Ellen Adams (éd.), Disability Studies and the Classical Body: the Forgotten Other
Ellen Adams (éd.), Disability Studies and the Classical Body: the Forgotten Other, Londres, Routledge, 2021, 294 p. / ISBN 9780367221959, £ 120
Texte intégral
1Issu d’un colloque de 2018, le recueil d’articles édité par Ellen Adams inaugure une nouvelle collection, celle des Routledge Studies in Ancient Disabilities, qui ambitionne de renouveler l’approche du handicap dans l’Antiquité en faisant dialoguer histoire ancienne, archéologie et philologie. L’intersectionnalité est également au programme : outre le handicap, devront être systématiquement questionnés le statut, le genre, la sexualité, l’origine et les autres expériences vécues par les acteurs. Autre ambition de cette collection naissante : étendre le spectre des infirmités étudiées à des aires géographiques, culturelles et chronologiques plus larges que celles habituellement pratiquées. Ces objectifs étant posés, le défi est-il relevé pour cette première publication ?
2L’introduction d’Ellen Adams pose de solides bases théoriques en resituant la question du handicap ancien dans le paysage historiographique. Elle constate que les études classiques se sont longtemps focalisées sur la représentation des infirmes et sur les métaphores qui pouvaient en découler. Elle plaide pour davantage d’engagement des Classics et des sciences humaines en général dans ce champ. Elle revient ensuite sur l’historiographie anglo-saxonne du handicap antique en rappelant ses grands noms : Robert Garland, Martha Rose ou Christian Laes. Après avoir indiqué que la catégorie moderne de handicap était anachronique pour le monde ancien, elle plaide pour une redéfinition du « normal » et un abandon du « validisme », attitude héritée de l’Antiquité consistant à considérer le corps non infirme comme à la fois normal et idéal. Une vaste bibliographie suit l’introduction (p. 26-36), on y regrette cependant l’absence des spécialistes français de la question (comme Annie Allély ou Caroline Husquin).
3L’ouvrage est divisé en quatre parties thématiques qui comprennent chacune deux ou trois articles, précédés d’une introduction de l’éditrice qui met l’accent sur la complémentarité des articles qui suivent.
4La première partie est consacrée au thème de la narration de l’infirmité par ceux qui la vivent, ces « autres oubliés » dont il est question dans le titre de l’ouvrage. D’abord, l’article de Michael J. Flexer et Brian Hurwitz (auteurs venant des sciences sociales) part de l’adage médical britannique contemporain « One appointment, one problem, one patient » pour remonter à sa source antique en établissant des liens entre cette méthode de soin et des cas tirés des tragédies grecques (qui nous semblent parfois assez éloignés du handicap cependant, pour ce qui concerne Ajax). Le second article de Georgia Petridou compare le récit de victimes de douleurs chroniques anciennes et contemporaines : Aelius Aristide, Emily Dickinson et le lieutenant de police Howard Harris. Elle démontre que le talent des deux premiers pour la narration leur a permis, à des siècles d’intervalle, d’obtenir une véritable écoute de la part de leurs soignants, tandis qu’« Howie », moins à l’aise avec l’exercice, n’est parvenu qu’à entrer en « dissonance » avec son médecin.
5La deuxième partie porte sur la manière dont les Anciens créaient des dispositifs d’aide pour les handicapés, et comment ces dispositifs (prothèses par exemple) sont aujourd’hui présentés dans les musées. Dans le premier article, Jane Draycott étudie les prothèses (au sens contemporain du terme) dans les mondes grec et romain. Elle en recense 102, et les classe en quatre tableaux particulièrement utiles et synthétiques en fonction de leur forme, leur caractère réel ou fictif, le sexe de leur propriétaire si connu (majoritairement des hommes) et leurs matériaux de fabrication remarquablement variés. Elle montre le caractère unique de chacune, malgré la banalité de ces objets dans un monde antique où beaucoup en avaient l’usage, et le regard plus ou moins positif porté dessus selon la nature de la partie qu’elles venaient suppléer. L’article de Sophie Goggins ne traite pas particulièrement de l’Antiquité mais aborde, dans une perspective muséale, la manière dont les prothèses peuvent être exposées dans un musée et reçues par les visiteurs, notamment handicapés. Enfin, Ellen Adams revient dans son article sur les apports de l’audio-description, procédé développé dans les années 1970 pour les personnes atteintes de déficiences visuelles mais aujourd’hui utile à un public plus vaste, notamment pour aborder l’art antique exposé au musée. Elle s’appuie sur les résultats du projet Tiresias, mené dans les galeries du Parthénon au British Museum.
6La troisième partie s’appuie sur des sources matérielles et archéologiques pour éclairer le handicap antique dans le domaine rituel : d’abord dans un sanctuaire romain, puis dans une sépulture grecque. Emma-Jayne Graham travaille sur le sanctuaire de la Fortuna Primigenia, situé à 35 km de Rome, et montre comment la disposition architecturale du bâtiment, fait de terrasses et de larges rampes d’accès, permettait à des personnes infirmes ou mal-voyantes d’accéder à la partie haute. Patricia Baker et Sarah Francis analysent le squelette d’un homme retrouvé dans une nécropole de l’âge de fer au pied de l’Acropole d’Athènes. Son crâne révèle qu’il aurait survécu à un traumatisme physique et qu’il aurait vécu avec une déficience mentale. Enterré avec du matériel plutôt propre aux sépultures d’enfants, il révèle un traitement particulier des handicapés mentaux, assimilés à l’enfance, à l’image d’un rapprochement entrepris par Aristote sur les êtres incomplets, mais également du fait de leur dépendance à l’égard des membres de leur famille.
7La quatrième et dernière partie envisage la réception et la réutilisation des thèmes antiques comme point de communication entre les études classiques et les Disability Studies. Edith Hall analyse d’abord un tableau de Nicolas Poussin, Orion aveugle cherchant le soleil levant (1658). Il met en scène trois figures d’infirmes mythiques qui se soutiennent mutuellement : l’aveugle Orion, le nain Cédalion et le boiteux Héphaïstos. L’autrice met leur représentation en perspective avec les discours antiques concernant ces handicaps. Dans le dernier article du recueil, Helen King retrace la généalogie de plusieurs maux (asthme, endométriose, surdité) pour établir la place particulière que prend, dans chacune, l’Antiquité gréco-romaine. Leur évocation (réelle, reconstruite ou fausse) par Hippocrate ou d’autres auteurs deviennent des repères, qui permettent de se rassurer en contemplant l’étendue historique de la maladie et les malades qui nous ont précédés. Elle travaille ensuite sur une création du xixe siècle, la figure de Nydia, une jeune esclave qui apparait dans le roman d’Edward Bulwer-Lytton, Les derniers jours de Pompéi (1834), par la suite adapté à l’opéra et au cinéma. Cette fausse figure antique a influencé d’autres personnages d’infirmes dans la littérature ultérieure.
8D’une manière générale, l’ouvrage constitue une riche et dense contribution au champ des Disability studies anciennes. L’effort de positionnement d’Ellen Adams au croisement de plusieurs historiographies en fait également un excellent point de départ pour des lecteurs qui découvriraient le champ. Il est cependant regrettable qu’une définition aussi vaste de l’infirmité ait été encouragée, incluant handicap, maladie et folie. Le point fort de l’ouvrage est certainement le dialogue permanent qu’il entretient entre l’Antiquité, sa réception et le présent. Les cas développés montrent comment le monde gréco-romain a pesé sur nos représentations du handicap, mais comment nous projetons sur lui également, de manière active, notre manière contemporaine de le considérer. L’intersectionalisme revendiqué en introduction est pratiqué par plusieurs auteurs, d’autres s’y attardent moins. C’est finalement davantage la diversité des sources mobilisées par les auteurs qui contribue à l’ouverture du recueil : si les textes sont rigoureusement cités et analysés par les auteurs, on apprécie aussi le travail original sur les sources matérielles des deuxième et troisième parties, ainsi que sur les images analysées dans la quatrième.
Pour citer cet article
Référence papier
Hélène Castelli, « Ellen Adams (éd.), Disability Studies and the Classical Body: the Forgotten Other », Anabases, 36 | 2022, 321-323.
Référence électronique
Hélène Castelli, « Ellen Adams (éd.), Disability Studies and the Classical Body: the Forgotten Other », Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2022, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/15037 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.15037
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