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L’atelier de l’histoire : chantiers historiographiques
Atelier « Antiquités numériques » (5)

Projet Archaeoroom : l’apport de la 3D à l’étude mégalithique

Antoine Laurent
p. 312-317

Texte intégral

1Dans cet atelier, nous présentons le projet de thèse Archaeoroom, lauréat du programme ADI de l’Université de Toulouse et de la Région Occitanie, qui a débuté en octobre 2021. Il est encadré par Jean-Denis Durou (MCF, Université Paul Sabatier, UMR 5505 IRIT) et Carole Fritz (DR, CNRS, UMR 5608 TRACES et MSHS-T).

2Face aux besoins d’enregistrement et d’étude exprimés par les acteurs du patrimoine archéologique, la thèse entend contribuer à la réalisation de relevés tridimensionnels les plus fins possibles pour l’analyse et la conservation de ce patrimoine. En s’appuyant sur des outils open-source et de vision 3D, le projet englobe des sites archéologiques variés : des grottes ornées paléolithiques, de l’art néolithique et de l’archéologie du bâti. À partir des résultats de deux autres programmes portant sur le mégalithisme et de cette recherche en cours, l’idée est de proposer un retour d’expérience de la 3D, pour une meilleure compréhension de ces édifices et œuvres allant jusqu’à l’étude de leurs représentations symboliques. Dans les lignes suivantes, nous abordons ces programmes de recherche portant sur le mégalithisme et les statues-menhirs, ainsi que les technologies qu’ils ont adoptées, avant d’en venir aux pistes de recherche développées dans Archaeoroom.

Du territoire néolithique à l’architecture mégalithique

3Le mégalithisme apparait au Néolithique sur la façade atlantique française à partir du début du Ve millénaire avant notre ère. Dans le cadre de l’ANR Monumen1 (dirigé par Vincent Ard, UMR 5608 TRACES, et Vivien Mathé, UMR 7266 LIENSs) le phénomène y est abordé par ses différentes expressions architecturales, tant pour le monde des morts (tumulus, dolmens et pierres gravées) que pour celui des vivants (enceintes fossoyées, grands bâtiments). Depuis 2018, ce sont plus d’une centaine de mégalithes qui ont été numérisés et près d’une cinquantaine de sites fouillés des Pyrénées à la Loire.

4Les outils numériques modifient les méthodes d’investigation des archéologues et ce, à différentes échelles. L’approche des sites s’appréhende notamment par la technologie Lidar (Light Detection And Ranging). Utilisé depuis 2007 en milieu forestier et à des fins archéologiques2, ce laser scanner aéroporté permet d’obtenir un nuage de points géoréférencés. Les points émis du capteur caractérisent à la fois le sol et le sur-sol (construction, végétation, etc.). À l’aide d’outil SIG (système d’information géographique) sont générés des cartes du relief soit en gardant tous les points pour avoir un MNS (modèle numérique de surface), soit en ne conservant que les points classés « sol » pour obtenir un MNT (modèle numérique de terrain).

  • 3 Poirier et al. 2020.

5L’utilisation archéologique du Lidar s’avère intéressante pour de la prospection et de la reconnaissance de site en forêt. La miniaturisation du capteur permet dorénavant d’embarquer le capteur sur un drone. Grâce au plateau technique TIG-3D du laboratoire TRACES, le Lidar a été utilisé pour arpenter un des plus grands tumulus d’Europe, présent sur la commune de Tusson en Charente3. Actuellement boisé, le Gros Dognon mesure 140 mètres de long, 60 mètres au plus large et près de 20 mètres de haut. Un relevé topographique classique aurait demandé un investissement considérable en temps et en moyens humains, là où un vol d’une dizaine de minutes suffit. Efficace pour caractériser un grand monument ou des sites sous le couvert végétal, la précision et la résolution du Lidar aéroporté souvent décimétriques ne permettent pas, en revanche, d’apprécier plus en détails l’architecture mégalithique.

6L’étude du bâti des dolmens s’effectue classiquement avec un relevé pierre à pierre conjugué à des prises de mesures topographiques à l’aide d’une station-totale. Depuis les années 2000, et a fortiori avec le développement des puissances de calcul, deux technologies se développent. La lasergrammétrie permet de numériser un environnement à 360° à partir d’un capteur qui mesure plusieurs millions de distances par seconde. Très utilisée dans des intérieurs et pour les bâtiments, elle s’avère opérante pour les dolmens angevins possédant une grande chambre (plusieurs mètres de longs). La photogrammétrie, plus populaire, est une technique de vision qui reconstruit un mégalithe en 3D à partir de centaines de photographies prises sous différents angles en se basant sur la stéréoscopie. Les deux méthodes, souvent complémentaires, atteignent des précisions de relevé millimétriques. Au-delà du simple renouvellement du plan d’un dolmen, la 3D intègre toutes les étapes de l’étude archéologique : du bâti à la fouille4. Pour l’étude architecturale, les jumeaux numériques sont des supports pour extraire des métriques5, générer des sections, produire des plans phasés, mais aussi pour effectuer des rapprochements virtuels qui permettent de comparer les dolmens. Tous ces éléments factuels peuvent ensuite être pris en compte dans l’interprétation et la lecture symbolique de ces constructions6. Pour les opérations de fouilles dans les chambres dolméniques, la photogrammétrie est utilisée entre chaque passe pour produire des orthophotographies. Elle accélère le nombre de démontages des ossements par jour, et ce, sans perte dans la précision de l’enregistrement des vestiges.

La statue-menhir se cache dans les détails

7Le second programme en lien avec notre travail de thèse est le projet de « La Route des statues-menhirs d’Occitanie7 », qui souhaite mettre en avant l’expression de la statuaire mégalithique. Les 157 stèles anthropomorphes actuellement recensées se situent dans quatre départements (Tarn, Hérault, Aveyron et Gard). Si la statuaire néolithique est présente sur tout le continent européen, cette forte concentration en fait un patrimoine unique. Ces stèles sont gravées ou sculptées dans des blocs pouvant peser plusieurs tonnes et sont réalisées avec plusieurs types de roche. Les tracés sont composés de motifs anatomiques (tête, seins, bras, jambe, épaule) et d’attributs (parures, ceintures, colliers, armes, « l’objet »). Pour ce patrimoine vieux de 5000 ans, les outils 3D deviennent autant un support pour la recherche que pour la valorisation auprès du grand public.

  • 8 Laurent 2020.

8Pour approcher ces figures muettes du Néolithique, il est nécessaire d’adapter les techniques de relevés. Les statues-menhirs entre Tarn et Hérault sont situées pour la plupart in situ en extérieur. La photogrammétrie devient la solution la plus adaptée aux changements de taille, d’accessibilité (sur le bord d’une route ou en forêt, dans une grange ou dans un musée), d’accès à l’électricité8. La flexibilité et la reproductibilité de la méthode résident dans l’utilisation de simples appareils photographiques numériques, de perches, de trépieds et de règles. Près de trois mois de travail ont été nécessaires pour l’acquisition de 20 500 clichés et le traitement de 72 mégalithes. En effet, la 3D fournit une information brute qu’il est ensuite nécessaire d’interpréter afin d’effectuer le relevé des représentations. En effet, la stèle actuelle est l’enregistrement de toutes les actions, humaines ou non, qui ont marqué toute son existence (fig. 1). Les supports générés octroient donc la possibilité d’approcher et d’appréhender les gestes des sculpteurs.

Fig. 1. Relevé de la statue-menhir de Malvielle conservée à Moulin-Mage (Tarn)

Photogrammétrie, SIG et DAO A. Laurent

9Dans le cadre de « La Route des statues-menhirs d’Occitanie », les doubles numériques servent autant d’archive digitale à instant T des stèles, que de support d’analyse, que d’objet de valorisation. Tous les modèles 3D sont accessibles en ligne9 et le seront également via une interface cartographique. Sans enlever l’obligation de préserver et de conserver l’œuvre originale, l’impression 3D ouvre la porte à la création de doubles physiques pouvant être positionnés sur site.

Les pistes de recherche d’Archaeoroom

  • 10 Cassen et Grimaud 2018.

10En 2022, c’est l’acquisition 3D des statues-menhirs de l’Aveyron, principalement conservées en intérieur, qui est programmée, par photogrammétrie mais également avec d’autres techniques. Adossée au projet Archaeoroom, la numérisation des stèles aveyronnaises mettra en confrontation la photogrammétrie, la stéréo-photométrie et le scanner à lumière structurée. L’objectif est d’obtenir les relevés les plus fins possibles afin d’établir la chronologie des tracés10, en sachant que chacune de ces techniques apporte des avantages mais présente aussi des inconvénients.

11Les résultats issus des scanners à main basés sur la lumière structurée possèdent une métrique, une résolution et une erreur définies par le constructeur autour du dixième de millimètre. Ils serviront donc de vérité de terrain pour la géométrie et seront à comparer avec les autres méthodes. La photogrammétrie s’appuie sur une reconstruction géométrique ; ainsi la résolution spatiale du nuage de points ou du maillage détermine la lisibilité des détails. Le rendu de la texture photo-réaliste est limitée par l’éclairage lors de l’acquisition. La troisième technique fonctionne sur la mesure de la lumière en un point de l’objet. À l’aide de plusieurs éclairages d’une scène du même point de vue, la stéréo-photométrie sépare l’albédo de l’ombrage et produit une carte des normales (orientation spatiale de chaque pixel) et une carte de profondeur. Ces données permettent un ré-éclairage fin et seulement limité par la résolution du pixel en entrée. Cette technique est contrainte à un point de vue et impose un protocole de prise de vue strict. Elle peut se rapprocher de la RTI11 (Reflectance Transformation Imaging), à ceci près qu’elle demande une calibration des éclairages et de l’appareil photographique ainsi qu’une série de calculs supplémentaires12.

12Le projet Archaeoroom entend tirer parti des travaux engagés au sein de l’équipe REVA de l’IRIT13 et du Lab-Com Alicia-Vision14 depuis plusieurs années, afin de proposer des protocoles d’acquisition et des suites de traitement adaptés à l’archéologie. C’est une finalité concrète essentielle dans notre travail. Pour cela tous les développements intègreront le logiciel open-source Meshroom15.

13Les outils 3D sont de formidables outils pour l’analyse et l’archivage numérique des mégalithes. Les dolmens par leur stature et leur âge nous impressionnent, et cependant ils ne sont que les vestiges d’une architecture plus complexe encore. La fragilité du patrimoine mégalithique est plus facilement perceptible avec les statues-menhirs. Découvertes en majorité au xxe siècle et de nouveau exposées aux intempéries, celles-ci ont perdu une partie de leur tracé en quelques générations seulement. Si ce sont bien aux citoyens de devenir des acteurs et non des consommateurs du patrimoine, il n’en reste pas moins vrai que les jumeaux numériques sont des témoins utiles à la conservation dans le temps de ces œuvres et édifices.

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Bibliographie

Cassens et Grimaud 2018: Serge Cassen et Valentin Grimaud, « Aux dimensions de l’image dans l’étude des représentations gravées néolithiques », in Archéologie: imagerie numérique et 3D, Séminaire scientifique et technique de l’Inrap 3, 2018, en ligne, DOI: 10.34692/r27k-k629.

Georges-Leroy et alii 2011: Murielle Georges-Leroy, Jérôme Bock, Étienne Dambrine  et Jean-Luc Dupouey , « Apport du lidar à la connaissance de l’histoire de l’occupation du sol en forêt de Haye », ArcheoSciences 35 (2011), 117-129.

Griwodz et alii 2021: Carsten Griwodz, Simone Gasparini, Lilian Calvet, Pierre Gurdjos, Fabien Castan, Benoît Maujean, Yann Lanthony et Gregoire de Lillo, « AliceVision Meshroom: An open-source 3D reconstruction pipeline », in MMSys’21: Proceedings of the 12th ACM Multimedia Systems Conference, New-York, ACM, 2021, 241-247.

Laurent 2020: Antoine Laurent, Acquisition 3D des statues-menhirs du PETR des Hautes Terres d’Oc [Rapport Technique], Toulouse, Service Régional de l’Archéologie Midi-Pyrénées et UMR Traces, 2020.

Laurent et Baleux 2020: Antoine Laurent et François Baleux, « La 3D au service de l’étude des mégalithes », numéro « Dolmen & Tumulus », Le Picton 263 (2020), 50-51.

Mélou 2020: Jean Mélou, Fusion d’approches photométriques et géométriques pour la création de modèles 3D, thèse de doctorat, Toulouse, EDMITT, 2020.

Mens et alii 2021: Emmanuel Mens, Vincent Ard, Didier Poncet, Gwenolé Kerdivel, Francis Bichot, Pablo Marticorena, Antoine Laurent, Valérie-Emma Leroux et François Baleux, « Systèmes techniques et productions symboliques du mégalithisme funéraire de la façade atlantique entre Bretagne et Pays basque », in Vincent Ard, Emmanuel Mens et Muriel Gandelin (éd.), Mégalithismes et monumentalismes funéraires. Passé, présent, futur, Leyde, Sidestone Press, 2021, 79-132.

Poirier et alii 2020: Nicolas Poirier, Carine Calastrenc et Antoine Laurent, « Le LiDaR pour cartographier les plus grands tumulus d’Europe », numéro « Dolmen & Tumulus », Le Picton 263 (2020), 41.

Quéau 2015: Yvain Quéau, Reconstruction tridimensionnelle par stéréophotométrie, thèse de doctorat, Toulouse, INP, 2015.

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Notes

1 ¹ http://monumen.huma-num.fr/, consulté le 06/06/2022.

2 ² https://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/archeosciences/3015, Georges-Leroy et al. 2011.

3 Poirier et al. 2020.

4 Laurent et Baleux 2020.

5 https://www.meganeo.fr/numerisation-des-dolmens-angevins-qui-a-la-plus-grosse/, consulté le 06/06/2022.

6 Mens et al. 2021.

7 http://www.statues-menhirs-occitanie.com/, lancement prévu le 18/06/2022.

8 Laurent 2020.

9 https://sketchfab.com/archeomatique/collections/statue-menhir, consulté le 06/06/2022.

10 Cassen et Grimaud 2018.

11 https://culturalheritageimaging.org/Technologies/RTI/ , consulté le 06/06/2022.

12 Quéau 2015.

13 Mélou 2020.

14 https://alicevision.org/labcom-alicia/, consulté le 06/06/2022.

15 Griwodz et al. 2021.

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Pour citer cet article

Référence papier

Antoine Laurent, « Projet Archaeoroom : l’apport de la 3D à l’étude mégalithique »Anabases, 36 | 2022, 312-317.

Référence électronique

Antoine Laurent, « Projet Archaeoroom : l’apport de la 3D à l’étude mégalithique »Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2024, consulté le 15 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/15027 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.15027

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Auteur

Antoine Laurent

UMR 5505 IRIT (REVA) et UMR 5608 TRACES (PSH)
Université de Toulouse 2 Jean Jaurès
5 allée A. Machado
31058 Toulouse cedex 9
antoine.laurent@univ-tlse2.fr

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Droits d’auteur

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