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Comptes rendus

Annick Fenet, Le Minotaure de Picasso au musée de Dijon. Archéologie d’une œuvre

Corinne Bonnet
p. 328-329
Référence(s) :

Annick Fenet, Le Minotaure de Picasso au musée de Dijon. Archéologie d’une œuvre, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2020, 144 p. / ISBN 9782364413689, 8 €

Texte intégral

1La toile de Picasso dépeignant le Minotaure conservée au Musée des Beaux-Arts de Dijon porte la date du 12 novembre 1933. Il y a quelque chose d’intrigant dans la proximité entre de la jeune femme nue, assoupie, et le « monstre » taurin qui l’observe et semble presque la renifler… Annick Fenet nous invite à une archéologie de cette œuvre entrelaçant la jeunesse et l’animalité, la beauté et la monstruosité. Elle nous propose une fouille dans l’imaginaire du Minotaure, de l’Antiquité au xxe siècle, un thème qui interroge les frontières de l’humain car, comme l’écrivait Marguerite Yourcenar, « qui n’a pas son Minotaure ? ». Dans un premier chapitre, elle explore le chemin qui conduit l’œuvre de Paris à Dijon, où elle arrive en 1969. Mais pourquoi Picasso choisit-il ce sujet ? Quel est son rapport à l’Antiquité ? Tel est le sujet du chapitre 2. Plusieurs expositions ont familiarisé le public avec la manière dont Picasso reçoit et transforme l’héritage antique, lui qui, pourtant, ne s’est jamais rendu en Grèce (mais bien en Italie). Le chapitre 3 se focalise sur le tournant des années 1930 dans la production de Picasso, dont la notoriété ne cesse de croître. Tournant le dos au néo-classicisme, il explore de nouvelles voies artistiques et noue de nouvelles amitiés, notamment avec l’éditeur d’origine grecque Christian Zervos, tandis qu’en Italie et en Allemagne, des changements politiques voient le jour qui annoncent une période troublée. Illustrer les Métamorphoses d’Ovide et la Lysistrata d’Aristophane constituent deux expériences intéressantes pour Picasso, qui éclairent l’archéologie du Minotaure bourguignon. C’est l’objet du chapitre 4. Le premier volume paraît en 1930, le second en 1934. Picasso baigne en quelque sorte dans les mythes et les fictions grecques, comme celui du Centaure, qu’il représente pour illustrer le poème d’Ovide. Le Minotaure de 1933 n’est pourtant pas un unicum dans l’œuvre de Picasso. Le chapitre 5 retrace les étapes importantes de cette figure, en particulier la Suite Vollard, du nom du marchand d’art et éditeur, Ambroise Vollard. Entre 1930 et 1936, Picasso réalise six cycles de planches gravées, tirées en 1937. Le Minotaure apparaît dans deux d’entre eux, témoignant d’une production minotaurine foisonnante dans les années 1930 de la part du peintre espagnol. En outre, la Suite Vollard montre aussi des scènes, comme celle du Faune dévoilant une dormeuse, qui font écho à la toile dijonnaise. Picasso, conclut Annick Fenet, fait des gammes… C’est le moment de revenir, dans un mouvement tout musical aussi, vers l’Antiquité, dans le chapitre 6 : le Minotaure original, quel est-il ? Fils de Minos et Pasiphaé, victime innocente des fautes de ses parents, il connaît une fortune littéraire et surtout artistique remarquable. Le chapitre 7 étend l’enquête aux périodes postérieures, sur les traces de divers Minotaures, au Moyen Âge, à la Renaissance, à l’époque moderne et jusqu’au xixe siècle, autant d’étapes dans le labyrinthe de la réception du mythe du taureau de Minos. La redécouverte d’Herculanum et de Pompéi, au xviiie siècle, constitue un moment important, au cœur du chapitre 7. C’est l’occasion d’évoquer le Thésée et le Minotaure de Canova, une sculpture qui réduit le Minotaure à une dépouille inerte, là où d’autres artistes optent pour un combat aux allures héroïques. Les chapitres 8 et 9 suivent le devenir du motif du Minotaure à la fin du xviiie et durant le xixe siècle, une période au cours de laquelle la bête est fondamentalement soumise au pouvoir de Thésée. Peu à peu, si l’on peut dire, le Minotaure reprend du poil de la bête ; c’est le retour de « l’énergie sauvage », que l’on redécouvre dans l’art antique, notamment à Égine. L’œuvre d’Auguste Rodin en témoigne tout spécialement, qui met en scène « la belle et la bête », en quelque sorte, comme le fera aussi Picasso. Il est vrai que l’Antiquité sort de terre, notamment la Crète, comme le rappelle le chapitre 11, consacré à la crétomanie et minotauromanie. Les fouilles de Cnossos semblent faire resurgir l’Antiquité, tandis que les savants, comme Salomon Reinach, s’évertuent à décoder les mythes, dans le prolongement du Rameau d’or de J.G. Frazer. Les surréalistes aussi s’efforcent de capter ce passé vivifiant. Muni de toutes ces strates qui construisent la réception du Minotaure, le lecteur revient à l’œuvre de 1933 pour mieux mesurer la part d’héritage et celle d’innovation, les « inspirations et libertés », comme l’écrit Annick Fenet. Car, contrairement à ce que l’on a découvert à Herculanum, Picasso ne donne pas à voir un Minotaure vaincu, mais une jeune femme abandonnée, qu’observe un Minotaure bien vivant, dans un renversement des rôles tout à fait étonnant. C’est que Picasso a fusionné deux mythes, deux images : celle du Minotaure d’une part, celle de Dionysos découvrant Arianne endormie d’autre part. En définitive, cette belle étude éclaire à la fois l’histoire du mythe du Minotaure, dans la longue durée de l’Antiquité à nos jours, et l’histoire d’une œuvre, d’un artiste, du contexte dans lequel il créa ce tableau exposé à Dijon. Très bien documenté, joliment écrit et construit, le petit ouvrage savant et élégant d’Annick Fenet se lit avec beaucoup de plaisir et d’intérêt.

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Pour citer cet article

Référence papier

Corinne Bonnet, « Annick Fenet, Le Minotaure de Picasso au musée de Dijon. Archéologie d’une œuvre »Anabases, 36 | 2022, 328-329.

Référence électronique

Corinne Bonnet, « Annick Fenet, Le Minotaure de Picasso au musée de Dijon. Archéologie d’une œuvre »Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2022, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/15083 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.15083

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