Carlo Pelloso, Democracies and Republics between Past and Future. From the Athenian Agora to e-Democracy, from the Roman Republic to Negative Power
Carlo Pelloso, Democracies and Republics between Past and Future. From the Athenian Agora to e-Democracy, from the Roman Republic to Negative Power, London et New York, Routledge, 2021, 121 p. / ISBN 978036767259, £ 44,99
Texte intégral
1Un livre concis, dense, dont les pages de texte représentent moins de la moitié du volume total, la plus grande partie étant occupée par de longues pages de notes et de bibliographies, ainsi que par un index très utile. La réflexion de l’auteur sur la démocratie et la république est ainsi solidement documentée, depuis les sources antiques jusqu’aux traités scientifiques actuels. Le point de départ du livre est la crise de légitimité actuelle de nos régimes démocratiques. L’auteur se tourne ensuite vers les origines antiques de nos concepts et institutions politiques, en passant par Montesquieu, Rousseau ou encore les Founding Fathers et leur réception des Anciens. Chercher, par une réflexion sur la crise de nos démocraties représentatives, des solutions ou tout au moins des inspirations dans la démocratie originelle, celle d’Athènes, est un réflexe déjà ancien. Y associer, à travers le concept du « pouvoir négatif », les Tribuns de la plèbe de la République romaine, c’est une voie moins souvent empruntée, mais qui a sa propre tradition. Passer de l’agora athénienne à la démocratie électronique, cela a déjà été imaginé, il y a presque un siècle, par Carl Schmitt, longtemps avant l’invention de l’internet. Schmitt avait dénoncé par avance une telle évolution comme une privatisation de la formation de la volonté politique qui détruirait la volonté générale, comme l’a rappelé récemment Wilfried Nippel dans son livre Liberté antique, liberté moderne. Les fondements de la démocratie de l’Antiquité à nos jours, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2010, p. 308-309 [éd. allemande originale : 2008]. Carlo Pelloso, cependant, envisage l’apport de cette technologie nouvelle avec confiance.
2L’auteur dresse le constat d’un double défi menaçant la démocratie authentique, participative et délibérative : d’une part la captation ou le détournement du vote populaire par des élites et, d’autre part, le repli des électeurs sur des identités de groupe – à l’opposé du concept antique de l’homme comme animal politique – et leur retrait de la politique, phénomènes appelés ici « the “oligarchic” and the “epistemic” systems ». Face à ces défis interconnectés, Carlo Pelloso cherche des inspirations pour l’avenir de nos régimes démocratiques dans la démocratie directe et de masse d’Athènes (« direct democracy on a mass scale ») et dans la construction de la res publica romaine comme une res populi : le pouvoir négatif, le pouvoir de véto des tribuns de la plèbe pourrait nous inspirer dans la recherche d’instruments qui réduiraient les emprises oligarchiques sur les affaires publiques (p. 4).
3Le plaidoyer non pas pour une e-démocratie mais pour une e-δημοκρατία (« the Athenian paradigm combined with our e-technology knowledge and tools », p. 50), s’appuie sur l’idée qu’à Athènes la « masse » a pu être transformée en un δῆμος, grâce à la participation politique et à l’expérience pratique de la politique. Aujourd’hui, les progrès technologiques, et notamment l’interaction « online » en temps réel, permettraient en théorie de reproduire les conditions matérielles des processus de prise de décision dans l’assemblée athénienne. S’il est exact qu’au cours des vie et ve siècles le δῆμος avait été transformé « into a real constitutional entity » et que la politique et la tragédie avaient eu pour effet de faire ressembler de plus en plus le peuple athénien à « a human and collective king » (p. 42), l’auteur ne se pose pas la question de savoir si l’on peut réellement parler de la démocratie athénienne comme d’une démocratie de masse, comparable aux démocraties de masse modernes, ni celle de savoir qui était inclus dans le δῆμος athénien, qui en était exclu, ni celle de savoir à quel degré la réalité de l’exercice du pouvoir s’approchait de la vision idéale d’une « monarchie du peuple » (p. 43). De telles considérations n’ont pas leur place dans le schéma argumentatif de ce bref et stimulant essai. Si l’on suit l’auteur sur la voie étroite mais profonde d’une recherche des arrangements conceptuels et institutionnels qui permettraient de réduire le poids des élites au bénéfice d’une plus grande participation effective du peuple, on est récompensé par de belles et concises analyses de la démocratie grecque et du tribunat du peuple à Rome. Ce dernier, considéré sous l’angle du principe du pouvoir négatif, est approché à travers une relecture du Contrat social et à travers des comparaisons avec différentes formes modernes de la figure du défenseur des droits civiques.
4Le retour vers l’Antiquité dans le but d’explorer des pistes permettant d’inventer des mécanismes institutionnels qui rendraient plus puissantes et efficaces des contestations populaires contre les élites, au nom de la « liberty of the many against the power of the few » (p. 89) est pratiqué de manière circonspecte par l’auteur, abstraction faite de l’idée téméraire d’une démocratie de masse à Athènes. Les mécanismes institutionnels, au centre de ce livre, ne sont pas tout, cependant. On aurait souhaité que la perspective historique se voie accorder une place plus importante à côté de la perspective institutionnelle dans cette réflexion sur la démocratie. Le paysage aurait été plus complexe. Est-ce pour pallier cette lacune que l’auteur termine son livre par des rappels à la Révolution française et à Mai 68, exhortant ses lecteurs : « Keep up the fight ! » ?
Pour citer cet article
Référence papier
Hinnerk Bruhns, « Carlo Pelloso, Democracies and Republics between Past and Future. From the Athenian Agora to e-Democracy, from the Roman Republic to Negative Power », Anabases, 36 | 2022, 338-340.
Référence électronique
Hinnerk Bruhns, « Carlo Pelloso, Democracies and Republics between Past and Future. From the Athenian Agora to e-Democracy, from the Roman Republic to Negative Power », Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2022, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/15144 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.15144
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