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Comptes rendus

James Uden, Spectres of Antiquity. Classical Literature and the Gothic, 1740-1830

Kevin Bouillot
p. 292-294
Référence(s) :

James Uden, Spectres of Antiquity. Classical Literature and the Gothic, 1740-1830, Oxford, Oxford University Press, 2020, 280 p. / ISBN 9780190910273, £53

Texte intégral

1Interroger le rapport à l’Antique de la littérature gothique semble paradoxal, tant ce mouvement littéraire s’est dit en rupture avec la littérature classique. C’est pourtant ce que propose J. Uden, dans cette monographie entre études littéraires et historiques, à travers les œuvres de quelques grands auteurs gothiques dont elle étudie les rapports complexes avec cette Antiquité qu’ils pensaient dépasser.

2Une définition du mouvement littéraire Gothic permet à l’auteur de cadrer en introduction son étude, et au lecteur de mieux cerner les spécificités du sujet. Baptisé en 1764 avec le roman d’Horace Walpole, The Castle of Otranto (et son sous-titre A Gothic story), le gothique littéraire s’éteignit, d’après J. Uden, avec The Last Man de Mary Shelley (1826). Sa chronologie et sa postérité le rendirent indissociable de la construction des identités nationales européennes, alors en quête de racines culturelles, artistiques et littéraires. Or le gothique, avant tout anglais, rejetait les références gréco-romaines, trop pan-européennes pour être vraiment britanniques, et se passionnait pour un Moyen-Âge jugé fondateur de l’identité nationale anglaise. Le choix du terme Gothic lui-même, imposé par Walpole, illustre cette volonté de s’affranchir de l’Antique. Alors qu’il désignait déjà (à tort) le style architectural médiéval né en France au xiie siècle – et jugé barbare puisque que différent des styles antiques –, il devint au xviiie siècle un quasi synonyme de « médiéval », et donc un contraire de « classique » (entendu comme renvoyant à l’Antique et à son imitation). Les Anglais d’alors prétendirent même descendre des Goths, qu’ils confondaient à dessein avec les Angles et les Saxons. D’origine germanique, les Goths défirent les légions romaines à la bataille d’Andrinople (en 378) et symbolisaient en conséquence, au siècle des Lumières, la résistance à l’État impérial et centralisé (romain ou moderne), oppresseur des citoyens et des nations en quête de liberté et d’identité.

3Pourtant, le gothique ne parvint pas à couper tous les ponts avec l’Antique et s’avéra hanté par ce que l’auteur appelle des Spectres of Antiquity, reprenant l’expression du pré-gothique Young. C’est par lui que J. Uden commence son tour d’horizon chronologique, avec un premier chapitre consacré aux précurseurs que furent Edward Young (1681-1765), Edmund Burke (1729-1797) et Richard Hurd (1720-1808). Bien que tous trois intéressés par la littérature anglaise médiévale, ils s’accordaient paradoxalement pour lui trouver des goûts communs avec la littérature antique : ceux de l’étonnant et de l’horrifique. Le deuxième chapitre, centré sur Horace Walpole (1717-1797) analyse la fondation du mouvement par cet auteur qui se voulait paradoxalement hors de tout courant. Bien que désireux de se libérer de l’Antique, il en reprit de nombreux éléments, mais les réagença jusqu’à la parodie dans The Castle of Otranto (1764) ou The Mysterious Mother (1768). Ann Radcliffe, autrice en vue de l’apogée du gothique, fait l’objet du troisième chapitre. Ses intrigues se déroulaient en Europe du Nord, en plein Moyen-Âge, et citaient surtout Shakespeare ou Milton, mais exposaient ses héroïnes à d’obsédants souvenirs antiques tels que la guerre de Troie ou la traversée des Alpes par Hannibal. Le chapitre 4 s’intéresse à Matthew Lewis (1775-1818), dont le roman The Monk : a Romance (1796) dialoguait avec la poésie d’Horace, et témoigne à plus d’un titre de l’intérêt de Lewis pour la littérature antique et notamment la satire de Juvénal dont il publia une traduction partielle. Charles Brockden Brown (1771-1810), seul auteur américain étudié par J. Uden, l’est au chapitre 5. Son rapport ambigu à l’Antique oscillait entre fascination pour la culture littéraire (et donc les lettres classiques) et rejet de l’Antiquité comme relevant de la culture européenne, étrangère d’après lui à celle des Amériques. Le dernier chapitre s’arrête sur Mary Shelley (1797-1851) et la transition entre gothique et romantisme anglais. L’autrice de Frankenstein (1818) incarne plus encore que ses prédécesseurs la tension entre volonté de rompre avec les classiques et fascination pour l’Antiquité et ses legs, qu’ils soient architecturaux ou littéraires, à l’image de son Last Man (1826) arpentant une Rome abandonnée qui le fascine mais l’écrase par sa majesté. J. Uden conclut à la nécessité d’élargir la définition de la réception littéraire, de ne pas y voir seulement l’intérêt des Modernes pour l’Antique et son imitation. Le mouvement gothique montre que vouloir s’affranchir de l’Antique, le parodier, le rejeter ou chercher à l’éviter sont, paradoxalement, d’autres façons de le recevoir.

4L’ouvrage de J. Uden propose une étude du mouvement gothique claire et accessible à chacun, qu’il soit spécialiste de littérature, d’histoire ou amateur dans ces deux domaines. L’organisation chronologique et le découpage par auteur permettent une bonne compréhension des enjeux propres à chacun. Les romans sont ainsi contextualisés, tant au sein de la vie de leur auteur que des événements littéraires, culturels et historiques dont ils sont contemporains ou héritiers. L’intertextualité avec la littérature ancienne est clairement démontrée, même si les textes sont inégalement cités. On constatera – avec l’auteur qui s’en explique d’ailleurs en introduction – que le choix des auteurs étudiés fait la part belle aux seuls Anglo-Saxons et même aux seuls Anglais (Brown étant la seule exception), malgré le caractère pan-européen du gothique. Quelques exemples non-anglophones sont indiqués (comme Charles Nodier ou Goethe) mais sans être étudiés ni inventoriés. L’ouvrage aurait ainsi gagné en exhaustivité mais peut-être perdu en clarté face à l’ampleur de cette littérature gothique, mais également classique à sa manière.

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Pour citer cet article

Référence papier

Kevin Bouillot, « James Uden, Spectres of Antiquity. Classical Literature and the Gothic, 1740-1830 »Anabases, 38 | 2023, 292-294.

Référence électronique

Kevin Bouillot, « James Uden, Spectres of Antiquity. Classical Literature and the Gothic, 1740-1830 »Anabases [En ligne], 38 | 2023, mis en ligne le 01 novembre 2023, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/16788 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.16788

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