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Comptes rendus

Emma M. Payne, Casting the Parthenon Sculptures from the Eighteenth Century to the Digital Age

Christophe Chandezon
p. 284-287
Référence(s) :

Emma M. Payne, Casting the Parthenon Sculptures from the Eighteenth Century to the Digital Age, Londres et New York, Bloomsbury Academic, 2021, 212 p. / ISBN9781350120341, $120

Texte intégral

1Depuis une vingtaine d’années, on assiste à un mouvement de récupération des collections de moulages, après des décennies où elles ont été malmenées. Tout au long du xixe siècle, les moulages ont eu une grande importance dans la réception de l’Antiquité. On les utilisait pour l’étude, l’enseignement et la collection. Pour l’étude, car ils permettaient aux chercheurs de comparer des œuvres, donc de bâtir une histoire de l’art, de faire de la Kopienforschung et de se rapprocher des œuvres originales en intégrant des fragments dispersés en un objet unique, en expérimentant la polychromie. Les moulages ont aussi été utilisés pour l’enseignement dans les universités et écoles des Beaux-Arts. Ils ont intéressé les collectionneurs qui se constituaient des cabinets d’antiques, comme en témoigne la maison de Goethe à Weimar ou celle de John Soane à Londres. Partout donc, on réouvre salles et musées de moulages, désormais soigneusement restaurés, sinon entreposés dans des réserves saines. Emma Payne (ici P.) cite la Cast Gallery de l’Ashmolean Museum à Oxford et la cour des moulages du Victoria and Albert Museum, réouverte fin 2018. Le mouvement touche aussi l’Allemagne qui, au xixe siècle, a été le pays ayant le plus misé sur ce genre de collections. Mentionnons aussi les réouvertures des musées des moulages de Montpellier et de Lyon. Désormais, l’enjeu de la 3D se profile. C’est tout cela qu’aborde P., à travers le cas des sculptures du Parthénon. L’unité de cet ouvrage en six chapitres vient de cet exemple du Parthénon. P. nous fait passer d’une synthèse générale sur les moulages à sa propre expérience au British Museum, dans la modélisation 3D de blocs de la frise des Panathénées. Une autre idée forte soutient l’ensemble : les moulages sont des œuvres largement autonomes, si ce n’est indépendantes, des monuments copiés : « However, casts are not pure, cryogenically frozen versions of the originals; they are separate entities with their own distinct origins and histories. » (p. 79).

2L’introduction (p. 1-18), outre de poser les problèmes, offre une présentation de l’histoire des techniques de moulage. On voit se développer le métier de mouleur, de formatore en italien, car la production de moulages de plâtre est largement restée une spécialité italienne, même quand les ateliers se trouvaient à Londres, à Paris ou à Berlin.

3Le chapitre 1 (The Emergence of Fauvel and his Successsors, p. 19-33) est centré sur le xviiie siècle, mais va jusqu’à l’intégration de mouleurs dans les équipes archéologiques allemandes et françaises travaillant en Grèce et dans l’Empire ottoman au xixe siècle. Pour l’étude des monuments d’Athènes, la seconde moitié du xviiie s. est dominé par la rivalité franco-anglaise, entre et J.D. Le Roy (Les ruines des plus beaux monuments de la Grèce, 1ère éd. en 1758) et J. Stuart et N. Revett d’autre part (The Antiquities of Athens, 1762), puis entre Choiseul-Gouffier (1752-1817) et Elgin (1766-1841, abordé au chapitre suivant). Pour les moulages des sculptures du Parthénon que souhaitait posséder Choiseul-Gouffier, Fauvel procéda lui-même aux opérations de mai 1786 à août 1792. Il n’avait, à son arrivée à Athènes, aucune expérience de la technique du moulage et manquait de matériel. Il réalisa des moulages qui furent envoyés à Marseille et en grande partie perdus dès leur expédition ou pendant la Révolution. Choiseul ayant émigré en Russie à la fin de 1792, ses biens avaient été mis sous séquestre par la République.

4Le chapitre 2 (Plaster Casts, Elgin, and the British Museum, p. 35-56) met en lumière un aspect des activités d’Elgin moins connu que la récupération des marbres de l’Acropole. Thomas Bruce, septième comte d’Elgin, avait en effet initialement prévu de les mouler et de ne récupérer que des fragments trouvés à terre. L’opération reposait sur deux formatori, Bernardino Ledus et Vincenzo Rosati, dument pourvus de réserves de plâtre. Elle dura d’août 1800 à octobre 1804. Ledus et Rosati mirent tous leurs soins à réaliser des empreintes (creux), qui furent expédiés à Londres. Ce choix des creux a été déterminant dans la mesure où, à Londres, ils permirent de réaliser de multiples tirages, sans recourir au surmoulage, avec la perte de précision qu’il entraîne. Les sculptures du Parthénon purent ainsi être diffusées largement. Des moulages furent présentés en parallèle aux originaux dans le British Museum, selon l’usage du xixe siècle. À Athènes, d’autres opérations de moulage furent menées à bien après la guerre d’Indépendance dans le cadre de la mission Philippe Le Bas (années 1840) et par un formatore italien, Alessandro Malpieri (années 1850).

5Le chapitre 3 (Condition Studies and the Role of 3D Imaging, p. 57-82) commence par l’histoire de la détérioration des sculptures du Parthénon, constatée dès les années 1870 par C. Newton, en comparant les moulages Elgin, les œuvres authentiques du British Museum et de nouveaux moulages réalisés à Athènes. Les dégâts ont différentes origines : séismes, conflits, restaurations malencontreuses, pollution … P. souligne que le processus du moulage peut faire courir des risques aux œuvres quand il est mal mis en œuvre. Face à cela, la 3D a l’avantage de ne pas induire de contact avec les œuvres. Pour le Parthénon, des opérations de ce genre ont été entreprises dès les années 2000, mais se sont souvent heurtées à des difficultés techniques liées au manque de maniabilité des œuvres originales, lorsqu’elles n’étaient pas en bas-relief, au coût des opérations et à la médiocrité des tirages 3 D.

6Le chapitre 4 (3D Imaging and the West Frieze, p. 83-129) cherche à montrer en quoi la technologie 3D peut permettre de valoriser les tirages de plâtre du xixe siècle. L’exercice a été mené sur des blocs de la partie ouest de la frise des Panathénées, pour l’essentiel à Athènes. Ils ont été scannés au Musée de l’Acropole et l’opération a aussi été menée sur leurs moulages conservés au British Museum et dont une partie remonte à Elgin. Le but était de juger de l’exactitude des moulages et de l’évolution des sculptures antiques depuis le début du xixe siècle. Sur le plan de l’exactitude, les données numériques témoignent de la grande conformité des moulages avec les originaux. Concernant l’évolution de l’état des œuvres, la forte dégradation des originaux depuis les moulages Elgin saute d’abord aux yeux. Sur bien des plaques, les visages ont été perdus, le relief s’est émoussé, des éclats importants de marbre ont été arrachés. Le xixe siècle semble avoir été fatal pour les marbres restés à Athènes. Mais à partir de la p. 113 P. montre que Ledus et Rosati n’ont en fait pas hésité à combler les lacunes des marbres au moyen d’argile. Les moulages réalisés pour Elgin ne sont donc pas de serviles reproductions des originaux mais ont d’emblée commencé à en diverger. Le même procédé avait déjà été mis en œuvre par Fauvel. Ces pratiques reproduisent celles des dessinateurs des frises depuis le xviie siècle : ils ne dessinaient pas tou­jours exactement ce qu’ils voyaient mais interprétaient les œuvres en les restaurant sur le papier. D’autres moulages Fauvel témoignent qu’entre son époque et celle d’Elgin, des pertes, parfois lourdes, ont eu lieu. Enfin, les tirages mis en circulation au xixe siècle combinent parfois l’état Fauvel et l’état Elgin, nouvelle preuve de l’autonomie des moulages par rapport à l’œuvre moulée.

7Le chapitre 5 (3D Imaging and Cleaning the Parthenon Sculptures, p. 131-156) est centré sur l’évolution des marbres Elgin depuis leur arrivée à Londres. En refusant de les restaurer, le sculpteur Canova a pris une décision révélatrice de l’évolution des mentalités face aux sculptures gréco-romaines. Il ne s’agit plus de les traiter comme des objets de décoration pour résidences aristocratiques et de main­tenir les musées dans la tradition des galeries de palazzi et de châteaux, mais de leur garder leur statut de témoignages fidèles de l’œuvre ancienne et d’objets d’étude. Le problème n’est plus celui de la restauration, mais de la conservation. À Londres, les marbres Elgin, soumis à l’air pollué, demandèrent des nettoyages réguliers. Ils subirent aussi la mise à l’abri pendant les deux conflits mondiaux et les aléas muséographiques, jusqu’à leur installation dans la Duveen Gallery en 1939. C’est pour la préparer que les marbres firent l’objet d’un nettoyage drastique qui a entraîné des protestations, notamment de la part de l’expert en conservation, Harold Penderleigh. P., prenant le cas de la tête du cheval de Séléné, qu’elle a fait numériser ainsi que ses moulages, montre que les dégâts sont bien réels, mais largement exagérés.

8Le chapitre 6 (An Authentic Source of Evidence?, p. 157-183) ramène à la question des moulages. P. rappelle d’abord l’impor­tance de l’essai de W. Benjamin, Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit (1935) dans la dévalo­risation des moulages vus comme inaptes à rendre l’essence de l’œuvre originale. C’est le début d’un âge sombre des moulages dont on commença à sortir dans les années 1980. Ce chapitre est toutefois centré sur l’évolution des moulages au xixe siècle. La recherche de nouveaux procédés mécaniques, dont le procédé Achille Collas (1837) permettant de produire des réductions, et le développement d’entreprises de production et de commer­cialisation favorisèrent la diffusion des moulages dans les établissements d’ensei­gnement et de recherche aussi bien que chez les particuliers. Crystal Palace, après son déplacement consécutif à l’exposition universelle de 1851, présentait une Greek Court qui en était remplie. Les moulages ont aussi permis de nouvelles pratiques de restauration, sans qu’il soit nécessaire de toucher aux originaux : on pouvait rapprocher des fragments dispersés, faire des essais de polychromie ou bronzer la patine. Le chapitre s’achève sur un développement concernant les petits moulages de la frise des Panathénées par John Henning dans la première moitié du xixe siècle.

9Ce livre bien illustré se lit comme une enquête aux conclusions convaincantes. Tous ceux qui s’intéressent aux moulages auront intérêt à la consulter. On ne peut cependant oublier, à la lecture, les controverses qui, depuis 1983, ne cessent de rebondir entre la Grèce et le British Museum et ont un temps laissé croire, au début de 2023, que les sculptures du Parthénon conservées à Londres allaient revenir à Athènes. D’une certaine façon, ce livre peut sembler un plaidoyer en faveur d’Elgin, lorsque les moulages anciens semblent prouver la détérioration des œuvres restées à Athènes. Les chapitres 4 et 5 montrent que telle n’était sans doute pas l’intention, en insistant sur la fragilité de la preuve par les moulages et sur les problèmes de conservation des marbres Elgin à Londres. L’intérêt majeur de l’ouvrage tient aussi à l’exploration des techniques 3D appliquées non seulement aux œuvres originales, mais aux moulages eux-mêmes. Assurément cela contribuera à redonner un sens aux moulages comme œuvres à part entière, mais aussi une fonction, comme témoignages d’états passés des œuvres originales. C’est essentiel pour protéger ce patrimoine de plâtre qu’on a longtemps méprisé et malmené. En outre, le livre de P. pourra aussi se lire comme une introduction à l’histoire des moulages d’antiques à la fois pour l’enseignement et la recherche, même si, sur ces questions, l’autrice s’appuie surtout sur de la littérature secondaire. C’est enfin un livre qui participe à l’histoire de la réception des décors sculptés du Parthénon. L’unité de tout cela tient à cette conviction que les moulages ont leur vie propre, séparées en grande partie de celle des originaux, et qui commence dès la prise d’empreinte.

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Pour citer cet article

Référence papier

Christophe Chandezon, « Emma M. Payne, Casting the Parthenon Sculptures from the Eighteenth Century to the Digital Age »Anabases, 38 | 2023, 284-287.

Référence électronique

Christophe Chandezon, « Emma M. Payne, Casting the Parthenon Sculptures from the Eighteenth Century to the Digital Age »Anabases [En ligne], 38 | 2023, mis en ligne le 01 novembre 2023, consulté le 19 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/16756 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.16756

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Auteur

Christophe Chandezon

Université Paul-Valéry/Montpellier 3
chrchandezon@yahoo.com

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