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Archéologie des savoirs

Pourquoi étudier la réception des vestiges architecturaux antiques au fil des siècles ? Réflexions autour du mausolée d’Igel et de la voie Bavay-Tongres

Olivier Latteur
p. 187-208

Résumés

Cet article s’attache à démontrer l’intérêt et la pertinence des études menées sur la réception des « monuments » (vestiges architecturaux) romains ayant subsisté jusqu’à nos jours. Cet objet de recherche se situe en effet à la croisée de différentes époques et de différentes disciplines et ne s’intègre pas toujours bien dans les cadres traditionnels de la recherche universitaire. Cette contribution entend illustrer la fécondité d’une telle approche et revenir sur ses enjeux, au travers de deux cas d’étude issus des Pays-Bas méridionaux : le mausolée d’Igel et la voie Bavay-Tongres. L’étude de ces deux « monuments » permet de mettre en lumière l’intérêt tant archéologique, qu’historique et patrimonial d’une recherche menée en ce sens.

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Notes de l’auteur

Le contenu développé dans cet article est partiellement issu de notre thèse de doctorat (inédite), défendue à l’UNamur et l’UCLouvain (Belgique), le 17 novembre 2021. Voir notamment : Latteur 2021, p. 199-219, 245-274, 355-361, 486-502

Texte intégral

  • 1 Au sujet de cette approche, voir : Payen 2009, 9-23.

1Si l’intérêt porté à la réception de l’Antiquité au cours des périodes ultérieures s’est considérablement développé au fil des dernières décennies1, ce domaine d’étude peine parfois encore à trouver sa place au sein des cadres « traditionnels » et fortement périodisés de la recherche scientifique. Ce constat est particulièrement prégnant en ce qui concerne la question de la survivance et de la réception des vestiges « monumentaux » ou architecturaux : les investigations menées sur ces vestiges s’inscrivent-elles dans le cadre de recherches sur l’Antiquité ou sur la période de production des témoignages qui s’y rapportent ? Et quels sont finalement l’intérêt et les enjeux d’une telle approche ? Cette contribution entend fournir quelques éléments de réponse à ces questions en démontrant sa pertinence et sa fécondité.

Fig. 1. Le mausolée d’Igel aujourd’hui

Photographie de l’auteur (2017)

  • 2 Sur le mausolée d’Igel, voir notamment : France, Kuhnen et Richard 2001, 5-13 ; Dragendorff et Kr (...)
  • 3 Sur la voie Bavay-Tongres, voir notamment : Bavay et Mercx 2009 ; Merckx et Collin 2002, 64-71 ; (...)
  • 4 Sur la réception du mausolée d’Igel : Mersch 1985 ; Dragendorff et Krüger 1924, 6-27 ; Ternes 198 (...)

2L’exposé développé s’articule autour de deux exemples de vestiges romains issus du nord de l’empire : d’une part, le mausolée ou « colonne » d’Igel (fig. 1), monument funéraire de 23 mètres de haut érigé au iiie siècle et situé dans la cité des Trévires2, et, d’autre part, la voie antique (fig. 2) reliant Bavay (Bagacum Nerviorum) à Tongres (Atuatuca Tungrorum) datée du milieu du ier siècle3. Tous deux subsistent jusqu’à nos jours et, depuis la période médiévale, ils n’ont jamais cessé d’intriguer les populations environnantes. S’ils sont peu ou pas mentionnés dans les sources antiques, ils ont par contre suscité bon nombre de témoignages au cours des périodes ultérieures (travaux savants, récits de voyage, cartes et plans, dessins et gra­vures…) et leur réception est donc fort bien documentée4.

Fig. 2. La voie Bavay-Tongres passant près du tumulus d’Hottomont (Ramillies)

Photographie de l’auteur (2015)

  • 5 En France, ce sont ainsi surtout les villes du Midi (en particulier Nîmes et, dans une moindre me (...)
  • 6 Ce caractère « représentatif » exclut bien évidemment les vestiges urbains. Il conviendrait égale (...)
  • 7 Tout au long de l’époque moderne, la localité d’Igel, qui abritait le mausolée des Secundini, fit (...)
  • 8 Ortelius et Vivianus 1584, 11-12, 52-56 ; Heylen 1783, 429, 439-440, 480-481.

3Il s’agit bien évidemment de deux « monuments » très différents l’un de l’autre : le mausolée, doté d’une forte valeur esthétique, fut érigé pour être vu et admiré afin de commémorer le prestige de la famille ayant ordonné sa construction (les Secundini), tandis que la voie Bavay-Tongres a été conçue à des fins purement utilitaires. L’hétérogénéité de cet ensemble est assumée et résulte d’une volonté d’explorer deux cas d’étude dont la destinée fut fort différente, tout en mettant l’accent sur la réception de vestiges visibles en milieu rural, nettement moins étudiés que ceux qui s’inscrivent dans un tissu urbain5. Ces deux « monuments » antiques constituent, en réalité, des exemples assez représentatifs des vestiges ayant subsisté dans le nord de l’empire romain6. En outre, si leur nature diffère, leur histoire est en grande partie commune. Tous deux ont en effet longtemps pris place au sein d’un même espace : du milieu du xve siècle à la fin du xviiie siècle, soit pendant plus de trois siècles et demi, ils ont été considérés comme les vestiges romains les plus emblématiques des anciens Pays-Bas bourguignons, espagnols puis autrichiens7. Pendant la majeure partie de leur histoire documentée par des sources, ils ont donc été perçus, décrits et réutilisés dans un contexte politique et culturel commun, parfois par les mêmes témoins, à l’instar du célèbre cartographe et antiquaire Abraham Ortelius (1527-1598) ou de l’érudit Pierre-Joseph Heylen (1737-1793)8. Cette longue histoire partagée permet légitimement de les étudier conjointement.

4L’étude de la réception de ces monuments au fil des siècles ouvre de nombreuses perspectives, en particulier celles d’une étude affinée de la présence romaine dans une région, d’une meilleure appréhension de l’époque qui « reçoit » ces reliquats de l’Antiquité classique et, de manière sans doute plus novatrice, d’une meilleure compréhension du long processus de constitution de notre patrimoine.

Mieux comprendre la période antique

  • 9 Greenhalgh 2015, 4-11, 39-128, 235-244. Voir également : Choay 1992, 72-73.
  • 10 Cette dernière question est notamment évoquée par Frédérique Lemerle, dans le cadre plus général (...)

5Depuis le xixe siècle au moins, des chercheurs ont collecté les témoignages d’auteurs qui signalaient des vestiges antiques ayant disparu à leur époque. Cette approche a fourni et fournit encore de nombreux résultats qui permettent de mieux comprendre la présence romaine dans une région, en prenant en compte les dégâts et les destructions dus à l’usure du temps et à l’activité humaine. Ceux-ci ont été particulièrement nombreux, en particulier au cours des xviiie et xixe siècles, comme l’a récemment démontré Michael Greenhalgh à propos de l’espace français9. Dans ce contexte, les sources produites du Moyen Âge au début du xxe siècle fournissent de précieuses informations sur des édifices ou des structures irrémédiablement détruits ou sur des inscriptions devenues illisibles. Les corpus de sources, en particulier épigraphiques, établis à partir du xixe siècle se sont d’ailleurs considérablement nourris de ces données. Elles peuvent également s’avérer utiles dans le cadre de projets de restauration, tout en posant la question de savoir quel est l’état du monument que l’on souhaite présenter au visiteur10.

  • 11 La copie figurant dans le CIL (CIL XIII 4206) date de 1904 et est presque contemporaine de celle (...)
  • 12 France 2001, 46-51.

6Le mausolée d’Igel et la voie Bavay-Tongres, du fait de leur histoire particulière qui sera évoquée plus loin, subsistent aujourd’hui dans un relativement bon état de conservation. Cela rend bien évidemment cette approche moins fructueuse que dans le cas de vestiges démolis ou, au contraire, massivement restaurés. Néanmoins, la consultation de ces témoignages permet d’éclairer utilement plusieurs points de détail et d’affiner les analyses récentes. Les bas-reliefs et l’inscription funéraire figurant sur le monument d’Igel, fortement endommagés par la corrosion, sont ainsi principalement connus, à l’heure actuelle, grâce aux copies effectuées à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle, et particulièrement grâce aux photographies réalisées à cette époque (1879 et 1907/1908)11. Il peut parfois même s’avérer utile de remonter plus loin dans le temps : la restitution de certaines lettres de l’inscription est en effet facilitée par la copie d’excellente qualité qu’en a réalisée, au milieu du xviie siècle, l’antiquaire jésuite Alexandre Wiltheim (1604-1684)12.

  • 13 Merckx et Collin 2002, 66.
  • 14 La carte de Ferraris a été intégralement numérisée et est disponible gratuitement en ligne sur le (...)
  • 15 Mersch 1985 ; Muller 1982, 380-382. 
  • 16 Massart 1994, 15 ; Godart et Feltz 2009, 50.

7En ce qui concerne la voie romaine, son tracé est, aujourd’hui encore, très bien connu et conservé, même si plusieurs de ses tronçons sont peu entretenus ou ont été, au contraire, macadamisés. Quelques sections de la voie ont cependant été détruites, au xixe siècle, lors du creusement de canaux et de l’établissement du réseau ferroviaire13 : son itinéraire complet peut néanmoins être observé par le biais de cartes établies au fil des siècles précédents dont celle de Ferraris (1770-1778) constitue le meilleur exemple14. Les représentations iconographiques, qu’il s’agisse de cartes et de plans ou de vues, peuvent également permettre de mieux cerner l’environnement des vestiges étudiés, à une époque où le paysage avait moins subi les conséquences de l’activité humaine. Cette démarche pose bien évidemment des problèmes critiques, comme en témoignent les représentations parfois fantaisistes de l’environnement immédiat du mausolée d’Igel tel qu’il est présenté sur les gravures d’époque15, mais elle peut toutefois s’avérer profitable : les cartes anciennes donnent par exemple à voir un certain nombre de tumuli, aujourd’hui détruits ou endommagés, mais qui étaient autrefois situés à proximité de la voie Bavay-Tongres et indéniablement liés à sa présence dans la région16.

Mieux comprendre la période « recevant » les vestiges antiques

  • 17 Payen 2009, 15-16 ; Enenkel et Ottenheym 2019 a, 1-14.
  • 18 Sur cette question, voir notamment : Schnapp 1998 ; Sweet 2004 ; Stenhouse 2013, 295-316 ; Miller(...)

8Outre une meilleure compréhension de la présence romaine dans un espace donné, la mobilisation de sources médiévales et modernes, ou même postérieures, permet bien évidemment aussi de mieux cerner la période « recevant » l’héritage de l’Antiquité. Les recherches menées en ce sens, notamment sur la figure des antiquaires, ces érudits passionnés par l’étude des reliquats matériels de l’Antiquité, ont conduit à une meilleure compréhension du rapport que les sociétés entretenaient avec leur passé17, ainsi qu’à la construction progressive de savoirs à propos des vestiges antiques18.

  • 19 Les recherches portant sur les travaux des antiquaires se sont considérablement multipliées ces d (...)
  • 20 Dragendorff et Krüger 1924, 6-8 ; von Hesberg 2008, 140-412 ; Mersch 1985, 49.
  • 21 Ortelius et Vivianus 1584, 52-56 ; Meganck 2017, 54-61 ; Dragendorff et Krüger 1924, 10-11 ; Mers (...)
  • 22 Wiltheim 1842, 202-222 ; Dragendorff et Krüger 1924, 20-24 ; Mersch 1985, 109-135 ; France 2001, (...)
  • 23 Dragendorff et Krüger 1924.

9L’étude de la réception des monuments antiques ouvre de larges perspectives dans le domaine de l’histoire intellectuelle. À partir du xvie siècle, en ce qui concerne les Pays-Bas méridionaux, les vestiges romains commencent à être étudiés sous un nouveau jour : guidés par une approche plus empirique que leurs prédécesseurs, certains érudits de cette période développent une méthode reposant sur l’observation directe des traces matérielle du passé, sur leur mise en série et sur leur confrontation systématique avec les sources littéraires19. L’émergence de cette nouvelle méthode d’analyse est parfaitement perceptible dans les cas du mausolée d’Igel et de la voie Bavay-Tongres. Au Moyen Âge, leurs origines suscitent déjà des interrogations qui conduisent à la formulation de premières hypothèses, mêlant données historiques, volonté d’affirmer le prestige des origines de sa région et, parfois, éléments surnaturels. Le mausolée d’Igel est ainsi considéré, au xive siècle, comme une colonne commémorant le mariage de l’empereur Constance Chlore avec l’impératrice Hélène20 : cette interprétation repose bien évidemment sur une volonté d’accroître le prestige du monument et par extension celui de toute la région, en le rattachant à une figure très importante de l’histoire du christianisme (sainte Hélène), mais aussi sur un bas-relief du mausolée présentant des époux et sur la présence, historiquement avérée, de Constance Chlore à Trèves. Elle ne relève cependant pas encore d’une observation fine du monument, dont ni l’inscription, ni les bas-reliefs ne font la moindre allusion à ces figures prestigieuses, ni même à la fonction impériale. Les cadres interprétatifs développés à partir du xvie siècle permettent une analyse plus rigoureuse : c’est en effet le cartographe et antiquaire Abraham Ortelius qui, à l’occasion d’un voyage mené en 1575, prend le temps de se rendre à Igel, de mesurer et d’y étudier sur place la « colonne » qu’il qualifie, non sans admiration, de « plus beau monument romain de ce côté des Alpes ». L’analyse de l’inscription et des principaux bas-reliefs lui permet de comprendre qu’il s’agit en réalité d’un mausolée familial lié à la famille des Secundini21. Sa conclusion est confirmée par plusieurs érudits postérieurs, dont Alexandre Wiltheim (1604-1684), qui livre probablement l’interprétation la plus complète du monument22 jusqu’à celle de Hans Dragendorf (1870-1941) et Emil Krüger (1869-1954) au début du xxe siècle23 : ces différents travaux fondateurs tentent de dater le monument et de déterminer le secteur d’activité de la famille commémorée.

  • 24 Latteur 2015, 231-235.
  • 25 Latteur 2015, 228.

10La voie Bavay-Tongres constitue également très tôt un sujet d’étonnement pour plusieurs auteurs médiévaux et modernes, qui l’associent tantôt au Diable et à la magie, tantôt à la figure de la reine Brunehaut ou à celle d’un roi homonyme rattaché à un mythique passé gallo-troyen24. C’est aussi dans la seconde moitié du xvie siècle que ces traditions locales sont battues en brèche par des observations de terrain. Lodovico Guicciardini (1521-1589), florentin installé à Anvers et neveu du célèbre historien Francesco Guicciardini (1483-1540), est l’un des premiers à livrer une description de la route et à conclure à son origine romaine (1567). Comme celle d’Ortelius à propos du monument d’Igel, l’analyse de Guicciardini constitue un tournant dans l’approche de ce vestige et sera souvent citée par les auteurs postérieurs qui défendront le même point de vue. Comme Ortelius également, Guicciardini ne cache pas son admiration pour la voie qu’il décrit comme « miraculeuse » en raison de son caractère rectiligne. Les érudits des siècles suivants confirment son intuition, en couplant leurs observations à la consultation des itinéraires antiques : le caractère romain de la voie et son itinéraire, que Guicciardini supposait dans un premier temps relier Tongres à Paris, s’imposent progressivement, à mesure que se développent leurs recherches25.

  • 26 Meganck 2017, 20-35 ; Schmidt-Ott 1998, 370-377.
  • 27 Muller 1984, 206 ; Latteur 2017/2018.

11Étudier les vestiges antiques en suivant cette approche conduit aussi à aborder la période qui les « reçoit » sous l’angle de l’histoire sociale : les savoirs ne se construisent en effet que rarement de manière isolée et les érudits travaillent souvent avec l’aide de leurs réseaux respectifs. L’étude des citations qui figurent dans leurs travaux et de leur correspondance permet souvent de mieux comprendre non seulement leur méthode de travail, mais aussi le milieu dans lequel ils évoluent. Le voyage à l’occasion duquel Abraham Ortelius étudie le mausolée d’Igel (1575) est aussi l’occasion de rencontrer ou de renouer des contacts avec de nombreux érudits des régions traversées26. Le jésuite Alexandre Wiltheim en constitue également un bon exemple puisque le manuscrit présentant le fruit de ses recherches et sa correspondance livrent un aperçu assez intéressant de son environnement intellectuel et social. Issu d’une famille luxembourgeoise aisée et récemment anoblie, il bénéficie d’un cadre familial particulièrement propice au développement de recherches « antiquaires », plusieurs membres de son entourage proche (grand-père, père, frères, beau-frère…) s’intéressant de près à l’histoire ancienne de leur région et disposant de ressources documentaires à ce sujet (collections d’antiquités, bibliothèque). Outre ce réseau familial, Alexandre Wiltheim peut profiter de l’expertise de certains membres de la Compagnie de Jésus avec lesquels il correspond régulièrement, la plupart d’entre eux menant des recherches hagiographiques de concert avec les Bollandistes de Bruxelles. C’est ainsi que le jésuite Jacques Vignier (1603-1669) lui envoie, de Langres, la copie d’une inscription découverte à Nîmes qui mentionne un « Secundinus », en indiquant espérer qu’elle aiderait son confrère dans son interprétation du mausolée des Secundini à Igel27.

  • 28 Sweet 2004, 172.
  • 29 Lorent 1769 ; Dragendorff et Krüger 1924, 25 ; Mersch 1985, 168-179.
  • 30 Dragendorff et Krüger 1924, 8-9.
  • 31 Loutsch 2008, 269-283 ; Binsfeld 2017, 99-108.

12S’attacher à analyser la perception des vestiges architecturaux au fil des siècles permet également d’interpréter plus finement les objectifs, les attentes et les présupposés des auteurs étudiés. De nombreux écrivains, et notamment les antiquaires modernes, sont mus par un fort attachement à leur lieu de naissance (ou amor loci natalis, pour reprendre les termes de Roey Sweet28) qui les conduit à mener une véritable « quête des origines » de leur région ou de leur communauté. Les ruines antiques ont été de plus en plus mobilisées dans cette perspective : le recours à la seule tradition est désormais estimé insuffisant et un passé non attesté par des vestiges matériels est peu à peu jugé trop incertain pour être crédible. Ce phénomène de mobilisation des monuments antiques pour construire un discours historique et identitaire est bien attesté dans diverses régions d’Europe, dont les Pays-Bas méridionaux où le monument d’Igel est étudié en ce sens par certains auteurs. C’est ainsi qu’au xviiie siècle, soit bien après les interprétations en grande partie correctes d’Abraham Ortelius et d’Alexandre Wiltheim, Théodore Lorent (premier quart du xviiie siècle – 1785/1786) s’efforce de démontrer que leurs thèses sont fausses et que le mausolée n’en est pas un : il s’agirait en fait d’un monument commémorant la naissance de Caligula, le surnom de l’empereur étant supposément à l’origine du nom d’Igel29 ! Cette interprétation, qui remet au goût du jour une théorie plus ancienne mais très peu diffusée jusqu’alors30, ne repose sur aucun autre élément que cette approche « étymologique » et elle est rapidement critiquée par plusieurs auteurs contemporains. Elle constitue néanmoins un exemple éclairant de cet attachement à la « patrie », pour reprendre un terme souvent utilisé à l’époque31 , qui caractérise bon nombre de recherches de cette période : ce sentiment conduit en effet certains auteurs à vouloir associer à tout prix le passé leur région à de grandes figures historiques.

  • 32 Schnapp 2020.
  • 33 Godart et Feltz 2009, 39, 47-50, 270 ; Latteur 2015, 229-231 ; Gochel, Schmitz et Ozer 2004, 67-6 (...)
  • 34 Différents travaux collectifs ont été menés, ces dernières années, sur les liens entre vestiges a (...)
  • 35 Pour les cas britanniques et grecs fort bien étudiés dans cette perspective, voir notam­ment : Ho (...)
  • 36 Ortelius et Vivianus 1584, 52.
  • 37 Mersch 1985, 50 ; Muller 1982, 380-382. 
  • 38 Wouk 2012, 53-54 ; Mersch 1985, 79-81.
  • 39 Bochius 1602, 56.
  • 40 Braun et Hogenberg 1598, gravure non paginée. Voir également : Mersch 1985, 90-92.

13Les vestiges architecturaux ont également la particularité de se présenter directement à la vue de l’observateur et d’être aisément accessibles au-delà des seuls milieux érudits, contrairement, par exemple, à une collection de monnaies ou de sculptures antiques. L’étude de leur réception dépasse donc très largement le cadre de la seule histoire intellectuelle : l’accessibilité des vestiges et le fait qu’ils évoluent en contact direct avec les communautés qui les entourent permet notamment de les étudier sous l’angle de leur impact culturel et paysager32. Leur apparence inhabituelle les rendait en effet particuliers aux yeux de tous les observateurs, quel que soit leur niveau de formation, et c’est la raison pour laquelle ils ont fait l’objet d’usages et de réinterprétations très divers. En raison de sa surélévation et de son caractère rectiligne, la voie Bavay-Tongres s’est par exemple imposée, dès le Moyen Âge, comme un important marqueur paysager, en particulier en Hesbaye, une région faiblement boisée et peu marquée par des variations de relief33. Le cas du mausolée d’Igel est quelque peu différent mais tout aussi significatif : isolé dans un petit village aux confins du duché de Luxembourg, il n’a évidemment pas été investi de la même fonction paysagère que la voie Bavay-Tongres, mais une forte valeur symbolique lui a été conférée. Comme l’ont remarquablement démontré plusieurs études récentes, les vestiges antiques, en particulier monumentaux, ont parfois joué un rôle important dans le processus de construction des identités locales34 et, plus tardivement, dans celui des identités nationales35. C’est dans ce contexte que la « colonne » d’Igel s’impose peu à peu comme l’un des monuments emblématiques du duché de Luxembourg, symbole de son ancienneté et de son prestige. Dans leur Itinerarium (1584), qui a beaucoup circulé, Ortelius et Vivianus le qualifient de « plus beau monument romain de ce côté des Alpes »36, ce qui lui vaudra l’attention de nombreux érudits et auteurs de guides de voyage, dont plusieurs décident d’ajouter à leurs travaux des gravures présentant le mausolée : certaines d’entre elles en proposent une vue pittoresque, ajoutant toutes sortes de petits personnages autour du monument et présentant un environnement volontairement bucolique37. La « colonne » d’Igel et son caractère esthétique servent également, bien que dans une moindre mesure, de source d’inspiration pour certains artistes : des copies de plusieurs bas-reliefs figurant sur le monument sont réalisées à cet effet par l’artiste liégeois Lambert Lombard (1505/1506-1566) dès 155738. Elle figure parmi les éléments marquants relatifs au duché de Luxembourg dans un panégyrique composé par le célèbre poète néo-latin Joannes Bochius (1555-1609) et dédié aux archiducs Albert et Isabelle, qui règnent alors sur les Pays-Bas méridionaux39. Le mausolée apparaît également dans le cinquième volume des Civitates orbis terrarum (1598) de Georg Braun (1542-1622) : aux côtés d’une vue de la ville de Luxembourg figure une présentation du château du comte Pierre-Ernest de Mansfeld, dans lequel étaient exposées de nombreuses antiquités luxembourgeoises, ainsi que le mausolée d’Igel qui occupe un tiers de l’image (fig. 3)40. La « colonne » est donc présentée, dans cet ouvrage très largement diffusé et traduit, comme l’un des monuments symbolisant la région et témoignant le mieux de ses origines. La présence du mausolée dans des productions aussi différentes les unes des autres témoigne bien de son prestige, de sa renommée et de son importance sur le plan culturel.

Fig. 3. Le mausolée d’Igel figurant sur une gravure du Civitates orbis terrarum (1598). Braun et Hogenberg 1598, gravure non paginée

Numérisation et mise en ligne : Münchener DigitalisierungsZentrum (MDZ) [Bayerischen Staatsbibliothek)], https://daten.digitale-sammlungen.de/​bsb00054409/​image_1 (consulté le 27/01/2021)

  • 41 Sweet 2004, 277-306 ; Hingley 2012, 51-65 ; Griffiths 2003, 89-105 ; Smiles 1994.
  • 42 Brulet 2009, 244.
  • 43 Choay 1992, 9-12.
  • 44 « Séjour des proconsuls, Bavai d’une part, /Voit sept chemins fameux sortir de son rempart. / Ce (...)

14Dans certains cas, cet impact culturel et paysager se confond pleinement : le célèbre Mur d’Hadrien en constitue un exemple intéressant, marquant physiquement le paysage de son empreinte tout en étant perçu comme une délimitation symbolique distinguant, jusqu’aux xviie et xviiie siècles, l’Angleterre de l’Écosse41. La voie Bavay-Tongres a également été investie de cette fonction de délimitation, tant concrète que symbolique, mais dans un contexte fort différent. Au cours de la seconde moitié du xixe siècle et de la première moitié du xxe siècle, plusieurs historiens s’interrogent sur l’origine de la frontière linguistique belge, distinguant populations francophones et néerlandophones. Certains d’entre eux, dont les éminents Alphonse Wauters (1817-1898), Léon Vanderkindere (1842-1906) et Godefroid Kurth (1847-1916), avancent l’idée que son tracé se serait calqué sur celui de la chaussée romaine. Selon cette théorie, un véritable Limes Belgicus aurait été établi le long de l’axe routier et expliquerait la division de cette région en deux espaces linguistiques distincts. Si des fortifications d’ampleur limitée ont bien été édifiées sur certains sites, l’existence du Limes Belgicus et son impact supposé sur l’établissement de la frontière linguistique originelle ont été définitivement réfutés au cours de la seconde moitié du xxe siècle42. Cette hypothèse illustre néanmoins parfaitement le fort impact paysager, culturel et symbolique de la voie jusqu’à une époque relativement récente. Le développement du nationalisme, la diffusion du romantisme et la mise en place d’une politique patrimoniale se conjuguent bien souvent, aux xixe et xxe siècles, pour accentuer l’impact des vestiges anciens43 . On peut notamment signaler, à titre d’exemple, l’emphase mise sur la beauté, la solidité et l’utilité des voies bavaisiennes dans le poème intitulé La Gloire Belgique, poème national en dix chants, composé en 1826 et imprimé en 1830, année marquant l’indépendance du jeune état belge44.

Mieux comprendre et mieux mettre en valeur le patrimoine

15Le troisième intérêt d’une recherche sur la réception des vestiges architecturaux est d’assurer une meilleure compréhension du processus de « fabrication » de notre patrimoine et de réfléchir à de nouvelles manières de le mettre en valeur. Cette dimension est probablement celle qui a le moins fait l’objet de recherches et de réflexions jusqu’à présent. Bien souvent, les informations prodiguées aux visiteurs (panneaux explicatifs, dépliants, guides touristiques, visites guidées…) se limitent en effet à la fonction qu’assuraient ces vestiges durant l’Antiquité, sans prendre en compte (ou du moins très peu) leur histoire ultérieure. Une approche à plus large échelle des vestiges architecturaux nous semble pourtant essentielle afin de cerner plus finement la valeur du patrimoine antique.

  • 45 Kremer 2016, 81.
  • 46 Delmaire 2011, 57-59.
  • 47 Riegl 1984, 57-71.

16Les cas du mausolée d’Igel et de la voie Bavay-Tongres sont, en ce sens, particulièrement éclairants. Il s’agit en effet de réalisations d’une certaine envergure : la première témoigne du savoir-faire artistique dans la cité des Trévires et de la prospérité de certaines familles de cette région, la seconde de la politique routière romaine dans le nord de l’empire. Cependant, malgré l’ampleur des travaux liés à leur édification, il est probable qu’aucune des deux n’ait été jugée particulièrement exceptionnelle durant l’Antiquité. La recherche récente démontre que d’autres mausolées de grandes dimensions ont existé dans la cité des Trévires45 et que la spécificité de celui d’Igel est surtout d’avoir survécu aux destructions et à l’usure du temps. Quant à la chaussée Bavay-Tongres, elle n’est que l’une des voies s’élançant du nœud routier que constituait alors Bagacum Nerviorum et les sources antiques ne permettent pas de déceler la moindre singularité à son sujet : aucun auteur ne la décrit spécifiquement, hormis les itinéraires (Itinéraire d’Antonin et Table de Peutinger) qui signalent également les axes Bavay-Boulogne, Bavay-Arras et Bavay-Reims46. Même si son importance sur le plan militaire et commercial est avérée, il ne s’agissait donc probablement, aux yeux de la plupart des Romains, que d’une voie parmi d’autres traversant la région. Ne faut-il dès lors accorder à ces deux vestiges que le seul mérite d’être anciens et suffisamment bien conservés, soit une « valeur d’ancienneté » telle qu’évoquée par Aloïs Riegl dans ses travaux sur notre rapport aux monuments anciens ?47

  • 48 C’est par exemple le cas de la statue équestre de Marc Aurèle, longtemps associée à Constantin. V (...)
  • 49 Zahn 1969, 106-151 ; Enenkel et Ottenheym 2019a, 71-74, 185.
  • 50 Meganck 2017, 62.
  • 51 Mersch 1985, 58-63 ; Dragendorff et Krüger 1924, 27.
  • 52 Lorent 1769, dédicace non paginée, 4 ; Mersch 1985, 168-179 ; Dragendorff et Krüger 1924, 25.
  • 53 Nous reprenons ici aussi la terminologie d’Aloïs Riegl. Sur la « valeur historique », voir : Rieg (...)
  • 54 Unesco, Trèves – monuments romains, cathédrale Saint-Pierre et église Notre-Dame, https://whc.une (...)

17La question est bien évidemment beaucoup plus complexe que cela, notamment du fait des usages, réutilisations et réinterprétations qui ont marqué l’histoire de ces vestiges au-delà de la période antique. La « colonne » d’Igel a probablement acquis au fil du temps une renommée beaucoup plus importante que celle dont elle devait bénéficier durant l’Antiquité. Dès la période médiévale, il apparaît en effet qu’elle a été associée aux figures de Constance Chlore et Hélène. C’est probablement la christianisation du mausolée qui a assuré sa survie tout au long du Moyen Âge, à l’instar de celle de nombreux autres vestiges antiques aussi bien à Rome48 que dans la proche ville de Trèves (notamment la Porta Nigra)49. Dans le cas du monument d’Igel, il convient cependant de rester prudent quant à cette hypothèse, en gardant à l’esprit le fait qu’on ne sait ni à quand remonte cette tradition, ni à quel point elle fut diffusée, ni encore quelles en furent précisément les conséquences sur la renommée et sur l’état de préservation du monument. La fin du xvie siècle constitue par contre indéniablement un moment-clé de son histoire : la visite d’Abraham Ortelius et sa description flatteuse du mausolée ont contribué à accroître considérablement sa réputation, l’Itinerarium ayant beaucoup circulé50. Les gravures présentant le monument sont nombreuses et, jusqu’au xixe siècle, il attira le regard de célèbres visiteurs tels que l’empereur Joseph II (1781), Goethe (1791), Napoléon Ier (1804), Frédéric-Guillaume III de Prusse (1818), Jules Michelet (1843) ou encore Victor Hugo (1863 et 1865)51. Le prestige dont jouissait le mausolée a incité les états de Luxembourg, autorité régionale sous l’Ancien Régime, à faire montre de leur « soin Patriotique » en restaurant et en protégeant, dès 1765, « le plus précieux gage que le Luxembourg tienne de l’Antiquité »52 : des travaux de restauration sont lancés à cette date et un muret est érigé tout autour de la « colonne » afin d’éviter que des visiteurs importuns ne l’endommagent. C’est donc sans conteste l’« aura » du monument qui est à l’origine de sa préservation et de sa restauration, une aura qui lui a permis de subsister jusqu’à nos jours. En outre, le fait qu’il ait nourri une telle curiosité et tant de descriptions contribue pleinement à sa « valeur historique », au-delà de sa seule valeur d’ancienneté53 : il constitue un témoignage de premier ordre, non seulement sur l’Antiquité romaine, mais aussi sur son influence et sa réception, en particulier du xvie au xixe siècle. Son histoire plus récente est marquée par la mise en place de mesures de restauration, par la réalisation d’une copie du monument exposée dans le Rheinisches Landesmuseum de Trèves et par son classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, en 1986, dans un ensemble l’unissant aux vestiges romains et médiévaux de Trèves54.

  • 55 Latteur 2015, 229-231, 237-240.
  • 56 Corbiau 1985, 69-78 ; Breuer 1966, 52.
  • 57 Carmelez 1988, 134-136 ; Merckx et Collin 2002, 67 ; Corbiau 2011, 13-14. Ce phénomène est aussi (...)
  • 58 Carmelez 1988, 143-144 ; Godart et Feltz 2009, 49 ; Gochel, Schmitz et Ozer 2004, 70 ; Corbiau 20 (...)
  • 59 Latteur 2015, 226-227 ; Latteur 2018, 176-179 ; Breuer 1966, 46 ; Génicot 1948, 8-9 ; Cumont 1914 (...)
  • 60 Latteur 2018, 174-182.
  • 61 Merckx et Collin 2002, 66 ; Corbiau 2011, 13-14 ; Brulet 2009, 76-77 ; Godart et Feltz 2009, 270.
  • 62 Hanoune 2004, 202.
  • 63 Sur la préservation des tumuli aux xixe et xxe siècles, voir : Massart 1994, 19-24.
  • 64 Unesco, Le tronçon Bavay-Tongres de la chaussée romaine Boulogne-Cologne situe sur le territoire (...)
  • 65 Leman 2011, 49-55 ; Merckx et Collin 2002, 67-70 ; Godart et Feltz 2009, 270.

18Le cas de la voie Bavay-Tongres est quelque peu différent, bien qu’elle suscite, elle aussi, l’admiration de nombreux voyageurs et érudits : son caractère rectiligne, la solidité de son empierrement et le système de drainage des eaux de pluies mis en place par les Romains sont en effet régulièrement signalés à partir de l’époque moderne55. Son bon état de conservation relève non seulement de la nature des sols des espaces qu’elle traverse (qui n’ont pas provoqué sa disparition progressive, à l’instar de la voie Bavay-Trèves ou des voies traversant la Campine belge56), mais aussi du paysage et de la situation politique des régions environnantes. Comme nous l’avons signalé précédemment, l’impact paysager de cette voie est particulièrement marqué en Hesbaye, région naturelle peu boisée, sans grandes variations de relief et relativement peu urbanisée. C’est dans ce cadre que certains de ses tronçons servent à délimiter, dès le Moyen Âge, aussi bien les limites de communautés locales que les frontières entre différentes principautés territoriales (comté de Namur, duché de Brabant et principauté épiscopale de Liège)57. Cette utilisation de la voie en tant que marqueur paysager subsiste en tant que telle jusqu’à la fin de l’Ancien Régime et se perpétue, aujourd’hui encore, en plusieurs endroits où elle marque toujours la séparation entre les provinces de Brabant wallon et de Namur. La forte présence de la chaussée antique au sein de la toponymie locale, dès le Moyen Âge, démontre par ailleurs fort bien l’importance de son impact paysager58. Bien que les localités de Bavay et de Tongres aient décliné depuis l’Antiquité, la voie romaine resta par ailleurs fort fréquentée tout au long des périodes médiévale et moderne : son caractère rectiligne et sa praticabilité en faisaient un itinéraire de premier choix pour les voyageurs et les marchands59. La Hesbaye, divisée à l’époque moderne entre principauté de Liège et Pays-Bas méridionaux (ces derniers incluant comté de Namur et duché de Brabant), se caractérise également par un fort morcellement politique et de nombreuses enclaves, un phénomène qui a indéniablement contribué à accroître le rôle de la chaussée romaine : au xviiie siècle, les tensions, notamment douanières, entre les deux états voisins ne leur permettent pas de collaborer en vue d’une modernisation du réseau routier traversant la région, alors qu’une politique routière volontariste se met en place à la même époque dans de nombreuses régions. Faute de projets plus ambitieux, les autorités des deux états vont s’efforcer d’assurer un entretien suffisant de la voie par la mise en place d’une législation spécifique ou d’inspections régulières60. Il est difficile d’évaluer l’efficacité des mesures prises à cette époque, mais elles ont probablement contribué à assurer la bonne conservation de l’axe routier et sa réputation à l’échelle locale. Au cours des xixe et xxe siècles, la chaussée subit ses plus profondes transformations, du fait de son intégration au réseau routier contemporain : la plupart de ses tronçons ont été macadamisés et transformés en routes nationales, en voiries communales ou en simples rues61, mais quelques-uns sont détruits lors de l’établissement de nouvelles infrastructures. Durant la seconde guerre mondiale, les autorités allemandes projettent de construire une autoroute suivant son tracé, afin de relier Boulogne à Aix-la-Chapelle. Des photographies et des repérages et aériens sont réalisés à cette fin en 1941, avant que le projet ne soit finalement abandonné62. Mais, paradoxalement, c’est aussi au cours des deux derniers siècles que la voie et ses abords se voient finalement investis d’une valeur historique : si la plupart des tumuli bordant l’axe routier sont progressivement protégés et parfois même rachetés par l’état belge à partir des années 184063, ce n’est que beaucoup plus récemment que la voie elle-même est inscrite sur la liste indicative du patrimoine de l’UNESCO (2008)64 et qu’elle a fait l’objet de propositions visant à mieux la mettre en valeur65.

  • 66 Nous reprenons ici certaines idées développées par Mary Beard à propos du Parthénon et de son his (...)
  • 67 Pour reprendre les mots, fort bien choisis, de Gérard Caillat à propos des vestiges nîmois. Caill (...)

19La renommée des vestiges et leur état de préservation actuel découlent donc fortement de leur propre histoire et il convient de prendre davantage en compte le processus par lequel nous y avons investi notre culture66 en les transformant progressivement en objets « patrimoniaux ». S’ils ont traversé les siècles, c’est parce qu’ils ont fait l’objet de réutilisations et d’adaptations « répondant à des besoins nouveaux et à des représentations culturelles évolutives »67 : ce sont les communautés humaines qui, au fil du temps, se les sont réappropriés en renouvelant leurs fonctions originelles (voie Bavay-Tongres) ou les investissant d’un nouveau rôle (mausolée d’Igel). Cette histoire-là mérite aussi d’être connue et probablement davantage mise en valeur, afin de comprendre la signification qu’ont pu revêtir au fil des siècles ces monuments que nous côtoyons.

Conclusion

20Située à la croisée de plusieurs disciplines et de plusieurs périodes, l’étude de la réception des « monuments » antiques s’inscrit souvent en dehors des cadres traditionnels de la recherche universitaire. Comme les deux exemples présentés dans les pages précédentes l’ont démontré, elle constitue néanmoins un domaine de recherche particulièrement fécond puisqu’elle peut s’inscrire au sein de différentes approches.

21La première d’entre elles, sans doute la plus traditionnelle, pourrait être qualifiée d’« archéologique » : la consultation et l’analyse de témoignages médiévaux, modernes ou du début de la période contemporaine permettent en effet bien souvent de compléter les données dont nous disposons à propos de vestiges endommagés ou détruits. Elles peuvent aussi contribuer à d’éventuels travaux de restauration, tout en mettant en exergue la question de savoir quel est l’état du monument que l’on souhaite présenter aujourd’hui au visiteur.

22Une approche plus « historienne » de ces témoignages est également possible : la réception des vestiges antiques constitue un angle d’approche original qui conduit à mieux appréhender certaines facettes des sociétés du passé. C’est naturellement le cas dans le domaine de l’histoire intellectuelle, les travaux et les échanges épistolaires des antiquaires, puis des historiens et des archéologues, permettant de mieux comprendre le processus de construction de savoirs nouveaux à une époque donnée. L’accessibilité des vestiges monumentaux a par ailleurs indéniablement contribué à enraciner leur présence dans les imaginaires collectifs (traditions locales) et à leur conférer une valeur symbolique (notamment en tant que preuves de l’ancienneté et du prestige d’une ville, d’une région ou d’un état). En ce sens, une étude de leur réception s’inscrit pleinement dans le cadre de recherches en histoire culturelle et en histoire des mentalités. La fonction paysagère que les communautés leur ont éventuellement conférée au fil des siècles peut également faire l’objet d’études novatrices. Dans ces différentes perspectives, une analyse de la réception des « monuments » antiques permet surtout de mieux comprendre la période qui les « reçoit ».

23Il est enfin possible de les aborder par le biais de recherches portant spécifiquement sur la compréhension de notre patrimoine et de son processus de formation. Le fait que certains vestiges aient réussi à subsister pendant près de 2.000 ans, alors que tant d’autres ont été détruits, n’est que rarement dû au seul hasard. Outre les facteurs naturels (géologie, situation topographique…), le facteur humain a souvent joué un rôle déterminant. Ce sont les réappropriations et les réutilisations successives des vestiges qui leur ont permis de subsister au fil des siècles : répondant à des besoins nouveaux, ils ont parfois été entretenus ou protégés en raison de leur utilité (comme la voie Bavay-Tongres) ou du prestige qui leur était associé (à l’instar du mausolée d’Igel). La valeur qu’ils ont acquise au fil des siècles aux yeux des populations environnantes, valeur qui a pu évoluer avec le temps, participe pleinement à leur intérêt patrimonial actuel. Nous ne pouvons qu’espérer que cet aspect de leur histoire sera mieux mis en évidence au sein des projets de valorisation qu’ils susciteront à l’avenir.

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Bibliographie

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Wouk 2012 : Wouk Edward, « Reclaiming the Antiquities of Gaul : Lambert Lombard and the History of Northern Art », Simiolus 36/1 (2012), 35-65.

Zahn 1969 : Zahn Eberhard, « Die Porta Nigra in nachrömischer Zeit », in Erich Gose (hrsg.), Die Porta Nigra in Trier, Berlin, Gebr. Mann Verlag, 1969, 106-151.

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Notes

1 Au sujet de cette approche, voir : Payen 2009, 9-23.

2 Sur le mausolée d’Igel, voir notamment : France, Kuhnen et Richard 2001, 5-13 ; Dragendorff et Krüger 1924 ; Ternes 1983, 357-376.

3 Sur la voie Bavay-Tongres, voir notamment : Bavay et Mercx 2009 ; Merckx et Collin 2002, 64-71 ; Brulet 2009, 64-73 ; Mertens 1957, 17, 29-30 ; Cumont 1914, 12-17.

4 Sur la réception du mausolée d’Igel : Mersch 1985 ; Dragendorff et Krüger 1924, 6-27 ; Ternes 1983, 357-376. Sur celle de la voie Bavay-Tongres : Latteur 2015, 221-248.

5 En France, ce sont ainsi surtout les villes du Midi (en particulier Nîmes et, dans une moindre mesure, Narbonne, Toulouse ou Arles) qui ont retenu l’attention des chercheurs. Voir notamment : Krings et Pugnière, 2013 ; Krings et Valenti 2010 ; Debuiche 2017, 31-49 ; Karmon 2010, 113-135. Les études menées dans d’autres espaces géographiques adoptent également souvent cette perspective, comme l’illustrent notamment plusieurs contributions publiées dans Christian et De Divitiis 2019 et dans Enenkel et Ottenheym 2019b.

6 Ce caractère « représentatif » exclut bien évidemment les vestiges urbains. Il conviendrait également d’y ajouter le cas relativement bien documenté des reliquats d’aqueducs romains, comme ceux de Vichten (Luxembourg) ou de Floursies (près de Bavay) : tous deux sont bien attestés par les sources modernes, mais aujourd’hui détruits ou fortement endommagés.

7 Tout au long de l’époque moderne, la localité d’Igel, qui abritait le mausolée des Secundini, fit partie du duché de Luxembourg, intégré au cours du xve siècle au sein des Pays-Bas méridionaux. Elle fut rattachée à la Prusse en 1815 et se situe aujourd’hui en Allemagne. Quant à la voie Bavay-Tongres, elle traversait principalement le comté de Hainaut, le comté de Namur et le duché de Brabant (tous trois réunis au sein des Pays-Bas méridionaux à partir du xve siècle), avant que son tracé n’atteigne la principauté épiscopale de Liège. Cette dernière demeure indépendante jusqu’à la fin de la période moderne (1795), époque à laquelle elle partage le sort des Pays-Bas méridionaux en étant rattachée à la France (1795-1814), puis au royaume des Pays-Bas (1814-1830) et enfin à la Belgique devenue indépendante (1830). La région de Bavay et un court tronçon d’une dizaine de kilomètres de la voie romaine Bavay-Tongres ont cependant été annexés par le royaume de France en 1678.

8 Ortelius et Vivianus 1584, 11-12, 52-56 ; Heylen 1783, 429, 439-440, 480-481.

9 Greenhalgh 2015, 4-11, 39-128, 235-244. Voir également : Choay 1992, 72-73.

10 Cette dernière question est notamment évoquée par Frédérique Lemerle, dans le cadre plus général d’une approche renouvelée du patrimoine architectural antique, médiéval et moderne : Lemerle 2018, 243-254.

11 La copie figurant dans le CIL (CIL XIII 4206) date de 1904 et est presque contemporaine de celle de Hans Dragendorff et Emil Krüger qui ont étudié le mausolée avant le déclenchement de la première guerre mondiale (bien que leur ouvrage ne paraisse qu’en 1924). Ternes 1983, 358-360 ; France 2001, 46-47.

12 France 2001, 46-51.

13 Merckx et Collin 2002, 66.

14 La carte de Ferraris a été intégralement numérisée et est disponible gratuitement en ligne sur le site de la Bibliothèque royale de Belgique (https://www.kbr.be/fr/la-carte-de-ferraris/, consulté le 27/01/2021). Sur l’apport de la cartographie pour l’étude du réseau routier romain, voir notamment : De Dainville 1972, 19-22 ; Gendron 2006, 17 ; Coulon 2007, 22.

15 Mersch 1985 ; Muller 1982, 380-382. 

16 Massart 1994, 15 ; Godart et Feltz 2009, 50.

17 Payen 2009, 15-16 ; Enenkel et Ottenheym 2019 a, 1-14.

18 Sur cette question, voir notamment : Schnapp 1998 ; Sweet 2004 ; Stenhouse 2013, 295-316 ; Miller 2013, 67-87 ; Miller 2017, 55-75.

19 Les recherches portant sur les travaux des antiquaires se sont considérablement multipliées ces dernières années, en particulier à propos de ceux qui étaient actifs en France, en Italie et en Grande-Bretagne. Il n’existe pas encore de grande synthèse sur cette pratique dans les Pays-Bas méridionaux et l’espace belgo-luxembourgeois. On pourra néanmoins consulter des recherches portant sur des antiquaires particuliers, comme Abraham Ortelius (Meganck 2017 ; Büttner 1998, 169-180 ; Schmidt-Ott 1998, 363-377), Alexandre Wiltheim (notamment Krier 2019, 197-228 ; Krier et Thill 1984 ; Latteur 2017/2018 ; Muller 1984, 167-232) ou Pierre-Joseph Heylen (Latteur 2019, 121-148). Seul le site de Bavay a fait l’objet d’une étude plus détaillée, voir notamment : Biévelet 1943, 159-189 ; Beirnaert-Mary 2018, 52-67 ; Lemerle 2005, 126.

20 Dragendorff et Krüger 1924, 6-8 ; von Hesberg 2008, 140-412 ; Mersch 1985, 49.

21 Ortelius et Vivianus 1584, 52-56 ; Meganck 2017, 54-61 ; Dragendorff et Krüger 1924, 10-11 ; Mersch 1985, 87-89.

22 Wiltheim 1842, 202-222 ; Dragendorff et Krüger 1924, 20-24 ; Mersch 1985, 109-135 ; France 2001, 46-52 ; Latteur 2017/2018.

23 Dragendorff et Krüger 1924.

24 Latteur 2015, 231-235.

25 Latteur 2015, 228.

26 Meganck 2017, 20-35 ; Schmidt-Ott 1998, 370-377.

27 Muller 1984, 206 ; Latteur 2017/2018.

28 Sweet 2004, 172.

29 Lorent 1769 ; Dragendorff et Krüger 1924, 25 ; Mersch 1985, 168-179.

30 Dragendorff et Krüger 1924, 8-9.

31 Loutsch 2008, 269-283 ; Binsfeld 2017, 99-108.

32 Schnapp 2020.

33 Godart et Feltz 2009, 39, 47-50, 270 ; Latteur 2015, 229-231 ; Gochel, Schmitz et Ozer 2004, 67-68.

34 Différents travaux collectifs ont été menés, ces dernières années, sur les liens entre vestiges antiques et identités locales ou régionales, en particulier à l’époque moderne et au xixe siècle. Voir notamment, à titre d’exemples : Krings et Pugnière, 2013 ; Christian et De Divitiis 2019 ; Enenkel et Ottenheym 2019 b.

35 Pour les cas britanniques et grecs fort bien étudiés dans cette perspective, voir notam­ment : Hoselitz 2007 ; Hingley 2000 ; Hamilakis 2007 ; Athanassopoulou 2002, 273-299.

36 Ortelius et Vivianus 1584, 52.

37 Mersch 1985, 50 ; Muller 1982, 380-382. 

38 Wouk 2012, 53-54 ; Mersch 1985, 79-81.

39 Bochius 1602, 56.

40 Braun et Hogenberg 1598, gravure non paginée. Voir également : Mersch 1985, 90-92.

41 Sweet 2004, 277-306 ; Hingley 2012, 51-65 ; Griffiths 2003, 89-105 ; Smiles 1994.

42 Brulet 2009, 244.

43 Choay 1992, 9-12.

44 « Séjour des proconsuls, Bavai d’une part, /Voit sept chemins fameux sortir de son rempart. / Ce chef-d’œuvre imposant du beau règne d’Auguste / A du temps destructeur vaincu le bras robuste. / Il subsiste. Par là l’aigle des légions / Précipita son vol vers d’autres régions ». Le Mayeur 1830, 11-12.

45 Kremer 2016, 81.

46 Delmaire 2011, 57-59.

47 Riegl 1984, 57-71.

48 C’est par exemple le cas de la statue équestre de Marc Aurèle, longtemps associée à Constantin. Voir notamment : Chevallier 1984, 80, 86, 92-95.

49 Zahn 1969, 106-151 ; Enenkel et Ottenheym 2019a, 71-74, 185.

50 Meganck 2017, 62.

51 Mersch 1985, 58-63 ; Dragendorff et Krüger 1924, 27.

52 Lorent 1769, dédicace non paginée, 4 ; Mersch 1985, 168-179 ; Dragendorff et Krüger 1924, 25.

53 Nous reprenons ici aussi la terminologie d’Aloïs Riegl. Sur la « valeur historique », voir : Riegl 1984, 73-81.

54 Unesco, Trèves – monuments romains, cathédrale Saint-Pierre et église Notre-Dame, https://whc.unesco.org/fr/list/367/ (consulté le 27/01/2021).

55 Latteur 2015, 229-231, 237-240.

56 Corbiau 1985, 69-78 ; Breuer 1966, 52.

57 Carmelez 1988, 134-136 ; Merckx et Collin 2002, 67 ; Corbiau 2011, 13-14. Ce phénomène est aussi fréquemment observé à propos d’autres voies romaines, notamment en France : Coulon 2007, 169-188.

58 Carmelez 1988, 143-144 ; Godart et Feltz 2009, 49 ; Gochel, Schmitz et Ozer 2004, 70 ; Corbiau 2011, 13-14. Plus généralement sur la toponymie liée aux voies antiques : Gendron 2006, 21-53.

59 Latteur 2015, 226-227 ; Latteur 2018, 176-179 ; Breuer 1966, 46 ; Génicot 1948, 8-9 ; Cumont 1914, 17.

60 Latteur 2018, 174-182.

61 Merckx et Collin 2002, 66 ; Corbiau 2011, 13-14 ; Brulet 2009, 76-77 ; Godart et Feltz 2009, 270.

62 Hanoune 2004, 202.

63 Sur la préservation des tumuli aux xixe et xxe siècles, voir : Massart 1994, 19-24.

64 Unesco, Le tronçon Bavay-Tongres de la chaussée romaine Boulogne-Cologne situe sur le territoire de la Région wallonne, https://whc.unesco.org/fr/listesindicatives/5359 (consulté le 27/01/2021). Gérard Coulon relève que les premières mesures de préservation liées aux voies romaines sont tardives et ne se développent, en France, qu’à partir des années 1980. Coulon 2007, 189.

65 Leman 2011, 49-55 ; Merckx et Collin 2002, 67-70 ; Godart et Feltz 2009, 270.

66 Nous reprenons ici certaines idées développées par Mary Beard à propos du Parthénon et de son histoire postérieure à l’Antiquité : Beard 2010, 43.

67 Pour reprendre les mots, fort bien choisis, de Gérard Caillat à propos des vestiges nîmois. Caillat 2013, 35.

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Pour citer cet article

Référence papier

Olivier Latteur, « Pourquoi étudier la réception des vestiges architecturaux antiques au fil des siècles ? Réflexions autour du mausolée d’Igel et de la voie Bavay-Tongres »Anabases, 36 | 2022, 187-208.

Référence électronique

Olivier Latteur, « Pourquoi étudier la réception des vestiges architecturaux antiques au fil des siècles ? Réflexions autour du mausolée d’Igel et de la voie Bavay-Tongres »Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2024, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/14888 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.14888

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Auteur

Olivier Latteur

Assistant à l’UNamur et l’UCLouvain
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