Aske Damtoft Poulsen and Arne Jönsson, Usages of the Past in Roman Historiography
Aske Damtoft Poulsen and Arne Jönsson, Usages of the Past in Roman Historiography, Leyde et Boston, Brill, 2021, 344 p. / ISBN 9789004445024, 132.93 €
Texte intégral
1L’instrumentalisation de la mémoire et la diversité des usages du passé sont au cœur de nombreuses publications. Ce volume s’inscrit dans cette historiographie conséquente. Il s’agit des actes d’un colloque qui s’est tenu à Lund en 2018, avec deux contributions supplémentaires (celles de C. Klebs et de R. Cristofoli). Dans l’introduction, A. Damtoft Poulsen explique la démarche entreprise. L’ouvrage se place dans la lignée du rhetorical turn soutenue par T. P. Wiseman et A. J. Woodman. L’introduction présente l’historiographie des usages du passé, y compris dans ses développements récents, même s’il s’agit essentiellement d’historiographie en langue anglaise.
2L’ouvrage est divisé en trois parties. La première partie « Coming to Terms with the Principate » comprend trois contributions. R. Cristofoli aborde la postérité de la bataille d’Actium et de la disparition d’Antoine (« Velleius Paterculus and the Battle of Actium »). En soulignant la diversité des traditions relatives à cet événement, l’auteur insiste sur le parti-pris pro-augustéen de Velleius Paterculus. Ce dernier ne prend pas en compte toutes les traditions et il manipule le passé. La mode des abrégés est ensuite étudiée par R. Lilley Love (« In Short, the Republic: Florus and the (Re)Written Republic »). L’œuvre de Florus réactualise d’anciennes traditions historiographiques pour créer une nouvelle version de l’histoire romaine. Florus choisit de minimiser le rôle de l’État romain pour « dépolitiser » la destruction de la République. La nature politique de la mémoire est traitée par K. Ruffing (« Principatus ac Libertas!? Tacitus, the Past and the Principate of Trajan »). Tacite se place dans la renaissance impériale après Domitien selon l’intentional historiography (p. 69). K. Ruffing insiste sur le caractère indissociable du sénateur et de l’historien ; dans cette optique Tacite ne pouvait pas critiquer fondamentalement le Principat et il cherchait à promouvoir l’acceptation du pouvoir de Trajan.
3La deuxième partie « Intertextuality and Intratextuality » souligne la frontière floue entre l’historiographie et les autres formes de littérature. D’abord C. B. Krebs explique comment la victoire de Labienus contre les Gaulois a été utilisée par César dans La Guerre des Gaules, « Making History: Constructive Wonder (aka Quellenforschung) and the Composition of Caesar’s Gallic War (Thanks to Labienus and Polybius) ». La distinction est faite entre l’utilisation d’une source factuelle (le rapport militaire de Labienus) et d’une source d’inspiration (Polybe). Événements du passé et faits contemporains sont ainsi liés. L’intertextualité implique donc de distinguer les sources d’inspiration des sources factuellement utilisées. Cette intertextualité se retrouve dans l’article suivant d’U. Roth qui analyse notamment l’influence polybienne sur le récit livien de la prise de Rome par les Gaulois (« When in Disgrace with Fortune and Men’s Eyes … Livy [and Polybius] on the Gallic Sack of Rome »). Polybe et Tite-Live insistent aussi sur la force de la Fortuna/Tyché dans la construction d’une grande puissance. Le point de vue livien est ensuite abordé par C. S. Kraus qui rappelle notamment la force des exempla dans la mémoire culturelle et propose une réinterprétation de la reddition de Falerii Veteres (« Livy’s Faliscan Schoolmaster »). L’exemplum de Camille sert de modèle pour Auguste et montre la réutilisation du passé. Puis A. Damtoft Poulsen explique l’allusion tacitéenne faite au discours du Calédonien Calgacus (Agricola) dans l’accusation de Thrasea Paetus par Eprius Marcellus (Annales) (« From Thrasea Paetus to Calgacus – or Was It the Other Way Around? An Example of Tacitean Intratextuality »). Cette allusion anachronique révèle des stratégies rhétoriques dans l’œuvre de Tacite et elle effectue un rapprochement entre la résistance calédonienne à l’impérialisme romain et la résistance au pouvoir impérial incarné par Thrasea Paetus. Elle souligne en outre les concepts de pax et de solitudo.
4La troisième partie « The Frontiers of Historiography » débute par l’article de R. Ash qui met en avant la frontière entre l’historiographie et le théâtre (« The Staging of Death: Tacitus’ Agrippina the Younger and the Dramatic Turn »). La mise en scène dramatique du matricide d’Agrippine la Jeune permet au moralisateur Tacite de dénoncer la cruauté de Néron. J. Vekselius s’intéresse à Tibère et à son expression du chagrin (« Tiberius and Tears : Grief and Genre »). Outre les stratégies du deuil aristocratique, la mise en scène du chagrin participe de l’autoreprésentation impériale. Même si la dissimulatio était dans le caractère de Tibère, Tacite l’utilise pour critiquer le princeps. La perspective de K. Khellaf est différente, puisqu’il inclut des concepts géographiques et l’art contemporain dans sa réflexion, notamment pour la théorisation des frontières et des migrations (« Migration and Mobile Memory in the Roman Historical Digression »). Ces réflexions lui permettent de réévaluer les digressions dans l’historiographie, notamment les digressions ethnographiques, pour mettre en valeur l’apport non-romain et le métissage culturel. Enfin, A.-M. Leander Touati propose un décentrement, en analysant la commémoration rare des événements historiques dans la culture matérielle à Pompéi (« Epilogue: History in Pompeii »). Elle compare ainsi les buts différents recherchés, entre prestige, fierté, sentiment d’appartenance ou critère de distinction pour quelques familles ou groupes sociaux.
5Pour conclure, cet ouvrage apporte sa contribution aux riches études sur la mémoire et la manipulation du passé, surtout à l’époque tardo-républicaine et sous le Haut-Empire. La diversité des études de cas souligne l’ampleur de ce champ de recherche, même si parfois l’historiographie en langue française est ignorée. Historiens et philologues trouveront néanmoins des études souvent précises qui alimenteront leur réflexion sur les usages du passé.
Pour citer cet article
Référence papier
Cyrielle Landrea, « Aske Damtoft Poulsen and Arne Jönsson, Usages of the Past in Roman Historiography », Anabases, 38 | 2023, 276-278.
Référence électronique
Cyrielle Landrea, « Aske Damtoft Poulsen and Arne Jönsson, Usages of the Past in Roman Historiography », Anabases [En ligne], 38 | 2023, mis en ligne le 01 novembre 2023, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/16701 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.16701
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