cet intérêt pour la mythologie le conduit à éditer le manuel d’Apollodore, somme des mythes grecs. Il estime par ailleurs qu’Homère et Hésiode viennent à la fin d’un long processus de tradition orale, tout en soulignant la cohérence de l’Iliade, préfigurant la Néo-Analyse. Plus célèbre, Wolf, étudié par Gherardo Ugolini (pp. 57-89), surtout connu par ses Prolegomena ad Homerum (1795), est tributaire de ses prédécesseurs (en particulier son maître Heyne), mais son mérite fut de révéler l’histoire du texte, en mettant à profit les scholies vénitiennes publiées quelques années auparavant par le français Villoison (1788). Plus généralement, l’apport de Wolf fut de proposer une science de l’Antiquité comme ensemble structuré et hiérarchisé de différentes disciplines et émancipé de la théologie et de la philosophie. La contribution suivante, toujours de Gherardo Ugolini (pp. 91-114), porte sur Humboldt, la plus importante figure du Neuhumanismus. Son projet est de retrouver l’excellence de la civilisation grecque par-delà les fractures et spécialisations de la modernité, tout en rétablissant la supériorité de l’État prussien dans le champ de la science et de la culture après la défaite militaire face à la France napoléonienne. À ce but tendent la fondation de l’Université de Berlin (1810), la réforme du système éducatif et le gymnasium classique, établissement d’enseignement secondaire où l’on étudie latin, grec, histoire, mathématiques, l’étude des langues anciennes étant conçue comme une propédeutique à l’analyse linguistique d’autres langues. En parallèle, la formation des enseignants est redéfinie sur des critères plus stricts.

4Une deuxième partie, comportant aussi quatre articles, envisage successivement la méthode d’étude des manuscrits de Karl Lachmann (1793-1851), la querelle entre Gottfried Hermann (1772-1848) et August Böck (1785-1867), le coup d’éclat de Nietzsche sur la naissance de la tragédie, l’œuvre de Wilamowitz. Dans un article, dont il existe une version française en ligne (Revue germanique internationale, 14, 2011, pp. 125-138), Sotera Fornaro (pp. 117-131) analyse la méthode de critique textuelle proposée par Lachmann, fondée sur le classement des manuscrits et la recherche de l’archétype, ainsi que le livre de Sebastiano Timpanaro sur la genèse de la méthode de Lachmann (1963). Par ailleurs, en matière d’études homériques, Lachmann pensait pouvoir distinguer les chants originels et les additions, ce qui aboutissait à un démembrement subjectif et arbitraire de l’Iliade, dont Heyne avait au contraire montré la cohérence. L’article suivant (Gherardo Ugolini, pp. 133-162) rappelle la querelle entre Gottfried Hermann, restreignant l’étude des textes à une analyse formelle, et August Böck, disciple de Wolf et partisan comme son maître d’une approche de l’Antiquité dans son entier, en combinant diverses sources et disciplines. Entre autres mérites, Böck, pionnier de l’épigraphie, songea à rassembler dans un corpus les inscriptions grecques. Lors de la parution du premier volume (1825), Hermann le critiqua comme s’il s’agissait d’une édition critique d’un texte littéraire. Böck et ses partisans objectèrent qu’Hermann n’avait pas saisi la spécificité de l’épigraphie sur le plan linguistique ni son intérêt en matière d’histoire culturelle. C’est encore Gherardo Ugolini (pp. 163-188) qui revient sur la célèbre controverse entre Nietzsche et Wilamowitz, provoquée par la publication en 1872 de Die Geburt der Tragödie (La naissance de la tragédie), où Nietzsche, s’éloignant de la philologie traditionnelle qu’il pratiquait en disciple de Ritschl, s’efforçait de lier la philologie à la création artistique comme Goethe ou Giacomo Leopardi. Dans un violent pamphlet, Wilamowitz accusait Nietzsche d’incompétence, d’ignorance du grec et ne voyait dans l’opposition du dionysiaque et de l’apollinien qu’une pure invention. En définitive, dans la première moitié du xxe siècle, les intuitions de Nietzsche sur l’importance du culte de Dionysos furent reprises par exemple dans le livre d’Otto sur Dionysos (1933) et dans Les Grecs et l’irrationnel de Dodds (1951). L’adversaire de Nietzsche, Ulrich von Wilamowitz Möllendorf (1848-1931), étudié par Gherardo Ugolini (pp. 189-210), s’inscrivant dans l’héritage de Wolf et Böck, considérait que la philologie concerne tous les aspects de la civilisation gréco-romaine. Ainsi, dans son édition monumentale de l’Héraclès d’Euripide (1889), il unit plusieurs champs d’étude : critique textuelle, histoire littéraire, mythologie, histoire des religions… L’approche de la tragédie grecque classique, son objet favori, est purement historique, basée sur les données connues et d’inspiration aristotélicienne. Les Dionysies ne sont pour lui qu’un service public, un simple arrière-plan institutionnel, sans la dimension métaphysique chère à Nietzsche. Il faut enfin signaler son intérêt pour la mise en scène des tragédies et son souci louable de procurer des traductions des tragiques grecs intelligibles et accessibles à des non spécialistes et en particulier à des professionnels du spectacle.

5La troisième partie commence par un article de Gherardo Ugolini, le sixième sur les douze de l’ouvrage, sur Werner Jaeger et le Troisième Humanisme (pp. 213-237). Werner Jaeger (1888-1961), successeur de Wilamowitz à l’Université de Berlin, se fait connaître par ses recherches sur la genèse de la Métaphysique d’Aristote (1923), mais c’est surtout avec le premier volume de sa Paideia (1934), notion platonicienne universalisée en un modèle a-historique et idéalisé, qu’il connaît le succès dans toute l’Europe, où beaucoup d’intellectuels songent à surmonter la crise spirituelle et à justifier l’enseignement classique. En Allemagne, la fondation d’un nouvel humanisme visait aussi à surmonter le traumatisme de la défaite de 1918, de même qu’un siècle auparavant, à l’époque du Nouvel Humanisme de Wolf et Humboldt, il s’agissait de redresser la Prusse vaincue par Napoléon. En 1936, Jaeger émigre aux États-Unis pour mettre sa femme juive à l’abri des persécutions, lui-même étant ambivalent à l’égard du nouveau régime, qui finalement rejette son Troisième Humanisme. L’article suivant (de Luciano Bossina, pp. 239-275) porte sur le philologue italien Giorgio Pasquali. Après avoir eu de grands maîtres italiens comme Nicola Festa et Girolamo Vitelli, Pasquali poursuit ses études à Göttingen et Berlin, enseigne à Göttingen qu’il quitte pour Florence. L’ouvrage le plus important de Pasquali est le livre intitulé Storia della tradizione e critica del testo (1934) qui s’oppose à la Texkritik de Paul Maas (1927), dont les principes ne valent que pour des œuvres à tradition manuscrite restreinte et qui doivent être redimensionnés dans le cas de traditions beaucoup plus vastes et complexes. Avec l’article suivant (de Pasquale Massimo Pinto, pp. 277-297), on quitte les études d’auteurs pour s’intéresser à une nouvelle discipline, la papyrologie. Malgré les découvertes de la première moitié du xixe siècle, la nouvelle discipline ne perce que vers la fin du siècle avec un pionnier comme George Kenyon (1863-1952) qui publie par exemple la Constitution des Athéniens d’Aristote (1891). C’est aussi l’époque des grandes fouilles en Égypte, dans le cadre d’une rivalité entre nations européennes, et de la création de sociétés de papyrologie. En Italie c’est le fait de Girolamo Vitelli, maître de Pasquali, qui bénéficie pour ses éditions de papyri de la collaboration de Medea Norsa. Quant à la contribution de la nouvelle discipline à la philologie classique, elle est immense : découvertes d’œuvres perdues (Hypéride, Ménandre, Hérondas …), vie privée des Grecs dans l’Égypte lagide, et surtout histoire de la langue grecque, la koïnè hellénistique s’acheminant sans rupture majeure vers le grec médiéval et moderne. Andrea Rodighiero (pp. 299-316) s’intéresse pour sa part à la réception moderne, littéraire et cinématographique, de thèmes antiques, mythiques ou historiques. Dans ce domaine extrêmement vaste, l’auteur procède à quelques coups de sonde. Par exemple la réinterprétation du mythe de Médée, dans un roman publié en 1996, par la romancière allemande Christa Wolf, qui lave Médée du crime d’infanticide et fait allusion aux deux Allemagne après la chute du mur de Berlin. Suit une évocation des films à sujet antique, les péplums, depuis Cabiria (1913) de Giovanni Pastrone, dont l’action se situe durant la deuxième guerre punique, jusqu’à la reprise du genre dans les années 2000. Dans ce cas les entorses à la vérité historique résultent des besoins du spectacle pour le grand public alors que dans le cas d’une œuvre littéraire, elles naissent d’une com­binaison entre le contexte historique et l’idéologie personnelle de l’écrivain. Enfin est abordée la question des traductions. Nécessaires pour les non-spécialistes, elles sont aussi couramment utilisées par les antiquisants car les classiques anciens sont plus difficiles que les modernes. Dans une dernière étude, Diego Lanza (pp. 317-348) évoque les nouvelles perspectives de la philologie classique d’après-guerre. Est d’abord rappelé le recueil d’essais de Bruno Snell, Die Entdeckung des Geistes (La découverte de l’esprit), publié en 1946, où la vision du développement culturel s’oppose à l’essentialisme de l’idéalisme classique. Suit une analyse du livre de Dodds, Les Grecs et l’irrationnel (1951), puis celle de Mythe et pensée (1965) de Jean-Pierre Vernant, de Poesia e pubblico nella Grecia antica (1984) de Bruno Gentili qui insiste sur la relation entre poète, commanditaire et auditoire en Grèce archaïque, en un âge d’oralité qui va peu à peu se convertir à l’écrit. Quelques pages sont consacrées ensuite à la thèse de Nicole Loraux sur l’oraison funèbre dans l’Athènes classique (1981) et à ses travaux sur les femmes dans la cité grecque. Les considérations finales reviennent sur l’utilité de sortir la Grèce de son splendide isolement en regardant vers l’Orient, en tenant compte des travaux de l’historien de la religion grecque Walter Burkert, de l’éditeur d’Hésiode Martin West, de l’égyptologue Jan Assman.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Ballabriga, « Diego Lanza et Gherardo Ugolini (éds.), History of Classical Philology. From Bentley to the 20th Century »Anabases, 39 | 2024, 381-384.

Référence électronique

Alain Ballabriga, « Diego Lanza et Gherardo Ugolini (éds.), History of Classical Philology. From Bentley to the 20th Century »Anabases [En ligne], 39 | 2024, mis en ligne le 01 avril 2024, consulté le 20 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/18108 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12oqg

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