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Comptes rendus

Silvia Giorcelli Bersani et Filippo Carlà-Uhink (éds.), Monsieur le Professeur… Correspondances italiennes 1853-1888. Theodor Mommsen, Carlo, Domenico, Vincenzo Promis

Dan Dana
p. 283-285
Référence(s) :

Silvia Giorcelli Bersani et Filippo Carlà-Uhink (éds.), Monsieur le Professeur… Correspondances italiennes 1853-1888. Theodor Mommsen, Carlo, Domenico, Vincenzo Promis, Paris, Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 2018, 332 p. / ISBN 9782877543712, 35 €

Texte intégral

1Ce volume propose l’édition commentée et admirablement contextualisée d’un dossier épistolaire impliquant Theodor Mommsen et une famille d’érudits turinois de son temps. Il s’agit de la triade glorieuse des Promis, ‒d’où la « Sainte Trinité » dans une lettre de 1870 de Mommsen : l’ingénieur, archéologue et épigraphiste Carlo Promis (1808-1873), nommé inspecteur des Monuments d’Antiquité, archéologue royal et professeur d’architecture ; son frère aîné, Domenico Casimiro Promis (1804-1874), directeur du Médailler et de la Bibliothèque royale ; le fils de ce dernier, Vincenzo Promis (1839-1889), qui reprend les responsabilités de son père.

2La préface de Marco Buonocore souligne l’intérêt de ce genre de correspondance savante pour la reconstitution de la société dans les régions piémontaise et valdôtaine, lors de la lente définition culturelle de l’Italie d’avant et d’après l’unification. Sur le plan intellectuel, on entrevoit la personnalité complexe de l’érudit, de l’homme public et de l’homme privé. Dans le cas particulier de Mommsen, ces échanges épistolaires sont une source pour comprendre sa manière de raisonner et d’opérer dans le domaine de la recherche ecdotique.

3L’introduction de Gian Franco Gianotti reconstitue le contexte historico-culturel, avec les amitiés et les inimitiés savantes. Les inscriptions de la Gaule cisalpine constituent la toile de fond de l’histoire d’une collaboration internationale entre la famille Promis et Mommsen, occasionnant un double transfert : d’un côté, la remontée d’informations piémontaises vers Berlin ; de l’autre, de nouvelles perspectives d’édition critique, par la transplantation réussie des méthodes philologiques et ecdotiques germaniques appliquées aux textes littéraires et à l’épigraphie du monde romain.

4Les rapports de Mommsen avec les savants piémontais et l’Académie des Sciences de Turin, exemple privilégié parmi tant d’autres correspondants italiens et partie d’un projet en cours « L’Edizione nazionale delle lettere di Theodor Mommsen agli Italiani » (cf. M. Buonocore, Lettere di Mommsen agli italiani, I-II, Vatican, 2017 [Studi e Testi 519-520], avec 833 lettres)‒, sont subsumés à l’entreprise monumentale du Corpus Inscriptionum Latinarum, plus précisément à la partie piémontaise du tome V du CIL, dont le second fascicule est édité en 1877. Selon les mots de Mommsen, « Turin n’a pas cessé d’être la capitale de l’Italie pour les études sérieuses » (1869), alors qu’il qualifie Carlo Promis de maestro dell’epigrafia Piemontese (1872). Ce livre apparaît en effet après un premier recueil de S. Giorcelli Bersani, « Torino ‟la capitale d’Italie pour les études sérieuses”. Corrispondenza Theodor Mommsen-Carlo Promis », RSI, 124, 2014, 960-990, suivi de sa monographie Torino, capitale degli studi seri. Theodor Mommsen e Carlo Promis, Turin, 2014, données qui ont occasionné l’exposition « Carlo Promis e Theodor Mommsen. Cacciatori di pierre fra Torino e Berlino » (2015), dans le contexte du bicentenaire de la naissance de Mommsen (2017).

5Les trois dossiers épistolaires sont précédés d’un chapitre substantiel sur les rapports de Mommsen avec Turin, dont ses visites ici et en Piémont et l’entrée de Carlo Promis à l’Académie de Berlin : les trois Promis furent pour Mommsen des amis et des interlocuteurs savants, des organisateurs de la vie culturelle, des chercheurs insérés dans des réseaux denses, mais aussi des intellectuels engagés pour l’organisation du consensus dynastique. C’est par ailleurs l’époque de l’essor remarquable des recherches antiquisantes, quand se développe sous un jour nouveau le collectionnisme, quand on assiste à l’institutionnalisation de la recherche (associations savantes de storia patria, Académies, musées, universités) et que s’affirme le positivisme, sans oublier les rapports politiques entre Turin et Berlin, dans une Europe en reconfiguration et qui traverse des crises répétées. On dispose ainsi d’un échantillon représentatif de la culture et de la société dans les États de la Maison de Savoie au xixe siècle. La question épineuse des tituli falsi vel alieni, cruciale dans le Piémont, avait exigé une prudence particulière : Mommsen déplore une « galerie des faussaires », ce qui provoque les protestations de Carlo Promis, et la reformulation du premier : « On peut parler plutôt d’une galerie formidable de falsifications que de faussaires en Piemont ». L’atmosphère politique con­ditionne les collaborations savantes, comme il ressort d’une observation à la fois lucide et amère de Mommsen, dans une lettre du 8 septembre 1870 : « Mais comment ferons-nous pour renouer les relations avec nos amis en France ? après cette guerre horrible et surtout horriblement barbare je ne comprends pas comment on pourra poursuivre les études en commun » (voir en général E. Gran-Aymerich, « Theodor Mommsen (1817-1903) et ses correspondants français : la ‟“fabrique” internationale de la science », JS, 2008, 177-229).

6L’ouvrage, édité avec l’aide du départe­ment des Études historiques de l’Université de Turin et de l’Institut d’Histoire de l’Université de Potsdam, reproduit des lettres conservées à la Bibliothèque royale de Turin et dans le Nachlass Mommsen de la Bibliothèque nationale de Berlin. Les trois lots de lettres échangées et conservées entre Mommsen et les historiens turinois, au cœur des antiquités régionales, sont très inégaux : 65 lettres avec Carlo Promis (1863-1872), en français ; 87 lettres avec Vincenzo Promis (1869-1888), en français et en italien ; enfin, seulement 6 lettres avec Domenico Promis (1853-1869), en français. La correspondance comporte, comme souvent, des lacunes, avec des lots perdus, mais illustre une collaboration prolifique, qui intéressera en particulier les épigraphiques, grâce aux transcriptions d’inscriptions, aux dessins et aux détails généreusement fournis par les trois Promis.

7Le recueil, illustré en outre par 19 planches (des photos, des dessins, des reproductions de manuscrits et de lettres), est complété par trois annexes. L’Annexe I, sur Mommsen et la Vallée d’Aoste, présente la naissance des études épigraphiques dans cette région, en grande partie due à Carlo Promis (Antichità di Aosta, 1862) et au savant allemand. L’Annexe II s’intéresse à la « République des lettres » ample et variée, composée d’universitaires, d’élites intellectuelles, d’hommes politiques, de diplomates, d’avocats et de juges, de bibliothécaires et d’archivistes, mais aussi d’éditeurs et de libraires, lors de la création d’une communauté scientifique internationale. Instructif est dans ce sens le rôle du libraire et éditeur Hermann Loescher dans l’internationalisation de la culture turinoise. Les lettres remplissent également d’autres fonctions : parfois, elles sont un moyen de publication scientifique dans les bulletins et les revues ; d’autres fois, des lettres d’autres personnes sont transcrites en partie, voire jointes. Une autre vie des lettres apparaît sous nos yeux : « une véritable vie : elles continuaient de se mouvoir, de se faire porteuses d’informations scientifiques, de nouer des rapports sociaux » (p. 311). Enfin, l’Annexe III donne un aperçu chronologique du Royaume de Sardaigne et d’Italie, en rapport avec la vie des quatre correspondants. Un index des personnes et un index épigraphique closent le livre.

8Cette collaboration autour des « études communes » reste toutefois inégale, en termes d’autorité et de services, d’où le titre du recueil, copiant l’adresse habituelle, très respectueuse, de « Charles » Promis au savant allemand. Des notes explicatives nourries accompagnent l’édition soignée des lettres, mettant à profit une riche bibliographie sur les correspondances scientifiques, les recherches épigraphiques et d’histoire locale. Ce volume paru dans la prestigieuse collection de l’AIBL, où ont été publiés les échanges entre Mikhaïl Rostovtzeff et Franz Cumont (2007), ainsi qu’entre Franz Cumont et Alfred Loisy (2019), constitue un nouvel exemple du grand potentiel offert par l’exploitation des archives et de la correspondance savante.

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Pour citer cet article

Référence papier

Dan Dana, « Silvia Giorcelli Bersani et Filippo Carlà-Uhink (éds.), Monsieur le Professeur… Correspondances italiennes 1853-1888. Theodor Mommsen, Carlo, Domenico, Vincenzo Promis »Anabases, 34 | 2021, 283-285.

Référence électronique

Dan Dana, « Silvia Giorcelli Bersani et Filippo Carlà-Uhink (éds.), Monsieur le Professeur… Correspondances italiennes 1853-1888. Theodor Mommsen, Carlo, Domenico, Vincenzo Promis »Anabases [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 29 octobre 2021, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/13158 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.13158

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