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Comptes rendus

Anna Magnetto (éd.), avec la collaboration de Davide Amendola, Piero Treves. Tra storia ellenistica e storia della cultura

Massimo Pinto
p. 282-284
Référence(s) :

Anna Magnetto (éd.), avec la collaboration de Davide Amendola, Piero Treves. Tra storia ellenistica e storia della cultura, Pisa, Edizioni della Normale, 2021, 361p. / ISBN9788876426964, 30

Texte intégral

1« Avant que l’horizon culturel dont Treves fut l’expression ne devienne totalement incompréhensible, il est de notre devoir d’en transmettre au moins le sens ». Ces paroles de Carlo Franco (p. 129), qui fut l’élève de Treves pendant ses dernières années d’enseignement à Venise et consacre, depuis toujours, un soin tout particulier à son œuvre, expriment pleinement la valeur du volume en question. Piero Treves (1911-1992) fut en effet une figure d’une extraordinaire richesse intellectuelle et d’une grande originalité, porteur d’une vision éminemment historique et politique des études sur le monde antique et des études humanistes en général. Cependant, les événements qui jalonnèrent sa vie personnelle et sa carrière universitaire, ses domaines de recherches (qui, dans la deuxième partie de sa vie, concernèrent essentiellement l’histoire de la culture italienne au xixe siècle), les modes d’investigation qu’il pratiquait, un style d’écriture d’un abord difficile et très personnel et, enfin, le long antagonisme qui l’opposa, dès ses années de jeunesse, à Arnaldo Momigliano, en firent une personnalité en marge du monde universitaire italien et peu connue hors d’Italie, malgré une formation culturelle et une expérience qui furent bien loin d’être provinciales. Né dans une famille juive parfaitement intégrée, fils de Claudio Treves, leader des socialistes réformistes italiens, lequel fut contraint par Mussolini de quitter l’Italie pour la France en 1926 (où il mourut en 1933), Treves passe les premières années de sa jeunesse sous la surveillance constante du régime fasciste ; en 1938, peu avant l’introduction des lois raciales antijuives en Italie, il parvient à émigrer en Angleterre avec sa mère et son frère Paolo (qui racontera ces années dans Quello che ci ha fatto Mussolini, 1945). Il ne retournera durablement en Italie qu’au milieu des années 1950.

2Treves fut très précoce : ainsi, à l’âge de seize ans, il s’inscrit à l’université de Turin où il décide de passer une maîtrise d’histoire antique sous la direction de Gaetano De Sanctis, qu’il suivra plus tard à Rome. Grâce à Benedetto Croce, son mémoire est publié par la maison d’édition Laterza en 1933 : il s’agit là de Demostene e la libertà greca, ouvrage né dans le climat enflammé des recherches sur la liberté des Anciens, menées à l’école de son maître et qui fit l’objet d’un de ses premiers désaccords qui furent source de polémiques avec Momigliano, l’autre élève de De Sanctis de la même génération que Treves, promis à une grande notoriété internationale. C’est autour de Démosthène et, en général, de ses recherches sur l’histoire hellénistique (dont les deux monographies des années marquées par son retour en Italie : Il mito di Alessandro e la Roma di Augusto, 1953, et Euforione e la storia ellenistica, 1955) que se développent les chapitres de ce riche volume ; un livre né en marge d’une rencontre qui a eu lieu à la Scuola Normale Superiore de Pise en 2018, qui sort presque trente ans après la disparition de Treves et constitue un moment significatif de réflexion sur son œuvre. (En vue d’un premier éclairage sur la seconde phase de l’activité de Treves, nous signalons un séminaire en ligne qui s’est tenu en novembre 2022 : https://www.youtube.com/​watch?v=D4o0-GcBbMw).

3La reconnaissance d’une forte circularité entre vie vécue et travail historiographique chez Treves est le point de départ du chapitre inaugural de Roberto Pertici (Piero Treves, intellettuale novecentesco, p. 1-22), qui a revisité son œuvre, focalisant son intérêt, au cours des vingt dernières années, sur certains points essentiels (cf. Bibliografia generale, p. 346). Pertici y aborde les éléments qui furent à la base de la formation et de la physionomie intellectuelle de Treves : le socialisme de son père, le judaïsme, la culture française et anglaise, l’antifascisme, l’antiphilologisme, les études de Croce sur le xixe siècle et les enseignements de De Sanctis. C’est précisément dans la figure de ce dernier, lorsque l’élève tente d’éclairer « son milieu culturel, historiographique et religieux » (p. 20), que Pertici décèle le point de contact entre le « premier » et le « second » Treves. Les recherches de Treves sont replacées dans le contexte du débat qui se fait jour, en Italie, sur la liberté dans le monde antique, entre les années 1920 et 1930, dans le chapitre de Carmine Ampolo, qui développe en largeur et en profondeur une inspiration de Momigliano dans sa Prospettiva 1967 della storia greca : « c’est dans le débat et le quasi-conflit entre Aldo Ferrabino et Gaetano De Sanctis que se résument les analyses les plus importantes en Italie, entre 1925 et 1939, sur l’histoire grecque » (Discutere di storia greca e libertà negli anni Trenta alla scuola di Gaetano De Sanctis : Ferrabino, Momigliano, Treves tra Croce e Gentile, p. 23-52). Dans ce débat, animé par le foisonnement de différentes positions, Guido Clemente analyse tout particulièrement les recherches sur Démosthène par rapport au travail contem­porain de Momigliano sur Philippe de Macédoine (Il Demostene di Treves : un eroe per tempi difficili, p. 53-81). Opérant une relecture efficace de la réception de Démosthène, Mirko Canevaro montre la continuité, au-delà des différences de contexte politique et culturel, entre les visions opposées qui s’étaient déjà développées dans l’Athènes proto-hellénistique au lendemain de la mort de l’orateur et les débats historiographiques des xixe et xxe siècles (de Droysen à Drerup) (Demostene e la libertà greca, da Democare di Leuconoe a Piero Treves, p. 83-114). Dans la discussion entre Treves et Momigliano, Canevaro identifie également un élément commun dans la conception « hégélienne » de l’hellénisme en tant qu’articulation primordiale dans l’histoire de la liberté. Nino Luraghi, à qui nous devons des contributions fondamentales sur l’Athènes du début de la période hellénistique (ce qu’il appelle, sur la base d’une idée, encore une fois, de Momigliano, l’ « Athènes de Timée »), souligne ici l’originalité de la vision de Treves sur cette période et sa capacité à en lire la forte vitalité (Timaios’ Athens between politics and culture: Notes on Piero Treves and Hellenistic Athens, p. 115-128). C’est sous cet angle qu’est attentivement réexaminé le livre méconnu de Treves sur Euphorion e l’histoire hellénistique. Complémentaire du chapitre précédent, le chapitre de Carlo Franco reconstruit le travail de Treves sur le « Roman d’Alexandre » et le développement de sa réflexion sur la figure d’Alexandre le Grand dans le cadre des orientations historiographiques de l’époque, en accordant une attention toute particulière, entre autres, au livre bien connu de Georges Radet et aux recherches, par contre, moins bien connues de Roberto Andreotti (Piero Treves, ovvero Alessandro Magno, il Romanzo e il mondo ellenistico, p. 129-152). Ce chapitre propose également une analyse du volume de Treves sur Il mito di Alessandro e la Roma di Augusto, souvent cité mais peu lu, dont Franco souligne l’ « inactualité» délibérée par rapport à la recherche historique d’après-guerre et l’adoption de certains concepts géopolitiques tels que celui de l’ « équilibre » entre les puissances hellénistiques. Cet aspect d’une vision complexe des relations interétatiques est identifié par Davide Amendola comme étant l’un des intérêts majeurs de Treves dans l’articulation de ses recherches sur l’hellénisme, avec l’héritage d’Alexandre, l’Athènes proto-hellénistique et l’histoire du « démosthénisme » et du royaume antigonide (La nozione di ‘Ellenismo’ e le sue guisenell’opera di Treves, p. 153-194). En étroite corrélation avec les autres chapitres du volume, ce chapitre analyse le « mouvement pendulaire » au gré duquel se sont développées les réflexions de Treves sur ces aspects (ou « guises », comme il eût préféré les appeler) de l’Hellénisme. Une première étude des matériels épistolaires qui ont été sauvegardés concernant Treves et son maître, réalisée par Antonella Amico, est reproduite en annexe (Piero Mio - Mio caro, caro maestro : un rapporto sull’orlo dell’abisso. Uno sguardo al carteggio tra Gaetano De Sanctis e Piero Treves, p. 197-222). Ces documents éclairent certains aspects de la crise spirituelle d’un très jeune Treves, mais aussi ses difficultés à s’intégrer dans le monde universitaire, une fois rentré en Italie. (Le voyage à Paris évoqué à la p. 210 pourrait être le voyage de trois mois qu’il entreprit en mars 1931 au cours duquel il termina son mémoire de maîtrise, et rappelé par Paolo Treves dans Quello che ci ha fatto Mussolini, p. 272). Le volume se termine par une vaste Bibliografia di Piero Treves éditée par Carlo Franco, qui intègre et actualise celle qu’il avait déjà publiée en 1998 (Piero Treves dal 1930 al 1996).

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Pour citer cet article

Référence papier

Massimo Pinto, « Anna Magnetto (éd.), avec la collaboration de Davide Amendola, Piero Treves. Tra storia ellenistica e storia della cultura »Anabases, 38 | 2023, 282-284.

Référence électronique

Massimo Pinto, « Anna Magnetto (éd.), avec la collaboration de Davide Amendola, Piero Treves. Tra storia ellenistica e storia della cultura »Anabases [En ligne], 38 | 2023, mis en ligne le 01 novembre 2023, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/16741 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.16741

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