Daniel Walker Moore, Polybius: Experience and the Lessons of History
Daniel Walker Moore, Polybius: Experience and the Lessons of History, Boston et Leyde, Brill, 2020, 168 p. / ISBN 9789004426115, 94 €
Texte intégral
1Ce volume de la collection « Historiography of Rome and its Empire » s’intéresse à la construction intellectuelle des hommes d’État selon Polybe. D. W. Moore soulève un paradoxe dans le portrait du dirigeant idéal, en l’occurrence la tension permanente existant entre la place donnée à l’expérience et les leçons tirées de l’Histoire. Cette approche spécifique de l’œuvre polybienne constitue le fil directeur des six chapitres de l’ouvrage. D. W. Moore invite également dans l’introduction à la prudence sur la place de Polybe dans l’histoire intellectuelle de son temps, tant les sources sont parcellaires. Puis l’auteur replace Polybe dans une perspective historiographique, surtout depuis les travaux de F. W. Walbank (Historical Commentary on Polybius, 1972).
2Le premier chapitre, « History and experience in Polybius », s’intéresse aux fondements épistémologiques et historiographiques de l’œuvre polybienne à travers l’étude de la pragmatikē historia et de la methodikē empeiria qui renvoie à la philosophie grecque. L’empeiria du pragmatikos anēr désigne une forme spécifique de savoir fondée sur un gain d’expérience personnelle. Polybe s’écarte parfois de cette définition, en pensant que l’empeiria peut être acquise grâce à l’histoire pragmatique, car les textes offrent un accès unique à des connaissances qui ne peuvent pas être acquises autrement. Toutefois, D. W. Moore relève les contradictions polybiennes, puisque l’historien grec révise ensuite ses déclarations de la préface, en affirmant que l’expérience offre finalement des leçons plus mémorables ; d’ailleurs sur les trente-neuf mentions du terme empeiria, la majorité désigne un savoir acquis par une expérience personnelle.
3Le chapitre suivant, « Hannibal, Practical Experience, and the Model Historian », retrace la carrière du Carthaginois alliant, selon Polybe, un talent inné de chef militaire et des capacités d’adaptation. Même s’il a su tirer des leçons de ses expériences, il est finalement vaincu par Scipion l’Africain. D’après Polybe, le patricien avait su combiner l’expérience personnelle et l’étude de précédents historiques. Après l’échec d’Hannibal, D. W. Moore s’intéresse à celui de Philippe V de Macédoine qui n’a pas su tirer les leçons de l’Histoire (chapitre 3, « Learning from History »). Cet exemple est encore comparé à Scipion l’Africain. Dans l’esprit polybien, la construction intellectuelle du Romain est le signe de sa supériorité. Après l’étude de figures individuelles, le chapitre suivant s’intéresse à la dimension collective, « Experience and History in the Roman Constitution ». L’auteur revient sur l’incontournable livre VI et l’anakyklosis. Selon Polybe, le système politique romain est empirique ; il a su tenir compte de ses erreurs et de la mémoire historique. Ces modalités de fonctionnement expliqueraient l’ascension romaine. Les funérailles aristocratiques sont également analysées. Profondément ancrées dans les coutumes romaines, elles abolissent les limites générationnelles de la mémoire collective. La connaissance réactivée du passé joue un rôle structurant pour l’aristocratie et le peuple romain.
4Dans le chapitre 5, « Roman Innovation in Polybius’ Narrative », D. W. Moore montre que l’habileté des Romains est d’apprendre collectivement de leurs erreurs, comme lors de la première guerre punique. La prise en compte collective des défaites et des échecs facilite l’innovation. Ces changements, qui se poursuivent durant la deuxième guerre punique, sont des qualités déterminantes qui permettent d’abord de se relever après chaque revers avant de participer à l’hégémonie romaine. Polybe représente toujours le progrès romain comme un processus collectif plutôt que comme un simple processus d’apprentissage. Enfin, le dernier chapitre s’intéresse au rôle des exempla pour quelques hommes d’État, comme Paul-Émile et Scipion Émilien (chapitre 6, « Exemplary Roman History »). Polybe utilise sa propre expérience, puisque ces deux Romains ont joué un rôle important dans sa vie. D. W. Moore souligne les mutations opérées à l’époque polybienne avec l’importance accrue des imperatores. Rome fait de plus en plus confiance à des figures providentielles. En outre, les mentalités aristocratiques évoluent. La jeune génération, illustrée par Scipion Émilien, est davantage influencée par des exempla récents, comme Scipion l’Africain ou Paul-Émile, que par les grandes figures de l’Histoire romaine.
5Le bref ouvrage de D. W. Moore n’offre pas seulement un énième opus sur la vision d’un Grec sur l’impérialisme et la politique des Romains, mais il met en valeur une analyse précise des qualités requises pour un homme d’État. Selon Polybe, les leçons du passé permettent d’atteindre des niveaux d’excellence impossibles à obtenir par la seule expérience personnelle. La puissance romaine a donc su allier l’« Experience and the Lessons of History ». En outre, l’auteur s’intéresse à la pensée historique polybienne, puisque l’expérience est indissociable de la recherche historique pour créer une approche globale de la connaissance historique.
Pour citer cet article
Référence papier
Cyrielle Landrea, « Daniel Walker Moore, Polybius: Experience and the Lessons of History », Anabases, 36 | 2022, 337-338.
Référence électronique
Cyrielle Landrea, « Daniel Walker Moore, Polybius: Experience and the Lessons of History », Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2022, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/15134 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.15134
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