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Historiographie et identités culturelles
Dossier – Antiquité-Monde

Entre l’empire romain et celui des Han, un middle ground impossible ?

Tristan Mauffrey
p. 115-128

Résumés

On se propose de revenir dans cet article sur la question des relations indirectes entre l’empire romain et le monde sinisé sous les deux dynasties Han (206 av. – 220 ap. J.-C.) au moyen de la catégorie de middle ground empruntée à l’historien américaniste Richard White. Alors que cette catégorie désigne en principe le «  terrain d’entente  » sur lequel les membres de communautés culturelles distinctes élaborent conjointement, dans une situation d’échanges continus, des modes de communication et d’interaction originaux, elle sert ici à questionner l’absence de relations diplomatiques entre ces deux empires en analysant quelques sources textuelles chinoises et romaines dans lesquelles nous lisons des occasions manquées. Une telle lecture permet de souligner l’importance déterminante des autres grands empires du continent eurasiatique dans la construction de cette relation à distance entre Rome et la Chine  ; le middle ground est alors doté d’un sens nouveau, celui d’un «  espace intermédiaire  » géographique, culturel et symbolique, qui pourrait être utile pour saisir les rapports entre cultures éloignées dans la perspective de l’Antiquité-Monde.

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Texte intégral

  • 1 ¹ Dubs 1941.
  • 2 Dubs 1957. Cette thèse de la fondation, par 145 légionnaires romains, d’une cité intégrée à l’esp (...)

1Au cœur de la province chinoise du Gansu, sur le tracé de l’une des anciennes « routes de la soie » contournant le désert de Gobi, les habitants du village de Zhelaizhai se présentent parfois comme les descendants de légionnaires romains égarés dans ces contrées lointaines. C’est le sinologue américain Homer H. Dubs qui, le premier, avait émis l’hypothèse d’un « contact militaire » entre soldats romains et chinois, à la suite de la défaite de Crassus contre les Parthes à Carrhae (53 av. J.-C.)1 : des survivants auraient été enrôlés par les Parthes puis auraient combattu au côté des Xiongnu, en 36 av. J.-C., contre les troupes envoyées par les Han. À nouveau vaincus, ils auraient ensuite fondé une cité, Liqian2, qu’une équipe sino-australienne d’archéologues identifia en 1989 au site de Zhelaizhai, identification toujours controversée. Depuis le début du xxe siècle déjà, les traits du visage, la couleur des yeux et des cheveux d’une partie des habitants avaient suscité la curiosité de ceux qui voulaient leur attribuer une ascendance indo-européenne : bien des débats plus tard, après une succession d’analyses génétiques qui n’ont évidemment rien prouvé sur les origines de la population locale, il reste au moins de ce mythe de la « légion perdue de Crassus » un monument de style néo-classique et des célébrations festives au cours desquelles des citoyens chinois commémorent, en costumes de légionnaires, leurs bien hypothétiques origines romaines.

2Quel sens peut-on donner à cette revendication d’un héritage romain à l’autre bout du continent ? Dans la perspective de notre exploration collective d’une Antiquité-monde, un tel exemple est emblématique de la réception différentielle de l’Antiquité gréco-romaine : l’investigation scientifique, même quand elle n’aboutit pas de manière concluante, alimente ici la création d’une mémoire extra-européenne de « l’empire gréco-romain », pour reprendre l’expression de Paul Veyne. Mais dans ce cas précis, l’invention folklorique se superpose à une véritable préoccupation historiographique, puisqu’elle rejoint la question de la non-rencontre entre deux empires partiellement contemporains l’un de l’autre, aux deux extrémités de l’Eurasie, à savoir l’empire romain et celui des souverains des deux dynasties Han (206 av. J.-C.-9 ap. J.-C. et 25-220 ap. J.-C.). Non pas que l’absence de contact direct entre l’un et l’autre soit un problème en soi : c’est un fait qui n’a aucune raison de susciter l’étonnement, sauf pour qui adopterait un point de vue téléologique ou supposerait une continuité culturelle entre le passé et le présent de deux « civilisations » dont ces empires seraient les ancêtres, ce qui n’est absolument pas notre perspective. Nous nous intéressons bien davantage aux questionnements contemporains sur cette absence de relation, à ses enjeux épistémologiques, bref au statut historique de ces « rendez-vous manqués » renseignés par des textes grecs, latins ou chinois ; ce sont quelques-uns de ces exemples que l’on se propose d’aborder ici au prisme de l’Antiquité-monde. On fera pour cela un usage paradoxal de la catégorie de middle ground, après l’avoir située dans le contexte critique du comparatisme historique entre Rome et la Chine.

Empire romain et empire chinois à la croisée des « studies »

  • 3 Scheidel 2009. La perspective politique et institutionnelle ouverte par cet ouvrage, qui correspo (...)
  • 4 Les dynasties Qin (221-206 av. J.-C.) et Han sont souvent prises ensemble dans ce type d’études, (...)
  • 5 Scheidel 2009, 11.

3Poser le parallèle entre ces deux empires au tournant du premier millénaire de notre ère, c’est estimer qu’il est fructueux de construire une comparaison entre Rome et la Chine et de la décliner dans les domaines politique, économique, voire culturel. Ce parallélisme caractérise des ouvrages de référence qui, depuis les années 2000, s’inscrivent dans ce qui a parfois été appelé les études impériales ou empire studies. Ainsi, la comparaison est structurelle dans un ouvrage dirigé par Walter Scheidel et consacré à la construction impériale comme processus historique à étudier dans la durée3. Si la démarche d’histoire comparée promue par W. Scheidel vise à mettre en lumière, par l’analyse croisée, les spécificités propres à chaque construction impériale, c’est bien parce que les empires romain et Qin-Han4 sont considérés comme comparables a priori par leurs dimensions et leur contemporanéité. Ce postulat est illustré par l’expression de « twin empires », que propose W. Scheidel tout en la faisant suivre d’un point d’interrogation pour en souligner le caractère problématique5.

  • 6 Mutschler et Mittag 2008.
  • 7 Ibid., XVI.

4La problématisation du concept d’empire comme outil herméneutique et comme construction historiographique est également au centre de la démarche des historiens Fritz-Heiner Mutschler et Achim Mittag6 : l’ouvrage qu’ils dirigent alterne les chapitres thématiques consacrés à Rome et à la Chine pour interroger différents aspects de la construction politique et idéologique d’une « idée de l’empire » (idea of empire7) dans l’une et l’autre aire culturelle. Le projet s’inscrit donc explicitement dans la lignée des empire studies, en recentrant l’analyse sur la comparaison des traditions historiographiques. Le parallèle est fondé là encore sur le principe que ces deux empires sont comparables en vertu de leur contemporanéité et de la richesse des sources écrites permettant une analyse croisée, mais aussi au nom de ce qui les relierait aux empires d’aujourd’hui :

  • 8 Ibid., XIV.

To be sure, today’s United States is as far removed from Rome as is the People’s Republic of China from the empire of the Qin and Han dynasties (221 BC–AD 220). However, both ancient empires had a great impact on the development of western and East Asian civilizations and political structures. Comparing the Roman and Chinese empires contributes not only to understanding the trajectories along which the two civilizations developed, but also to heightening our awareness of possible analogies between the present and the past, be it with regard to America or China8.

  • 9 Les présupposés épistémologiques et idéologiques que laisse apparaître la déno­mination même de E (...)

5Si F.-H. Mutschler et A. Mittag entendent se démarquer de l’erreur intel­lectuelle qui consisterait à projeter sur les mondes anciens un concept d’empire directement lié à la situation actuelle des impérialismes américain et chinois, cette dernière justification du comparatisme entre Rome et la Chine entre dans le champ des représentations que nous cherchons à déconstruire dans notre approche d’une Antiquité-monde. En effet, le recours à la catégorie de « civilisation » témoigne ici du rapport qu’entretient leur démarche comparative avec la tradition des East-West studies, qui a souvent été fondée sur une pensée civilisationnelle érigeant les Antiquités gréco-romaine d’un côté, chinoise de l’autre, en fondement d’une opposition fantasmée entre Occident et Orient9. Cette perspective n’est pas la nôtre, et de fait, cette justification ne nous semble pas nécessaire pour donner sa pleine légitimité au comparatisme historique entre Rome et la Chine tel qu’il est pratiqué dans l’ouvrage fondamental de F.-H. Mutschler et A. Mittag.

  • 10 Voir à ce sujet Chin 2013.
  • 11 Frankopan 2017 [2015].
  • 12 Voir notamment sur ce sujet Hildebrandt 2017 et Benjamin 2018. L’histoire des relations commercia (...)

6Une autre démarche, cependant, permet d’interroger les dynamiques impériales romaine et chinoise sans recourir à une approche parallèle : c’est le courant d’études parfois rassemblées sous l’expression de silk road studies, qui prend pour objet, dans la longue durée, les échanges économiques et culturels, mais aussi politiques et religieux qui traversent le continent eurasiatique et relient ses différentes parties entre elles. On ne s’étendra pas ici sur les enjeux et limites de cette catégorie critique historiquement marquée et sémantiquement fluctuante, depuis la création de l’expression « routes de la soie » (Seidenstrassen), au pluriel, par le géologue allemand Ferdinand von Richtofen en 1877, et sa reprise dès 1882, au singulier et en français, par Élisée Reclus10 ; on soulignera simplement qu’elle a l’avantage d’intégrer, pour la période qui nous occupe, l’espace situé entre ces deux empires, et l’histoire de leurs interactions même distantes et médiées. C’est cette focalisation sur le cœur du continent et sur les trajectoires de ceux qui l’ont parcouru que l’historien Peter Frankopan, notamment, a voulu remettre au centre de l’histoire mondiale11. C’est surtout dans notre cas une expression qui peut être remotivée par l’importance des échanges économiques qui ont impliqué les empires chinois et romain mais aussi leurs intermédiaires et partenaires commerciaux, et qui sont symbolisés par le commerce de la soie sans pouvoir y être réduits, loin de là12. Enfin, ces échanges rendent possible une histoire croisée des imaginaires de l’autre, comme en témoignent les débats sur l’ethnonyme de « Sères » par lequel Grecs et Romains désignaient le peuple auquel ils attribuaient la fabrication de ces étoffes importées à prix d’or. Mais ces sujets excèdent le cadre de cet article, qui se limitera donc, parmi les interactions qui font une Antiquité-monde, à la question des relations diplomatiques qui n’ont pu être nouées entre ces deux empires : comment, dès lors, parler de ces occasions manquées ?

Un usage paradoxal du concept de middle ground 

  • 13 White 2020 [1991].

7La catégorie de middle ground forgée par l’historien américaniste Richard White nous semble appropriée pour étudier des situations d’interculturalité entre sociétés anciennes, tout en décentrant du monde méditerranéen notre approche de l’Antiquité. Mais l’usage que nous en ferons ici est paradoxal, puisque cette catégorie est initialement destinée à éclairer les modes de communication interculturelle dans des situations d’échanges directs et continus, à la différence du cas qui nous occupe. Revenons donc d’abord sur la définition qu’en donne R. White à propos d’un contexte précis, celui des interactions d’ordre politique, diplomatique, économique et culturel entre Français et Amérindiens, entre le xviie et le début du xixe siècle, dans la région nord-américaine des Grands Lacs alors désignée par l’expression française de « Pays d’en Haut »13.

8Dans des contextes spécifiques de rencontres diplomatiques, mais aussi dans toutes sortes de situations quotidiennes où la survie des uns dépend de leur capacité à échanger et négocier avec les autres, les hommes et les femmes de ces différentes cultures en interaction constante ont dû créer un « terrain d’entente », c’est-à-dire inventer les modalités d’une communication efficace mise au service d’intérêts parfois divergents. C’est ce processus de création d’une hybridité culturelle en acte que R. White nomme middle ground :

Le processus de tentative d’accommodement évoqué dans ce livre implique à l’évidence un changement culturel, mais un changement qui se produit dans le cadre de ce que j’appellerai le Middle Ground. Ce Middle Ground est un « entre-deux » : entre cultures, entre peuples, et entre certains empires et le monde non institué des villages. C’est un lieu où vivent les sujets nord-américains et les populations alliées des empires. C’est le monde où aura lieu l’invasion et l’occupation européenne, puis la défaite et l’effacement des Indiens.

  • 14 Ibid., 30-31. Texte original (page X de l’édition de 1991) : The process of accommodation describ (...)

Dans ce Middle Ground, diverses populations s’adaptent les unes aux autres au travers d’un mécanisme de méprises aussi créatif qu’opportun. Une population tente d’en apprivoiser une autre en ayant recours à ce qu’elle croit comprendre de ses us et valeurs. Ces dernières sont souvent mal interprétées et déformées, mais de ces méprises naissent de nouvelles valeurs, qui induisent de nouvelles pratiques – les valeurs et les pratiques partagées du Middle Ground14.

  • 15 Une note de l’éditeur, dans la traduction française (31, n. 2), explique que l’expression anglais (...)
  • 16 White 2020 [1991], 119-124. La scène, rapportée par des témoins français, est renseignée par des (...)
  • 17 Ibid., 122.

9Le middle ground15 ainsi défini comme espace symbolique et comme pratique de création de conventions culturelles implique des Français (marchands, missionnaires, coureurs des bois, soldats et représentants du pouvoir royal) et des Amérindiens, femmes et hommes, appartenant à l’une des nations iroquoïennes et surtout algonquiennes, dans le contexte de la rivalité entre puissances impériales française et anglaise. Un exemple significatif de ce mécanisme en contexte diplomatique est présenté par Richard White16. Il s’agit de l’épisode de la rencontre qui eut lieu en juin 1695 à Michillimakinac entre le commandant de ce fort français, Antoine Laumet de La Mothe, sieur de Cadillac, et un chef huron baptisé Le Baron, devant une assemblée de représentants des Outaouais et des Hurons-Pétuns. Pour servir son objectif, qui est de promouvoir la paix avec les Iroquois, Le Baron a recours à un récit : on aurait retrouvé un vieillard huron qui devait sa subsistance et sa longévité à la protection du Maître de la Vie (figure de divinité) et qui aurait réaffirmé, devant témoins, la nécessité de cette paix avec les Iroquois, tout en exhortant les Indiens à écouter les Robes Noires (les missionnaires jésuites), à obéir à Onontio (nom huron désignant le gouverneur de la Nouvelle-France), mais aussi à chômer le huitième jour de la semaine et à exposer les morts sur des tréteaux plutôt que de les enterrer. À la fin de son récit, Le Baron offre, de la part du vieillard, une fourrure de castor au commandant Cadillac, qui refuse le cadeau. Cette scène illustre, selon R. White, la manière dont chaque interlocuteur utilise les codes culturels de l’autre, dont il montre une compréhension suffisante pour mener à bien la négociation selon ses propres intérêts. Accepter le castor aurait signifié que Cadillac reconnaissait au personnage du vieillard mentionné par Le Baron une autorité légitime, et un statut prophétique ; c’est bien ce statut que le chef huron cherche à conférer au personnage de son récit, en introduisant des composantes chrétiennes dans son discours (en décrivant le Maître de la Vie comme un dieu trinitaire, en prônant la pratique de la prière selon les enseignements de Robes Noires, ou en évoquant un jour chômé par semaine). Mais ces composantes sont mêlées à des références proprement huronnes, comme le fait que ce jour chômé soit déplacé du septième au huitième jour, et que l’exposition des morts soit préférée à l’enterrement chrétien. Ainsi, le récit que fait Le Baron à un représentant français devant un auditoire amérindien vise à « présenter le vieil homme comme un prophète indien adressant un message indien venant du Dieu chrétien17 », sachant qu’un tel discours pourrait paraître bien plus légitime, aux yeux des Français (et non des Indiens), qu’un récit de rêve contenant le même message. Il se trouve que la négociation échoue, mais l’essentiel n’est pas là : elle a bien eu lieu, et une interaction diplomatique complexe a été rendue possible par cette adoption partielle de références culturelles croisées sur le terrain d’entente qui constitue le middle ground.

Histoires d’ambassades impossibles

10Si l’on tente à présent de déplacer la catégorie de middle ground pour l’appliquer à un contexte où elle est a priori inapplicable, on est amené à la redéfinir : on en fait alors un concept opératoire permettant d’interpréter ce qui se joue dans les textes anciens où nous lisons l’impossibilité d’établir des relations diplomatiques entre l’empire romain et celui des Han.

11Deux de ces rencontres manquées sont mentionnées dans les annales chinoises officielles de la dynastie des Han orientaux (25-220 ap. J.-C.), le Hou Hanshu « áº~®Ñ (compilé sous la direction de Fan Ye au ve siècle ap. J.-C.). La première concerne la tentative inaboutie de Gan Ying, envoyé à destination de l’empire romain, que les Chinois appellent alors le Da Qin ¤j¯³ (ou « Grand [royaume de] Qin », reprenant le nom de la première dynastie impériale chinoise), dans le but d’établir des liens commerciaux et diplomatiques directs :

  • 18 Yu 2013, 63-65 (Hou Hanshu, chapitre 88) : « ©M » Ò¥Ã¤¸¤E¦~¡A³£Å@¯Z¶W »º¥Ì­^¨Ï¤j¯³¡A©è±ø¤ä¡CÁ{¤j® (...)

Au cours de la neuvième année de l’ère Yongyuan du règne de l’empereur He [97 ap. J.- C.], le Protecteur général Ban Chao dépêcha Gan Ying en ambassade au Da Qin ; celui-ci parvint à Tiaozhi. Alors qu’il était sur le point de traverser la grande mer, les marins de cette région frontalière occidentale du Anxi dirent à [Gan] Ying : « L’étendue de la mer est vaste, il est éventuellement possible pour un voyageur de la traverser en trois mois si les vents sont favorables, mais si l’on rencontre des vents défavorables cela peut prendre deux ans ; c’est pourquoi ceux qui partent en mer emportent toujours des provisions pour trois ans. Il y a de quoi avoir le mal du pays quand on est au milieu de la mer, et certains y ont laissé la vie. » Après avoir entendu cela, [Gan] Ying abandonna son entreprise18.

  • 19 Contra Yu 2013, qui la situe plutôt à proximité de la rive orientale de la Méditerranée.

12Le toponyme chinois de Tiaozhi ±ø¤ä peut désigner, selon les contextes, une vaste région issue de l’ancien royaume séleucide ou une ville de cette région, comme c’est peut-être le cas ici : son identification est débattue, mais sa situation à proximité du golfe persique est le plus souvent admise19, puisque Anxi ¦w®§ est à cette époque le nom chinois de l’empire parthe. Ce passage célèbre des annales dynastiques témoignerait donc des efforts déployés par les Parthes pour dissuader l’émissaire chinois de poursuivre sa route en direction de l’Égypte romaine (par la voie maritime et la Mer Rouge), au prix d’un discours mensonger sur la longueur et la difficulté de la traversée. Stratégie qui porte ses fruits puisque celui-ci renonce, ignorant également semble-t-il la relative proximité de la province romaine de Syrie.

  • 20 Voir Yu 2013, 66-69 (Hou Hanshu, chapitre 88), et une traduction française dans Sartre 2021, 233- (...)

13L’arrêt du voyage empêche évidemment toute possibilité de création d’un middle ground entre les envoyés chinois et les interlocuteurs qu’ils auraient pu rencontrer une fois parvenus dans les limites de l’empire romain ; mais l’usage de cette catégorie permet de faire apparaître, à la lecture de cet épisode, un autre « espace intermédiaire ». En effet, le discours des Parthes, tel qu’il est retranscrit dans la chronique historique chinoise, peut être lu comme la trace d’un autre middle ground élaboré entre partenaires commerciaux dans le cadre des échanges continus qui ont lieu au cœur de l’espace eurasiatique. Non seulement ce discours intègre la méconnaissance chinoise des itinéraires qui permettent d’accéder au monde méditerranéen à travers le Proche-Orient, mais il joue également des représentations partagées et largement fantasmées, dans l’imaginaire chinois de cette époque, du royaume du Da Qin. Un exemple de description fabuleuse de la richesse de sa capitale et du raffinement de ses habitants figure d’ailleurs dans un autre passage du même chapitre du Hou Hanshu20 : sans doute cet imaginaire est-il nourri par l’importation, dans le monde chinois, de produits de luxe en provenance de l’empire romain (tissus précieux, pièces d’orfèvrerie, verrerie…), mais aussi influencé par les discours des intermédiaires de ces échanges commerciaux, qui joueraient de ces représentations culturelles. C’est pourquoi la « grande mer » mentionnée ici par les désinformateurs parthes n’est pas la Méditerranée, pas plus que la destination ne désigne la ville de Rome : les Chinois sont maintenus par leurs interlocuteurs dans une configuration de l’imaginaire où le Da Qin et sa capitale (qui tient d’ailleurs probablement davantage d’Alexandrie que de Rome) sont caractérisés de manière convaincante comme étant hors d’atteinte pour un sujet de l’empire des Han.

14Comme chronique rédigée a posteriori, le Hou Hanshu apporte d’ailleurs un éclairage rétrospectif et critique sur le rôle des Parthes dans le maintien d’une distance entre l’empire romain et l’empire chinois. Il mentionne en effet un deuxième épisode d’ambassade manquée, qui ne figure pas dans les sources romaines alors que celle-ci est présentée comme une tentative émanant de l’empereur romain d’entrer en contact avec son « homologue » chinois :

  • 21 Yu 2013, 72-74 (Hou Hanshu, chapitre 88) : « ¨ä¤©±`±©³q¨Ï©óº~¡A¦Ó¦w®§±©¥Hº~¹ºù »P¤§¥æ¥ » ¡A¬G¾B  (...)

Le roi de ce pays [le Da Qin] a souvent cherché à envoyer des émissaires auprès des Han, mais le [royaume du] Anxi, voulant contrôler le commerce de la soie bariolée des Han, leur en a bloqué l’accès, afin de les empêcher d’arriver [jusque-là]. Vers la neuvième année de l’ère Yanxi du règne de l’empereur Huan [166 ap. J.-C.], Andun, roi du Da Qin, envoya des ambassadeurs qui passèrent par les frontières du Rinan et offrirent des défenses d’éléphants, des cornes de rhinocéros et des carapaces de tortues ; c’est alors que, pour la première fois, un contact a été établi. Comme leur tribut ne comportait absolument rien de précieux ou de rare, on a soupçonné les auteurs de relations [sur le Da Qin] d’avoir exagéré21.

15La date de cette rencontre, 166 ap. J.-C., conduit les commentateurs à interpréter le nom de Andun ¦w´° comme l’adaptation chinoise de Marc Aurèle (M. Aurelius Antoninus), et ces mystérieux « ambassadeurs » comme des marchands qui auraient indûment revendiqué, par opportunisme, le statut d’envoyés de l’empereur. Pour autant, la catégorie de middle ground permet d’interpréter à la fois ce qui rend possible la rencontre et ce qui fait que le malentendu, ici, n’aboutit pas (alors qu’il peut être fécond dans certains exemples analysés par R. White). En effet, la tentative d’établir une relation directe sinon diplomatique, du moins commerciale passe ici par l’adoption de codes culturels correspondant aux attentes des dignitaires de la cour des Han, à savoir l’offrande de cadeaux de prix, systématiquement interprétés par les souverains chinois comme un tribut offert par un État inscrit de fait dans une relation de vassalité. Or ces présents, acquis selon toute vraisemblance par les marchands romains lors d’une escale dans la péninsule indochinoise (Rinan désigne ici une commanderie militaire située dans l’actuel Vietnam), ne peuvent être acceptés dignement car ils ne correspondent ni à la réputation de richesse et de puissance prêtée au Da Qin, ni à la qualité des produits précieux qui en sont importés dans l’empire des Han.

  • 22 Nous suivons Yu 2013 pour l’interprétation de la dernière phrase de l’extrait, mais M. Sartre et (...)

16Ce qui apparaît rétrospectivement, pour les compilateurs du Hou Hanshu, comme un premier contact historique significatif, ayant au moins permis de relativiser les écrits fabuleux relatifs au Da Qin22, est bien, selon nous, un rendez-vous manqué qui ne pouvait donner lieu à une relation diplomatique en bonne et due forme, non pas tant parce que les « envoyés » romains étaient probablement des imposteurs que parce que la rencontre témoignait d’une trop grande dissymétrie dans le processus de construction d’un middle ground : la représentation traditionnelle et fantasmée du Da Qin, en partie tributaire des discours des intermédiaires comme nous l’avons vu, prévalait suffisamment pour décrédibiliser de fait la tentative romaine d’adopter les manières permettant de se faire entendre et reconnaître par le souverain chinois. La revendication est enregistrée, puisque nous disposons du nom d’Andun, mais aucune suite ne lui est donnée, puisqu’elle n’est pas recevable comme ambassade du Da Qin. Ce sont donc les raisons de cette incommunicabilité qui sont mises en évidence par un tel épisode.

  • 23 Flor. Epit. 4. 12. 61 ( = 2. 34 dans l’édition de la CUF).

17On comprend que cette « ambassade » ne figure pas dans les sources romaines. Le seul voyage diplomatique qui puisse être associé à l’empire des Han est mentionné furtivement par Florus, dans sa célébration de l’action d’Auguste comme pacificateur de l’Orient : une délégation de Sères est censée avoir fait le chemin avec des Indiens apportant à Rome, en offrande, pierreries, perles et éléphants23… Il apparaît clairement, dans ce contexte d’éloge du Prince, que les Sères mentionnés ici en compagnie des Indiens, après les Scythes et les Sarmates, et avant les Parthes presque honteux de leurs anciennes victoires, ne sont là que pour remplir la fonction symbolique d’un peuple occupant les confins du monde et se montrant respectueux de la puissance d’Auguste, et non pour évoquer un événement réel. C’est donc une ambassade fictive, de l’opinion des commentateurs.

18D’autres ambassadeurs bien réels, en revanche, se voient attribuer sur les Sères un récit significatif dans l’imaginaire romain, repris par Pline l’Ancien : il s’agit des quatre émissaires de Taprobane (l’actuel Sri Lanka) menés par un certain Rachias, reçus à Rome sous le règne de Claude, qui décrivent une scène d’échange avec leurs partenaires commerciaux :

  • 24 Plin. Nat. 6. 88 : Idem narrauere latus insulae quod praetenderetur Indiae X stadiorum esse ab or (...)

Ils racontaient encore que le côté de l’île [de Taprobane] qui s’étend au sud-est le long de l’Inde avait 10 000 stades ; qu’ils faisaient aussi eux-mêmes face aux Sères au-delà des monts Hémodi, et les connaissaient même par le commerce : le père de Rachias y était allé ; à leur arrivée, les Sères venaient au-devant d’eux ; ils dépassaient la taille ordinaire, ils avaient les cheveux rouges, les yeux bleus, la voix horrible et ne parlaient pas aux étrangers. Le reste des informations concordait avec celles de nos marchands : les marchandises étaient déposées sur la rive opposée du fleuve à côté de ce qu’ils avaient à vendre et ils les emportaient si l’échange leur convenait. Rien ne justifie davantage la haine du luxe que de réfléchir, conduit là-bas en pensée, à ce qu’il exige, à quel prix et pour quelle raison24.

  • 25 Andre et Filliozat 1980, 117, n. 2.
  • 26 Les sources grecques et romaines sur ce sujet ont été rassemblées par Georges Coedès dans Coedes (...)
  • 27 Plin. Nat. 6. 54.

19Le portrait des Sères dressé ici a fait couler beaucoup d’encre et ne concorde certes pas avec l’identification courante (et problématique) de ce peuple aux Chinois, pas plus d’ailleurs que leur situation géographique face à l’île de Sri Lanka. Parmi les explications proposées, J. André et J. Filliozat y voient par exemple une confusion onomastique, chez les Romains, entre le nom des Sères et celui d’un peuple du Kerala25. Mais là n’est pas l’enjeu de cet extrait dans notre perspective : cette description s’inscrit, avec bien d’autres, dans la tradition grecque et romaine d’une construction imaginaire des Sères comme peuple lointain auquel est attribuée la production de la soie26. Elle permet de mobiliser ici deux motifs qui leur sont régulièrement associés dans les textes latins, à savoir la critique moraliste du luxe et la pratique du « commerce muet », transaction opérée à distance sans échange verbal direct (en cela, le passage fait d’ailleurs écho à la première caractérisation des Sères par Pline, plus haut dans le même livre27).

20Ce dernier exemple d’ambassade impossible, combiné à celui de Florus, illustre ce que l’absence objective de contact direct entre l’empire romain et celui des Han, et donc l’absence d’élaboration conjointe d’un middle ground au sens propre, nous permet de questionner : déplacée sur le terrain de la tradition textuelle et de la construction d’images fantasmées des peuples lointains (les Sères des uns, le Da Qin des autres), cette catégorie devient un outil heuristique. Elle permet de saisir de quelles manières interviennent les discours médians dont les imaginaires romain et chinois sont tributaires. L’exemple de Pline est emblématique de ce dispositif : il s’agit d’un récit étranger, rapportant une scène située dans un espace éloigné à la fois des itinéraires romains et du monde sinisé, impliquant des individus n’appartenant ni à l’une ni à l’autre des deux aires géopolitiques, et c’est au moyen de ce récit que le lettré romain renouvelle et alimente à la fois la représentation traditionnelle de ce peuple lointain. Dans cette perspective, le middle ground désignerait alors non un terrain d’entente, mais au contraire un espace intermédiaire géographique, culturel et symbolique, un entre-deux où se joue l’élaboration d’un discours recevable par les uns ou par les autres ; des cultures tierces jouent dans cette élaboration un rôle actif qui doit être mis au premier plan.

En conclusion : les empires de l’entre-deux

  • 28 Lieu et Mikkelsen 2016 : Between Rome and China : History, Religions and Material Culture of the (...)
  • 29 Kim, Vervaet et Adali 2017 : Eurasian Empires in Antiquity and the Early Middle Ages : Contact a (...)
  • 30 Pirazzoli-t’Serstevens et Bujard 2017, 278.

21En proposant de relire ces textes au prisme du middle ground, dont on a fait un usage critique à vocation exploratoire, on a voulu suggérer d’autres manières d’envisager le comparatisme entre empires romain et chinois, à l’écart des démarches habituellement adoptées dans le cadre des empire studies et des silk road studies, en nous s’inscrivant dans la perspective de l’Antiquité-monde. Ce détour problématique par la catégorie de middle ground à travers des situations où elle semble a priori inapplicable nous amène à prendre acte d’une tendance actuelle de l’historiographie et de la manière dont elle peut informer la démarche de l’Antiquité-monde : il s’agit de placer au centre de l’analyse, et non en marge des routes de la soie, les ensembles politiques et culturels situés « entre » Rome et la Chine. Cette focalisation apparaît explicitement (le mot between y est resémantisé) aussi bien dans le titre d’un ouvrage dirigé par des spécialistes du manichéisme ancien et consacré aux échanges intellectuels, religieux et commerciaux à travers l’Eurasie28, que dans celui d’un volume où l’on cherche à donner toute sa place, dans la longue durée historique, à l’Asie intérieure comme espace impérial29, pour ne prendre que deux exemples. C’est au moins en une équation à cinq termes que devrait alors être repensé le comparatisme entre Rome et la Chine, si l’on suit la suggestion de M. Pirazzoli-t’Serstevens et M. Bujard qui incluent les empires Xiongnu, Parthe et Koushan dans leur étude des relations à distance entre ces deux puissances politiques30. Une telle perspective promet de contribuer à faire de la Méditerranée autre chose que cette « mer au milieu des terres » sur laquelle est souvent centrée notre représentation de l’Antiquité.

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Bibliographie

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Yu 2013 : Yu Taishan, « China and the Ancient Mediterranean World : A Survey of Ancient Chinese Sources », Sino-Platonic Papers 242 (2013), 1-268.

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Notes

1 ¹ Dubs 1941.

2 Dubs 1957. Cette thèse de la fondation, par 145 légionnaires romains, d’une cité intégrée à l’espace politique chinois et bénéficiant d’un statut de relative autonomie est rapidement réfutée par Ying-shih Yü qui en montre l’incompatibilité avec les pratiques institutionnelles en vigueur sous les Han occidentaux, dans Yü 1967, 89-91.

3 Scheidel 2009. La perspective politique et institutionnelle ouverte par cet ouvrage, qui correspond à la démarche du Stanford Ancient Chinese and Mediterranean Empires Comparative History Project, est notamment prolongée dans Scheidel 2015. L’histoire comparée des empires trouve un aboutissement dans la récente et monumentale synthèse qui met en regard des études consacrées à des empires distants selon une périodisation originale : Bang, Bayly et Scheidel 2021.

4 Les dynasties Qin (221-206 av. J.-C.) et Han sont souvent prises ensemble dans ce type d’études, les institutions établies par le premier empereur Qin Shihuangdi étant à plusieurs égards au fondement de l’ordre impérial déployé par les souverains des dynasties Han. C’est le cas dans la récente synthèse historique en français portant sur cette période, Pirazzoli-T’Serstevens et Bujard 2017.

5 Scheidel 2009, 11.

6 Mutschler et Mittag 2008.

7 Ibid., XVI.

8 Ibid., XIV.

9 Les présupposés épistémologiques et idéologiques que laisse apparaître la déno­mination même de East-West comparative studies, dans les pays anglo-saxons, sont discutés par Muriel Détrie dans Detrie 1999, 113-129.

10 Voir à ce sujet Chin 2013.

11 Frankopan 2017 [2015].

12 Voir notamment sur ce sujet Hildebrandt 2017 et Benjamin 2018. L’histoire des relations commerciales entre l’empire romain et les différentes régions de l’Asie centrale, méridionale ou orientale a donné lieu à de nombreuses publications, de la synthèse déjà ancienne de Raschke 1978 aux ouvrages de McLaughlin 2010 et 2014, mais nous n’entendons pas en rendre compte ici. Il s’agit simplement de proposer, en dialogue avec les travaux inscrits dans les tendances historiographiques que nous venons de rappeler, une nouvelle approche de la question des rapports entre Rome et la Chine, par un usage critique de la catégorie de middle ground.

13 White 2020 [1991].

14 Ibid., 30-31. Texte original (page X de l’édition de 1991) : The process of accommodation described in this book certainly involves cultural change, but it takes place on what I call the middle ground. The middle ground is the place in between : in between cultures, peoples, and in between empires and the nonstate world of villages. It is a place where many of the North American subjects and allies of empires lived. It is the area between the historical foreground of European invasion and occupation and the background of Indian defeat and retreat. On the middle ground diverse people adjust their differences through what amounts to a process of creative, and often expedient, misunderstandings. People try to persuade others who are different from themselves by appealing to what they perceive to be the values and practices of those they deal with, but from these misunderstandings arise new meanings and through them new practices – the shared meanings and practices of the middle ground.

15 Une note de l’éditeur, dans la traduction française (31, n. 2), explique que l’expression anglaise a été reprise telle quelle en français, sans majuscule quand elle prend le sens d’un concept adaptable à d’autres contextes historiques, et avec des majuscules quand elle s’applique spécifiquement au contexte du Pays d’en Haut étudié par R. White. Nous reprenons donc, quant à nous, l’expression anglaise sans majuscule, mais en italique pour l’appliquer aux contextes anciens.

16 White 2020 [1991], 119-124. La scène, rapportée par des témoins français, est renseignée par des documents d’archives qui ont permis aux historiens, dont R. White, d’en analyser le contenu.

17 Ibid., 122.

18 Yu 2013, 63-65 (Hou Hanshu, chapitre 88) : « ©M » Ò¥Ã¤¸¤E¦~¡A³£Å@¯Z¶W »º¥Ì­^¨Ï¤j¯³¡A©è±ø¤ä¡CÁ{¤j®ü±© » ×¡A¦Ó¦w®§¦è¬É²î¤H¿×­^ ¤ê :"®ü¤ô¼s¤j¡A©¹¨Ó ªÌ³{µ½­·¤T¤ë¤D±o » ×¡A­Y¹J遟­·¡A¥ç¦³¤G·³ ªÌ¡A¬G¤J ®ü¤H¬ÒöÒ¤T·³Â³¡C®ü¤¤µ½¨Ï¤H » ä¤gÅʼ}¡A¼Æ¦³¦º¤` ªÌ"¡C­^ »D¤§¤D¤î¡C ». Nous traduisons à partir du texte établi, traduit et commenté par Yu Taishan, en nous référant également aux traductions commentées de J. Hill (Hill 2009), ainsi que de D. Leslie et K. Gardiner (Leslie et Gardner 1996).

19 Contra Yu 2013, qui la situe plutôt à proximité de la rive orientale de la Méditerranée.

20 Voir Yu 2013, 66-69 (Hou Hanshu, chapitre 88), et une traduction française dans Sartre 2021, 233-234.

21 Yu 2013, 72-74 (Hou Hanshu, chapitre 88) : « ¨ä¤©±`±©³q¨Ï©óº~¡A¦Ó¦w®§±©¥Hº~¹ºù »P¤§¥æ¥ » ¡A¬G¾B »Ò¤£±o¦Û¹F¡C¦Ü®Ù » Ò©µ¿Q¤E¦~¡A¤j¯³¤©¦w´° »º¨Ï¦Û¤é » néu¥~Äm¶H¤ú¡B µR¨¤¡B瑇·è¡A©l¤D¤@³q²j¡C¨ä©Ò ªí°^¡A¨ÃµL¬Ã²§¡AºÃ¶Ç ªÌ¹L²j¡C ». Voir aussi Sartre 2021, 225-226.

22 Nous suivons Yu 2013 pour l’interprétation de la dernière phrase de l’extrait, mais M. Sartre et J. Hill, sur lequel il se fonde, estiment que les soupçons portent alors sur le récit des marchands romains. Cela ne remet pas en cause les analyses qui suivent.

23 Flor. Epit. 4. 12. 61 ( = 2. 34 dans l’édition de la CUF).

24 Plin. Nat. 6. 88 : Idem narrauere latus insulae quod praetenderetur Indiae X stadiorum esse ab oriente hiberno ; ultra montes Hemodos Seras quoque ab ipsis aspici, notos etiam commercio : patrem Rachiae commeasse eo ; aduenis sibi Seras occursare, ipsos uero excedere hominum magnitudinem, rutilis comis, caeruleis oculis, oris sono truci, nullo commercio linguae. Cetera eadem quae nostri negotiatores : fluminis ulteriore ripa merces positas iuxta uenalia tolli ab iis, si placeat permutatio, non aliter odio iustiore luxuriae quam si perducta mens illuc usque cogitet quid et quo petatur et quare. (trad. J. André et J. Filliozat).

25 Andre et Filliozat 1980, 117, n. 2.

26 Les sources grecques et romaines sur ce sujet ont été rassemblées par Georges Coedès dans Coedes 1910.

27 Plin. Nat. 6. 54.

28 Lieu et Mikkelsen 2016 : Between Rome and China : History, Religions and Material Culture of the Silk Road.

29 Kim, Vervaet et Adali 2017 : Eurasian Empires in Antiquity and the Early Middle Ages : Contact and Exchange between the Graeco-Roman World, Inner Asia and China.

30 Pirazzoli-t’Serstevens et Bujard 2017, 278.

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Pour citer cet article

Référence papier

Tristan Mauffrey, « Entre l’empire romain et celui des Han, un middle ground impossible ? »Anabases, 36 | 2022, 115-128.

Référence électronique

Tristan Mauffrey, « Entre l’empire romain et celui des Han, un middle ground impossible ? »Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2024, consulté le 08 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/14722 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.14722

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Auteur

Tristan Mauffrey

Université Sorbonne Nouvelle – CERC
89 rue Henri Barbusse,
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