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Comptes rendus

Olivier Poncet, Une éducation savante. Lettres de Marie-René de La Blanchère à Auguste Geffroy (1878-1886)

Thibaud Lanfranchi
p. 340-342
Référence(s) :

Olivier Poncet, Une éducation savante. Lettres de Marie-René de La Blanchère à Auguste Geffroy (1878-1886), Rome, École française de Rome, 2020, 383 p. / ISBN 9782728314171, 41 €

Texte intégral

1L’histoire de l’École française de Rome (désormais ÉfR) a connu un coup d’accélérateur depuis une dizaine d’années alors que, hormis quelques publications isolées (L’Histoire et l’œuvre de l’École française de Rome, Paris, De Boccard, 1931 ou l’exposition organisée pour le centenaire de l’institution : L’École française de Rome 1875-1975, Paris-Rome, ÉFR, 1975), elle avait peu retenu l’attention depuis sa création. Thèses (S. Rey, Écrire l’histoire antique à l’École française de Rome [1873-1940], Rome, ÉFR, 2012), ouvrages collectifs (M. Gras, À l’École de toute l’Italie : pour une histoire de l’École française de Rome, Rome, ÉFR, 2010 ou M. Gras et O. Poncet [dir.], Construire l’institution. L’École Française de Rome 1873-1895, Rome, ÉFR, 2013), biographies (Émile Mâle [1862-1954]. La construction de l’œuvre : Rome et l’Italie, Rome, ÉFR, 2006) sont venues enrichir notre connaissance d’une institution centrale pour l’histoire de l’Antiquité classique en France au xxe siècle. Au sein de ce panorama, une figure a récemment retenu l’attention : Marie-René de La Blanchère (désormais La Blanchère), qui fit partie des premières promotions de l’ÉfR avant d’être envoyé en Afrique du Nord où il fut notamment à l’origine de la loi sur la conservation des monuments historiques en Tunisie ainsi que d’un projet de musée qui donna naissance au musée du Bardo. S’il était déjà au cœur d’un récent ouvrage collectif (S. Bourdin et A. Pagliara [dir.], Marie-René de La Blanchère, dalle terre pontine all’Africa romana, Rome, ÉFR, 2019), O. Poncet nous offre ici à lire la correspondance entre le jeune savant et Auguste Geffroy (désormais Geffroy), alors directeur de l’ÉfR, sur la période 1878-1886. L’ouvrage est structuré de la façon suivante : une copieuse introduction précède une bibliographie des travaux de La Blanchère, l’édition critique proprement dite des lettres et une série d’annexes.

2L’introduction revient d’abord sur les origines familiales de La Blanchère, en présentant en particulier la figure originale de son père, photographe, naturaliste et vulgarisateur. Entré à l’École normale supérieure en 1873, La Blanchère y côtoya Charles Seignobos ou René Cagnat. O. Poncet retrace ici les influences intellectuelles qui s’exercèrent sur La Blanchère, mettant notamment en avant les figures d’Ernest Desjardins, Olivier Rayet (cité en exemple dans la lettre 12) ou Léon Renier. Reçu à l’agrégation d’histoire en 1878, il fut dans la foulée recruté comme membre de l’ÉfR. Geffroy devint vite une figure scientifique de référence pour La Blanchère, ce qu’O. Poncet appelle un père de substitution. Ce dernier livre ensuite une présentation générale de la correspondance, rappelant que Geffroy avait mis à part 41 de ces lettres dans un volume manuscrit conservé à la bibliothèque de l’ÉfR, lesquelles ont déjà fait l’objet d’une publication avec traduction en italien (M.-R. de La Blanchère, Lettere dalle terre Pontine, éd. G. R. Rocci, Terracina, 1998). Si ce type de correspondance n’est pas en soi une spécificité à l’époque, bien au contraire, O. Poncet souligne que la relation très forte de maître à élève qui se créa par son intermédiaire constitue une des originalités de celle entre La Blanchère et Geffroy. Le reste de l’introduction suit alors le parcours de La Blanchère en s’appuyant sur le corpus des lettres : le travail à Terracine et dans la zone pontine (1879-1881), la préparation de la thèse de doctorat (soutenue le 21 novembre 1883), le passage en Afrique du nord où il se livra à une importante œuvre scientifique et administrative (à partir de 1881). À travers le cas particulier de La Blanchère, cette introduction comporte aussi d’intéressantes perspectives plus larges sur la réorganisation de l’enseignement supérieur en France après la défaite de 1870, la place nouvelle prise par le doctorat ou la mise en lumière des comptes rendus de soutenance comme source pour l’historien.

3Le corps de l’ouvrage est cependant formé des lettres proprement dites. Le corpus de 122 lettres ne comporte que des missives de La Blanchère à Geffroy puisque les archives de celui-là n’ont pour le moment pas été retrouvées. La correspondance s’étale de 1878 à 1886, mais les années les plus riches en échanges sont les années 1879-1882 (cf. le tableau de ventilation semestrielle des lettres p. 13). Comme nulle brouille entre les deux hommes n’est attestée, O. Poncet fait l’hypothèse d’une perte documentaire pour justifier qu’aucune lettre ne soit conservée entre 1886 et la mort de Geffroy en 1895. Les lettres sont accompagnées de notes explicatives qui se limitent à éclairer les noms et particularités (par exemple juridiques) du temps. La correspondance commence en octobre 1878 avec une missive liée à la nomination de La Blanchère à l’ÉfR. Dès la deuxième lettre, cependant, on trouve La Blanchère écrivant à Geffroy depuis San Felice Circeo et la zone pontine. Les lettres 2 à 88 sont écrites d’Italie et correspondent aux années romaines de La Blanchère. Elles mêlent description du travail dans les zones visitées et de leurs vestiges (lettres 2, 6 ou 62 par exemple), évocation des projets de La Blanchère (lettres 3, 16, 62 ou 70 par exemple) au récit de ses difficultés (dont la maladie, cf. lettres 18, 59, 64, 79 par exemple, ou les 25 et 26 sur le père de MRLB, et cf. aussi les lettres 102 et 103 qui montrent qu’il fut marqué pour longtemps) et de ses rivalités sur le terrain (lettres 6, 9, 10, 11, 16, 22 par exemple). La Blanchère a parfois des mots très durs sur les locaux ou ses interlocuteurs (cf. lettre 7), et la correspondance montre la prégnance des rivalités scientifiques et nationales, notamment avec les Allemands autour de questions épigraphiques (lettres 28, 54, 56, 85 par exemple). On citera en particulier, la lettre 73, qui mentionne la venue d’H. Dessau : « Il y a vraiment une guerre engagée ; et je vois que les Allemands, et plus encore peut-être les gens des Scavi, sont très agacés par ce que je fais de ce côté-ci ». Ou la lettre 74, mentionnant une découverte d’inscription : « Cela fera loucher Dessau, qui est juste reparti le jour de la découverte, une heure avant ». Dans le même temps, on y voit La Blanchère élaborer sur le terrain un projet de recherche dans un contexte de construction d’institutions scientifiques : il en tire ainsi un intéressant premier bilan dans la lettre 26 du 8 octobre 1879 où il essaie de relier entre eux les divers fils de ses activités et on voit ses projets évoluer dans la lettre 30 du 24 janvier 1880. On lit aussi (lettre 34 du 27 février 1880) que La Blanchère doit répondre à des demandes de résultats de la part de Geffroy. Les questions de publication se font d’ailleurs pressantes à partir du printemps 1880, tandis que l’été 1880 fut marquée par un intermède à Turin et dans le Piémont. Un certain nombre de lettres font ainsi état de réflexions sur la revue où publier, sur les relectures d’épreuves et on perçoit, en toile de fond, la naissance de la revue de l’ÉfR, les Mélanges (lettres 56, 68, 71, 73, 76, 88 ou 100 par exemple). La Blanchère reprit son travail à Terracine et dans la région à partir d’octobre 1880 et les lettres du même ordre que les précédentes s’enchaînent alors régulièrement, les années 1880-1881 constituant le pic quantitatif de cette correspondance. À partir de la lettre 80 (10 août 1881), la correspondance donne à voir les tractations autour du futur de La Blanchère, qui souhaitait un poste à l’École pratique et qui se préoccupe de son doctorat. Il fut finalement envoyé en Afrique du Nord.

4La lettre 89 – la première à Geffroy depuis Alger – et les suivantes font surtout état du mécontentement de La Blanchère quant à sa situation sur place (administrative et financière) et de son effarement quant à l’absence totale d’efforts coordonnés de mise en place d’institutions de recherche et de préservation du patrimoine. La nécessité du doctorat (auquel La Blanchère cherche dans un premier temps à échapper), et sa préparation, sont aussi plus fréquemment mentionnées (cf. les longues lettres 96 et 97). Les difficultés rencontrées sur place, notamment avec Émile Masqueray, suscitèrent beaucoup d’amertume chez La Blanchère, ce dont témoignent les lettres de cette période (cf. lettres 105 et 106). La lettre 104 du 14 mars 1882 montre le sujet des deux thèses enfin arrêté. La correspondance, encore importante en 1882, s’étiole ensuite progressivement pour des raisons qui nous échappent mais font état du processus qui conduisit à la nomination de La Blanchère en Tunisie. Seules les deux dernières lettres sont de Tunisie où il fut nommé en 1885 et qui fut son tremplin pour l’œuvre qu’il accomplit en Afrique du Nord, dont cette correspondance ne dit mot.

5Des annexes complètent le volume : les rapports sur les activités de membre de l’ÉfR de La Blanchère, des lettres sur ses missions en Tunisie et en Italie, les comptes rendus de sa soutenance de thèse, les comptes rendus bibliographiques écrits par La Blanchère et les comptes rendus bibliographiques sur les livres de La Blanchère. L’apport des comptes rendus de La Blanchère au volume n’est pas évident et n’est pas justifié par l’éditeur. Un index des noms géographiques et de personnes clôt ce volume soigné où les coquilles sont rares (p. 1, p. 6, p. 42, p. 120, p. 134, p. 313, p. 317, p. 318, p. 322). On ne saurait au final que conseiller la lecture de ce livre à quiconque s’intéresse à l’histoire des institutions, aux correspondances savantes, à l’histoire de l’archéologie ou à l’histoire de l’Italie tout court. S’il renseigne bien sûr prioritairement sur les jeunes années de l’ÉfR, il offre des perspectives plus larges et constitue un apport à l’histoire scientifique et intellectuelle de la France de la fin du xixe siècle.

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Pour citer cet article

Référence papier

Thibaud Lanfranchi, « Olivier Poncet, Une éducation savante. Lettres de Marie-René de La Blanchère à Auguste Geffroy (1878-1886) »Anabases, 36 | 2022, 340-342.

Référence électronique

Thibaud Lanfranchi, « Olivier Poncet, Une éducation savante. Lettres de Marie-René de La Blanchère à Auguste Geffroy (1878-1886) »Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2022, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/15152 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.15152

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