Anna Peterson, Laughter on the fringes. The Reception of Old Comedy in the Imperial Greek World
Anna Peterson, Laughter on the fringes. The Reception of Old Comedy in the Imperial Greek World, Oxford et New York, Oxford University Press, 2019, 240 p. / ISBN 9780190697099, £64
Texte intégral
1Dans l’introduction de cet ouvrage consacré, comme l’indique le titre, à la réception de l’Ancienne Comédie dans le monde grec impérial, Anna Peterson annonce que son étude portera sur cinq auteurs (Plutarque, Aelius Aristide, Lucien, Alciphron et Libanios) et n’a pas l’ambition de fournir une étude exhaustive des références à l’Ancienne Comédie durant toute la période envisagée. Un deuxième élément de cette introduction consiste à rappeler que cette réception est tributaire à la fois de la philologie hellénistique et des critiques émises par Platon et Aristote à l’époque classique.
2Chez Plutarque, premier auteur étudié, on peut observer deux stratégies différentes : sa Comparaison d’Aristophane et Ménandre, dans le droit fil de la Poétique d’Aristote, condamne la grossièreté d’Aristophane, au profit de la comédie plus raffinée de Ménandre ; en revanche, dans la Vie de Périclès, l’Ancienne Comédie est utilisée comme une source littéraire et historique significative. Elle permet par exemple de rapporter des allusions aux frasques sexuelles dans l’entourage de Périclès et d’Aspasie. Mais l’autrice ne cite pas le cas d’Hermippos, auteur comique qui aurait intenté un procès à Aspasie. Or ce passage, même si l’authenticité historique n’en est pas démontrée, suggère, ce que confirme d’ailleurs l’ensemble de la Vie de Périclès, que Périclès avait plus à craindre des menées de ses adversaires au moyen des tribunaux et de l’assemblée des citoyens que des plaisanteries traditionnelles des comiques dans un cadre de licence festive.
3À propos d’Aelius Aristide, le deuxième auteur examiné, l’autrice étudie trois discours dont le plus important, et à mon sens le plus problématique, est le texte intitulé Peri tou mê deîn kômôideîn, titre que l’on traduit d’ordinaire Sur l’interdiction de la comédie. Selon Anna Peterson, l’auteur réagirait à des reprises, sur la scène théâtrale de Smyrne, de pièces de l’Ancienne Comédie. Cette interprétation me paraît discutable. Rien dans le texte n’indique que l’auteur vise la comédie en tant que représentation et genre littéraire. Le verbe kômôideîn signifie de façon générale « railler, moquer » et surtout le terme kômos (§ 4) nous oriente plutôt vers des défilés de fêtards chantant des satires à l’occasion de fêtes telles les Dionysies. En outre, au § 27, la comédie fait partie des « écrits » (syggraphai) laissés par les Athéniens. Dans son édition de 1898, Bruno Keil songeait à des satires visant personnellement Aelius Aristide, qui se signalait par sa suffisance et sa superstition. Sans aller aussi loin, on pourrait envisager des satires visant des membres de l’élite smyrniote, ce qui suffit à expliquer la mauvaise humeur d’Aelius Aristide. Ce genre de manifestations était bien plus fréquent que d’hypothétiques reprises de vieilles pièces et c’est un phénomène analogue qui, deux siècles plus tard, suscita la colère de l’empereur Julien contre les habitants d’Antioche et l’amena à composer le Misopôgôn.
4Le troisième auteur étudié, Lucien, est sans doute celui chez lequel la réception de l’Ancienne Comédie produit les effets les plus intéressants. Dans le Pêcheur (Anabiountes ê halieus ), le cadre narratif s’inspire des Dèmes d’Eupolis, pièce perdue mais dont on connaît l’intrigue. Dans les Dèmes, quelques grandes figures du passé sortaient des enfers pour être confrontées à la décadence de l’Athènes contemporaine d’Eupolis. Dans le Pêcheur, Lucien imagine que les fondateurs des écoles philosophiques, sortis des enfers, veulent se venger de Parrhésiadès-Lucien qui les a moqués dans Philosophes à vendre (Biôn prâsis). De plus, l’imitation des Dèmes d’Eupolis est combinée avec l’imitation, dans les Acharniens d’Aristophane, du combat entre Dikaiopolis et le chœur des charbonniers, transposé dans le Pêcheur en un débat entre Parrhésiadès-Lucien et les fondateurs des écoles philosophiques.
5Une deuxième partie de l’étude de Lucien porte sur la Double accusation ( Dis katêgoroumenos). Ce titre renvoie au fait qu’à la fin du dialogue la Rhétorique accuse le Syrien (Lucien) de mauvais traitement (kakôsis) pour l’avoir abandonnée au profit du Dialogue (philosophique). À son tour le Dialogue accuse le Syrien d’hybris pour l’avoir mélangé à la satire et au comique. Selon l’autrice, cette situation évoque la Pytinê (Dame-jeanne) de Cratinos, pièce perdue dont on connaît l’intrigue grâce aux scholies des Cavaliers d’Aristophane. Dans cette pièce Aristophane se moquait de la déchéance de son rival, provoquée par son penchant pour la dame-jeanne. Mais Cratinos produisit alors une pièce brillante, où il imaginait que sa femme, la Comédie, lui reprochait de l’avoir délaissée pour la dame-jeanne, et qui gagna le premier prix, surclassant les Nuées d’Aristophane. Mais il faut aussi rappeler que la double accusation finale est longuement précédée de cinq procès qui impliquent une tradition biographique relative aux philosophes du passé et dont on trouve un parallèle chez Diogène Laerce. De ce fait, le souvenir de la Dame-jeanne de Cratinos, tout en étant possible, reste moins nécessaire que la réminiscence des Dèmes d’Eupolis dans le Pêcheur.
6Dans une troisième partie sont examinées quelques prolaliai de Lucien, brefs discours introduisant des discours plus développés. La prolalia la plus intéressante est le texte intitulé Tu es un Prométhée en discours (Promêtheus eî en logois). Réagissant à des commentaires sur la nouveauté de ses œuvres, Lucien fait valoir que, plus que la nouveauté, ce qu’il faut savoir apprécier c’est la combinaison harmonieuse du dialogue philosophique et des pointes satiriques de l’Ancienne Comédie contre la philosophie, ce qui est une allusion aux Nuées d’Aristophane. En revanche, il me semble plus hasardeux de voir dans les parabases de l’Ancienne Comédie un modèle général des prolaliai au prétexte que, dans les deux cas, un auteur se met en scène pour se justifier et répondre aux critiques. Il s’agit là, à mon sens, d’une ressemblance due à une situation comparable, qui n’implique pas une imitation consciente des parabases.
7Après l’étude de Lucien, Anna Peterson examine quelques passages des lettres d’Alciphron. Bien que l’essentiel de l’inspiration de cet auteur vienne de la Nouvelle Comédie, on peut trouver quelques allusions à l’Ancienne Comédie. C’est le cas en particulier de la lettre 2.11, où un paysan écrit à son fils d’éviter la compagnie des philosophes en faisant allusion aux Nuées d’Aristophane. Comme le fait observer justement l’autrice, nous avons affaire à une inversion et, pour ainsi dire, une normalisation : alors que chez Aristophane c’est un fils qui tente de dissuader son père de se mettre à l’école de Socrate, chez Alciphron, selon le modèle fourni par la Nouvelle Comédie, c’est un père qui s’efforce de ramener son fils dans le droit chemin. Il me semble cependant très douteux de faire intervenir les Nuées à propos de la lettre 4.7 où une hétaïre reproche à son amant de la négliger pour la compagnie des philosophes. Entre autres considérations, l’hétaïre fait valoir : « Peut-être te semblons-nous inférieures aux sophistes parce que nous ignorons d’où viennent les nuées et à quoi ressemblent les atomes ». Il me semble évident qu’il y a ici en fait une allusion à des théories physiques dont on trouve encore un écho chez Épicure (Diogène Laërce, X, 99-100).
8Le dernier chapitre envisage divers auteurs du ive s. ap. J.-C. : Thémistios, Himérios, l’empereur Julien et surtout Libanios. Au début de son autobiographie (§ 9), Libanios évoque un épisode de sa jeunesse : alors qu’il étudiait les Acharniens avec son maître, la foudre, tombant à côté d’eux, lui causa une commotion à laquelle il attribue les maux de tête dont il souffrit toute sa vie. Au lieu de voir simplement dans ce souvenir un témoignage significatif sur la place que conservait Aristophane dans la paideia des lettrés de l’Antiquité tardive, l’autrice s’efforce de montrer que l’Ancienne Comédie marque de son empreinte l’œuvre de Libanios. Pour ce faire, elle convoque surtout le témoignage d’Eunape de Sardes qui, dans ses Vies des philosophes et des sophistes, voit une influence de l’Ancienne Comédie sur le style de Libanios. Or cette analyse est extravagante : elle énumère à la fois le « charme » (charis), la « finesse » (kompsotês), la « grossièreté » (bômolochia) et « l’agrément vulgaire » (to kata thyran terpnon). Ces deux derniers traits, minimisés par l’autrice, conviennent à l’Ancienne Comédie mais sont aberrants pour Libanios, dont le style par ailleurs s’éloigne de la simplicité attique de Lucien ou d’Alciphron et annonce la complexité de la prose savante byzantine.
9Enfin un épilogue donne un aperçu de la réception d’Aristophane à la Renaissance et plus précisément à propos de l’Utopie de Thomas More. En fait le temps d’une vraie réception d’Aristophane n’est pas encore venu lors de la publication de l’Utopie en 1516. À cette date, Lucien est en vogue mais pour Aristophane il faut attendre la traduction en latin des deux pièces publiées en 1538. Ce décalage, ajouterais-je pour ma part, est dû au fait qu’Aristophane est un auteur moins accessible que Lucien, aussi bien pour les humanistes du xvie s. que pour nous aujourd’hui, comme il était déjà sans doute difficile pour le jeune Libanios. Et ce n’est qu’au bout de longues années d’études que les virtuoses de la sophistique impériale étaient en mesure d’orner leurs discours de citations qui échappaient à la plupart de leurs auditeurs.
Pour citer cet article
Référence papier
Alain Ballabriga, « Anna Peterson, Laughter on the fringes. The Reception of Old Comedy in the Imperial Greek World », Anabases, 34 | 2021, 293-296.
Référence électronique
Alain Ballabriga, « Anna Peterson, Laughter on the fringes. The Reception of Old Comedy in the Imperial Greek World », Anabases [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 29 octobre 2021, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/13202 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.13202
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