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Comptes rendus

Sylvie Peyrefiche (présentation, traduction et notes), « De Hyperboreis » de Gottlieb S. Bayer (1737). Le regard d’un historien prussien sur l’un des plus anciens mythes occidentaux

Kevin Bouillot
p. 381-382
Référence(s) :

Sylvie Peyrefiche (présentation, traduction et notes), « De Hyperboreis » de Gottlieb S. Bayer (1737). Le regard d’un historien prussien sur l’un des plus anciens mythes occidentaux, Chemins de Traverse, 2021, 88 p. / ISBN 3612224368155, 14 €

Texte intégral

1Bien que moins célèbres et moins étudiés que les Atlantes, les Hyperboréens et leur territoire mythique des confins de l’œcoumène ont très tôt attiré l’attention des historiens de l’Antiquité en général et des mythes grecs en particulier. Sylvie Peyrefiche propose justement aux lecteurs francophones une toute première traduction en français d’un texte rédigé en latin il y a près de trois siècles et qui illustre non seulement cet intérêt ancien pour le mythe en question, mais aussi l’une de ses réutilisations modernes.

2Le De Hyperboreis – dont elle propose une traduction et un bref commentaire – fut écrit en 1737 pour l’Académie des Sciences fondée à Saint-Pétersbourg en 1724 par le tsar Pierre le Grand. Son auteur, Gottlieb Siegfried Bayer, historien prussien né en 1694, avait rejoint l’institution russe en 1725. Il y enseigna les Antiquités grecques et romaines et initia le débat historiographique sur le rôle des Varègues originaires de Scandinavie dans la formation de l’État de la Rus de Kiev, déjà majoritairement peuplé de Slaves et considéré comme le premier État russe. Décédé en 1738, Bayer n’eut pas le temps d’achever le manuscrit du De Hyperboreis, dont les notes de bas de pages ne furent jamais mises en ordre et dont plusieurs passages appelaient manifestement des retouches avant édition. L’ouvrage parut néanmoins l’année suivante dans le bulletin de l’Académie et ne fut jamais traduit en français jusqu’à présent.

3Bayer s’y efforçait, « à la manière d’Hérodote » – c’est-à-dire, d’après lui, en confrontant plusieurs sources littéraires – d’identifier les populations à l’origine du mythe des Hyperboréens et de leur attribuer une origine géographique. Son approche « rationalisante » cherchait à dégager de la gangue du mythe un noyau historique présumé. Il partait donc des premières attestations chez Hérodote (IV, 32-36) : les Déliens auraient, les premiers, voué un culte de type héroïque à de jeunes Hyperboréennes venues autrefois apporter dans le sanctuaire apollinien les prémices de leurs récoltes fabuleuses. Elles y auraient néanmoins trouvé la mort, y auraient été enterrées et y recevraient à leur tour un culte et des offrandes, sur le lieu de leur hérôon. S’appuyant ensuite sur Pausanias, qui leur attribuait la fondation de l’oracle délien d’Apollon (X, 5), et sur un autre passage du même auteur selon lequel Héraclès aurait ramené d’Hyperborée à Délos le premier olivier
(V, 7), Bayer concluait à l’identité grecque de ces Hyperboréens historiques, puisque tous les cultes qu’ils avaient pratiqués et/ou contribué à fonder relevaient des pratiques rituelles grecques. Il proposait donc de situer l’Hyperborée historique au Nord du monde grec, dans les régions pontiques. Guidé par la documentation littéraire et par la numismatique, Bayer hésitait entre les cités d’Hyllè, d’Olbia ou d’Istros (entre lesquelles il ne tranchait pas). Il réfutait en conséquence tout lien entre ces Hyperboréens historiques et les Scythes ou toute autre population non-grecque du Nord de l’Europe et de l’Asie. Dès lors, il dénonçait l’hypothèse formulée par les Suédois de son temps – et plus particulièrement par les savants Olof Verelius (1618-1682) et Olof Rudbeck (1630-1702) – qui proposaient de faire des Hyperboréens et de leur philosophe Abaris leurs ancêtres.

4Dépourvu d’apparat critique véritable et désormais dépassé en presque tout point, le texte de Bayer éclaire bien peu l’historien du xxie siècle sur le mythe grec des Hyperboréens. Il intéresse en revanche celui qui se consacre à l’historiographie d’une part et à la réception de l’Antiquité de l’autre. La méthode critique développée par Bayer constitue en effet un bel exemple des débuts de l’approche historienne et philologique de la littérature ancienne – et en particulier d’un auteur aussi central qu’Hérodote. Quant à l’utilisation quasi politique que Bayer fait du mythe hyper­boréen – ou plutôt l’utilisation de ce mythe par les Suédois à laquelle il s’attaque pour le profit de la science et de la culture russe alors en pleine affirmation –, elle témoigne des enjeux scientifiques et diplomatiques de son temps et des liens établis déjà entre l’Antiquité et la construction des identités nationales européennes alors en cours.

5Outre la traduction française claire, pertinente et bienvenue, l’introduction proposée par Sylvie Peyrefiche donne au lecteur quelques clés pour comprendre l’histoire et l’origine de ce texte et les resituer dans leurs contextes scientifiques, historiques et identitaires. La bonne compréhension de l’ouvrage suppose néanmoins une familiarité préalable du lecteur avec ces questions, qui ne sont pas pleinement explicitées ni développées, bien qu’essentielles à l’étude de la réception de l’Antiquité dans une époque historique complexe et bien peu familière pour des spécialistes d’histoire ancienne.

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Pour citer cet article

Référence papier

Kevin Bouillot, « Sylvie Peyrefiche (présentation, traduction et notes), « De Hyperboreis » de Gottlieb S. Bayer (1737). Le regard d’un historien prussien sur l’un des plus anciens mythes occidentaux »Anabases, 37 | 2023, 381-382.

Référence électronique

Kevin Bouillot, « Sylvie Peyrefiche (présentation, traduction et notes), « De Hyperboreis » de Gottlieb S. Bayer (1737). Le regard d’un historien prussien sur l’un des plus anciens mythes occidentaux »Anabases [En ligne], 37 | 2023, mis en ligne le 30 avril 2023, consulté le 24 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/16146 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.16146

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