Giuseppe La Bua et Francesca Romana Berno, Cicero and Roman Education: the Reception of the Speeches and Ancient Scholarship
Giuseppe La Bua et Francesca Romana Berno, Cicero and Roman Education: the Reception of the Speeches and Ancient Scholarship, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 2019, 394 p. / ISBN 9781107068582, $125
Texte intégral
1La réception de Cicéron est marquée tant par l’admiration pour son éloquence que par la réprobation de son jeu politique et de son manque de constantia. Portraying Cicero met l’accent sur les divers portraits du personnage de Cicéron comme orateur républicain en examinant son influence comme prosateur modèle icône de la latinitas et son rôle dans la pensée politique et philosophique.
2La première partie relie les autoportraits de Cicéron à leur contexte d’énonciation et à leur public. Casamento note que le succès de l’orateur repose sur le consensus du public, dont le jugement coïncide avec celui de l’expert. La contribution de Stoner éclaire la quête cicéronienne de l’orateur parfait comme vir bonus dicendi peritus en passant par la volonté de poursuivre cette quête de Quintilien, qui en défendant Cicéron montre que l’éloquence peut être mise au service d’un coupable sans affecter la qualité de l’orateur sur le plan moral. Les travaux de Kaster, de Diaz-Fernandez et de Degl’Innocenti Pierini gagnent à être lus en parallèle : le premier distingue le Cicéron des lettres d’exil, caractérisé par le ressentiment, la honte et la colère, de celui du Post Reditum qui élimine cette acrimonie pour devenir un patriote prêt à risquer sa citoyenneté et sa vie au service de la République ; la deuxième laisse voir comment Cicéron en exil projette sur lui-même un idéal de gouvernance dominant ; la troisième insiste sur le paradigme tragique dans l’intertextualité des lettres d’exil. Les autoportraits de Cicéron sont ainsi dictés par les circonstances.
3La deuxième partie expose la richesse de la postérité cicéronienne. Keeline propose une savoureuse enquête sur Lamia, dont l’apparition dans les épitaphes de l’Anthologie latine à titre de fossoyeur de Cicéron répond à un désir d’innover dans le cadre d’une tradition déclamatoire visible dans l’intertexte scolaire du poème. Stutz mène une amusante étude sur l’articulation des règles du polar et des portraits populaires de Cicéron, qui met en tension les fins compétitives et persuasives de l’orateur et notre propre valorisation de la vérité et de la vertu chez les hommes de lois et les héros de romans. Martín Puente analyse l’iconographie cicéronienne dans les manuscrits du xiiie au xve siècle, et met en images le Cicéron à la fois personnification de l’éloquence et modèle humaniste aux vertus civiques et morales dépeint par La Bua, qui relie de manière convaincante le discours de Cicéron sur la novitas et l’émergence des valeurs bourgeoises, et par Gatti, qui relève chez Corradi un portrait hagiographique de l’orateur en précurseur du christianisme dont il partage les valeurs. Kenty fait une lecture similaire du Cicéron de J. Adams, qui évacue tant son ingéniosité sur le plan rhétorique, stratégique et politique pour en faire le guide de sa propre vie.
4La troisième partie met en lumière la décontextualisation de l’éloquence cicéronienne au fil du temps. Steel remarque que si Cicéron était beaucoup lu à titre de modèle d’éloquence, et qu’une variété de ses discours étaient cités au début de la période impériale, ceux-ci n’étaient pas toujours instrumentalisés, mais lus pour l’étude des figures historiques et du contexte politique plutôt que strictement pour leurs aspects rhétoriques. Sillett retrace une perte de ce contexte dans l’usage de l’ouverture des Catilinaires, dont les reprises par Cicéron lui-même puis par la génération suivante avec un fort intertexte cicéronien deviennent par la suite de plus en plus caricaturales. L’analyse des Inst. Orat. III 8 amène Van der Blom à noter que l’usage des discours délibératifs de Cicéron chez Quintilien ne sert pas à montrer les caractéristiques propres à ce genre mais à illustrer la possibilité de mettre l’éloquence au service du bien. Quant à Del Giovane, elle constate la difficulté pour Quintilien et Plutarque de concilier le goût de Cicéron pour l’humour et le respect d’un decorum de nature éthique. Alors que Cicéron construit sa voix comme symbole de sa persona politique et lui donne une agentivité propre, Jansen, Pieper et Van der Velden établissent que l’usage de procédés syntaxiques, de figures rhétoriques, de champs lexicaux liés aux concepts inhérents à ses discours permet aux élèves des écoles de rhétorique de « cicéroniser » en décontextualisant les discours auxquels ils font allusion, phénomène qui se poursuit à la Renaissance, où le bon humaniste cherche à parler comme Cicéron.
5La dernière section porte sur l’usage politique de Cicéron. L’article de Santos sur le Cicéron de Montesquieu, témoin de la fin d’une époque et sujet à la critique tout en demeurant exemplaire, pave la voie pour celui de Berno qui interroge l’idéal tant stylistique que moral que représente Cicéron dans les procès des révolutionnaires français. Rousselot montre quant à lui la diversité des relectures de Cicéron au prisme des dictatures européennes du xxe siècle, qui devient tantôt un koulak – avec Catilina en symbole du bolchévisme – tantôt un grand homme conforme à l’idéologie fasciste, tantôt une figure qui s’efface à défaut de pouvoir servir d’exemplum héroïque aryen.
6L’ensemble est d’excellente qualité et la bibliographie extensive, aussi ce sont les intérêts de chacun qui dicteront les préférences – pour moi, les articles de Berno, Casamento, Keeline, La Bua, Stoner et Stutz. Les contributions s’éclairent les unes les autres : celles de La Bua et de Berno sur l’usage de Cicéron comme modèle bourgeois ; ceux de Steel, Sillett, Keeline et Jansen et al., en montrant la décontextualisation graduelle des discours de Cicéron dès l’Antiquité, dévoilent une perte de subtilité propice à l’émergence d’un Cicéron humaniste (Martín Puente, La Bua, Gatti), avocat véreux (Stoner, Stutz), ou modèle de l’éloquence mise au service du bien (Stoner, Van der Blom, Kenty, Berno). Le collectif dirigé par Berno et La Bua illustre ainsi tant la diversité des relectures de Cicéron au fil du temps que la richesse de la réception de son œuvre.
Pour citer cet article
Référence papier
Mathilde Cambron-Goulet, « Giuseppe La Bua et Francesca Romana Berno, Cicero and Roman Education: the Reception of the Speeches and Ancient Scholarship », Anabases, 37 | 2023, 379-381.
Référence électronique
Mathilde Cambron-Goulet, « Giuseppe La Bua et Francesca Romana Berno, Cicero and Roman Education: the Reception of the Speeches and Ancient Scholarship », Anabases [En ligne], 37 | 2023, mis en ligne le 30 avril 2023, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/16140 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.16140
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