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Comptes rendus

Olivier Collet, Yasmina Foehr-Janssens et Jean-Claude Mühlethaler (éds.), Fleur de clergie. Mélanges en l’honneur de Jean-Yves Tilliette

Florence Bouchet
p. 331-333
Référence(s) :

Olivier Collet, Yasmina Foehr-Janssens et Jean-Claude Mühlethaler (éds.), Fleur de clergie. Mélanges en l’honneur de Jean-Yves Tilliette, Genève, Droz, 2019, 1080 p. / ISBN 9782600159609, 83,35 €

Texte intégral

1Jean-Yves Tilliette, professeur honoraire de langue et littérature latines du Moyen Âge à l’Université de Genève, a consacré sa brillante carrière à la littérature et à la philologie médiolatines, à la réception de la culture antique, à l’histoire de la rhétorique et de la poétique au Moyen Âge ; la liste de ses travaux et publications, p. 13-28, permet de mesurer ses apports scientifiques. Les quatre parties de cet imposant volume de mélanges rendent hommage à ces différents champs d’érudition. Dans le cadre limité de ce compte rendu, il est impossible de parcourir les 49 contributions (le sommaire est consultable sur le site web de l’éditeur) ; sera donc privilégiée la dizaine d’articles plus directement en rapport avec le domaine d’Anabases, « traditions et réception de l’Antiquité ».

2Pour les médiévaux, l’Antiquité est une source toujours vivante d’enseignements, un réservoir de sagesse, moyennant un certain travail d’adaptation à la vision chrétienne du monde. Il y a donc un usage didactique de l’Antiquité tout au long du Moyen Âge. Ainsi, comme l’expose Amy Suzanne Heneveld, le De nuptiis Philologiae et Mercurii de Martianus Capella, entré dans le programme scolaire carolingien, a servi de référence pour l’enseignement des arts libéraux et suscité diverses gloses qui interprètent ce mariage comme celui de la raison et de l’éloquence ; le plaisir de l’étude y est magnifié par le rôle cardinal de Voluptas. Le Sophilogium du chanoine augustin Jacques Legrand est un traité encyclopédique composé vers 1400 dont Elsa Marguin-Hamon retrace les sources : la principale d’entre elles, le Compendiloquium [ou Florilegium] de dictis et factis virorum illustrium compilé vers 1270 par le théologien franciscain Jean de Galles, qui s’appuie notamment sur Aulu-Gelle, apparaît comme un vecteur de la translatio studii tout en motivant une pastorale fondée sur la promotion de vies exemplaires ; Legrand ajuste son propos à une visée réformatrice qui s’adresse à l’ensemble des états de la société. La mythologie gréco-romaine (que Legrand justifierait en tant que « poetrie ») offre un autre biais didactique pour lequel plusieurs manuels furent compilés au Moyen Âge. Gisèle Besson situe la composition du traité dit du « Troisième Mythographe du Vatican » dans l’Allemagne du sud, dans le deuxième quart du xiie siècle, sans pouvoir identifier son auteur.

3Ovide est l’un des auctores les plus diffusés, commentés et imités au Moyen Âge ; plusieurs contributions témoignent de cette notoriété. Il a marqué la production poétique (en latin) de Baudri de Bourgueil, et Francine Mora suggère que Baudri a pu à son tour inspirer certains passages (ekphraseis, fabulae mythologiques) des romans de Thèbes et d’Eneas – lesquels ont aussi un rapport direct aux textes de Stace, Virgile et Ovide. Christopher Lucken réfléchit au sens exact du mot « tirant » (tyran en français moderne) appliqué à Térée, le violeur de Philomèle dans les Métamorphoses (VI, 412-674) dont le forfait est raconté en ancien français (peut-être par Chrétien de Troyes, attribution incertaine) dans Philomena ; cette tyrannie constitue une perversion non seulement de la royauté mais aussi et surtout du désir, idée qui remonte à Platon (définition de l’homme tyrannique dans Rép. 571a-b) et à une vision déformée de l’épicurisme par Jean de Salisbury (Entheticus maior, Policraticus). Les Métamorphoses ont été systématiquement glosées dans l’énorme Ovide moralisé anonyme du xive siècle. Le mythe de la Gigantomachie y est rapproché de l’épisode biblique de la tour de Babel ; Jean-Marie Fritz analyse le traitement (sérieux ou comique) du quiproquo déclenché par la division linguistique des bâtisseurs, du Pseudo-Philon à Érasme, en passant par Rémi d’Auxerre, Pierre de Beauvais, le Mystère du Vieux Testament. Richard Trachsler revient sur le mythe de Phaéton en s’interrogeant sur la description du quadrige du Soleil dans l’Ovide moralisé : les noms et la caractérisation des quatre chevaux ne proviennent pas d’Ovide seul, ils puisent à une tradition mythographique latine qui passe par Hygin, Fulgence, les fameux Mythographes du Vatican et d’autres commentaires qui n’ont pu être précisément identifiés.

4La manière dont les auteurs médiévaux retravaillent les textes antiques manifeste une conscience aiguë des pouvoirs de l’écriture. Une des formules les plus connues de la poétique médiévale est la molt bele conjointure tirée du prologue d’Érec et Énide de Chrétien de Troyes ; Charles Méla la fait remonter à la callida junctura d’Horace (Art poétique, 47-48). Cette réflexion sur l’agencement harmonieux des mots repose sur plusieurs jalons médiolatins (Isidore de Séville, Geoffroi de Vinsauf, Alain de Lille, Jean de Salisbury), enrichis de souvenirs de Macrobe, des Stoïciens, des Pères de l’Église ; allégoriquement, la conjointure évoque l’union amoureuse ou mystique, héritée du De nuptiis et du Cantique des cantiques. Luca Barbieri mène une autre enquête lexicale parmi les arts poétiques médiolatins et quelques troubadours afin de tracer une continuité avec les métaphores latines qui assimilent le travail raffiné du poète à celui d’un artisan (forgeron, tisserand, sculpteur) ; là encore, il est question du juste choix des mots. Les effets stylistiques de ce choix sont sensibles dans le traitement contrasté de deux réécritures de la description de Troie présente dans l’Historia de excidio Trojae de Darès le Phrygien : Marylène Possamaï-Pérez compare les versions de l’Ilias de Joseph d’Exeter (1180) et de l’Historia destructionis Troiae de Guido delle Colonne (1287) ; le premier use d’une rhétorique expressionniste, le second est plus réaliste et s’inspire en outre du Roman de Troie de Benoît de Sainte-Maure.

5Enfin, mentionnons l’unique exemple de réception moderne d’un auctor antique, Virgile, proposé dans ces mélanges : Viviane Griveau-Genest signale le récit « Virgilius the sorcerer » dans le Violet fairy book (1901) d’Andrew Lang qui emprunte aux biographies médiévales assez fantaisistes du poète mantouan. Reste à enquêter sur l’existence d’une tradition anglaise de Virgile, « héros de contes populaires à l’époque moderne, avant une reconversion tardive en personnage de littérature jeunesse », distincte en partie de la tradition française.

6Ce survol ne saurait restituer les analyses minutieuses déployées dans les dossiers ici réunis, lesquels manifestent combien Jean-Yves Tilliette a su, par ses recherches et son enseignement, stimuler la réflexion de ses pairs et de ses étudiants. Comme c’est souvent le cas dans des mélanges, les contributions abordent des sujets pointus, qu’on pourrait juger de détail, plutôt que de larges synthèses ; mais l’ensemble constitue une mosaïque qui démontre la richesse des corpus et des problématiques qui lient le Moyen Âge à l’Antiquité. Les articles exigent du lecteur lui-même un minimum de connaissances préalables, d’autant que les citations latines ne sont pas systématiquement traduites en français. Un index des auteurs, artistes ou personnes et ouvrages anciens permet d’effectuer d’autres parcours transversaux dans l’ouvrage et de repérer des mentions incidentes d’auteurs et textes antiques dans les articles ici passés sous silence. Il est complété par un index des manuscrits cités (près de 200, conservés en France et dans toute l’Europe).

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Pour citer cet article

Référence papier

Florence Bouchet, « Olivier Collet, Yasmina Foehr-Janssens et Jean-Claude Mühlethaler (éds.), Fleur de clergie. Mélanges en l’honneur de Jean-Yves Tilliette »Anabases, 35 | 2022, 331-333.

Référence électronique

Florence Bouchet, « Olivier Collet, Yasmina Foehr-Janssens et Jean-Claude Mühlethaler (éds.), Fleur de clergie. Mélanges en l’honneur de Jean-Yves Tilliette »Anabases [En ligne], 35 | 2022, mis en ligne le 10 avril 2022, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/14078 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.14078

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