Nathaël Istasse, Joannes Ravisius Textor (1492/3-1522). Un régent humaniste à Paris à l’aube de la Renaissance
Nathaël Istasse, Joannes Ravisius Textor (1492/3-1522). Un régent humaniste à Paris à l’aube de la Renaissance, Genève, Droz, Travaux d’Humanisme et Renaissance, 2022, 880 p. / ISBN 9782600063067, 59,50 €
Texte intégral
1Dans cet ouvrage impressionnant, tant par sa taille que par son contenu, Nathaël Istasse nous offre « l’histoire d’un homme de l’aube de la Renaissance française » (p. 721). Il est frappant en effet de voir à quel point l’auteur parvient à nous rendre Textor humain et proche, tant par sa capacité à évoquer en détail sa vie, son réseau amical et professionnel, que par sa volonté de faire saisir au lecteur les goûts esthétiques et même le caractère du régent-poète qui consacra sa vie à l’enseignement et à la réputation du collège de Navarre. Ainsi, l’ouvrage se divise en deux grandes parties, intitulées « L’Homme » (p. 17-343) et « L’Œuvre » (p. 345-708), qui dialoguent entre elles et offrent toutes deux de larges passages poétiques ou épistolaires inédits de Textor lui-même ou de son entourage, accompagnés d’une traduction élégante et vigoureuse ainsi que de notes abondantes, savantes et précises.
2Dès le premier chapitre, qui aborde la question épineuse du véritable nom du pédagogue, Nathaël Istasse met en place une méthode d’investigation dont il ne se départit pas : ses recherches archivistiques poussées, ses analyses textuelles et paratextuelles lui permettent de trancher des questions restées en suspens, voire de corriger des erreurs. Ainsi, N. Istasse débrouille l’écheveau des multiples noms adoptés pour appeler l’humaniste depuis la Renaissance et fixe, grâce à un intéressant détour topographique, « sa seule dénomination scientifiquement valable » (p. 709) : Ravisius Textor. Plus loin, cette même méthode et cette même exigence permettent, grâce à de véritables dossiers d’enquête, de montrer que son rectorat de l’Université de Paris est un mythe, mais aussi d’établir ses dates de naissance et de mort : ces découvertes créent une rupture avec les biographies précédentes et modifient la perception que nous avons de Textor, décédé à peine trentenaire, d’après l’auteur. La suite de la première partie nous plonge dans le « microcosme » du régent, qui ne voyagea pas mais tissa ses amitiés, ses relations et son œuvre polymorphe autour du Nivernais et du collège de Navarre, où il étudia avant de devenir enseignant. Plusieurs témoignages d’étudiants, mais aussi épigrammes et épîtres liminaires permettent de mieux cerner les relations qu’il entretint avec ses amis (comme Pierre Danès, mais surtout Louis Millet et Etienne Josmar – portio magna de son âme), ses protecteurs (comme Charles de Tournon ou Louis de Bourbon-Vendôme), ou avec d’autres poètes (comme Salmon Macrin, collega carissimus). C’est surtout au seuil et au cœur de ses œuvres les plus célèbres (comme le Specimen epithetorum ou l’Officina), que Textor se révèle, humain et complexe – comme en témoigne la Damisella, poème enflammé niché dans l’Officina, qui semble contraster avec la rigidité habituelle du régent.
3L’œuvre de Textor, déjà abordée dans la première partie de l’ouvrage, est étudiée de manière systématique et chronologique dans la seconde : N. Istasse présente les œuvres dont Textor est l’auteur (Specimen epithetorum, 1518 et 1524 ; Cornucopiae, 1520 ; Officina, 1520 ; Synonyma poetica, 1520 ; Epistolae, 1529 ; Dialogi et Epigrammata,1530), avant de mentionner celles dont il est l’éditeur (Aula d’U. Van Hutten, 1519 ; Epistolae d’E. Calenzio, c. 1521 ; De memorabilibus et claris mulieribus, 1521 ; Erotopaegnion de G. Angeriano, 1522). Le corpus d’auteur de Textor est composé d’imposantes sommes pédagogiques, comme l’épithétaire (devenu un « petit genre » littéraire, dont il serait l’inventeur) et l’Officina (opus uarium et multiplex selon P. Danès), souvent connues des seizièmistes comme des réservoirs historiques et mythologiques, mais aussi de pièces poétiques et dramatiques. L’œuvre de Textor, entièrement latine, se veut dédiée à l’apprentissage du meilleur latin, au service de la composition poétique et rhétorique.
4Après la présentation de ces textes révélateurs de l’homme et de son projet éditorial, N. Istasse analyse la réception européenne de l’œuvre de l’humaniste ; il offre ainsi à la lecture quelques avis critiques formulés principalement sur son œuvre pédagogique : si Juan Luis Vivès (contemporain de Textor) dénonce l’ignorance du grec du régent, c’est la forme chaotique de l’épithétaire que critique l’humaniste hollandais Adraen Jonghe, auteur d’une recognitio de l’Epitome epithetorum parue à Anvers chez Plantin en 1564, 1569 et 1574. Cette « compilation aveugle » est également dénoncée par Gerard Jan Vossius (1577-1649) et Adrien Baillet (1649-1706), tandis que Nicolas Boileau-Despréaux voit en Textor le « modèle de l’ancien pédantisme classique » (p. 666), qu’il rejette.
5Enfin, N. Istasse étudie les modèles humanistes, pédagogiques et poétiques du régent, et tente de reconstituer sa bibliothèque en s’appuyant sur les références de l’épithétaire. Il apparaît que ses modèles favoris sont contemporains, qu’il s’agisse des pédagogues, comme Budé et Érasme, que des poètes, principalement italiens, comme Pontano, son « champion », Marulle, Tito Vespasiano Strozzi et son fils Ercole, Battista Spagnoli, mais aussi Germain de Brie et Salmon Macrin notamment. Grâce à un très utile tableau (p. 687), N. Istasse rend compte de la place occupée par ces références contemporaines (ses favorites), au regard des références antiques – en réalité bien plus nombreuses dans ses sommes pédagogiques comme l’Officina. Le souci de précision lisible dans ce tableau des sources de l’Officina se retrouve également dans le « répertoire général » extrêmement minutieux qui rend compte des « sources illustratives » de l’Epitheta, qui couvre six pages et distingue sources antiques (auteurs grecs et latins) et modernes (auteurs italiens, français et germani), le tout classé par ordre alphabétique : dans cette « bibliothèque », nous notons un relatif équilibre entre les sources anciennes (98 auteurs cités) et les sources modernes (119 auteurs cités) – au léger avantage des secondes. Cette utile évaluation chiffrée est complétée, en annexe, par de nombreux tableaux et graphiques (« camembert », histogrammes, carte mentale) permettant d’établir des statistiques relatives à la vie éditoriale et à la diffusion des œuvres de Textor, qui ont connu quelque quatre cents éditions et émissions. La générosité statistique de N. Istasse au seuil de son ouvrage ne dépare pas du reste : nous avons déjà souligné l’importance et la variété des textes latins traduits et annotés, auxquels nous pouvons ajouter également la grande quantité d’illustrations qui émaillent l’ouvrage ; tous ces éléments se combinent pour nous donner une image vivante, claire et informée de Ravisius Textor et de son œuvre.
6Cette somme généreuse et ambitieuse, qui permet au lecteur d’entrer dans l’intimité de Textor et de ses œuvres, rend hommage à cet homme multiplicis doctrinae et, avec un souci constant de précision, restaure ou établit des vérités à son sujet. Il s’agit d’un témoignage important sur la vie et l’œuvre d’un pionnier, pédagogue et poète.
Pour citer cet article
Référence papier
Astrid Quillien, « Nathaël Istasse, Joannes Ravisius Textor (1492/3-1522). Un régent humaniste à Paris à l’aube de la Renaissance », Anabases, 38 | 2023, 278-280.
Référence électronique
Astrid Quillien, « Nathaël Istasse, Joannes Ravisius Textor (1492/3-1522). Un régent humaniste à Paris à l’aube de la Renaissance », Anabases [En ligne], 38 | 2023, mis en ligne le 01 novembre 2023, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/16713 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.16713
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