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Traditions du patrimoine antique

Quand les feuilles du chêne de Dodone se mirent à bruire

Adeline Grand-Clément et Sarah Rey
p. 119-134

Résumés

Le fonctionnement de l’oracle de Dodone reste obscur, mais on lit souvent dans les manuels d’histoire grecque que les pèlerins venaient dans ce sanctuaire épirote consulter la volonté de Zeus en écoutant le bruissement du vent dans le feuillage du chêne sacré. Un examen des sources anciennes révèle toutefois que rien ne vient confirmer cette hypothèse  ; cette dernière repose vraisemblablement sur un amalgame entre des témoignages différents. Nous tentons de comprendre ici les raisons de son succès, en orientant l’enquête du côté de l’origine de l’histoire des religions, autour de la dendrolâtrie attribuée aux Anciens, puis du côté du développement d’une forme de sensibilité écologique chez les modernes.

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Texte intégral

  • 1 Cf. notamment Poignault 1995 et Terneuil 2020.

1Parmi les ouvrages qui accompagnent une vie durant le parcours d’un.e antiquisant.e, il en est que l’on relit volontiers, et que l’on conserve précieusement dans sa bibliothèque. Les Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar méritent mille fois de figurer au nombre de ceux-là, même s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un ouvrage d’histoire. La romancière a fait un tel travail de documentation – ses Cahiers en témoignent – que la voix qu’elle prête à l’empereur philhellène sonne étonnamment juste1. Elle redonne ainsi vie à tout un univers sensible, restituant les nuances, les textures, les fragrances, les saveurs, les bruissements de l’Antiquité du iie siècle de notre ère. Par exemple lorsque, vers la fin de sa vie, l’empereur quitte Sidon pour regagner Rome, embarqué sur un navire qui sillonne la Méditerranée, le passage par les Cyclades suscite en lui une riche palette d’impressions sensorielles admirablement évoquées  :

  • 2 Yourcenar 1974, 270.

(…) la route du retour traversait l’archipel  ; pour la dernière fois sans doute de ma vie, j’assistais aux bonds des dauphins dans l’eau bleue  ; j’observais, sans songer désormais à en tirer des présages, le long vol régulier des oiseaux migrateurs, qui parfois, pour se reposer, s’abattent amicalement sur le pont du navire  ; je goûtais cette odeur de sel et de soleil sur la peau humaine, ce parfum de lentisque et de térébinthe des îles où l’on voudrait vivre, et où l’on sait d’avance qu’on ne s’arrêtera pas2.

  • 3 Hébert 2013, 38.

2Ce sont sans doute, en partie du moins, la sensibilité et la troublante humanité d’Hadrien qui expliquent le plaisir que Pascal Payen a éprouvé à lire et relire le roman de Marguerite Yourcenar, virtuose dans l’art de la «  sympathie imaginative3  ». Il y a dans le trait de plume de l’écrivaine quelque chose qui tient des travaux de l’historien Alain Corbin, même si Louis-François Pinagot ne ressemble en rien à un empereur romain.

  • 4 Febvre 1941.
  • 5 Cf. les propos tenus par Febvre à Lévi-Strauss, rapportés par ce dernier dans la « Cinquième conf (...)
  • 6 Corbin, 1988 ; Corbin 1983 ; Corbin 1994.
  • 7 Payen 2012.

3C’est précisément à Pascal Payen que nous devons d’avoir appris que les sensibilités avaient une histoire et qu’elles avaient aussi, en France, leurs historiens. Lucien Febvre, d’abord, qui a ouvert la voie avec son article séminal «  Comment écrire la sensibilité de la vie d’autrefois  ?4 ». Pascal Payen aimait à rappeler qu’il alla jusqu’à dire qu’il y avait une thèse entière à écrire sur l’histoire du bouton5  : quelle révélation  ! Personne n’a cependant oser relever le défi, à ce jour. Il revient néanmoins à Alain Corbin d’avoir commencé à tisser les fils de cette histoire du sensible, pour les époques modernes et contemporaines. Pascal Payen nous a fait découvrir les ramifications de ses travaux. Les études consacrées à l’émergence du désir du rivage, aux transformations de la culture olfactive en lien avec les politiques hygiénistes, ou à l’attachement des communautés villageoises aux cloches, dans les sociétés occidentales modernes, n’avaient rien à voir avec l’Antiquité6  ; pourtant, lorsque nous étions en doctorat, notre directeur nous en conseillait amicalement la lecture, au même titre que celle de travaux d’éminents hellénistes du centre Gernet, comme Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet et Nicole Loraux. Pourquoi  ? Pascal Payen souhaitait nous faire saisir le caractère profondément historique et culturel des modes de perception et des systèmes d’appréciation. Il avait sans doute aussi la conviction qu’un.e helléniste ne doit pas s’enfermer dans ses sources mais au contraire s’ouvrir aux questionnements et aux outils forgés par les anthropologues et les historiens d’autres périodes. Lui-même a cherché à appréhender le rapport des Grecs aux phénomènes guerriers dans une telle perspective  : il a par exemple choisi de saisir la guerre par «  ses revers7 ». La nécessaire et salutaire traversée des frontières à laquelle il nous invitait alors conférait à l’historiographie et à l’enquête historique une saveur nouvelle.

  • 8 Corbin 1993.
  • 9 Corbin 2021.
  • 10 Élisée Reclus évoque des cas en Bretagne où c’est le bruissement des feuilles qui porte les prièr (...)
  • 11 Pour un bilan sur les fouilles entreprises à Dodone depuis le xixe siècle, voir Quantin 2008.
  • 12 Brosse 1993, 839 sv.

4Parmi les derniers terrains d’enquête frayés par Alain Corbin figurent les arbres8 et le vent9 (en revanche, toujours pas de boutons à l’horizon  !). Dans La douceur de l’ombre, l’historien montre que la croyance en la parole de l’arbre possède une longue histoire. Le motif de l’arbre qui bruit est en effet récurrent dans la littérature occidentale, depuis l’Antiquité. Alain Corbin en cite quelques exemples, qui constituent autant de jalons et de déclinaisons possibles. Pour l’Antiquité, il retient surtout le cas du chêne vélanède du sanctuaire de Dodone et s’intéresse à certaines étapes de sa réception, de Rabelais à Élisée Reclus10. Cet oracle de Zeus, situé en Épire, donc aux franges du monde grec, jouait un rôle aussi important que celui d’Apollon à Delphes, à l’époque archaïque11. Alain Corbin écrit que l’oracle venait du feuillage de l’arbre qui se mettait à bruire en l’absence de vent  : une éloquence bien surnaturelle. Il cite à l’appui de cette hypothèse le travail du philosophe et naturaliste Jacques Brosse12. Point besoin de rafale ni de Zéphyr pour le faire parler, selon lui  : voilà pourquoi Alain Corbin n’a pas fait de place à Dodone dans son ouvrage sur le vent publié quelques années plus tard, en 2021. Et pourtant… La piste indiquée par Jacques Brosse diffère de la version «  officielle  » qui circule dans la plupart des manuels d’histoire grecque aujourd’hui  : ces derniers indiquent en effet que les pèlerins venaient à Dodone pour écouter le bruit du vent dans les feuilles du ou des chênes sacrés  ; le personnel cultuel présent sur place aidait à déchiffrer ces étranges messages divins.

  • 13 Parke 1967.
  • 14 Georgoudi 2012.

5En fait, si les modalités de consultation oraculaire sont relativement bien connues pour Delphes, davantage d’incertitudes entourent celles qui concernent Dodone13. De nombreuses études ont tenté de préciser la façon dont fonctionnait l’oracle, mais sans parvenir à des conclusions assurées. Il nous faut admettre que coexistaient probablement plusieurs modes de consultation, comme le suggère Stella Georgoudi14. Nous ne souhaitons pas revenir à nouveau sur le dossier, mais plutôt, en suivant l’esprit d’Anabases, tenter de saisir les raisons pour lesquelles les modernes ont, en dépit des lacunes documentaires, privilégié l’idée selon laquelle c’est le bruit du vent dans les feuilles des chênes qui exprimait la volonté de Zeus. Nous verrons qu’enquêter sur ce qui a fait le succès de cette image dit quelque chose de l’évolution des sensibilités occidentales aux arbres et au vent – et cela nous ramène aux travaux récents d’Alain Corbin. Nous tâcherons donc de mettre ici en lumière quelques-unes des étapes qui ont marqué la réception du chêne sacré de Dodone – ainsi que celle d’autres de ses congénères, qui ont fait couler beaucoup d’encre, sans doute davantage que de leur propre sève.

Le chêne polyglotte des Anciens

  • 15 C’est également l’hypothèse que formule Éric Lhôte ; il ajoute « Parke a bien montré qu’il n’en é (...)

6Nous l’avons dit, beaucoup d’incertitudes entourent le fonctionnement de l’oracle dodonéen  : les témoignages des auteurs anciens ne sont pas assez explicites. Les plus anciennes références au sanctuaire figurent chez Homère. La piste du bruissement des feuilles, privilégiée in fine par les modernes, pourrait venir d’une mauvaise interprétation des vers suivants de l’Odyssée, qui parle d’Ulysse15  :

  • 16 Od. 14.327-328.

Il était parti, dit-on, pour Dodone, afin d’entendre (epakousai) la boulè de Zeus, d’un chêne divin au feuillage altier (theoio ek druos hupsikomoio)16.

  • 17 Il. 14.398-399.

7L’adjectif hupsikomos est un terme rare, poétique, qu’Homère réserve aux seuls chênes, les distinguant ainsi des autres essences. Le mot exprime l’idée d’une ramure élevée, d’une stature imposante, qui sied bien à ce type d’arbres majestueux. L’aède, dans un passage de l’Iliade, fournit l’image du vent qui bruisse dans leur feuillage, lors des tempêtes  : «  ni le vent autour des chênes au feuillage altier ne gémit autant, lui qui gronde les jours de colère17  ». Si l’on devine que Zeus n’est pas loin, aucune référence n’est cependant faite ici au sanctuaire de Dodone  : l’aède se sert de l’image comme point de comparaison avec la clameur des guerriers partant au combat, afin de souligner le bruit qu’ils font avec leur équipement de bronze. Il serait donc hasardeux d’y voir la clef du fonctionnement de l’oracle épirote. Quant à l’extrait de l’Odyssée cité juste avant, il se borne à employer la formule ek + génitif, qui ne nous éclaire guère sur la façon dont la parole divine sortait de l’arbre.

  • 18 Par exemple, Eur. Phoen. 208-213. Un fragment de Sappho mentionne explicitement le doux bruit du (...)
  • 19 Xen. Mem. 4.3.13-14.
  • 20 Pour une analyse en termes de perception sensible de l’alsos grec, voir Brulé 2012, 31- 61.
  • 21 Philostr. Imag. 2.16.
  • 22 Philostr. Imag. 4.24. L’auteur dépeint un arbre orné de guirlandes/bandelettes : il faut sans dou (...)

8On ajoutera qu’il serait étonnant que ce soit le bruit du vent dans les feuilles du chêne qui ait compté à Dodone  : on voit mal en effet pourquoi, si c’était le cas, les Grecs ne l’auraient pas exprimé clairement. On sait en effet qu’ils étaient sensibles au bruissement du feuillage des arbres agité par Éole  : de nombreux poèmes en témoignent18, mais aussi le Socrate de Xénophon, lorsqu’il réfléchit à la façon dont les dieux, invisibles, manifestent leur présence aux humains19. C’est peut-être même l’une des choses qui faisait la beauté de certains «  bois sacrés20  », si l’on en croit Philostrate, qui évoque la douce musique faite par le vent dans le feuillage de la pinède du sanctuaire de Poséidon à Isthmia (sur l’isthme de Corinthe)  : «  voilà le temenos de Poséidon, entouré de pins dont les cimes répondent par un doux murmure à celui des flots21  ». Dès lors, on voit mal pourquoi le même Philostrate n’aurait pas fait une référence analogue lorsqu’il décrit Dodone  : or rien ne concerne le vent, lorsqu’il est question du chêne qui parle22.

  • 23 Lhôte 2006, 428-429 : « tout nous porte à croire que l’acte essentiel de la procédure oraculaire (...)
  • 24 « Il y avait dans le sanctuaire un objet d’airain avec une statue placée au-dessus qui tenait un (...)
  • 25 Soph. Trach. 1168. Eschyle mentionne des « chênes parlants/accueillants » (Promet. 829-834).
  • 26 Ap. Rhod. Argon. 1. 524-527 ; 4.580-591.

9Il apparaît ainsi que le succès du bruissement des feuilles du chêne à Dodone relève d’un subtil dosage combinant des données antiques assez diverses  : la sensibilité avérée des Grecs au bruit du vent dans les arbres, que nous venons de mentionner, est l’un des premiers éléments. Mais d’autres viennent s’y ajouter. On signalera d’abord l’importance du rôle joué par des «  feuilles  » (petala) dans le fonctionnement de l’oracle  : il s’agit en effet de lamelles en plomb (nommées en grec petala) sur lesquelles étaient écrites les requêtes formulées par les pèlerins et que les fouilles ont mis au jour en grand nombre. Une partie d’entre elles a été éditée et traduite par Éric Lhôte, qui estime qu’après la consultation, elles étaient enfouies pieusement au pied de l’arbre sacré23. Ensuite, l’importance du vent comme générateur de sons est effectivement avérée à Dodone, en lien non pas avec le chêne mais avec un objet qui avait été consacré dans le sanctuaire. En effet, Strabon mentionne la présence d’un ensemble sculpté en bronze offert par les Corcyréens au ive siècle avant notre ère qui était très célèbre, parce qu’il se mettait à résonner avec le vent24. Enfin, les auteurs anciens suggèrent que la parole émanait du chêne  : nous avons signalé la formule homérique, mais il faudrait ajouter d’autres témoignages, comme celui de Sophocle qui mentionne un chêne «  polyglotte25  ». Il y aurait beaucoup à dire sur ce vélanède doué de parole  ; nous nous bornerons à rappeler que les Grecs racontaient qu’il avait fourni la poutre parlante du navire Argo, capable de mettre en garde Jason et ses compagnons26. Et là encore, le feuillage n’est pas concerné…

10L’amalgame de ces différents indices pourrait expliquer l’origine de l’hypothèse relative au bruissement du feuillage du chêne lors des tempêtes épirotes, comme clef du fonctionnement de l’oracle. Un tel bricolage à partir de données antiques ne suffit cependant pas à justifier les raisons pour lesquelles l’idée a pu croître et s’enraciner aussi aisément dans la pensée occidentale moderne. Il nous faut alors admettre qu’elle y a trouvé un terreau favorable. Celui-ci s’est nourri des recherches menées par les pionniers de l’histoire des religions, qui ont mis en avant l’importance du «  culte des arbres  » dans l’Antiquité.

Une dendrolâtrie antique  ? Autour des bois sacrés, des chênes et du gui

11Le cas de Dodone a attiré l’attention des premiers historiens des religions  : le chêne de Zeus fournissait à leurs yeux un excellent exemple de dendrolâtrie. Ils estimaient alors que le «  culte des arbres  » primitif aurait laissé des traces dans la profusion de «  bois sacrés  » antiques.

  • 27 Scheid 1993.
  • 28 Scheid 1990.
  • 29 Voir en dernier lieu Belfiori 2017. Sur les bois sacrés chez Frazer, voir Beard 1993.

12En effet, l’imaginaire des «  antiquaires  » et historiens a été particulièrement aiguisé par la redécouverte de ce que les Grecs nommaient l’alsos et les Latins lucus ou nemus, autant de termes qui, dès l’Antiquité, recoupent pourtant des réalités très différentes les unes des autres27. Dès 1570, les premiers fragments des Actes des Frères arvales sont retrouvés à l’emplacement de leur ancien lieu de culte, le bois de Dea Dia, non loin de Rome28. D’autres découvertes ont lieu au fil des siècles. En 1737, le Lucus Pisaurensis est ainsi identifié par Annibale degli Abati Olivieri à Pesaro (Pisaureum)29. Mais ces sites tardent à être compris dans toute leur complexité. La première histoire de la religion romaine qui soit publiée, la Religion der Römer de J. A. Hartung (1836), reprend la définition antique du bois sacré comme une clairière aménagée au sein d’une silua ou d’un nemus, sans mener plus loin l’enquête.

  • 30 Ces idées ressurgissent régulièrement : voir les critiques formulées par Georgoudi 2009.

13La reconnaissance de l’existence de liens privilégiés tissés par les Grecs et les Romains avec des arbres a conduit à proposer l’hypothèse de survivance dans ces sociétés de formes de dendrolâtrie héritées des temps plus anciens. L’hypothèse a rencontré un certain succès dans le romantisme du début du xixe siècle. Du côté grec, c’est l’héritage minoen qui a souvent été invoqué. Le chêne de Dodone, l’olivier d’Athéna, le laurier d’Apollon ou d’autres arbres remarquables cités par Pausanias ont ainsi été pris comme preuves de telles hypothèses30. James Frazer, en publiant son Golden Bough, en 1890, a largement contribué à diffuser l’idée  : il consacre un chapitre entier au «  culte des arbres  ». Il commence ainsi  :

  • 31 Frazer 1981, 267.

Le culte des arbres a joué un rôle important dans l’histoire de la race aryenne en Europe. Rien ne saurait être plus naturel. À l’aube de l’histoire, l’Europe était couverte d’immenses forêts primitives (…)31.

14Le folkloriste consacre un autre chapitre au culte du chêne (p. 457-471), dans lequel il reprend son affirmation initiale, qui vise à «  naturaliser  » le culte des arbres en l’expliquant par un écosystème spécifique, générateur d’émotions  :

  • 32 Ibid., 457.

Nous avons vu que, longtemps avant l’aube de l’histoire, l’Europe était couverte de vastes forêts primitives, et ceci doit avoir exercé une profonde influence sur la pensée ainsi que sur la vie de nos rudes ancêtres qui vivaient dispersés dans la morne obscurité de la forêt ou dans les clairières ou les endroits défrichés32.

15James G. Frazer en vient ensuite à parler plus spécifiquement de Dodone  :

  • 33 Ibid., 462.

Le plus ancien peut-être, et certainement l’un des plus fameux des sanctuaires de la Grèce était celui de Dodone, où Zeus était adoré dans le chêne oraculaire. Les orages qui, dit-on, sévissent à Dodone plus fréquemment que partout ailleurs en Europe, faisaient de ce lieu une demeure bien appropriée au dieu dont la voix se laissait entendre aussi bien dans le bruissement des feuilles du chêne que dans le grondement du tonnerre. Les airains sonores, que le vent faisait perpétuellement bourdonner autour du sanctuaire, étaient peut-être censés imiter le tonnerre  ; il a dû rouler et éclater bien souvent dans les combes des âpres et stériles montagnes qui resserrent la vallée enténébrée33.

  • 34 Sur ce dispositif, voir notamment Bosman 2016.
  • 35 Il. 16.234, le lieu est caractérisé par ses « rudes hivers » (δυσχειμέρου).

16James G. Frazer s’avance ici pour proposer plusieurs types de signaux sonores entendus à Dodone  : le tonnerre, dont on sait effectivement qu’il était perçu comme une manifestation éclatante de la boulè de Zeus  ; le bruissement des feuilles du vélanède  ; la vibration des chaudrons en bronze, posés sur des trépieds, qui formaient un cercle autour de l’arbre avant la construction du temple à l’époque classique34. On connaît par ailleurs les spécificités météorologiques de la région, sujette aux orages, et qui figure déjà chez Homère35.

  • 36 Les archives de Trinity College, à Cambridge, ont conservé plusieurs lettres adressées à James G. (...)
  • 37 Cook 1902 ; Cook 1903. On lui doit aussi une grande synthèse sur Zeus : Cook 1914-1940.

17D’où le folkloriste tient-il l’essentiel de ses informations  ? De l’archéologue et helléniste Arthur Cook, cité en note, avec qui il entretenait une correspondance régulière, aujourd’hui conservée à Cambridge36. On doit en effet à Arthur Cook un certain nombre d’études sur les oracles de Zeus et les chaudrons de Dodone37. Or l’influence était mutuelle. En effet, le même Arthur Cook suggère que, si le chêne de Dodone bruissait tant, c’est peut-être parce qu’il portait… du gui  :

  • 38 Cook 1903, 420, n. 2.

It is possible that the oracular oak of Dodona was itself a mistletoe-bearing tree. The wind that stirred the foliage was thought to sound most loudly in a mistletoe-bearing oak38.

  • 39 Beard 1993, 172-174.
  • 40 Virg. En.6.133-148, 179-211.
  • 41 Mannhardt 1875-1877.

18Le motif du gui, introduit par l’helléniste au sujet de Dodone, n’est pas anodin. Aucune source grecque relative au sanctuaire n’en parle  ; il s’agit donc d’une pure conjecture. En fait, le motif du gui vient probablement de James G. Frazer. Dans son Golden Bough, le folkloriste crée, grâce à ce végétal, un lien fallacieux entre l’ancien culte du bois sacré de Nemi (point de départ et d’arrivée de son œuvre) et la mythologie scandinave, en passant par l’héritage druidique39. Il s’agit pour lui de trouver un fond commun aux diverses religions antiques. Le gui constitue alors un fil conducteur utile, mais artificiel, puisqu’au livre VI de l’Énéide, Virgile ne précise pas l’essence du «  rameau d’or  ». L’aureus ramus reste d’une indéfinition toute poétique40, mais qu’importe : le folkloriste a insisté pour que son éditeur fasse figurer une branche de gui rehaussée d’or sur la couverture de son ouvrage. Lorsque Cook imagine du gui à Dodone, il mobilise donc les travaux de James G. Frazer, et s’inscrit dans une tradition issue de la celtomanie. La figure du druide, cueillant le gui avec une serpe d’or, est alors populaire, tant chez les historiens que chez les écrivains. Dans ses Wald- und Feldkulte (1875-1877)41, Wilhelm Mannhardt croit pouvoir déceler un Vegetationdämon au cœur de plusieurs rites anciens, notamment chez les druides. Quant à René Chateaubriand, il choisit pour héroïne de son roman Les Martyrs une druidesse d’Armorique, qu’il nomme Velléda. Or l’écrivain explique que celle-ci trouve son inspiration dans le bruissement des feuillages  : la référence à Dodone n’est sans doute pas loin, même si elle n’est pas explicitée.

Prêter l’oreille aux arbres  : retours à Dodone

  • 42 Le mythe de la dendrolâtrie a la vie dure au xxe siècle. Mircea Eliade, par exemple, reste attach (...)

19Bénéficiant d’un imaginaire occidental tourné vers le retour à la nature, qui y voit une forme d’accès au «  sacré  », l’arbre épirote se prête bien à de multiples réinventions plus ou moins fantaisistes42. Toutes insistent néanmoins sur la capacité du chêne (ou de la forêt de chênes) de Dodone à donner accès à une forme de contact avec l’invisible  : le vent qui joue dans le feuillage est alors présent.

20La littérature s’empare de ce motif plus tôt qu’on ne le penserait. Au xviie siècle, Savinien de Cyrano de Bergerac récupère déjà, parmi d’autres réminiscences antiques, l’image des arbres bruyants de Dodone dans ses États et Empires de la Lune et du Soleil (v. 1650). Le personnage de Dyrcona (anagramme de Cyrano), qui a fait le voyage jusqu’à l’astre solaire, arrive dans une forêt où les chênes parlent  :

  • 43 Cyrano de Bergerac 1990, 421.

Il n’y a rien que nous autres Chênes, issus de la forêt de Dodone, qui parlions comme vous  ; car pour les autres végétants, voici leur façon de s’exprimer. N’avez-vous point pris garde à ce vent doux et subtil, qui ne manque jamais de respirer à l’orée des bois  ? C’est l’haleine de leur parole  ; et ce petit murmure ou ce bruit délicat dont ils rompent le sacré silence de leur solitude, c’est proprement leur langage. Mais encore que le bruit des forêts semble toujours le même, il est toutefois si différent, que chaque espèce de végétant garde le sien particulier. C’est l’haleine de leur parole  ; et ce petit murmure ou ce bruit délicat dont ils rompent le sacré silence de leur solitude, c’est proprement leur langage43.

  • 44 Voir l’entretien radiophonique donné sur France inter : « Une Journée particulière », en date du (...)

21Le comique prend des couleurs anciennes. Sous l’influence d’un épicurisme discrètement repensé, Cyrano veut faire entendre que toutes les vies (humaines, animales, végétales) sont d’égale dignité. La variété des formes de bruissements que suscite le vent, en fonction des espèces, rejoint d’ailleurs les observations très contemporaines du forestier suisse Ernst Zürcher, selon qui le tilleul et le chêne ont des façons différentes, et bien reconnaissables, de chanter dans le vent44.

  • 45 À propos de son action de préservation de l’île Maurice : Bernardin de Saint-Pierre, 2004.

22Au cours de ses dernières années, Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), lui qui sa vie durant fut attentif aux milieux naturels et aux ravages causés par les colons européens45, ravive encore le souvenir de Dodone dans ses Harmonies de la nature, publiées à titre posthume  :

Ce bruissement des prairies, ces gazouillements des bois sont des charmes que je préfère aux plus brillants accords  : mon âme s’y abandonne  ; elle se berce avec les feuillages ondoyants des arbres, elle s’élève avec leurs cimes vers les cieux, elle se transporte dans les temps qui les ont vus naître et dans ceux qui les verront mourir  : ils étendent dans l’infini mon existence circonscrite et fugitive, il me semble qu’ils me parlent, comme ceux de Dodone, un langage mystérieux.

  • 46 Lefay 2010.

23L’ancien élève des Jésuites, familier des Anciens, puise dans le répertoire antique les éléments d’une sensibilité déjà romantique. La poésie de la nature s’associe en quelque sorte à celle des ruines  : comme beaucoup de ses contem­porains, Bernardin de Saint-Pierre aime les vestiges archéologiques46, Dodone emprunte dès lors les traits d’un «  monument  » végétal d’un autre temps.

24Terminons notre parcours impressionniste aux États-Unis, chez ceux que l’on considère parfois comme les pionniers de l’écologie, à savoir Henry David Thoreau (1817-1862) et l’Écossais John Muir (1838-1914). Chez eux, l’influence romantique européenne s’hybride avec le mythe américain de la frontière, pour donner naissance au concept de wilderness. Émilie Hache souligne que  :

  • 47 Hache 2014, 133.

l’histoire du concept de wilderness est celle de la transformation de lieux profanes en lieux sacrés, c’est-à-dire inviolables, intouchables et occasion d’expériences spirituelles. John Muir parle de paradis à son arrivée dans la Sierra Nevada, tout comme Thoreau considère que la wilderness est le symbole de la présence de Dieu sur terre47.

  • 48 Granger 239.

25L’un comme l’autre ont, à leur façon, noué des liens privilégiés avec la forêt. Henry David Thoreau apprécie les longues balades au bord du lac Walden, et les notes de ses Carnets témoignent du fait qu’il se sent faire corps avec le paysage. Il se montre très réceptif aux non humains, animaux et végétaux, avec qui il ressent des affinités. Il entre ainsi en sympathie avec les arbres, leur rend visite régulièrement et va jusqu’à s’identifier au pin – non à un chêne48. Sa connaissance de la culture classique a sans doute nourri son imaginaire et sa sensibilité écologique. Thoreau cite par exemple Caton l’Ancien (De Agricultura, 139) au détour d’un passage de son Walden (1854)  :

  • 49 Thoreau 2004 [1854], 248.

Je voudrais que nos fermiers, lorsqu’ils abattent une forêt, ressentent un peu de cette crainte respectueuse que ressentaient les premiers Romains lorsqu’ils en venaient à éclaircir quelque bocage sacré (lucum conlucare), ou à y laisser pénétrer la lumière, c’est-à-dire croient qu’elle est consacrée à quelque dieu. Le Romain faisait une offrande expiatoire, et formulait cette prière  : «  Quelque dieu ou déesse sois-tu, à qui ce bocage est consacré, sois-moi propice, ainsi qu’à ma famille, à mes enfants, etc.49  ».

  • 50 Le dossier documentaire a fait l’objet d’une analyse détaillée par Alvar 1988.

26La formule «  quelque dieu ou déesse sois-tu  » se réfère au sive deus sive dea que l’on trouve chez Caton, mais aussi dans une série d’inscriptions50. Elle permettait aux Romains de s’adresser à la puissance divine dont ils devinaient la présence à l’intérieur d’un bois (comme à l’intérieur d’une ville ennemie), mais dont ils ignoraient l’identité. Thoreau, en latiniste aguerri, semble avoir été très impressionné par cette prière, lui qui cite ailleurs dans son œuvre d’autres préceptes catoniens. Encore une fois, les Anciens semblent favoriser un retour à la terre.

  • 51 Corbin 2021, 70.
  • 52 Muir 2011, 197.

27Quant à John Muir, Alain Corbin, dans La Rafale et le Zéphyr, le considère comme «  le plus grand explorateur des vents, de leur origine, de leur cheminement et, surtout, de leur parole, de leurs senteurs dans les forêts du Yosemite  »51. L’Écossais estimait que chaque arbre «  avait une manière à lui de s’exprimer52  » sous l’effet du vent  : c’est déjà ce qu’affirmait Cyrano de Bergerac. Le parc de Yosemite offre ainsi une symphonie délicieuse:

  • 53 Muir 1900.

Even the blind must enjoy these woods, drinking their fragrance, listening to the music of the winds in their groves, and fingering their flowers and plumes and cones and richly furrowed boles. The kind of study required is as easy and natural as breathing. Without any great knowledge of botany or wood-craft, in a single season you may learn the name and something more of nearly every kind of tree in the park53.

  • 54 Corbin 2021, 75.

28John Muir va jusqu’à se hisser au sommet d’un sapin de Douglas de 30 mètres de haut pour écouter et discerner toutes les nuances de la musique éolienne qui joue dans les arbres54. Il ne s’agit pas simplement de jouir d’un plaisir esthétique, mais bien d’entrer en relation avec le divin. Et la musique des arbres ne s’arrête pas à leur mort  ; John Muir précise en effet qu’elle perdure sous une autre forme, pour les pins d’Oregon, prisés dans la construction navale en raison de leurs fûts droits et réguliers  :

  • 55 Muir 2020 [1898].

Il est intéressant de suivre leur destin  : abattus, écorcés et traînés jusqu’à la mer, ils sont dressés à nouveau comme mât et vergue sur les navires, équipés de racines de fer et de feuillage de toile, décorés de drapeaux et envoyés en mer, où dans un mouvement satisfait ils traversent gaiement toutes les latitudes et longitudes de la prairie-océan, chantant et oscillant, sensibles à ces mêmes vents qui les agitaient dans leur forêt55.

29John Muir semble éprouver moins de scrupule que Thoreau par rapport à la coupe des arbres. Surtout, les mâts chantant des navires qu’il évoque si poétique­ment ne peuvent manquer de faire songer à la poutre prophétique de l’Argo…

Conclusion

  • 56 De nombreux ouvrages parus récemment insistent sur le plaisir que procure la fréquentation des ar (...)
  • 57 Un projet d’édition en ligne, piloté par Pierre Bonnechère, est en cours : https://dodonaonline.c (...)

30Nous nous plaisons à tendre l’oreille pour entendre le vent dans la ramure d’un grand chêne56… et c’est donc ainsi que nous nous plaisons à imaginer les Anciens se rendant à Dodone, pour recueillir l’avis précieux de Zeus sur les divers sujets qui les préoccupaient  : «  faut-il partir fonder une colonie  ?  » «  À quel dieu ou héros sacrifier pour obtenir la prospérité de la cité  ?  » «  Qui a volé les couvertures  ?  » «  À quel dieu ou héros sacrifier pour avoir un nouvel enfant  ?  »... Il est profondément émouvant de lire aujourd’hui les innombrables textes gravés sur les minuscules lamelles de plomb  : certaines d’entre elles trahissent les angoisses et les hésitations du quotidien des Grecs anciens57.

  • 58 C’est qu’à cette époque il ne devait sans doute pas rester grand-chose du sanctuaire, même si Pau (...)
  • 59 L’orateur aimait se promener dans un bois de hêtres consacré à Diane sur le territoire de Tusculu (...)
  • 60 « Simple particulier, j’avais commencé d’acheter et de mettre bout à bout ces terrains étalés au (...)
  • 61 Wagner 2008. L’auteur rappelle (77-78) que de 1939 jusqu’à sa mort en 1987, elle a résidé aux Éta (...)

31Marguerite Yourcenar fait aller son Hadrien à Dodone  : il dit y avoir effectué un séjour prolongé, à cause du mauvais temps – une manière peut-être de caractériser la région du point de vue météorologique, mais aussi de convoquer l’ombre planante d’un Zeus assembleur de nuées. La romancière ne se risque toutefois pas à relater ce que l’empereur y a vu ou fait  : l’allusion reste brève58. Marguerite Yourcenar ne dit pas si Hadrien a conversé avec le chêne vénérable. Mais ce n’est pas si surprenant  : on constate d’une manière générale que son empereur philhellène n’est guère dendrophile. Il diffère en cela d’un Romain du siècle précédent, Passienus Crispus, amoureux d’un arbre d’une rare beauté, au point qu’il «  le baisait et l’embrassait, non content de se coucher à ses pieds et de l’arroser de vin  », selon Pline l’Ancien59. L’empereur reste même insensible à la déforestation qu’occasionnent certains des grands travaux entrepris sous son règne60. En revanche, Marguerite Yourcenar, elle, éprouvait une profonde considération pour ces êtres vivants et leur feuillage, et en cela elle était proche de la pensée de Thoreau, dont elle connaissait et appréciait l’œuvre61. Elle alla même jusqu’à affirmer, lors d’un entretien accordé à Bernard Pivot en septembre 1979  :

  • 62 Cité dans Fayet 2007, 96. L’auteur relève p. 88 d’autres liens possibles avec la pensée de Thorea (...)

De même qu’il y a trop d’êtres humains, il y a trop de livres. Il m’arrive de penser aussi aux feuilles des arbres qui ont été sacrifiées pour écrire tous ces livres. Et là, j’éprouve quelques remords62.

32Pour notre part, quelle que soit notre conscience écologique, nous ne regrettons pas qu’il ait fallu sacrifier un (ou plusieurs  ?) arbres pour faire entendre la voix si sensible d’Hadrien. Mais il est amusant de constater ici que c’est à leur feuillage que Marguerite Yourcenar pense, et non aux branches et au tronc qui, seuls, servent à confectionner la pâte à papier tant convoitée par les éditeurs. De ce point de vue-là, Marguerite Yourcenar pense comme les Grecs, chez qui les petala des arbres portent le même nom que les supports d’écriture, alors que la matière diffère. L’histoire ne dit pas si, quand elle s’adresse à Bernard Pivot, elle a aussi en tête le chêne prophétique de Dodone, qui s’est tu à la fin de l’Antiquité… Mais c’est le christianisme, plus que la déforestation liée à l’appétit féroce des papeteries, qui a sonné le glas de sa parole prophétique. Clément d’Alexandrie s’en réjouit d’ailleurs, lorsqu’il appelle à déserter les sites oraculaires, devenus muets, et dénonce le «  chêne imposteur  » de Dodone  :

  • 63 Clem. Al. Protr. 2.11.

Ne vous occupez plus dès lors de ces repaires impies, de ces profondes cavernes habitées par le mensonge, ni du chaudron des Thesprôtes, ni du trépied de Kirra, ni du bronze de Dodone. Laissez dans ces déserts de sable cette souche de chêne qui était vénérée, son oracle consulté de toutes parts et aujourd’hui dans l’oubli, avec le chêne imposteur et tous ces contes d’une vieillesse en délire. Elle ne parle plus maintenant, votre fontaine de Castalie, elle se tait aussi, celle de Colophon  ; toutes ces ondes prophétiques sont muettes, elles ont été, mais trop tard, publiquement dépouillées de leur faste orgueilleux, elles se sont écoulées, et avec elles toutes leurs fables63.

33Lorsque Pascal Payen passe la nuit sur le site de Dodone, lors d’une odyssée familiale en camping car, il a beau se montrer réceptif aux signes envoyés par le vélanède qui existe aujourd’hui, rien ne se passe. La vue est belle, le site paisible, la nuit délicieuse, mais Zeus a malicieusement gardé le silence, laissant le vent jouer librement dans les feuilles des arbres.

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Bibliographie

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Notes

1 Cf. notamment Poignault 1995 et Terneuil 2020.

2 Yourcenar 1974, 270.

3 Hébert 2013, 38.

4 Febvre 1941.

5 Cf. les propos tenus par Febvre à Lévi-Strauss, rapportés par ce dernier dans la « Cinquième conférence Marc Bloch » qu’il prononce à la Sorbonne en juin 1983 (Lévi-Strauss 1983).

6 Corbin, 1988 ; Corbin 1983 ; Corbin 1994.

7 Payen 2012.

8 Corbin 1993.

9 Corbin 2021.

10 Élisée Reclus évoque des cas en Bretagne où c’est le bruissement des feuilles qui porte les prières.

11 Pour un bilan sur les fouilles entreprises à Dodone depuis le xixe siècle, voir Quantin 2008.

12 Brosse 1993, 839 sv.

13 Parke 1967.

14 Georgoudi 2012.

15 C’est également l’hypothèse que formule Éric Lhôte ; il ajoute « Parke a bien montré qu’il n’en était rien, et qu’en fait c’était le tronc et la souche du chêne qui parlaient et qui émettaient des oracles » (Lhôte 2006, 10). Il fait référence ici à l’étude de
H.W. P
arke (1967) citée plus haut.

16 Od. 14.327-328.

17 Il. 14.398-399.

18 Par exemple, Eur. Phoen. 208-213. Un fragment de Sappho mentionne explicitement le doux bruit du vent dans les feuillages.

19 Xen. Mem. 4.3.13-14.

20 Pour une analyse en termes de perception sensible de l’alsos grec, voir Brulé 2012, 31- 61.

21 Philostr. Imag. 2.16.

22 Philostr. Imag. 4.24. L’auteur dépeint un arbre orné de guirlandes/bandelettes : il faut sans doute imaginer une apparence proche de celle des « arbres à loques » qui existent encore aujourd’hui en France.

23 Lhôte 2006, 428-429 : « tout nous porte à croire que l’acte essentiel de la procédure oraculaire était, non point un tirage au sort de la réponse, mais la gravure d’un texte dans le plomb, et l’enfouissement de cet objet magique au pied du chêne de Zeus Naios ».

24 « Il y avait dans le sanctuaire un objet d’airain avec une statue placée au-dessus qui tenait un fouet d’airain. C’était une offrande des Corcyréens. Le fouet était fait de trois lanières formées de mailles auxquelles étaient suspendus des osselets. S’il arrivait qu’ils fussent soulevés par les vents et vinssent frapper le chaudron d’airain sans discontinuer, ils produisaient un son si prolongé qu’on pouvait compter jusqu’à 400 quand on mesurait le temps du début jusquà la fin. » (Strab. 7. fr.3).

25 Soph. Trach. 1168. Eschyle mentionne des « chênes parlants/accueillants » (Promet. 829-834).

26 Ap. Rhod. Argon. 1. 524-527 ; 4.580-591.

27 Scheid 1993.

28 Scheid 1990.

29 Voir en dernier lieu Belfiori 2017. Sur les bois sacrés chez Frazer, voir Beard 1993.

30 Ces idées ressurgissent régulièrement : voir les critiques formulées par Georgoudi 2009.

31 Frazer 1981, 267.

32 Ibid., 457.

33 Ibid., 462.

34 Sur ce dispositif, voir notamment Bosman 2016.

35 Il. 16.234, le lieu est caractérisé par ses « rudes hivers » (δυσχειμέρου).

36 Les archives de Trinity College, à Cambridge, ont conservé plusieurs lettres adressées à James G. Frazer par Arthur B. Cook. Dans l’une d’entre elle, datée du 22 juillet 1903, il est question de chênes, de Zeus et d’arbres sacrés.

37 Cook 1902 ; Cook 1903. On lui doit aussi une grande synthèse sur Zeus : Cook 1914-1940.

38 Cook 1903, 420, n. 2.

39 Beard 1993, 172-174.

40 Virg. En.6.133-148, 179-211.

41 Mannhardt 1875-1877.

42 Le mythe de la dendrolâtrie a la vie dure au xxe siècle. Mircea Eliade, par exemple, reste attaché au motif de l’ « arbre sacré », véritable axis mundi qui fait le lien entre ciel et terre. Il apporte néanmoins quelques réserves : il prend soin de distinguer le cas des arbres considérés comme des manifestations théophaniques, et donc liés à des rites religieux, comme le chêne de Zeus à Dodone, ou le laurier d’Apollon à Delphes, et ceux qui étaient devenus des objets de culte proprement dits, à savoir le platane d’Hélène à Sparte et le pin du Cithéron (où, disait-on, Penthée avait grimpé afin d’espionner les Ménades) : Eliade 1983, 240.

43 Cyrano de Bergerac 1990, 421.

44 Voir l’entretien radiophonique donné sur France inter : « Une Journée particulière », en date du 10 octobre 2021 : https://www.franceculture.fr/emissions/terre-terre/un-autre-regard-sur-les-arbres.

45 À propos de son action de préservation de l’île Maurice : Bernardin de Saint-Pierre, 2004.

46 Lefay 2010.

47 Hache 2014, 133.

48 Granger 239.

49 Thoreau 2004 [1854], 248.

50 Le dossier documentaire a fait l’objet d’une analyse détaillée par Alvar 1988.

51 Corbin 2021, 70.

52 Muir 2011, 197.

53 Muir 1900.

54 Corbin 2021, 75.

55 Muir 2020 [1898].

56 De nombreux ouvrages parus récemment insistent sur le plaisir que procure la fréquentation des arbres ; on citera, pour l’attachement à un chêne de la forêt de Rambouillet, le livre du biologiste de l’ONF Laurent Tillon : Tillon 2021.

57 Un projet d’édition en ligne, piloté par Pierre Bonnechère, est en cours : https://dodonaonline.com/

58 C’est qu’à cette époque il ne devait sans doute pas rester grand-chose du sanctuaire, même si Pausanias, qui n’y est pas allé, se fait l’écho de la grandeur passée de l’oracle en rapportant que, selon les Épirotes, les prophéties du chêne (manteumata ek tès druos) étaient les plus « vraies » : Paus. 7.21.2.

59 L’orateur aimait se promener dans un bois de hêtres consacré à Diane sur le territoire de Tusculum : Plin. NH 16.242.

60 « Simple particulier, j’avais commencé d’acheter et de mettre bout à bout ces terrains étalés au pied des monts sabins, au bord des eaux vives, avec l’acharnement patient d’un paysan qui arrondit ses vignes ; entre deux tournées impériales, j’avais campé dans ces bosquets en proie aux maçons et aux architectes, et dont un jeune homme imbu de toutes les superstitions de l’Asie demandait pieusement qu’on épargnât les arbres. » (Yourcenar 1974, 271-272).

61 Wagner 2008. L’auteur rappelle (77-78) que de 1939 jusqu’à sa mort en 1987, elle a résidé aux États-Unis et a connu les écrits de Thoreau ; elle partageait avec lui l’attention portée aux arbres.

62 Cité dans Fayet 2007, 96. L’auteur relève p. 88 d’autres liens possibles avec la pensée de Thoreau, autour de la question de la non-violence.

63 Clem. Al. Protr. 2.11.

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Pour citer cet article

Référence papier

Adeline Grand-Clément et Sarah Rey, « Quand les feuilles du chêne de Dodone se mirent à bruire »Anabases, 35 | 2022, 119-134.

Référence électronique

Adeline Grand-Clément et Sarah Rey, « Quand les feuilles du chêne de Dodone se mirent à bruire »Anabases [En ligne], 35 | 2022, mis en ligne le 10 avril 2024, consulté le 18 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/13600 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.13600

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Adeline Grand-Clément

PLH-ERASME
Université Toulouse - Jean Jaurès
5, allée Antonio Machado
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Sarah Rey

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