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Historiographie et identités culturelles
Dossier – Antiquité-Monde

L’Asclépius fait-il partie de la bibliothèque latine ?

Cyril Rouanet
p. 79-97

Résumés

L’Asclépius n’est pas un simple dialogue grec traduit en latin. L’article cherche à voir quels éléments font de ce texte un ouvrage de la « bibliothèque latine ». L’usage de la langue grecque dans l’Asclépius montre que le « nous » qui apparaît dans cette œuvre est un lettré maîtrisant la culture gréco-romaine. Cette culture se révèle également dans le travail sur la langue latine et dans la structure de l’Asclépius, qui encadre le dialogue dans une narration.

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Texte intégral

  • 1 D’onofrio 1992.
  • 2 Versluys 2002.
  • 3 Derchain 1962. Il en va de même de la manufacture des amulettes, qui suivent la mode gréco-romain (...)

1Durant les premiers siècles de notre ère, Rome, la Grèce, et l’Égypte ne sont pas des réalités totalement hétérogènes. L’Égypte, d’abord sous l’autorité d’Alexandre le Grand, devint romaine avec Auguste. C’est à partir de son règne que les empereurs firent installer à Rome des obélisques directement importés d’Égypte, phénomène qui dura au moins jusqu’au ive siècle1. Au même moment, de nombreuses constructions romaines, comme les villae de l’aristocratie, sont fréquemment ornées par des « scènes nilotiques », où apparaissent crocodiles, ibis, bateaux de pêche, palmiers et hippopotames. Ces images n’ont rien d’égyptien et sont plutôt un art « égyptisant », pure création romaine d’un exotisme iconographique2. C’est à partir de cette création d’un art romain à l’égyptienne qu’est née en moi l’idée d’une littérature romaine « à l’égyptienne », c’est-à-dire une pratique lettrée romaine spécifique, intégrant des marques d’égyptianité. La tradition scripturaire égyptienne était ouverte aux influences : non seulement les textes qui circulaient dans l’Égypte impériale étaient souvent rédigés en grec, langue alors la plus parlée à Alexandrie, mais en plus, certains textes de la tradition égyptienne, comme les arétalogies d’Isis, étaient eux-mêmes influencés par la tradition grecque3.

  • 4 Lucentini 2003.
  • 5 […] tota numinis maiestate plenissimum (Ascl. 1). Les extraits sont tirés de l’édition de Nock et (...)
  • 6 Ascl. 40.
  • 7 Tatque, nobis qui intersit, evoca […]. Quo ingresso Asclepius et Hammona interesse suggessit (Asc (...)
  • 8 Les égyptologues l’orthographient plutôt Ammon (ou Amon). Nous revenons sur le cas de Tat infra.

2L’Asclépius, qui fut probablement composé entre le iie et le ive siècles, a la particularité d’être un texte latin qui possède des éléments égyptiens (des personnages et des situations, sur lesquels nous reviendrons). Il s’agit d’un dialogue mené par le personnage d’Hermès Trismégiste, sous le nom duquel ont circulé des traités d’alchimie, d’astrologie, de médecine divinatoire et de philosophie durant les derniers siècles de l’Antiquité et pendant tout le Moyen Âge4. Dans ce dialogue, Hermès donne à son disciple Asclépius un enseignement « tout rempli de l’entière majesté divine »5. Parmi les différents sujets qu’ils abordent se trouvent notamment l’Un et le Tout, l’immortalité de l’âme, la place de l’homme dans l’univers, et ses rapports avec Dieu. L’ensemble constitue donc un dialogue « sur les choses divines » (de divinis rebus)6. Deux autres auditeurs se joignent au dialogue entre Hermès et Asclépius : il s’agit de Tat et Hammon. Tat est invité sur l’ordre d’Hermès – « va appeler Tat pour qu’il soit des nôtres », dit-il à Asclépius, et, « lorsqu’il fut entré, Asclépius proposa d’admettre aussi Hammon »7. On reconnaît ici des noms égyptiens (Hammon, notamment8).

  • 9 Nock et Festugière 2008 [1946], 280.
  • 10 Nock et Festugière 2008 [1946], 277-284.
  • 11 On verra que certains passages au moins furent également transmis, à date ancienne, en copte.
  • 12 Mahe 1978.

3Nous connaissons d’autres dialogues dans lesquels le personnage d’Hermès Trismégiste enseigne à Asclépius, Tat ou Hammon, le même type de savoirs. Ces dialogues nous sont tous parvenus en grec et ils constituent l’essentiel de ce qu’on nomme le Corpus Hermeticum. Dès le xve siècle, au moment où le manuscrit byzantin qui les contenait parvient en Italie, son premier éditeur, Marsile Ficin, y adjoint l’Asclépius, estimant que tous ces textes forment un seul et même corpus. Pourtant, l’Asclépius avait été transmis dans des manuscrits latins, au milieu des opuscules philosophiques d’Apulée, et non à l’intérieur du Corpus Hermeticum. Le travail de Marsile Ficin a donc eu deux conséquences : d’une part, il a coupé le lien qui existait entre l’Asclépius et la tradition lettrée que représentait Apulée ; d’autre part, l’Asclépius fut considéré comme la traduction latine d’un texte grec perdu, et il l’est encore aujourd’hui. En effet, Arthur Darby Nock, l’un des éditeurs modernes du Corpus Hermeticum, pour qui il était nécessaire d’« étudier la langue de l’Asclépius »9, a inventorié les nombreux hellénismes se trouvant dans le texte, tels que l’emploi du génitif comme complément du comparatif, le génitif absolu, la construction de videri avec un participe présent, etc. Il a aussi souligné l’absence de certains mots très fréquents dans le latin impérial (comme igitur, mox, inde, sane, ou encore les verbes tenere ou mittere)10. À ces indices s’ajoutent plusieurs testimonia antiques de l’Asclépius, tantôt en latin (Lactance, Saint Augustin), tantôt en grec (Marcel d’Ancyre, Cyrille d’Alexandrie, Stobée, Jean le Lydien), qui montrent que le texte était connu dans les deux langues11. Le plus ancien de ces témoins, Lactance, cite des extraits de l’Asclépius tantôt en grec, tantôt sous une forme latine qui n’est pas la même que celle qui sera utilisée dans le reste de l’histoire du texte. Il a donc paru « extrêmement douteux » que l’Asclépius latin que nous connaissons ait existé du temps de Lactance12 : la version latine qu’il donne pourrait bien être sa propre traduction d’un texte initialement en grec.

4Quelle raison avait-on de récrire en latin l’Asclépius, à partir d’un texte initialement en grec (l’« original » perdu) ? Peut-être celle de transmettre un enseignement gréco-égyptien à un public insuffisamment hellénisé. Cette question est encore en suspens, et je souhaiterais montrer que si l’Asclépius fut le seul traité du Corpus Hermeticum passé en langue latine, c’est parce qu’il fut plutôt considéré comme un texte lettré, c’est-à-dire une composition littéraire inscrite dans la tradition latine, comme peuvent l’être les œuvres de Cicéron ou d’Apulée, et non un simple compendium traduisant des savoirs ésotériques barbares.

  • 13 Du moins, il faut attendre les écrits chrétiens pour voir apparaître des « traductions » au sens (...)
  • 14 Rochette 2003, 81-82.
  • 15 Doresse 1956, 58 : « Quant aux chapitres 21 à 29 de l’Asclepius, ils accusent, par rapport à l’ég (...)

5En effet, il est difficile de parler de l’Asclépius comme d’une pure « traduction », dans la mesure où cette notion moderne n’existe pas dans l’esprit romain13. La comparaison entre les testimonia grecs et les passages correspondants dans le texte latin complet permet de voir que le texte latin a procédé à des révisions, des intensifications, ou des clarifications14. Il existe également un long passage dans un manuscrit copte de la célèbre bibliothèque de Nag Hammadi, qui correspond aux chapitres 21 à 29 de l’Asclépius. Ce passage date à peu près de la même période (vers le ive siècle), et il est difficile de savoir avec exactitude la relation qui existe entre la version latine et la version copte. Mais, à un court passage près, cette version montre que le texte latin est amplifié et embelli, par rapport à son équivalent copte15.

  • 16 Une bonne synthèse du phénomène de bilinguisme dans Rochette, 1998.

6Dans cet article, je voudrais montrer que, si certains éléments de l’Asclépius semblent traduits du grec, d’autres éléments manifestent que le texte est une véritable composition latine et non pas une simple traduction. C’est en ce sens qu’il faudra comprendre qu’il fait partie de la bibliothèque latine, c’est-à-dire qu’il est susceptible d’être traité comme une œuvre littéraire de l’utraque lingua, - une écriture jouant sur les deux langues, le grec et le latin, maniées par les lettrés de l’Empire romain16. Pour cela, je vais me servir des méthodes de l’analyse pragmatique, en interrogeant deux aspects : l’énonciation (qui parle ? dans quel contexte ?) et la généricité (qu’est-ce que ce texte ?).

7Mon analyse adoptera donc deux points de vue successifs. Dans un premier temps, je vais m’intéresser au pronom « nous » dans l’Asclépius. Cette forme linguistique est un embrayeur, c’est-à-dire qu’il renvoie à un référent extralinguistique, susceptible de donner des indices sur l’énonciation du texte, et on verra qu’il permet de comprendre comment le texte manipule l’utraque lingua d’une manière non pas seulement didactique, mais dans le sens d’une certaine esthétique, qui n’a rien d’authentiquement égyptien mais qui s’inscrit dans la culture lettrée impériale. Après cette micro-analyse, on regardera au contraire l’Asclépius à partir de sa structure globale. Loin d’être seulement un dialogue gréco-égyptien dans lequel le maître instruit son disciple dans le secret d’un sanctuaire, l’Asclépius présente en plus une particularité qui le démarque des autres dialogues qui lui ressemblent (ceux du Corpus Hermeticum) : il est pourvu d’un cadre narratif à la troisième personne. Les dialogues grecs du Corpus Hermeticum commencent au contraire in medias res. L’Asclépius se distingue donc doublement des autres dialogues du Corpus Hermeticum : d’abord par la langue, ensuite par sa structure.

« Nous » égyptien et « nous » latin

  • 17 « C’est chose impie que de [le] divulguer à la masse » (inreligiosae mentis est multorum conscien (...)
  • 18 Fowden 1986, 71 ; Van den Kerchove, 2012, 46-49.
  • 19 Tat, un nom qu’on ne trouve que dans les écrits hermétiques (et leurs testimonia), apparaît comme (...)
  • 20 Hermes, quem Cicero ait in numero deorum apud Aegyptios haberi (Lact. ira. 11. 14).
  • 21 Fowden 1986, 162.
  • 22 Un bilan récent dans Audureau, 2019.
  • 23 Dunand 1977, 58-59 : on y trouvera une comparaison des deux textes, en regard. Voir aussi Mahe 19 (...)
  • 24 Ascl. 24.

8Hermès insiste sur le caractère secret de son enseignement : seule une poignée d’élus peuvent y assister17. C’est là une particularité des livres de sagesse égyptienne18, qui se transmettent de maître à disciple ou de père à fils. Plusieurs éléments montrent que les différents personnages de l’Asclépius sont également liés à l’Égypte. Les noms de Tat et Hammon donnaient au texte une coloration égyptienne19. Mais le nom même d’Hermès, quoique ce dernier appartienne au panthéon grec, était aussi lié à l’Égypte : la tradition latine, depuis Cicéron20, qui le mettait au rang des dieux égyptiens, jusqu’à saint Augustin, qui le nommait Aegyptus, faisait d’Hermès « l’Égyptien par excellence »21, et les recherches sur le nom Trismégiste ont fréquemment souligné son origine égyptienne22. De plus, dans la deuxième moitié du dialogue se trouve une apocalypse égyptienne (Ascl. 24-26) qu’Hermès prophétise pour illustrer les conséquences d’un manque de piété à l’égard des dieux. Sa structure est proche de celle de l’Oracle du Potier, une de ces prophéties en langue égyptienne qui circulèrent au cours du ier millénaire avant J.-C23. L’Asclépius et son personnage central présentent donc des caractéristiques égyptiennes. Il est ainsi assez logique qu’au moment où Hermès prophétise cette apocalypse, l’Égypte soit dite terra nostra24.

  • 25 Ascl. 7 (je souligne).
  • 26 Ascl. 7.
  • 27 Corp. Herm. 16. 1-2. Le texte souffre d’une lacune due à un grattage après ἡ τῶν Αἰγυπτίων.
  • 28 Corp. Herm. 16. 2. Cette « façon de dire » (φράσις), lorsqu’elle est noble (γενναία) est précisém (...)

9Pourtant, alors qu’Hermès devrait parler grec ou égyptien, il prend soin de souligner que sa langue est le latin. En effet, à plusieurs reprises, Hermès explique à Asclépius des notions complexes, touchant à la cosmologie ou à la métaphysique par exemple. Pour ce faire, il utilise parfois des mots grecs. C’est le cas lorsqu’il explique la dualité de l’homme, à la fois divin, essentiel, et mondain, matériel : quod ὑλικόν Graeci, nos mundanum dicimus (« ce que les Grecs <nomment> hulikon, nous le disons ‘‘mondain’’ »)25. Ce procédé se répète, puisque dans le même passage, le texte use d’une périphrase, assumée par cette première personne du pluriel latinophone, pour expliquer le terme technique par lequel on désigne l’autre substance qui compose l’homme, sa dimension divine. « Comme les Grecs disent », l’autre substance qui compose l’homme est « ousiôdès, que nous appelons ‘‘formé à la ressemblance divine’’ » (ut Graeci aiunt, οὐσιώδης, quam vocamus divinae similitudinis formam)26. La langue grecque est donc traitée comme une source, mais cette source est externe au locuteur. On pourrait être tenté de rapprocher cette caractéristique d’un autre texte, tiré du Corpus Hermeticum, dans lequel Asclépios, tout en s’exprimant en grec, distingue sa langue (τὴν ἡμετέραν διάλεκτον) de celle des Grecs : seule la langue égyptienne (ἡ τῶν Αἰγυπτίων) possèderait l’énergie des choses qu’on dit (ἐν ἑαυτῇ ἔχει τὴν ἐνέργειαν τῶν λεγομένων)27. Mais, contrairement à ce qui se passe dans le texte latin, qui donne le terme dans une langue et sa traduction dans une autre langue, on ne trouve pas dans les textes grecs d’opposition entre deux termes : l’un qui serait dépourvu de puissance (ἐνέργεια) et l’autre qui servirait à pallier cette faiblesse. Et, plutôt que deux langues, il semblerait qu’Asclépios oppose deux manières de dire, deux intonations : le manque d’énergie serait le propre de « l’orgueilleuse élocution des Grecs, avec son manque de nerfs » (ἡ τῶν Ἑλλήνων ὑπερήφανος φράσις καὶ ἐκλελυμένη)28.

  • 29 Ascl. 19.
  • 30 Ascl. 19.
  • 31 Mens. 4. 7.
  • 32 Il pourrait s’agir d’un problème textuel d’haplographie (Rochette 2003, 79), mais je m’en tiens a (...)
  • 33 Ascl. 14.

10D’autres termes techniques grecs figurent dans le texte. Parmi eux se trouve notamment οὐσιάρχης. Ce terme est peut-être une création lexicale dans la mesure où il n’en existe pas de trace antérieure. Dans un premier temps, il n’est pas défini au sens strict du terme, mais il est mis en relation avec Iuppiter, qui lui sert de référent connu (Jupiter est l’ousiarque du ciel)29. Ce n’est qu’au deuxième emploi du terme que le texte lui donne un équivalent générique (nominal en l’occurrence) et non référentiel, comme l’était Jupiter : οὐσιάρχης vel princeps (« οὐσιάρχης, c’est-à-dire ‘‘chef’’ »30). Dans la phrase suivante, le terme est employé une troisième fois, mais au pluriel, et Hermès le glose à nouveau par id est principes. Ce terme technique n’existe pas tel quel dans le testimonium grec du même passage, chez Jean le Lydien, qui dit plus simplement ἔχουσιν ἀρχήν31. Ce qui pourrait sembler être une glose didactique ajoute donc plutôt de la complexité au propos de l’Asclépius32. L’usage de l’épanorthose, qui consiste à se corriger dans le fil de son raisonnement, produit le même type d’effet de cumul de mots : « le souffle était avec la matière, ou plutôt il était dans la matière » (et mundo comitabatur spiritus vel inerat mundo spiritus)33.

  • 34 Ascl. 14. Les deux expressions (« monde » / « nature du monde ») apparaissent dans ce même passag (...)
  • 35 Ascl. 10.
  • 36 Le premier terme apparaît en Ascl. 7, le second en Ascl. 14 (et 17).
  • 37 Le premier terme apparaît en Ascl. 7 (et 8), le second en Ascl. 19.
  • 38 Ascl. 17.

11Cette complexité est augmentée par le fait que le procédé d’explicitation des termes techniques par équivalence n’est pas systématique. On constate même parfois une certaine ambiguïté. Ainsi, le terme ὕλη (« matière ») est tantôt défini par mundus, tantôt par mundi natura34 ; or, mundus sert également à transcrire κόσμος35. Il en résulte l’affaiblissement d’un lien clair entre chaque base lexicale et ses dérivés. Cela explique que l’adjectif ὑλικόν soit employé et glosé bien avant ὕλη36, qui en est pourtant la base. Il en va de même pour οὐσιώδης, qui précède οὐσία37. Ainsi, l’Asclépius puise dans un stock de mots fréquents dans la philosophie grecque, mais ces derniers ne sont pas utilisés de manière didactique : création lexicale, absence de lien clair entre base et dérivé, pluralité des traductions pour un même terme technique... Dans un autre passage, où il est question de la géométrie du monde, qui est une sphère, Hermès explique qu’il n’est pas possible d’en voir tous les points, qu’une partie reste invisible à nos yeux. Il propose alors un discours étymologique sur le nom de ce « lieu » (locus) invisible de la sphère du monde : Graece Ἅιδης dicitur, siquidem ἱδεῖν Graece videre dicatur, quo visu imum sphaerae careat. Unde et ideae dicuntur species, quod sint visibiles formae (« en grec, on dit Hadès, puisque ‘‘voir’’ se dit hidein en grec, parce que le fond d’une sphère échappe à la vue »)38.

  • 39 Il s’agit du début du traité 8 du Corpus Hermeticum (= Nock et Festugière 2008 [1946]).
  • 40 Corp. Herm. 8. 1.

12Un autre dialogue du Corpus Hermeticum contient une sorte de jeu étymologique semblable, reposant sur l’absence ou la présence d’un ἀ- privatif. Il s’agit du dialogue sur l’âme et le corps (περὶ ψυχῆς καὶ σώματος)39, dans lequel Hermès explique que la mort « n’est qu’un concept forgé sur la dénomination d’immortel, soit pure fiction, soit par privation de la première lettre, le mot thanatos au lieu d’athanatos » (ἀλλὰ νόημά ἐστιν ἀθανάτου προσηγορίας ἢ κενὸν ἔργον ἢ κατὰ στέρησιν τοῦ πρώτου γράμματος λεγόμενος θάνατος ἀντὶ τοῦ ἀθάνατος)40. On voit que le travail sur les mots est différent ici : il ne forme pas un véritable discours étymologique, dans lequel on pourrait reconstruire le champ dérivationnel d’une même base, mais vise seulement à montrer que la mort (thanatos) n’a de sens que par rapport aux dieux, les immortels (athanatoi). Son nom a quelque chose de vain, et l’explication en est fort simple.

  • 41 Gell. 1. 18. Voir également 1. 25.
  • 42 Pour un tableau de cette « sociabilité savante », avec de nombreux extraits tirés d’Aulu-Gelle, c (...)
  • 43 Plat. Crat. 404b ; Gorg. 493b.
  • 44 Fr. 418 Theodoridis : ὁ Ἅιδης, εἰς ὃν οὐκ ἔστιν ἰδεῖν.
  • 45 Suid., s.v. Philoxenos (= Φ 394).

13Dans l’Asclépius, la forme grecque permet d’ajouter de la complexité à la démonstration d’Hermès : elle donne une explication supplémentaire sur un mot lié à la mythologie (l’Hadès). C’est que le discours étymologique est typique du savoir lettré impérial, de l’homme « à l’érudition excellente » (excellentis doctrinae) : c’est en ces termes qu’Aulu-Gelle cite et commente les étymologies de Varron41. De plus, le discours étymologique participe de cette culture des mots, où les marques de grécité sont des signes d’érudition qui fournissent matière à commentaire : les cercles érudits dont parle Aulu-Gelle sont friands de mots ou expressions grecques, qu’on aime insérer dans un ensemble latin, et qui montrent la maîtrise des belles-lettres grecques (litterae Graecae)42. L’étymologie du mot Hadès donnée dans l’Asclépius, d’origine platonicienne43, circulait chez des lettrés comme Philoxenos, un grammairien du ier siècle avant J.-C.44, probablement contemporain de Varron. On devait à ce Philoxenos, qui exerça son métier à Rome (γραμματικός, ὃς ἐσοφίστευσεν ἐν Ῥώμῃ), différents traités sur les verbes, la métrique, les dialectes ou encore les mots rares45 : autant d’objets de curiosité pour l’érudition alexandrine.

  • 46 Aug. Civ. 7. 14.
  • 47 Rochette 1995, 254.

14Si donc l’Asclépius a eu un « original grec », l’énonciation latine implique une transformation de l’énoncé grec, et rappelle peut-être qu’Hermès est le dieu de la langue et des mots, le dieu du passage d’un mot à l’autre (interpretatio). Cette dimension herméneutique est le propre du Hermès-Mercure, c’est-à-dire de la tradition du dieu gréco-romain46. Surtout, s’il y a eu traduction, on voit qu’il s’agit d’une traduction libre, qui ne se prive pas de complexifier le propos. Or, lors des derniers siècles de l’Empire, c’est précisément le « principe de littéralité » qui se généralise notamment pour les textes à caractère sacré47, par opposition à l’époque de Cicéron, où la traduction était alors une adaptation relativement libre. Le passage du grec au latin montre que l’Asclépius use de la liberté des anciens lettrés.

  • 48 Dictum est vobis de singulis […]. Restat hoc solum nobis, ut benedicentes deum orantesque (Ascl. (...)
  • 49 Ascl. 41.

15À ces deux « nous » (l’un Égyptien, l’autre latin) s’ajoute un troisième « nous », tout à la fin du texte. Après avoir abordé l’ensemble des objets de son entretien divin (divino sermoni) avec ses auditeurs, Hermès les invite à faire une prière d’action de grâce : « Voilà. Je vous ai expliqué chaque sujet […]. Il ne nous reste plus qu’à bénir Dieu dans nos prières »48. Vient alors la récitation de la prière. Cette dernière achevée, le texte dit : haec optantes convertimus nos ad puram et sine animalibus cenam (« à ces vœux, nous nous rendîmes à une cène pure que ne souillait nul aliment ayant eu vie »)49. Ce « nous » englobe les différents protagonistes de l’échange dont l’Asclépius est la trace, et appartient ainsi à une forme de narration. Il y a donc un « nous » égyptien, un autre latinophone, et un « nous » narratif. Ce dispositif d’imbrication du dialogue est, comme la langue de rédaction, isolé dans le Corpus Hermeticum ; il apparaît donc solidaire de la langue latine, et forme avec elle une véritable manière de dire et de faire.

Un travail de composition latin : entre récit et dialogue

  • 50 Ascl. 1.

16Contrairement aux autres dialogues du Corpus Hermeticum, l’Asclépius n’est pas seulement un dialogue, nous l’avons dit. Certes, l’essentiel du texte est constitué par l’échange entre Hermès et Asclépius, entourés de Tat et Hammon. Mais, à deux reprises, on voit apparaître un dispositif narratologique cadre, au début et à la fin de l’œuvre. D’abord, après la première interpellation d’Hermès à l’égard d’Asclépius, au cours de laquelle il lui annonce qu’il va lui faire prendre part à un entretien divin, Hermès demande à Asclépius d’inviter Tat et, « lorsqu’il fut entré, Asclepius proposa aussi d’admettre Hammon » (quo ingresso Asclepius et Hammona interesse suggessit Trismegistus ait […]50). Ces derniers mots coupent le dialogue, ils sont comme une prise de distance par rapport à l’échange, à la fois par la personne, par le temps (parfait) et par le verbe ait (« il dit »), typique des propositions en incise dans lesquelles apparaît la voix du narrateur.

17Ce cadre narratif réapparaît à la fin du texte, au moment où l’entretien est achevé. Les quatre personnages sont alors sur le point d’adresser une prière d’action de grâce à la divinité, en guise de conclusion à leur échange :

  • 51 Ascl. 41.

De adyto vere egressi cum deum orare coepissent, in austrum respicientes (sole etenim occidente cum quis deum rogare voluerit, illuc debet intendere, sicuti et sole oriente in eum, qui subsolanus dicitur) – iam ergo dicentibus precationem Asclepius ait voce submissa :
– O Tat, vis suggeramus patri iusserit, ut ture addito et pigmentis precem dicamus deo ?
Quem Trismegistus audiens atque commotus ait :
– Melius, melius ominare, Asclepi. Hoc enim sacrilegis simile est, cum deum roges, tus ceteraque incendere ? Nihil enim deest ei, qui ipse est omnia aut in eo sunt omnia. […].51

« Étant sortis alors du fond du sanctuaire, ils se mirent à prier Dieu, regardant vers le Sud (car, quand on veut s’adresser à Dieu au coucher du soleil, c’est là qu’il faut regarder, de même qu’au lever du soleil on doit regarder vers l’Est), et il commençait déjà de prononcer la formule quand Asclépius dit à voix basse :
– Ô Tat, veux-tu que nous proposions à ton père qu’il fasse accompagner nos prières d’encens et de parfums ?
Mais Trismégiste l’entend et, tout ému, l’arrête :
– Silence, silence, Asclépius. C’est une sorte de sacrilège, quand on prie Dieu, de brûler de l’encens et tout le reste. Car rien ne manque à celui qui est lui-même toutes choses ou en qui sont toutes choses. »

18Là encore, on retrouve les caractéristiques habituelles de la narration : temps passé, troisième personne, verbes de parole et de pensée ou émotion (Hermès est bouleversé, commotus). On remarque également que les deux passages où apparaît le cadre narratif ont pour point commun le personnage de Tat. Alors que Hammon, le dernier personnage, est un témoin silencieux de l’échange, presque invisible, Tat entretient une relation particulière avec Asclépius et Hermès, pleine de complicité. En effet, c’est Hermès en personne qui demande à Asclépius d’inviter Tat dans le cercle restreint de l’échange. Hermès est le pater de Tat, et Tat est son « fils très aimant et très cher » (amantissimum et carissimum filium). Asclépius lui parle en toute discrétion, à voix basse (voce submissa), de manière complice.

  • 52 Isoc. Bus. 21-22. C’est en Égypte que Pythagore avait fait une partie de son apprentissage (Apul. (...)
  • 53 PE. 1. 9. 23-24 (= Sirinelli et Des Places 1974)
  • 54 Trapp, 1990.
  • 55 Plat. Phdr. 274a.
  • 56 Cf. note 19, ci-dessus.
  • 57 Ascl. 41.

19Dans l’Antiquité impériale, on faisait de l’Égypte l’un des lieux originels de la philosophie, de l’écriture et de leur dimension secrète et ésotérique52. Cette tradition fut rapportée dans le milieu chrétien, entre autres, par Eusèbe de Césarée53, et elle se trouvait également dans le Phèdre de Platon, qui fut particulièrement lu au cours de la période impériale54. Platon associait au dieu Theuth l’invention de l’écriture55. Tat, dont le nom semble être une déformation de Theuth56, se révélait donc être un personnage idéal pour se saisir d’un calame et rédiger le dialogue. Il semble que ce soit lui le « je » contenu dans le « nous » final que nous avons vu plus haut : haec optantes convertimus nos ad puram et sine animalibus cenam57 (« à ces vœux, nous nous rendîmes à une cène pure que ne souillait nul aliment ayant eu vie »). On a comme deux narrations : l’une à la troisième personne, l’autre à la première.

  • 58 In Cumano nuper cum mecum Atticus noster esset, nuntiatum est nobis a M. Varrone venisse eum Roma (...)
  • 59 Cic. Fin. 5. 1.

20Cette forme narrative est héritée de la tradition lettrée, qui connaît bien la forme dialoguée, au moins depuis Platon. En effet, certains des dialogues philosophiques de Cicéron sont également placés dans un récit cadre, même s’il s’agit systématiquement d’une narration à la première personne. Le début des Académiques situe le dialogue dans l’espace d’une villa de Cumes, où Cicéron raconte être en compagnie de son cher Atticus, et avoir reçu un message de Varron : « Récemment, alors que mon ami Atticus se trouvait avec moi dans mon domaine de Cumes, Marcus Varron nous fit annoncer qu’il était arrivé de Rome la veille au soir »58. Cicéron et Atticus prennent alors l’initiative d’aller rejoindre Varron. Là commence le dialogue entre les trois personnages. Le procédé est semblable au début et à la fin du livre 5 du De finibus (c’est pourquoi nous pouvons aussi parler de récit-cadre) ; Cicéron raconte à Brutus une conversation qu’il a eue avec Pison, « en ce temps-là » (id temporis)59.

  • 60 Les papyrus magiques, qui donnent accès à la « religion de la masse », constituent cette littérat (...)
  • 61 Frankfurter 1995, 457-476.
  • 62 Gordon 2012, 154-155.
  • 63 Festugière 1983 [1944], 284-287.
  • 64 C’est là la forme de nombreux papyrus grecs magiques, comme Preisendanz 1973-1974, PGM 3, 612-632
  • 65 La prière à la Lune qui se trouve dans le « Grand papyrus magique de Paris » (= Preisendanz 1973- (...)

21À l’inverse, les textes narratifs qui circulaient exclusivement en Égypte, le foyer culturel supposé de l’Asclépius, présentent des caractéristiques différentes60. Au cours de la période impériale, alors que l’Égypte est sous domination romaine, ils prenaient la forme d’historiolae, de petits récits mythologiques61 dont on ne trouve pas traces dans les époques antérieures62. Ces historiolae étaient insérées dans des prières, des formules magiques, des récitations destinées à infléchir le cours des événements pour favoriser son propre sort, que nous ont conservées les fameux papyrus grecs magiques (PGM). L’essor de ces « historiettes » montre que des formes de narrations existaient en Égypte de manière concomitante avec l’Asclépius, mais qu’au lieu d’être le cadre d’un enseignement ésotérique, elles étaient au contraire imbriquées au milieu de « recettes » magiques, pour utiliser le mot de Festugière63. Ces recettes, par définition, étaient plutôt rédigées à la deuxième personne (« si tu mélanges tel et tel ingrédient, tu obtiendras tel résultat »)64. Quoique subordonnées à une efficacité pratique, elles pouvaient intégrer des éléments différents – listes, narrations, prières, etc. – puisant sans problème à la tradition littéraire des élites cultivées65.

  • 66 Gratias tibi summe, exsuperantissime […] : « nous te rendons grâces, Très-Haut, Toi qui surpasses (...)
  • 67 67 […] ἐλθέ μοι […] διδοὺς ἐμοί […] ζωήν, ὑγείαν, σωτηρίαν, πλοῦτον, εὐτεκνίαν, γνῶσιν, εὐακοίαν, (...)
  • 68 La prière est placée à la suite de deux traités qui n’ont pas de rapport direct avec elle ; en re (...)

22Ainsi, on retrouve dans le papyrus Mimaut, l’un de ces papyrus magiques venus d’Égypte, une prière quasiment identique à celle qui est proférée à la fin de l’Asclépius par les quatre personnages. Mais, alors que la prière de l’Asclépius est en latin et rend grâce au Dieu Très-Haut66, la prière du papyrus est en grec et s’adresse au Soleil pour obtenir tous les bienfaits possibles67. Il existe une version copte de cette prière dans le manuscrit de Nag Hammadi dont nous avons parlé plus haut, mais l’état composite du codex ne permet pas de parler d’un « cadre »68. Les formes de narrations égyptiennes, rédigées en grec, n’étaient donc pas des « cadres », mais au contraire des éléments susceptibles de figurer au milieu d’une recette à la deuxième personne.

  • 69 Pour le reste du corpus, écrit en grec, on peut trouver quelques exceptions, comme εὐλογία (Corp. (...)
  • 70 Ascl. 1.
  • 71 Ascl. 2 ; 7 ; 19.
  • 72 Ascl. 19.

23Pour essayer de comprendre ce que représente cette forme (dialogue imbriqué dans une narration à peine visible), nous disposons des informations données dans le texte de l’Asclépius lui-même. En effet, contrairement à la plupart des autres textes du Corpus hermeticum, peut-être pour des raisons matérielles tenant au fait que l’on ne dispose que d’un seul manuscrit grec réunissant l’essentiel du Corpus, l’Asclépius se désigne à plusieurs reprises par des termes génériques69. On peut en repérer trois : tractatus, disputatio, sermo. Celui de tractatus souligne la dimension écrite de l’œuvre ; placé au début de l’œuvre, il lui sert presque de titre : « C’est ton nom pourtant que je veux mettre en tête de ce traité », dit Hermès à Asclépius70. Par ailleurs, on trouve le terme de disputatio71, qui est un élément de l’ensemble du sermo : il s’agit d’une « démonstration » ou d’un « développement » sur un objet précis. Hermès s’en sert au moment d’introduire un nouveau thème : celui des « différentes espèces de dieux » (deorum genera multa), à savoir les dieux intelligibles et les dieux sensibles72. Avant de procéder au développement sur les dieux intelligibles, Hermès explique que « nous les connaissons mieux que ceux que nous nommons visibles, cet exposé le montrera » (sicuti disputatio perdocebit). La forme au futur montre que le terme circonscrit un élément précis, celui qui va suivre, et non l’ensemble de la discussion avec Asclépius.

  • 73 Ascl. 1.
  • 74 Ascl. 12.
  • 75 Ascl. 23.
  • 76 Le seul chapitre 1 comporte deux fois plenissimus, ainsi qu’amantissimus, carissimus, et religios (...)
  • 77 Bally 1951 [1909], 164-165.

24Le mot qui sert à désigner la totalité de l’Asclépius est donc sermo. Il est employé à trois reprises au seuil de l’œuvre, et dès la première phrase qu’Hermès adresse à son interlocuteur principal : « pour te faire prendre part à un entretien divin » (ut divino sermoni interesses)73. Quelques phrases plus tard, le texte parle de religiosissimus sermo. Il réapparaît encore, tantôt dans un sens plus vague, synonyme de disputatio74, tantôt pour souligner, comme au début de l’œuvre, le caractère édifiant de la parole d’Hermès : « des méchants, mieux vaut ne rien dire, de peur que, venant à les considérer, l’on ne souille la sainteté sublime de ce discours » (de vitiosis vero nihil dicendum est, ne sanctissimus sermo eorum contemplatione violetur)75. Ce dernier exemple montre la valorisation de ce terme, qui est renforcé par le superlatif suffixé en -issim- à deux reprises (religiosissimus / sanctissimus). Cette forme adjectivale (en -issim-) apparaît à cinq reprises dans le premier chapitre76. Elle participe de ce qu’en linguistique on nomme l’expressivité. Cette notion, qui signifie que le locuteur met un surplus de signification sur ce qu’il dit, est souvent liée à l’oral (infléchissements de la voix et découpage des syllabes en sont des éléments fréquents), et passe tout particulièrement par des adjectifs à valeur superlative77. Elle sert ici à construire une captatio benevolentiae chargée de montrer l’extrême importance de ce qui va être dit.

  • 78 Cic. Or. 151.5.
  • 79 Jacob 1980.
  • 80 Cic. Off. 1.37.132 : […] in circulis, disputationibus, congressionibus familiarium versetur, sequ (...)
  • 81 E.g. D.L. 8.7.
  • 82 Iamb. VP. 146.
  • 83 Par exemple pour désigner les préceptes secrets des initiations mystériques (Herod. 2. 48-51).
  • 84 Sur l’ensemble des usages de l’expression ἱερὸς λόγος, cf. Tasseva 2009.

25Le terme sermo est souvent utilisé pour désigner en latin des genres grecs : Cicéron s’en sert pour désigner les dialogues platoniciens (il est l’équivalent du grec διαλόγος)78, et Apulée désigne l’Âne d’or comme un sermo Milesius, en référence aux Milésiaques et à toute la tradition « géographique » qui multipliait les anecdotes étonnantes (paradoxographie) sur des contrées ou des ethnies (Milet pour les Milésiaques, Babylone pour les Babyloniaques, Éphèse pour les Éphésiaques…), et dont on faisait des compilations dès l’époque de Callimaque79. Cette plasticité du terme sermo, qui est susceptible de désigner des pratiques très différentes, tient à son aspect informel : dépourvu de règles de composition (praecepta), le sermo est la forme qu’adopte l’oratio lorsqu’elle se déroule « dans les cénacles, les débats, les réunions dans l’intimité, et aussi les repas », par opposition à la parole prise dans les tribunaux, devant le Sénat ou dans les assemblées80. Dans l’Asclépius, nous avons affaire à un sermo sanctissimus / religiosissimus / divinus. Ces trois expressions recouvrent ce que le grec appelle ἱερὸς (καὶ θεῖος) λόγος. Cette expression a souvent été utilisée pour désigner les écrits de Pythagore81, parfois en concurrence avec λόγος περὶ θεῶν82, et plus généralement pour désigner des écrits ésotériques, dont la connaissance n’est réservée qu’à une poignée d’initiés,83 avant d’être reprise par le judaïsme et le christianisme84. On le rencontre en contexte hermétique pour désigner les paroles d’Isis ou en guise de titre.

  • 85 « Dieu t’a guidé, lui dit-il, pour te faire prendre part à un entretien divin (divino sermoni), q (...)
  • 86 Par exemple fr. 28 Nock (cf. Nock et Festugière 1954).
  • 87 L’Asclépius est cité en Civ. 8. 23-27. Sur l’établissement du texte à partir d’Augustin, cf. Nock(...)
  • 88 Schwartz, 1982.

26Pourtant, les quelques témoignages antiques qui mentionnent explicitement l’Asclépius donnent le titre de sermo perfectus, ou λόγος τέλειος. L’Asclépius était en effet à la fois le « discours complet », mais aussi le discours achevé (magnifié), c’est-à-dire la discussion menée du début à la fin, construite non comme une « recette », mais comme une véritable œuvre littéraire, avec ses effets propres, son titre et sa valeur de tractatus, encadré par un récit lui servant d’écrin. L’Asclépius est donc doublement perfectus : d’abord, grâce à son dispositif narratif, qui lui donne un début et une fin bien délimités, ensuite parce qu’il parachève les autres discours d’Hermès. En effet, dès le début de l’œuvre, il est question des autres dialogues qu’Hermès a déjà eus avec Asclépius85. Le texte présente d’emblée un certain recul sur les dialogues qui précèdent, il s’ajoute à un champ déjà constitué. À l’inverse, les autres λόγοι hermétiques sont désignés par des expressions beaucoup plus vagues (« à Tat », « à Asclépius », etc.) par les auteurs anciens qui y font référence ; il arrive même bien souvent que ces λόγοι n’aient pas de titre et soient cités comme des sentences (« Hermès a dit que… »)86. On peut donc supposer que l’Asclépius fut le seul dialogue hermétique traduit en latin parce qu’il était englobant (τέλειος), et donc mieux adapté à une mise en forme aboutie (perfectus) dans le cadre des belles-lettres latines. La destination de cet écrit reste difficile à élucider, mais la forme littéraire induit un public fait de lettrés et non pas (ou pas seulement) de disciples : le plus ancien lecteur de l’Asclépius dont les citations corroborent le texte complet est Augustin87, qui puisa dans toute la tradition lettrée, de Varron à Apulée, en passant par Virgile. De plus, les travaux de Quellenforschung réalisés sur le passage de l’apocalypse qui se trouve dans l’Asclépius montrent que le texte fait écho à des textes de Virgile, Ovide, Horace et Tacite, c’est-à-dire des grands lettrés de la tradition latine88.

  • 89 L’attribution pose problème, cf. Hunink 1996 (selon qui l’attribution n’est pas impossible), et l (...)
  • 90 Klibansky et Regen 1993, 17 ; 26-28. L’inventaire le plus complet des différents manuscrits se tr (...)
  • 91 C’est ainsi qu’Apulée se nommait lui-même (Apol. 10. 18) et c’est sous ce titre qu’il est passé à (...)
  • 92 Apulée cite des vers tirés des Géorgiques (Socr. 1. 116), de Lucrèce (Socr. 1. 118), d’Ennius (So (...)
  • 93 Plat. 2. 1. 219 ; Mun., pr. 285.

27Ainsi, on s’explique mieux que l’Asclépius ait été transmis à l’Occident latin au milieu des opuscules philosophiques d’Apulée, un autre lettré89. Le plus ancien manuscrit de l’Asclépius contient en effet le De deo Socratis, suivi de l’Asclépius, du De Platone et enfin du De mundo90. Il fut donc placé à date ancienne au milieu des opuscules d’un lettré, Apulée, réputé pour être un philosophus Platonicus91. Ces opuscules maniaient la culture littéraire, notamment la poésie latine92, et les deux derniers opuscules étaient fabriqués comme des sermones s’adressant à un énigmatique Faustinus93. La forme dialogue-narration de l’Asclépius et sa proximité avec des compositions lettrées latines font donc de lui un texte bien plus proche des productions de la fin de la République (Cicéron) et du Haut Empire (Apulée), que des textes gréco-égyptiens de la même époque. Le nous qui apparaît dans le texte participe de cette littérarité, et le cadre narratif reprend une forme connue des lettrés latins.

  • 94 Vesperini 2019, 217-219.
  • 95 […] καλῶν καὶ ποικίλων νοημάτων, selon le témoignage de Photius (Bib. 167. 115b).

28Si l’Asclépius se présente comme un hybride culturel, empruntant aux traditions égyptienne, grecque et latine, ses liens avec la culture lettrée impériale – maniement savant de l’utraque lingua, fabrication d’un sermo, dispositif narratif, présence du texte au milieu des opuscules d’Apulée – laissent penser que les Anciens ne lisaient pas l’Asclépius comme un compendium destiné à vulgariser la doctrine d’Hermès Trismégiste, mais comme un texte littéraire, susceptible d’intégrer les bibliothèques où la philosophie était aussi une pratique esthétique. Dans la mesure où il n’existait pas de dichotomie stricte entre les belles-lettres du monde gréco-romain et les savoirs initiatiques barbares94, il était donc logique qu’un auteur comme Stobée, dans sa recherche des « pensées belles et colorées »95, fît figurer Hermès dans la liste de ses auteurs de prédilection.

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Notes

1 D’onofrio 1992.

2 Versluys 2002.

3 Derchain 1962. Il en va de même de la manufacture des amulettes, qui suivent la mode gréco-romaine des entailles, et où peuvent se mélanger les figures de dieux égyptiens, comme Seth ou Anubis, avec celle d’Aphrodite (cf. Gordon 2012, 156-158).

4 Lucentini 2003.

5 […] tota numinis maiestate plenissimum (Ascl. 1). Les extraits sont tirés de l’édition de Nock et Festugière (CUF). La traduction est celle de Festugière, même si j’ai pu la modifier à la marge, pour la clarté du propos.

6 Ascl. 40.

7 Tatque, nobis qui intersit, evoca […]. Quo ingresso Asclepius et Hammona interesse suggessit (Ascl. 1).

8 Les égyptologues l’orthographient plutôt Ammon (ou Amon). Nous revenons sur le cas de Tat infra.

9 Nock et Festugière 2008 [1946], 280.

10 Nock et Festugière 2008 [1946], 277-284.

11 On verra que certains passages au moins furent également transmis, à date ancienne, en copte.

12 Mahe 1978.

13 Du moins, il faut attendre les écrits chrétiens pour voir apparaître des « traductions » au sens où nous l’entendons aujourd’hui (Rochette 1995, 251-254).

14 Rochette 2003, 81-82.

15 Doresse 1956, 58 : « Quant aux chapitres 21 à 29 de l’Asclepius, ils accusent, par rapport à l’égyptien, un certain nombre de différences : la plupart sont dues à des embellissements, des amplifications oratoires. Le passage du chapitre 21 sur la procréation est pourtant, dans la rédaction du Pseudo-Apulée, très édulcoré ; en retour, le même texte latin a quelque peu amplifié l’’’apocalypse’’ (24-26) sur la barbarisation de l’Égypte » (je souligne).

16 Une bonne synthèse du phénomène de bilinguisme dans Rochette, 1998.

17 « C’est chose impie que de [le] divulguer à la masse » (inreligiosae mentis est multorum conscientia publicare), cf. Ascl. 1.

18 Fowden 1986, 71 ; Van den Kerchove, 2012, 46-49.

19 Tat, un nom qu’on ne trouve que dans les écrits hermétiques (et leurs testimonia), apparaît comme une « orthographe différente » (Nock et Festugière 2008 [1946], IV) de Theuth / Thot, le dieu égyptien des chiffres, de l’écriture et de la parole (Volokhine 2004).

20 Hermes, quem Cicero ait in numero deorum apud Aegyptios haberi (Lact. ira. 11. 14).

21 Fowden 1986, 162.

22 Un bilan récent dans Audureau, 2019.

23 Dunand 1977, 58-59 : on y trouvera une comparaison des deux textes, en regard. Voir aussi Mahe 1982.

24 Ascl. 24.

25 Ascl. 7 (je souligne).

26 Ascl. 7.

27 Corp. Herm. 16. 1-2. Le texte souffre d’une lacune due à un grattage après ἡ τῶν Αἰγυπτίων.

28 Corp. Herm. 16. 2. Cette « façon de dire » (φράσις), lorsqu’elle est noble (γενναία) est précisément l’une des caractéristiques du sublime selon pseudo-Longin (Subl. 8. 1 = Lebegue 1952, 10). Le terme φράσις fut d’ailleurs choisi par Reitzenstein comme leçon adéquate pour le passage gratté (cf. note 27, ci-dessus).

29 Ascl. 19.

30 Ascl. 19.

31 Mens. 4. 7.

32 Il pourrait s’agir d’un problème textuel d’haplographie (Rochette 2003, 79), mais je m’en tiens aux remarques prudentes de Reitzenstein (1904, 195, n.2).

33 Ascl. 14.

34 Ascl. 14. Les deux expressions (« monde » / « nature du monde ») apparaissent dans ce même passage.

35 Ascl. 10.

36 Le premier terme apparaît en Ascl. 7, le second en Ascl. 14 (et 17).

37 Le premier terme apparaît en Ascl. 7 (et 8), le second en Ascl. 19.

38 Ascl. 17.

39 Il s’agit du début du traité 8 du Corpus Hermeticum (= Nock et Festugière 2008 [1946]).

40 Corp. Herm. 8. 1.

41 Gell. 1. 18. Voir également 1. 25.

42 Pour un tableau de cette « sociabilité savante », avec de nombreux extraits tirés d’Aulu-Gelle, cf. Jacob, 2018 156-194.

43 Plat. Crat. 404b ; Gorg. 493b.

44 Fr. 418 Theodoridis : ὁ Ἅιδης, εἰς ὃν οὐκ ἔστιν ἰδεῖν.

45 Suid., s.v. Philoxenos (= Φ 394).

46 Aug. Civ. 7. 14.

47 Rochette 1995, 254.

48 Dictum est vobis de singulis […]. Restat hoc solum nobis, ut benedicentes deum orantesque (Ascl. 40).

49 Ascl. 41.

50 Ascl. 1.

51 Ascl. 41.

52 Isoc. Bus. 21-22. C’est en Égypte que Pythagore avait fait une partie de son apprentissage (Apul. Plat. 1. 3.). De manière générale, c’est l’ensemble de la paideia qui avait une possible origine égyptienne dans la mesure où Homère lui-même avait peut-être une origine égyptienne selon Aulu-Gelle (3. 11. 6). L’apprentissage des écritures égyptiennes est une véritable initiation religieuse aux dires de Clément d’Alexandrie (Strom. 5. 4).

53 PE. 1. 9. 23-24 (= Sirinelli et Des Places 1974)

54 Trapp, 1990.

55 Plat. Phdr. 274a.

56 Cf. note 19, ci-dessus.

57 Ascl. 41.

58 In Cumano nuper cum mecum Atticus noster esset, nuntiatum est nobis a M. Varrone venisse eum Roma pridie vesperi (Cic. Ac. 1. 1).

59 Cic. Fin. 5. 1.

60 Les papyrus magiques, qui donnent accès à la « religion de la masse », constituent cette littérature proprement égyptienne. Ils n’ont pas été recopiés sur des manuscrits susceptibles de se transmettre dans le milieu clérical médiéval et de constituer une partie de sa bibliothèque. Il fallut attendre les expéditions des xviiie et xixe siècles (les expéditions napoléoniennes notamment) pour que la plupart de ces documents soient découverts et étudiés par des savants européens (Betz 1992 [1986]).

61 Frankfurter 1995, 457-476.

62 Gordon 2012, 154-155.

63 Festugière 1983 [1944], 284-287.

64 C’est là la forme de nombreux papyrus grecs magiques, comme Preisendanz 1973-1974, PGM 3, 612-632.

65 La prière à la Lune qui se trouve dans le « Grand papyrus magique de Paris » (= Preisendanz 1973-1974, PGM 4, 2785-2890) emprunte à la poésie hellénistique de Théocrite, ainsi qu’à l’univers du théâtre (Galoppin 2021, 61 ; 84).

66 Gratias tibi summe, exsuperantissime […] : « nous te rendons grâces, Très-Haut, Toi qui surpasses infiniment toutes choses » (Ascl. 41).

67 67 […] ἐλθέ μοι […] διδοὺς ἐμοί […] ζωήν, ὑγείαν, σωτηρίαν, πλοῦτον, εὐτεκνίαν, γνῶσιν, εὐακοίαν, εὐμένειαν, εὐβουλίαν, εὐδοξίαν, μνήμην, χάριν, μορφήν, κάλλος […] (« viens à moi et donne moi vie, santé, sécurité, richesse, bonne descendance, connaissance, attention, bienveillance, discernement, honneur, mémoire, grâce, prestance, beauté »), cf. Preisendanz 1973-1974, PGM 3, 574-578.

68 La prière est placée à la suite de deux traités qui n’ont pas de rapport direct avec elle ; en revanche, elle s’achève par la même phrase narrative que l’Asclépius (« sur ces vœux nous allâmes prendre une cène pure, exempte de chair ayant eu vie »), qui montre que les textes de ce type avaient une forme d’autonomie et pouvaient se détacher facilement d’un noyau initial pour être adjoints à d’autres corpus, parfois fort différents. Cf. Mahe 1974, 58-59. Sur l’unité des textes de Nag Hammadi, qui repose sur le dualisme âme/corps (bipartite anthropology), cf. Roig Lanzillotta 2021.

69 Pour le reste du corpus, écrit en grec, on peut trouver quelques exceptions, comme εὐλογία (Corp. Herm. 13. 15), mais qui ne désigne qu’une partie du discours et non le texte entier, ou encore le verbe ἐπιστεῖλαι (Corp. Herm. 14. 1), qui désigne plus un geste qu’une forme générique précise. Pour désigner le texte dans son ensemble, je n’ai repéré que le terme très polysémique de λόγος (par exemple Corp. Herm. 16. 1), presque toujours dépourvu d’adjectif.

70 Ascl. 1.

71 Ascl. 2 ; 7 ; 19.

72 Ascl. 19.

73 Ascl. 1.

74 Ascl. 12.

75 Ascl. 23.

76 Le seul chapitre 1 comporte deux fois plenissimus, ainsi qu’amantissimus, carissimus, et religiosissimus.

77 Bally 1951 [1909], 164-165.

78 Cic. Or. 151.5.

79 Jacob 1980.

80 Cic. Off. 1.37.132 : […] in circulis, disputationibus, congressionibus familiarium versetur, sequatur etiam convivia.

81 E.g. D.L. 8.7.

82 Iamb. VP. 146.

83 Par exemple pour désigner les préceptes secrets des initiations mystériques (Herod. 2. 48-51).

84 Sur l’ensemble des usages de l’expression ἱερὸς λόγος, cf. Tasseva 2009.

85 « Dieu t’a guidé, lui dit-il, pour te faire prendre part à un entretien divin (divino sermoni), qui, de tous ceux que nous eûmes jusqu’ici (omnium antea a nobis factorum), est le plus divin. Cf. Ascl. 1 (je souligne).

86 Par exemple fr. 28 Nock (cf. Nock et Festugière 1954).

87 L’Asclépius est cité en Civ. 8. 23-27. Sur l’établissement du texte à partir d’Augustin, cf. Nock et Festugière 2008 [1946], 264-266.

88 Schwartz, 1982.

89 L’attribution pose problème, cf. Hunink 1996 (selon qui l’attribution n’est pas impossible), et la réponse de Horsfall Scotti 2000 (qui voit dans cette question une « boîte de Pandore »).

90 Klibansky et Regen 1993, 17 ; 26-28. L’inventaire le plus complet des différents manuscrits se trouve en introduction de la récente réédition du texte dans Stefani 2019.

91 C’est ainsi qu’Apulée se nommait lui-même (Apol. 10. 18) et c’est sous ce titre qu’il est passé à la postérité, notamment par l’intermédiaire de Saint Augustin (Civ. 8. 12-14.).

92 Apulée cite des vers tirés des Géorgiques (Socr. 1. 116), de Lucrèce (Socr. 1. 118), d’Ennius (Socr. 2. 121), etc.

93 Plat. 2. 1. 219 ; Mun., pr. 285.

94 Vesperini 2019, 217-219.

95 […] καλῶν καὶ ποικίλων νοημάτων, selon le témoignage de Photius (Bib. 167. 115b).

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Pour citer cet article

Référence papier

Cyril Rouanet, « L’Asclépius fait-il partie de la bibliothèque latine ? »Anabases, 36 | 2022, 79-97.

Référence électronique

Cyril Rouanet, « L’Asclépius fait-il partie de la bibliothèque latine ? »Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2024, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/14468 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.14468

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Auteur

Cyril Rouanet

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