Cyril Courrier et Julio Cesar Magalhães de Oliveira, Ancient History from Below. Subaltern Experiences and Actions in Context
Cyril Courrier et Julio Cesar Magalhães de Oliveira, Ancient History from Below. Subaltern Experiences and Actions in Context, Oxon et New York, Routledge, 2022, 292 p. / ISBN 9780367424411, £ 120
Texte intégral
1Les thèses de Cyril Courrier et Julio Cesar Magalhães de Oliveira, publiées en 2012 et en 2014, ont constitué un tournant dans l’histoire de la plèbe romaine. Ils rompent en effet avec l’idée d’une plèbe apolitique, manipulée ou achetée par les élites, et insistent au contraire sur sa politisation aussi bien à la fin de la République et sous le Principat à Rome (C. Courrier) qu’à la fin de l’Empire en Afrique (J. C. Magalhães de Oliveira). La notion d’agency se situe au cœur de leur approche historique qui se veut avant tout « rooted in the experience of the subordinated, the oppressed and the dispossessed. » (p. 5). Leur collaboration, dans le cadre d’un projet international « Subaltern Groups and Popular Practices in Antiquity », a donné lieu à un colloque à São Paolo en 2018 dont est issue la majeure partie des contributions de cet ouvrage. Celui-ci contribue à son tour à faire progresser le mouvement de réévaluation des cultures populaires antiques en cours depuis deux décennies, à la suite de ce qui a lieu depuis plus longtemps dans d’autres périodes dans la lignée des travaux d’Howard Zinn entre autres. Leur étude se veut aussi un manifeste pour une approche « par le bas » de l’histoire ancienne alors que la nature de nos sources, le contexte d’écriture et l’identité sociale des historiens ont depuis longtemps favorisé une approche top-down. Brent D. Shaw offre dans sa préface un panorama historiographique éclairant les difficultés d’une telle histoire mais aussi ses perspectives et ses enjeux. Pour reprendre les mots de C. Courrier et J. C. Magalhães de Oliveira dans leur introduction, qui répète et complète la préface, « This means breaking with the view of history as a “triumphal procession” to rescue the subordinated and the oppressed (Benjamin’s Unterdrückten) from the eyes of the judgement of the winners. » (p. 2). Une telle histoire constitue, de l’aveu même des auteurs, un engagement militant visant à légitimer « the “voices from below” » qui s’élèvent dans le monde globalisé, toujours fortement inégalitaire, dans lequel nous vivons. Ils conçoivent ainsi leur projet comme une nécessité puisqu’ils affirment que « a really democratic, more egalitarian society, cannot be constructed unless all people are heard and better understood. » (p. 3)
2Kostas Vlassopoulos ouvre la première partie (Who is below ?) par de stimulantes considérations méthodologiques. Il rappelle notamment que les sources pour étudier les subaltern communities ne sont pas narratives et favorisent donc une histoire synchronique à la différence des sources sur les élites, ce qui se vérifie d’ailleurs dans plusieurs contributions du volume. Il souligne également le danger d’utiliser des concepts anachroniques pour définir l’objet d’étude d’une histoire par le bas et l’importance d’une réflexion sur les langages du social à la suite du linguistic turn et du cultural turn. C. Courrier et Nicolas Tran illustrent ensuite la difficulté à déterminer Who is below en prenant le cas des inscriptions de Gaule narbonnaise. Ils insistent sur le nécessaire pas de côté pour saisir la complexité sociale au sein des subaltern communities et l’utilisation d’un langage façonné par les dominants, mais leur étude montre aussi la difficulté à capter ces groupes sociaux à travers la documentation épigraphique.
3Dans la seconde partie (Experiences of poverty, dependency and work), Claire Taylor explore tout d’abord « three aspects of poverty – precarity, dependency and vulnerability – as features of ancient life that structure social relationships » (p. 81) en prenant le cas de l’esclavage pour dettes dans le monde grec. Cristina Rosillo-López se penche ensuite sur les sans-abris et les bidonvilles romains qui brillent par leur absence aussi bien dans les sources archéologiques qu’épigraphiques et littéraires. Contrainte de prendre des chemins détournés, l’autrice fonde son analyse sur ce que l’on sait du marché immobilier romain pour délimiter le groupe des sans-abris et imaginer leurs conditions de vie. Kim Bowes clôture cette partie en étudiant l’agriculture romaine par le bas ce qui lui permet de contester la conception binaire largement répandue divisant le monde agricole entre grands domaines voués au commerce et petits propriétaires autarciques. L’analyse des données archéologiques et une relecture des traités d’agronomie montrent que les différences entre les deux n’étaient pas des différences de pratiques, comme le suggère une perspective top-down adoptée par les Anciens et les Modernes, mais d’échelle et de discours.
4La troisième partie (Gender, ethnicity and subalternity) envisage de nouvelles formes de subalternité. Ainsi, Gabriel Zuchtriegel s’intéresse tout d’abord à l’invisibilisation des « other groups such as women, foreigners/non-citizens, and subaltern labourers » (p. 168) dès les débuts de la cité grecque classique. Renata Senna Garraffoni prolonge la question de l’intersectionnalité avec l’étude des subaltern masculinities au début du Principat à partir des graffiti et des tiuli picti sur les murs de Pompéi, une documentation elle-même reléguée comme secondaire pendant longtemps et dont elle montre tout l’intérêt pour ce type d’histoire.
5Dans la dernière partie (Politics from below. Subaltern agency and collective action), Fábio Augusto Morales revient tout d’abord sur le dossier des métèques et des esclaves en examinant leur agency dans l’Athènes classique. Cela le conduit à proposer une intéressante réflexion sur la cité grecque combinant « polis approach » et « slave-society approach ». Alex Gottesman offre ensuite l’une des seules études de cas de l’ouvrage en examinant les émeutes athéniennes de 508-507 et la manière dont les sources les transformèrent en « demos rising up against an occupying force » (p. 218). Si l’enquête dévoile la violence et les tensions entre Athéniens lors de la chute de la tyrannie, curieusement elle néglige d’examiner les participants à ces émeutes – qui pourraient tout à fait être des citoyens aisés – parce qu’Alex Gottesman juge ces questions prématurées. En effet, il faut d’abord, selon lui, déconstruire la manière dont les sources présentent de tels événements. De la sorte, il s’inscrit dans une perspective plus classique à l’instar de la précédente contribution, mais aussi de la suivante, de Fábio Duarte Joly, sur l’agency des esclaves chez Tite-Live. J. C. Magalhães de Oliveira opère enfin un retour réflexif sur ses propres études sur la foule dans l’Antiquité tardive et illustre sa démarche par l’analyse de l’émeute de 354 à Antioche.
6Pedro Paulo A. Funari conclut par un épilogue ce beau volume dont deux choix éditoriaux sont toutefois à déplorer : les notes rassemblées à chaque fin de chapitre et le prix très élevé du livre. Si l’ouvrage fait preuve d’une réelle richesse épistémologique, il est moins convaincant quant aux résultats auxquels pourrait aboutir une approche from below qui se heurte au mur des sources bien connu des antiquisants et souligné par la majorité des contributeurs. Dès lors, même si l’ambition du livre est « methodological and exploratory » (p. 17), les réticences à s’aventurer dans des études de cas concrètes interrogent sur la possibilité à obtenir les renouvellements escomptés. Si K. Bowes offre une réévaluation passionnante du monde agricole romain, et notamment de ses franges les plus modestes, ce n’est pas parce qu’elle se débarrasse de préjugés très répandus pour relire des sources glosées depuis des siècles, mais parce que ce nouveau regard s’appuie sur une documentation archéologique renouvelée depuis une trentaine d’années. D’ailleurs ce nouveau regard favorise l’essor de cette documentation en réorientant l’intérêt des fouilleurs pour les petites fermes. Le but de l’ouvrage est donc aussi de mettre en valeur certaines sources longtemps délaissées.
7Ces reproches ne découlent toutefois que de l’impatience et de l’espoir de voir s’écrire une histoire populaire de l’Antiquité que fait naître la lecture de ce livre. Ceux qui ont enseigné l’histoire ancienne savent combien les étudiants sont frustrés qu’on en sache si peu sur les dominés. Certes les sources ont leur part de responsabilité, mais ce livre montre que leur étude est souhaitable même si les résultats ne peuvent pas être à la hauteur de ce qu’ils sont pour les périodes plus récentes ou pour des sociétés mieux documentées (on s’étonne ainsi de l’absence de contributions sur le Proche-Orient ou l’Égypte). Tout historien de l’Antiquité, et même tout historien, devrait donc s’engager dans cette lecture, ne serait-ce que de l’introduction, pour s’interroger sur sa propre pratique et sur son rapport aux sources.
Pour citer cet article
Référence papier
Clément Bur, « Cyril Courrier et Julio Cesar Magalhães de Oliveira, Ancient History from Below. Subaltern Experiences and Actions in Context », Anabases, 36 | 2022, 326-328.
Référence électronique
Clément Bur, « Cyril Courrier et Julio Cesar Magalhães de Oliveira, Ancient History from Below. Subaltern Experiences and Actions in Context », Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2022, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/15069 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.15069
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