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Comptes rendus

Philippe Borgeaud, La pensée européenne des religions

Arnaud Saura-Ziegelmeyer
p. 367-369
Référence(s) :

Philippe Borgeaud, La pensée européenne des religions, Paris, Le Seuil, 2021, 256 p. / ISBN 9782021024982, 23 €

Texte intégral

1Ph. Borgeaud livre avec ce petit ouvrage une réflexion globale sur l’évolution de la pensée occidentale en matière d’histoire des religions. Indiquant un point de départ en 2011, il synthétise ici une douzaine d’articles antérieurs, suivant sa méthode comparatiste. L’ouverture expose l’intérêt de suivre l’historiographie du sujet et en particulier la place du polythéisme dans les médiations postérieures dues aux milieux chrétiens. L’auteur invite à dépasser les écueils de l’essentialisme, de la normativité et du sens commun pour saisir, à travers des exemples donnés de façon chronologique, « la complexité du réel » au fil des époques.

2Dans le premier chapitre, « Parler des dieux », l’historien indique que le système surnaturel polythéiste doute de lui-même, amenant ainsi un « discours critique » et une « théologie de l’écart » (p. 22) intrinsèques (p. 24) « L’irrévérence interne », la singularité et la multiplicité du divin, l’évhémérisme, la proximité entre croyance et deuil, la divination, sont autant de pratiques qui entravent la compréhension de l’essence divine chez les polythéismes eux-mêmes. Ces éléments sont d’ailleurs souvent repris comme éléments critiques par les chrétiens.

3Le deuxième chapitre, intitulé « Naissance du paganisme », en vient à la construction de la notion de paganus et plus globalement de « religion des autres ». La doxa polytheos, qui multiplie par erreur les divinités du point de vue du christianisme permet également de déduire une hiérarchie des polythéismes face à cette nouvelle religion. Ph. B. place ici la véritable invention du paganisme, qui va de pair avec le développement de l’imitatio diabolica. À ce stade de l’historiographie, les démons sont vus comme des agents fondateurs des courants religieux polythéistes, cherchant à aiguiller l’homme dans une mauvaise direction et satisfaisant ainsi son besoin de transgression.

4Avec « Traduire les dieux », l’auteur pro­pose une réflexion plus philologique, questionnant d’abord la fameuse notion d’interpretatio en pendant de celle, divergente pour lui, de tolérance et l’égalité de traitement. Il s’intéresse ensuite aux nombreux cas de corruption par la langue, plus particulièrement de la proximité entre le sacré et l’érotisme licencieux, ce à travers différents paysages civilisationnels. Ce mélange est constitué pour Ph. B. par la rencontre entre « l’élégance littéraire de la traduction » et le zèle de la traduction. In fine, ces processus « transforment les désirs refoulés en hargnes fantasmatiques » (p. 72) et brouillent le sens des rituels polythéistes.

5Le quatrième chapitre, « Aux sources de la comparaison », pointe un changement de paradigme à la fin de l’Antiquité avec une opposition désormais entre la religion officielle chrétienne dominante et l’idée de superstition. Les païens étant désormais des ignorants, Dieu devient « accommodant » et supporte l’erreur religieuse dans le but de voir la vérité s’établir : la révélation se veut progressive et il s’agit pour les chrétiens de « parler dans la langue des ravisseurs » pour mieux renverser la coutume ennemie.

6Le chapitre « Sur le terrain » revient sur quelques expériences comparatistes qui créent de nouveaux récits explicatifs durant l’époque médiévale et l’Âge moderne (Marco Polo, Matteo Rici et Joseph-François Lafitau). Ces trois cas de réflexion sur la religion de l’autre contemporain montrent que la sémantique mythologique antique joue un important rôle de mise en relation des coutumes européennes avec l’extérieur, même si elle reste chargée des paradigmes chrétiens postérieurs.

7Le sixième chapitre, intitulé « Destin de la figure », montre que la pensée est parfois réduite au tout christianisme, mettant en place la théorie du plagiat par anticipation, en particulier dans la relecture de la religion hébraïque. L’autrui « lève le voile malgré lui », mais cette lecture amène aussi à l’intolérance, c’est-à-dire un prisme humiliant qui appelle nécessairement une réaction violente.

8Avec le septième chapitre, « La « logique » des fausses croyances », l’auteur atteint l’époque des Lumières et sa tentative d’explication de la superstition. Celle-ci tient désormais d’une faiblesse cognitive qui vient remplacer l’explication de l’imitatio diabolica. L’ignorance attribuée aux Amérindiens vient réenchanter et mettre à distance l’erreur des polythéismes antiques.

9Pour Ph. B., « La contagion du sacré », titre du huitième chapitre, repose sur une peur positive, qui amène une intelligence et une société construite, garante d’une forme de paix. Cette peur sans cause n’explique toutefois pas l’origine de la religion à elle seule. La réflexion des Lumières cède alors la place aux sciences des religions où le paganisme possède le statut de « quatrième religion » et devient un véritable objet d’étude.

10Le dernier chapitre, « Secouer le carcan », est une invitation à nuancer les poncifs en matière d’histoire des religions. La relation intime Dieu-individu est rare et particulièrement chrétienne. Ailleurs, c’est le bon rapport au divin qui prime et nécessite une approche pluridimensionnelle et non discursive, ce dès l’Antiquité. Si le doute est présent partout, le comparatisme est lui condamné, chacun voulant voir la supériorité de ses coutumes sur celles d’autrui. Pour Ph. B. la dimension irrationnelle de l’existence n’a pas disparu malgré la critique religieuse, amenant une « rémanence du merveilleux » (p. 187).

11Suivant remerciements, bibliographie, index des noms et index des notions, l’« Épilogue » aborde le problème de catégorisation de l’incroyance qui, pour Ph. B., ne fait que faire rejaillir la perma­nence et le besoin du religieux dans d’autres expressions apparentées dans la pratique (« laïcité […] butinage religieux ? », p. 133). Rejetant tout retour naïf ou aliénant à la religion, il fustige tout de même la complaisance du temps pour les formes d’intégrisme. Ce petit livre donne au lecteur une vision chronologique et synthétique fort utile de l’évolution de la pensée européenne des religions depuis l’origine jusqu’à aujourd’hui. À travers des exemples choisis et des références solides, chacun des points peut être approfondi selon l’intérêt de chacun.

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Pour citer cet article

Référence papier

Arnaud Saura-Ziegelmeyer, « Philippe Borgeaud, La pensée européenne des religions »Anabases, 37 | 2023, 367-369.

Référence électronique

Arnaud Saura-Ziegelmeyer, « Philippe Borgeaud, La pensée européenne des religions »Anabases [En ligne], 37 | 2023, mis en ligne le 30 avril 2023, consulté le 17 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/16061 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.16061

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