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Historiographie et identités culturelles
Dossier – Antiquité-Monde

De la philanthropia à la walâya : éléments de la politique de l’amitié en islam

Anoush Ganjipour

Résumés

Le présent article tente une nouvelle approche comparative entre les pensées politiques grecque et islamique en se focalisant sur l’élaboration d’une certaine « politique de l’amitié » dans les deux traditions. Alors que les recherches comparatives dans ce domaine s’en tiennent souvent à la réception des philosophies politiques de Platon et d’Aristote par les falâsifa, l’auteur appuie sa lecture comparative sur les similitudes et les différences qui se manifestent entre, d’une part, la pensée politique élaborée au sein du néoplatonisme et du néo-pythagorisme durant la période tardo-antique et, de l’autre, la pensée théologico-politique islamique développée suite à la marginalisation des phalâsifa et contre eux. En confrontant les prémisses des deux notions théologico-politiques de philanthropia et de walâya, l’article vise à montrer dans quelle mesure les rapports conceptuels entre les deux traditions grecque et islamique s’inscrivent dans une dynamique débordant le simple cadre des emprunts textuels francs ou des échanges historiques jusqu’à maintenant documentés. A travers son analyse comparative, l’auteur argumente qu’au-delà des réseaux de transmission identifiables entre les deux traditions, la walâya devrait ainsi être considérée comme la réplique différentielle de la tradition islamique à l’idée tardo-antique de philanthropia.

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Texte intégral

1Le dossier des rapports de la tradition intellectuelle de l’islam à l’héritage grec reste ouvert, encore largement impensé. Depuis maintenant longtemps, on l’a cru clos, quitte à y ajouter quelques détails historiques nouveaux ou manuscrits supplémentaires pour compléter le tableau qu’on connait déjà dans ses grands traits : tableau classique de la translatio studiorum. Les découvertes historiques ou les travaux éditoriaux allant dans ce sens ont évidemment une importance généalogique inégalée. Seulement, cette logique qui préside à leur exploitation s’avère de plus en plus inadéquate, problématique : le problème est que le tableau même qu’ils devraient amender est réducteur et en vérité encadré par une perspective historique illusoire. C’est que les rapports au legs intellectuel grec sont systématiquement pensés et évalués dans le cadre historiquement prédéterminé de ce qu’on appelle le « mouvement de traduction ». L’illusion est bien là.

  • 1 Renan 1883, 11.
  • 2 Ibid., 14.

2Pour dévoiler l’illusion, revenons à la question, désormais ancestrale, de l’orientalisme : y a-t-il une pensée islamique sans l’héritage grec ? À cette question, Ernest Renan répondait par la négative. La même réponse devrait être la nôtre ; et pourtant pour des raisons symétriquement opposées. Renan, et ceux qui le suivent aujourd’hui encore, considèrent qu’à partir du moment où les penseurs d’islam ont cessé d’annoter ou commenter littéralement le corpus grec, leur rapport à l’héritage grec a pris fin et que, du même coup, ils sont devenus stériles et incapables de développer une quelconque raison. Dès Averroès et son siècle, argumentait Renan, une pensée islamique devient impossible dans l’exacte mesure où « l’élément vraiment fécond de tout cela venait de la Grèce1 » . Avec la transmission du « germe de vie2 » grec à l’Occident, la pensée islamique arrive à la fin de sa raison d’être historique, pour se dissoudre ensuite dans le dilemme fatal du lyrisme poétique et de la théologie. La vision qui sous-tend cette thèse n’est que trop patente : le germe de vie en question est à chercher dans les trois composantes de la Grèce – notre Grèce archaïque et idéalisée – que sont la Cité, la tragédie et un rationalisme scientifique rétrospectivement reconstruit à partir de son devenir en Occident moderne. Sans vestige de ces trois composantes, nous dira-t-on, pas de rapport à la Grèce ; sans elles, pas d’avenir pour la raison sous ses différentes formes : raison philosophique, raison politique ou raison esthétique.

3Or, essayer de suivre le développement ultérieur de la pensée islamique dans son historicité propre, y chercher non un déclin précipité ou une rupture mais plutôt des transformations internes ou des mutations, voilà qui conduira l’observateur à renverser la thèse renanienne. Thèse qui, par rapport à la réalité historique, s’avèrera la tête en bas. Il suffit en effet d’abandonner cette vision de la Grèce qui est la nôtre (nous les modernes) ; de convenir que la Grèce, dans son originalité historique, reste finalement celle de personne. Autant lui admettre plusieurs devenirs historiques. Dans le cas de la tradition intellectuelle islamique, ce sont justement les recherches modernes qui nous en convainquent : d’un bout à l’autre de son histoire et jusqu’à aujourd’hui même, cette tradition devrait être considérée comme un de ces devenirs potentiels, y compris lorsque les penseurs d’islam s’efforcent de renier l’héritage grec à travers un dialogue discret avec lui ou en mobilisant ses propres moyens quoiqu’inconsciemment. Il faudrait donc affirmer qu’il n’y a effectivement pas de pensée islamique sans son rapport au grec, mais l’affirmer dans ce sens nouveau : dans le sens où le dialogue avec le grec n’a jamais été interrompu.

4La difficulté est que, dans l’histoire de la pensée islamique, le dialogue en question change progressivement de modalité. Le « mouvement de traduction » et de commentaire du corpus grec, qui s’étale dans cette histoire essentiellement entre les ixe et xiie siècles, n’exprime que la première modalité de ce rapport : l’appropriation du grec. Ce processus d’appropriation s’inscrit dans un contexte historique où deux enjeux furent déterminants pour la formation culturelle et intellectuelle de la tradition islamique. D’une part, le califat islamique prenait dès le viiie siècle une forme impériale en intégrant l’appareil gouvernemental et l’idéologie de l’Empire perse ; de l’autre, le nouvel empire islamique définissait son identité à travers sa rivalité avec l’empire chrétien des Byzantins. L’appropriation de l’héritage grec semble dès lors être une conséquence de la transformation impériale interne et en même temps une nécessité pour la rivalité avec cet ennemi externe, l’Empire byzantin. Le rapport de l’historien musulman al-Mas’ûdî (m. 956) met au clair cette nécessité :

  • 3 Al-Mas’ûdî, Murûj al-dahab wa ma’âdin al-jawhar, cité dans GUTAS 2005, 145-146. Pour d’autres rap (...)

« À l’époque des anciens Grecs, et pour une courte période au cours de l’Empire byzantin [c’est-à-dire, ici, romain] les sciences philosophiques continuèrent de croître et de se développer, et les savants et les philosophes furent respectés et honorés. Ils développèrent leurs théories de la science naturelle – au sujet du corps, de l’intellect et de l’âme – et du quadrivium, c’est-à-dire l’arithmétiké ou science des nombres, la géométriké, ou science des surfaces et de la géométrie, l’astronomia, ou science des étoiles, et la musiké, ou science de la composition harmonieuse des mélodies. Les sciences continuèrent de faire l’objet d’une grande demande et d’être intensément cultivées, jusqu’au jour où le christianisme apparut chez les Byzantins. Ils effacèrent et firent disparaître toute trace de la philosophie, détruisirent les chemins qui y conduisaient, embrouillèrent ce que les Grecs avaient clairement exposé, et altérèrent ce que les Anciens parmi eux avaient éclairci.3 »

  • 4 Gutas 2005, 140.
  • 5 Sur cette interaction, voir Stroumsa 2015.

5Ainsi, comme l’explique Dimitri Gutas, au moment du déclenchement du « mouvement de traduction », c’est l’antibyzantinisme qui se traduit dans la propagande abbasside en philhellénisme4. Mais il s’agit là d’un califat abbasside qui, exactement au même moment historique, prenait ouvertement l’Empire perse comme modèle. Au-delà de la question d’appropriation, la mise en scène de la rivalité intellectuelle par al-Mas’ûdî nous laisse entrevoir une autre particularité du rapport de la tradition islamique à l’élément grec : ce rapport a été dès le début, et pour toujours, médiatisé par le contexte culturel de l’Antiquité tardive. La Grèce que connaît (et reconnaît) la tradition islamique porte la marque indélébile de ce contexte. Si l’élément grec est l’enjeu de la rivalité des Musulmans avec les Byzantins et leur culture chrétienne mais aussi avec les cultures juive ou perse, c’est que, avant même l’avènement de l’islam, cet élément est d’ores et déjà en interaction avec chacune de ces cultures et, de façon plus générale, avec le climat intellectuel de l’Antiquité tardive5.

  • 6 Je me permets de renvoyer, à propos de ce rôle, à Ganjipour 2014, 126.
  • 7 Sur ce point, la comparaison de Rémi Brague, malgré son ton hyperbolique, touche un fond de vérit (...)

6Sous l’influence d’un tel climat, et c’est un point crucial, la Grèce des Musulmans devient fondamentalement néoplatonicienne. Il suffit de penser au rôle constitutif qu’a joué l’enseignement de Plotin pour la philosophie, la mystique antiphilosophique, la théologie et même l’esthétique islamiques : ce Plotin qui s’est déguisé chez les Musulmans en pseudo-Aristote pour permettre de surmonter le conflit entre les doctrines d’Aristote et de Platon, et de faire de leur synthèse préalablement improbable le socle conceptuel même de toute la tradition islamique. Un Plotin qui, de ce fait, restait lui-même inconnu et inexistant pour la tradition islamique jusqu’à une époque relativement récente, malgré son omniprésence ; un Plotin qu’il faudrait ainsi appeler le « médiateur évanescent » pour l’ensemble de cette tradition6. C’est notamment grâce à ce rôle de médiateur joué par Plotin et, à un moindre degré, par Proclus que le rapport au grec peut devenir structurant pour la tradition islamique, peut-être plus que pour aucune autre tradition intellectuelle provenant des religions monothéistes7.

7Lorsqu’à partir du xiie siècle, le courant des philosophes hellénisants de l’islam entre dans une crise fatale, c’est en réalité une nouvelle modalité de rapport au grec qui commence à s’imposer : arrivée à son point d’achèvement pour les Musulmans, l’appropriation cède la place à la différenciation. En clair, cette nouvelle modalité consiste à réorienter le néoplatonisme dans la perspective monothéiste qui est celle de l’islam, et à le radicaliser dans cette direction : faire du néoplatonisme le soubassement métaphysique d’une cosmopolitique et d’une eschatologie islamiques. Sous cet angle, ce qu’on considère comme prise de distance progressive de la tradition islamique par rapport au grec dévoile sa réelle signification : le développement historique de la tradition islamique a accompli un devenir différencié du grec, y compris par rapport au néoplatonisme lui-même.

8Cette spécificité du rapport qu’entretient l’Islam avec la Grèce présente, pour l’approche comparative des deux traditions, un défi et elle ouvre en même temps devant elle une nouvelle perspective. Car, ici, chercher des traces positives des influences ou emprunts directs finit dans une impasse. Les similitudes qu’on peut traquer du côté musulman avec tel ou tel penseur grec tardif ne correspond nullement à la rareté des sources traduites en arabe et à leur caractère sélectif, fragmenté et, sur plusieurs questions, finalement assez précaire. À cette méthode comparative peu heuristique en l’occurrence, je propose de substituer une autre : comparer les deux traditions grecque et islamique à partir des écarts ou variations différentielles autour des problèmes ou topiques communs. Le devenir de l’héritage grec à travers la tradition islamique permettrait dès lors à la comparaison d’aider à clarifier les deux points suivants. D’une part, aider à saisir le sens et la visée de ces écarts ou différenciations du point de vue de l’évolution interne de la tradition islamique. Mais, de l’autre, aider à déceler les possibilités historiquement refoulées ou restées inactivées de l’héritage grec dans son devenir occidental. À travers ce prisme comparatif, une question se formule donc dans le sens inverse : on se demande si la différenciation islamique ne jetterait pas une nouvelle lumière sur ce que la Grèce aurait pu signifier pour les Grecs eux-mêmes.

L’amitié politique : de la Cité grecque à l’umma

  • 8 OMeara 2003, 187.

9Si l’on adopte une telle approche comparative, on s’aperçoit que, dans le dossier des rapports de la tradition islamique au grec, un chapitre exige particulièrement d’être réécrit : celui de la pensée politique. Dans son ouvrage magistral, où il tentait de reconstruire les étapes de l’évolution de la pensée politique néoplatonicienne, Domenic O’Meara fut amené à reconnaître une postérité islamique de cette pensée, mais à travers des réseaux de transmission non-identifiables ou à la limite hypothétiques8. Sans pouvoir aller plus loin dans sa comparaison que chez le premier philosophe politique de l’islam, Fârâbî, O’Meara entrevoyait pourtant fort bien l’enjeu de ce devenir islamique de la politique néoplatonicienne. Cet enjeu liant les deux traditions consiste à envisager une nouvelle mise en relation entre, d’une part, l’amitié et l’amour et, de l’autre, la constitution politique de la communauté. Dans les pages qui suivent, je vais essayer de donner quelques éléments sur la trajectoire de ce questionnement entre les Grecs et les penseurs musulmans.

  • 9 Voir Loraux 1997, 204.
  • 10 Sur le problème de l’amitié chez Platon et sa portée politique, voir El Murr 2014, 3-34.
  • 11 Plat. Rsp. 414d-415c. Voir également, le commentaire de ce mythe par Nicole Loraux à la lumière d (...)

10Nous devons partir de ce qui constituait un point névralgique dans la conception antique de la cité idéale aussi bien chez Platon que chez Aristote. Quant au premier, on le sait, toute la construction théorique de sa République est finalement hantée par une idée : comment constituer une politeia à partir du lien fraternel entre les citoyens9. Puisqu’une telle fraternité apparaît à Platon introuvable dans l’état naturel des choses, il se voit obligé d’y remédier en associant deux mécanismes. D’une part, il élabore à travers plusieurs dialogues une idée générale de la philia couvrant plusieurs niveaux. Par sa souplesse conceptuelle, l’amitié platonicienne est ainsi censée réduire, autant que faire se peut, le hiatus ou l’intensité inégale entre les différents types de relations qui lient les hommes les uns aux autres, depuis leurs relations amoureuses ou conjugales jusqu’à leur liens politiques en tant que citoyens10. Mais comme, aux yeux de Platon, une telle amitié ne suffit pas finalement pour garantir la solidarité idéale, c’est-à-dire fraternelle, de la politeia parfaite, sa seule solution est d’étayer l’amitié des citoyens par la feintise mythique. Un « mythe d’autochtonie » sert à faire croire aux citoyens de la république qu’ils sont tous nés de la même mère, à savoir de la terre même de la cité11.

  • 12 Arist. Eud., 1235a4. Aristote expose sa théorie de l’amitié parallèlement dans le livre IX de l’É (...)
  • 13 Une analyse légèrement différente du même diagnostic chez Aristote est récemment proposée dans Pe (...)

11La place qu’occupe l’amitié dans la pensée de la cité chez Aristote n’en est pas moins centrale, tant s’en faut. Or, malgré le réalisme politique qui sépare le Stagirite du maître, la difficulté semble rester la même pour lui. D’une part, il convient qu’une amitié parfaite soit le meilleur moyen pour garantir l’égalité des citoyens et pour leur offrir une vie sociale équitable au-delà même de la justice12. Mais, de l’autre, Aristote doit constater qu’une telle amitié parfaite, absolument juste et égalitaire, ne sera possible qu’à l’échelle d’oikia et seulement entre les frères. On peut dire même que toute la pensée aristotélicienne de la cité est affectée par cette impossibilité : puisque le gouvernant de la cité ne peut pas atteindre le statut d’un « père », une solidarité fraternelle manquera à jamais aux citoyens et à leur constitution politique. La démocratie (la circulation obligée entre les gouvernants et les gouvernés) et une amitié entre les citoyens basée sur leurs besoins et utilités mutuels sont en vérité les seuls moyens dont Aristote dispose pour pallier ce manque13.

12Dans le célèbre passage de La Politique sur la nécessité du gouvernement circulaire dans la cité, Aristote fait glisser ce qui aurait été une solution possible au problème mais pour l’exclure d’emblée :

  • 14 Arist. Pol. VII, 14, 1332b 14-29.

« Certes, si certains différaient des autres autant que nous pensons que les dieux et les héros diffèrent des hommes, en possédant une grande supériorité, [perceptible] d’abord dans leur corps et ensuite dans leur âme, de sorte que la supériorité des gouvernants soit incontestable et manifeste pour les gouvernés, il est évident qu’alors il serait meilleur que ce soient les mêmes qui, une fois pour toutes, gouvernent et soient gouvernés. Mais puisqu’il n’est pas facile de rencontrer une telle situation et qu’il n’en est pas ici comme chez les habitants de l’Inde où, aux dires de Scylax, les rois diffèrent à ce point-là de leurs sujets, il est manifeste que, pour de nombreuses raisons, il est nécessaire que tous partagent de la même manière, à tour de rôle, les statuts de gouvernants et de gouvernés. »14

  • 15 J’ai essayé de clarifier le paradoxe de l’amitié politique chez Aristote dans Ganjipour 2021, 111 (...)

13Tout se passe comme si l’impossibilité irrémédiable pour Aristote consistait à ne pas pouvoir concevoir, comme le font les Indiens, un gouvernement divin sur la terre. Dans ce cas, la différence qualitative du gouvernant pourrait faire de lui à la fois un père pour la cité et, partant, transformer les citoyens en frères les uns pour les autres15.

  • 16 Voir OMeara 2003, 199-201.
  • 17 Cf. le traité politique du néo-pythagoricien Diotogène, Peri basileias, in Delatte 1942, 56.

14Pour qu’une telle impossibilité théologico-politique devienne possible, il a fallu en effet que la pensée grecque subisse une mutation épistémologique, évolue de son âge antique vers son avenir tardo-antique. Au confluent du néo-pythagorisme, du néoplatonisme et même du stoïcisme pouvait dès lors s’élaborer une nouvelle pensée politique grecque dont l’objectif fut précisément de fournir les prémisses d’une politeia idéale à partir du gouvernement divin. Dans la mesure exacte où un tel gouvernement devenait possible au sein du paganisme grec16, le régime démocratique se trouvait supplanté par la royauté. Dans des nouvelles circonstances historiques où la conception monothéiste du monde prouvait son efficacité théologico-politique, l’institution de la royauté (πράγμα βασιλεία) devenait le modèle même du gouvernement divin que les humains devaient imiter17.

15À cette transformation du paradigme théologico-politique en répondait une autre, celle de la figure du philosophe-roi de Platon. Pour le mettre à la tête d’une telle royauté divine, les philosophes grecs, dès Plotin, accordaient au philosophe-roi un statut divin issu de la communication privilégiée de ce dernier avec le Dieu-Un. Sans pouvoir entrer ici dans les détails de la métaphysique émanationniste des néoplatoniciens et de leur conception anthropologique, rappelons qu’une telle communication était conçue comme le moyen permettant au philosophe-roi d’obtenir principalement deux qualités : d’un côté, la sagesse gouvernementale et, de l’autre, le soin amical pour ses sujets. Ce qu’il y a de divin dans ces deux qualités de la figure nouvelle de philosophe-roi, c’est qu’ici elles ne font qu’un. L’une et l’autre constituent en réalité les deux aspects de la providence divine qui se prolonge maintenant, par l’intermédiaire du philosophe-roi, jusqu’à la constitution politique de la communauté humaine.

16Le philosophe qui assume le gouvernement de la communauté, le fait princi­palement par la sollicitude et l’amour des hommes. Désormais, le rapport amoureux entre l’amant et son bien-aimé est considéré comme modèle du rapport idéal entre le gouvernant et la communauté de ses sujets. Ainsi, comme le fait remarquer O’Meara, entre le platonisme et le néoplatonisme, c’est la direction d’une analogie mimétique qui s’inverse : dans l’Alcibiade, c’était le Socrate amoureux qui, dans sa relation au bien-aimé (le jeune Alcibiade), voulait imiter le politique et sa relation bienveillante avec la Cité ; dans le commentaire du même dialogue par Proclus, c’est le politique qui doit imiter l’amoureux, alors que la Cité se dessine à l’image du bien-aimé. Inversement anodin en apparence qui exprime toutefois un changement radical du paradigme politique :

  • 18 Proclus in Segonds 1985, t. 1, 78 (95, 18-25). Voir le commentaire d’O’Meara 2003, 76.

« Car il faut que l’amoureux commence par la connaissance et, dès lors, termine par la sollicitude à l’égard de son aimé ; il a, en effet, analogie avec le politique ; or, il est absolument évident que celui-ci commence par la contem­plation et l’examen et que, cela fait, il met ensuite en ordre l’État tout entier, manifestant ainsi par ses actes les conclusions de sa contemplation. De la même façon donc, l’amoureux aussi cherche d’abord à connaître l’objet de son amour, quel il est, et ensuite seulement, lui donne part à son soin provident. »18

17Si, dans un sens, l’amour du philosophe-roi s’exprime par le gouvernement qui s’exerce sur ses sujets, chez ceux-ci, et dans le sens inverse, c’est leur soumission même qui traduit leur amour envers celui qui les gouverne. Une devise pythagoricienne relatée par Stobée résume déjà la nécessité de cet amour réciproque mais qualitativement opposé des deux côtés :

  • 19 Stobée, Florilège, IV, i, 40, cité dans Dumont 1988, 595.

« [Les pythagoriciens] déclaraient que les gouvernants doivent non seulement avoir la science, mais aussi l’amour des hommes (φιλανθρώπους), et que les gouvernés doivent non seulement se montrer dociles, mais encore aimer ceux qui les gouvernent (φιλάρχοντας). »19

  • 20 Sur cette fonction de la philanthropia sous-tendant à la fois la philia et la hiérarchie entre le (...)
  • 21 Athanassiadi 2006 et 2014.

18Entre les pensées politiques grecques antiques et tardo-antiques, le change­ment qui s’opère touche ainsi la définition de l’amour. L’amour véritable, celui dont l’origine est divine, n’est rien d’autre qu’une philanthropia. Grâce à la figure de philosophe-roi conçu comme un monarque divinisé, la forme de la politeia idéale se renouvelle. Voilà qu’elle peut enfin se fonder sur une solidarité théologico-politique parfaite. L’écart qualitatif qui séparait l’amitié fraternelle propre à l’oikia de l’amitié forcément utilitaire des citoyens, les derniers philosophes grecs tentent de le colmater par la philanthropia verticale. La philia entre les membres de la politeia néoplatonicienne – cette Platonopolis dont l’idée les intriguait tant ! – semble découler de cette philanthropia dans laquelle ils seraient tous pris également et en tant qu’ils y sont soumis20. L’Antiquité tardive a même vu la tentative de mettre en place une telle politeia idéale sous le règne de celui qui prétendait incarner précisément la figure du philosophe-roi néoplatonicien : l’Empereur Julien (331-363). À ceci près que, en voulant réaliser le programme grec, Julien anticipait, malgré lui, le modèle du gouvernement théologico-politique que, des siècles plus tard, l’islam allait reprendre pour le mettre en chantier à travers toute son histoire intellectuelle21.

Qu’est-ce qu’une philanthropia islamique ?

19Nous venons de constater comment la cité grecque et la politeia qui la sous-tend évoluent à travers l’Antiquité tardive et à partir d’une nouvelle conception théologico-politique de l’amitié. La réplique différentielle que la tradition islamique a élaborée par rapport à ces avancées théologico-politiques grecques, nous la voyons se dessiner dans ses grandes lignes au xiie siècle, là où la rupture de cette tradition avec ses philosophes hellénisants semble déjà consommée. Chose significative, l’esquisse la plus aboutie, et la plus influente sans doute, d’une telle réplique se retrouve chez un mystique et anti-philosophe justement, Ibn ‘Arabî (1164-1241) ; celui qui va donner une formulation spéculative à la doctrine soufie qui deviendra canonique dans la tradition islamique. La formulation marquera de façon profonde non seulement la mystique islamique, mais aussi la philosophie, la théologie et même la pensée politique en terre d’islam jusqu’à l’époque moderne.

  • 22 Bien avant notre auteur, l’idée de la walâya commence son élaboration progressive dès le ixe sièc (...)

20Toute la doctrine d’Ibn ‘Arabî se développe autour d’une notion centrale : la walâya. Celle-ci désigne le mode de rapport spécifique qui lie l’homme au divin dans le cadre du monothéisme islamique22. Pour spécifier ce mode, qui combine les deux idées d’amitié et de tutelle, Ibn ‘Arabî puise dans la polysémie du mot walâya et de ses dérivés en arabe. Dans cette langue, en effet, le substantif walâya signifie à la fois “amitié”, “proximité” et “assistance”. À partir de ces significations différentes mais complémentaires, les prédécesseurs d’Ibn ‘Arabî dans les courants ésotériques ou spirituels d’islam pouvaient déjà faire de la notion de walâya, d’une part, l’expression de l’amour divin qui s’effuse sur tout l’univers créé, et tout particulièrement sur l’homme en tant que microcosme. Alors que, d’autre part, ils entendaient par la walâya l’amitié sélective de Dieu. Tout se passe comme si, en attribuant à la notion ces deux significations, et à partir d’une inspiration clairement néoplatonicienne, la tradition islamique proposait par la walâya une nouvelle variante de l’idée tardo-antique de la philanthropia.

21C’est bien dans ce sens même qu’une seconde couche sémantique vient s’associer à la walâya, toujours grâce à la singularité lexicale du mot en arabe. En effet, si l’on transpose la même racine wly dans un autre schème de l’arabe, fi’âla, le résultat sera un substantif ressemblant phonétiquement à la walâya, mais avec une signification sensiblement différente : la wilâya. Ce second substantif signifie “prendre en charge ou en sa tutelle” et “gouverner”. Or voici que, sous la forme attributive walî tirée de la même racine, les deux significations respectives de la walâya et de la wilâya se superposent. Autrement dit, l’attribut walî signifie aussi bien l’ami, le proche ou l’assistant que l’allié protecteur, le tuteur ou le souverain. Dès lors, une équivocité devient intrinsèque à l’attribut walî. Mais, afin de radicaliser la doctrine de l’amitié-amour divin, Ibn ‘Arabî se focalise surtout sur l’usage ambivalent que l’arabe permet quant au même attribut : c’est que le walî peut désigner aussi bien le sujet de l’amour que son objet ; aussi bien celui qui gouverne que celui qui est gouverné. Ce nœud sémantique complexe formé autour du vocable de walâya vient en effet résumer les différents aspects de la relation supposée lier idéalement l’homme et le Dieu de l’islam l’un à l’autre. Ce qui est capital chez Ibn ‘Arabî, c’est qu’une telle idée de la walâya en tant qu’amitié-amour divine va clairement refonder la théorie islamique de la prophétie.

  • 23 Sur les rapprochements entre la Cité et l’umma, et entre le philosophe-roi et le prophète-roi, vo (...)

22Dans un premier temps et à travers le moment fârâbien, moment inaugural pour l’“islamisation” de la philosophie politique grecque, deux transitions conceptuelles avaient pu s’accomplir : les deux notions de cité et de philosophe-roi (les deux pris dans leur sens plutôt platonicien) venaient prendre chez Fârâbî les nouvelles formes conceptuelles d’umma et de prophète-roi ; elles lui permettaient de la sorte de jeter, à partir de leur tandem, les fondements philosophiques d’une politeia islamique23. Avec la doctrine d’Ibn ‘Arabî, on est décidemment face à une nouvelle transformation dont la tradition islamique va désormais prendre acte. Car l’idée de la walâya change profondément le sens théologico-politique de la prophétie, de l’umma et, partant, de leur relation ; elle fournit in fine de nouveaux fondements doctrinaux à la pensée d’une politeia proprement islamique. En clair, le prophète-roi s’identifie à la figure de walî. On apprend que le statut théologico-politique de ce prophète par excellence qu’est Mahomet provient avant tout du fait qu’il est l’ami de Dieu. À travers sa personne, ce sont à la fois l’amour et la tutelle divins qui sont transmis aux humains. Ainsi, le prophète devient essentiellement cet homme divinisé qui fait la médiation du gouvernement divin sur la terre.

  • 24 IbnArabi 2008, chap. XIV. 2008. Et pour un commentaire détaillé de ce point, voir Chodkiewicz 2 (...)

23À partir du lien de la walâya, argumente Ibn ‘Arabî, une situation exceptionnelle se produit pour la condition humaine, puisque l’homme divinisé et Dieu partagent le même nom : le walî, on vient de le voir, est le nom du sujet de la walâya et, en même temps, de celui qui la subit ; il désigne à la fois l’amant et l’aimé, nomme aussi bien le tuteur que celui qui est sous sa tutelle. De la sorte, celui qui atteint le statut du walî de Dieu va forcément participer de la seigneurie (rubûbiyya) et de la tutelle divines24. Dans un sens, il est promu au statut de l’ami élu de Dieu et, par conséquent, reçoit passivement son amour. Mais par là même il devient, dans l’autre sens, la source de cet amour divin pour les hommes qui, en retour, doivent aimer cet homme divinisé comme un bien-aimé et s’y soumettre comme à un tuteur. La devise pythagoricienne, on s’en souvient, réclamait l’amour réciproque des gouvernants et des gouvernés, amour qui devrait accompagner la science (ἐπιστήμη) des premiers et l’obéissance (πειθήνιος εἶναι) des seconds ; voilà comment la doctrine de la walâya vient à en produire un retentissement différentiel et lointain, plusieurs siècles plus tard.

24À partir de cette amitié divine islamique, le lien qui fondera l’umma est celui qui lie ses membres les uns aux autres en tant qu’ils sont tous les amis du walî. Comme chaque walî est par définition à la fois le sujet et l’objet de l’amour-amitié, c’est un lien lui-même amical qui s’établit entre les membres de la communauté. Et ce n’est pas tout : dans la mesure où cet amour-amitié est eo ipso la tutelle et le gouvernement même, une telle communauté des “amis”, communauté fondée sur le principe de la walâya, se structure comme une communauté politique. La tradition islamique, surtout dans ses branches mystiques ou messianiques, va tirer de cette doctrine deux conséquences décisives. D’une part, des penseurs shi’ites et sunnites, y compris Ibn ‘Arabî lui-même, argumentent que la permanence de la providence divine exige que la walâya, en tant que moyen et médiation de cette providence, continue même après la fin de la prophétie. Autrement dit, il est nécessaire qu’il existe pour tous les temps un walî sur et pour la terre. D’autre part, on convient que l’amitié d’un tel walî forme toujours une communauté à partir de ses fidèles, même lorsque cette communauté n’a pas d’existence physique sur la terre et reste spirituelle. Qui plus est, une telle communauté met d’ores et déjà en œuvre une politique de l’amitié.

  • 25 L’exemple d’Ibn ‘Arabî montre d’ailleurs à quel point ces frontières sont peu pertinentes s’agiss (...)
  • 26 Sur la postérité d’Ibn ‘Arabî, voir Knysh 1999. Et en ce qui concerne son influence majeure sur l (...)
  • 27 La translatio shi’ite d’Ibn ‘Arabî s’opère dès le xive siècle par son influent commentateur shi’i (...)

25Afin de mieux évaluer l’enjeu de cette réplique islamique à l’idée de la philanthropia divine, nous devons nous rappeler un fait historique : à travers et après la formulation théorique de la walâya par Ibn ‘Arabî, c’est au fond toute la tradition islamique, dans sa tendance hégémonique, qui s’engage dans un tel dialogue différé avec la théologie politique tardo-antique. En effet, dès le xiie siècle, la portée de la doctrine d’Ibn ‘Arabî dépassait largement les frontières confessionnelles établies entre les deux courants sunnite et shi’ite de l’islam25. Dans le monde sunnite, la postérité de notre penseur ne cessera de s’élargir ; sa doctrine ira jusqu’à fournir l’assise théologico-politique de l’Empire ottoman26. Quant au shi’isme, la théorisation de la walâya par Ibn ‘Arabî a trouvé un écho encore plus grand dans le développement de la théologie et de la philosophie shi’ites, dans la mesure où elle s’est intimement associée au principe de la foi shi’ite, à savoir l’idée des Imams saints successeurs de Mahomet. Selon cette foi, on le sait, la mission divine du Prophète se divise en un noyau, qui est sa vérité, et une écorce, qui en est l’expression visible et exotérique. Or, le noyau est bel et bien la walâya, alors que la législation prophétique n’en est que son écorce. Le shi’isme en déduit que, même si la législation divine arrive à sa fin avec Mahomet en tant que dernier prophète, c’est la walâya qui se prolonge par l’Imam shi’ite. Le point important à noter ici est que, grâce à son autorité amicale (sa walâya), la figure de l’Imam devient la traduction vivante de la shari’a et de la législation divine délivrée par Mahomet27. À ce titre, l’Imam est le seul chef légitime de l’umma, une umma dont tous les membres sont censés être ses amis fidèles. Pendant l’occultation messianique du dernier Imam shi’ite, cette umma prend une forme spirituelle, voire existentielle, à partir de la foi des fidèles qui en constituent les membres véritables. De surcroît, avant le retour messianique de cet Imam sur la terre à la fin des temps, son autorité amicale aura seulement une signification théologique pour les fidèles. Mais cette interprétation messianique de la walâya a une connotation paradoxale. Car elle laisse entendre en même temps que si, durant cette longue occultation, une instance représentative de l’autorité de l’Imam pouvait exister ici-bas, la signification politique et gouvernementale de la walâya se réactiverait et, partant, l’umma se formerait de nouveau sur la terre comme une communauté politique.

  • 28 Je me suis penché sur les traces en question dans Ganjipour 2021, 49-59 et 362 sqq.

26Bien plus tard et à l’époque contemporaine, la « théorie de la walâya du juriste shi’ite » que Khomeyni a élaborée tentait effectivement à théoriser une telle représentation de la walâya de l’Imam shi’ite absent. L’État islamique, qu’il allait mettre dès 1979 en place en Iran, prétendait être précisément l’institution politique d’une telle représentation. Connaisseur de Platon, Aristote et Plotin et en même temps fervent adepte de la doctrine d’Ibn ‘Arabî, Khomeyni insistait pour appeler son État une République. À regarder de plus près la théorisation de cet État par Khomeyni, une chose devient explicite : sa République islamique porte les traces indéniables du rêve tardo-antique d’une Platonopolis28.

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Bibliographie

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Notes

1 Renan 1883, 11.

2 Ibid., 14.

3 Al-Mas’ûdî, Murûj al-dahab wa ma’âdin al-jawhar, cité dans GUTAS 2005, 145-146. Pour d’autres rapports des historiens musulmans allant dans le même sens, voir Balty-Guesdon 1992, 135-136.

4 Gutas 2005, 140.

5 Sur cette interaction, voir Stroumsa 2015.

6 Je me permets de renvoyer, à propos de ce rôle, à Ganjipour 2014, 126.

7 Sur ce point, la comparaison de Rémi Brague, malgré son ton hyperbolique, touche un fond de vérité : « Nietzsche a parlé du christianisme comme d’un “platonisme pour le peuple”. On serait sur un terrain bien plus sûr, du point de vue de l’histoire des idées, si l’on parlait de l’islam comme d’un “néoplatonisme pour le peuple”. » (Brague 2016, 31-32)

8 OMeara 2003, 187.

9 Voir Loraux 1997, 204.

10 Sur le problème de l’amitié chez Platon et sa portée politique, voir El Murr 2014, 3-34.

11 Plat. Rsp. 414d-415c. Voir également, le commentaire de ce mythe par Nicole Loraux à la lumière d’autres dialogues platoniciens dans Loraux 1999 [1993], 207.

12 Arist. Eud., 1235a4. Aristote expose sa théorie de l’amitié parallèlement dans le livre IX de l’Éthique à Nicomaque et, de façon plus concise et peut-être plus riche, dans le livre VII de l’Éthique à Eudème.

13 Une analyse légèrement différente du même diagnostic chez Aristote est récemment proposée dans Pellegrin 2018.

14 Arist. Pol. VII, 14, 1332b 14-29.

15 J’ai essayé de clarifier le paradoxe de l’amitié politique chez Aristote dans Ganjipour 2021, 111-115.

16 Voir OMeara 2003, 199-201.

17 Cf. le traité politique du néo-pythagoricien Diotogène, Peri basileias, in Delatte 1942, 56.

18 Proclus in Segonds 1985, t. 1, 78 (95, 18-25). Voir le commentaire d’O’Meara 2003, 76.

19 Stobée, Florilège, IV, i, 40, cité dans Dumont 1988, 595.

20 Sur cette fonction de la philanthropia sous-tendant à la fois la philia et la hiérarchie entre les membres de la communauté, voir Fraisse 1974.

21 Athanassiadi 2006 et 2014.

22 Bien avant notre auteur, l’idée de la walâya commence son élaboration progressive dès le ixe siècle. Pour l’une de ses premières formulations dans la mystique islamique du ixe siècle, voir le traité de Tirmizi (Yahia, 1976). À propos du développement parallèle de la même notion dans la théologie shi’ite du ixe siècle, voir Amir-Moezzi 1992.

23 Sur les rapprochements entre la Cité et l’umma, et entre le philosophe-roi et le prophète-roi, voir Mahdi 2000, 138 et 188. Dans sa vaste étude, Ph. Vallat a décelé les éléments de la métaphysique tardo-antique qu’on retrouve à l’arrière-plan de la lecture de Platon et d’Aristote par Fârâbî, y compris et surtout en ce qui concerne la pensée politique (Vallat 2004).

24 IbnArabi 2008, chap. XIV. 2008. Et pour un commentaire détaillé de ce point, voir Chodkiewicz 2012, 61.

25 L’exemple d’Ibn ‘Arabî montre d’ailleurs à quel point ces frontières sont peu pertinentes s’agissant la dynamique de la pensée islamique tout au long de son développement prémoderne ; frontières qui constituent souvent une idée reçue que les modernes projettent sur l’histoire intellectuelle de l’islam pour biffer la complexité de sa trajectoire.

26 Sur la postérité d’Ibn ‘Arabî, voir Knysh 1999. Et en ce qui concerne son influence majeure sur les idéologues de l’Empire ottoman, voir Yilmaz 2018.

27 La translatio shi’ite d’Ibn ‘Arabî s’opère dès le xive siècle par son influent commentateur shi’ite, Haydar Âmoli (1319-1385). On se reportera à son grand commentaire : Nass al-Nusus [Le texte des textes] (Corbin et Yahia 1975). Sur le devenir shi’ite de la doctrine d’Ibn ‘Arabî, voir aussi Corbin 1972.

28 Je me suis penché sur les traces en question dans Ganjipour 2021, 49-59 et 362 sqq.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Anoush Ganjipour, « De la philanthropia à la walâya : éléments de la politique de l’amitié en islam »Anabases [En ligne], 36 | 2022, mis en ligne le 02 novembre 2022, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/14392 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.14392

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Auteur

Anoush Ganjipour

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