Maarten De Pourcq, Nathalie de Haan et David Rijser (éds.), Framing Classical Reception Studies. Different Perspectives on a Developing Field
Maarten De Pourcq, Nathalie de Haan et David Rijser (éds.), Framing Classical Reception Studies. Different Perspectives on a Developing Field, Leyde, Brill, 2020, 298 p. / ISBN 9789004427013, 118 €
Texte intégral
1Est-il encore possible, en 2020, de chercher à « cadrer » les recherches sur la réception de l’Antiquité, compte tenu des nombreuses publications d’ouvrages ou d’articles sur la question qui se sont succédé ces dix dernières années, notamment chez les maisons d’éditions de tradition anglo-saxonne ?
2Sans reprocher à M. De Pourcq, N. de Haan et D. Rijser leur décision de publier le résultat de cette manifestation scientifique, le calendrier de publication ne joue pas en faveur d’une originalité dans l’environnement de la recherche. En effet, il regroupe treize articles, répartis en deux parties, issus d’un colloque tenu en 2013 à l’Université Radboud de Nimègue au Pays-Bas. Cependant, l’ouvrage présenté ici mérite d’être défendu, d’abord pour sa présentation des différentes méthodes utilisées pour « développer un champ de recherches ». Ensuite parce que les propositions faites dans l’ouvrage sont intéressantes et portent de réels questionnements importants, comme l’avancent les éditeurs dans leur introduction, en revenant sur les recherches novatrices de Charles Martindale et Lorna Hardwick ; d’ailleurs cette dernière participe à la réflexion dans la première partie de l’ouvrage, on y reconnait aisément la démarche qui l’anime depuis le début des années 2000. Son article illustre parfaitement les relations entre l’Antiquité et les « textes » ultérieurs, insistant sur la nécessité de faire dialoguer scientifiques, créateurs et le public qui « reçoit ». Clare L. E. Foster, ensuite, relève la fausse opposition impliquant les termes méthodologiques de « Tradition » et de « Réception », en prenant comme point de départ les réflexions de Charles Martindale, et les approches inhérentes aux différentes méthodologies (comparatiste, mémoire culturelle, etc). Elle s’appuie aussi sur la notion de type/typologie, encore trop peu utilisée. Le troisième article de cette première partie, rédigé par Fran Middleton, s’intéresse à la question de la réception littéraire dans les manuscrits médiévaux dans sa dimension matérielle en prenant l’exemple d’une transcription byzantine de l’Iliade au xe siècle, en faisant appel à l’analyse des para-textes existants. Il s’agit de montrer comment le cadrage de la réception s’effectue de manière littérale. Dans un autre registre, et pour conclure cette première partie, Edith Hall et Henry Stead présentent leur projet de recherche « Classics and Class in Britain 1789-1939 », réflexion sur la réception de l’Antiquité au prisme de la construction de la structure de classe dans cet espace et durant la période définie. Si la présentation de la réception culturelle antique peut paraître parfois réductrice (Ancient Rome received ancient Greece, and ancient Greece received elements in its culture from all of its ancient neighbors, especially those in western Asia and North Africa), elle permet néanmoins de questionner les cadres méthodologiques d’une réception des textes anciens en Angleterre, entre le xviiie et le xxe siècle.
3La deuxième partie de l’ouvrage s’ouvre sur le mythe de Pyrame et Thisbé utilisé dans les prêches chrétiens au cours du Moyen Âge. Pietro Delcorno définit d’abord ce médium en y intégrant la notion d’allélopoièse. Dans les exemples présentés, le mythe ancien devient une lecture allégorique et morale, notamment lors des sermons du dimanche de la Passion. L’auteur démontre ici la manière dont les prêcheurs distordent un mythe populaire en leur temps pour le faire correspondre à leur discours auprès d’un public connaisseur ou non du mythe et d’Ovide, et illustre la façon dont la chaîne de réception entrecroise l’écrit, l’oral et parfois aussi l’image, lorsque les prélats font référence à des sculptures religieuses ayant le même sujet.
4L’article suivant, de Piet Gerbrandy, introduit l’anthropologie dans l’étude de réception en prenant pour cas d’étude le poème De reditu suo de Rutilius. Le chercheur applique la notion du « rite de passage » à ce récit du ve siècle, racontant le désir du Romain de revenir dans sa famille en Gaule, sous domination gothique. Il démontre ainsi que le poème ne relève pas tant d’un voyage réel que d’un récit autobiographique symbolique grâce à l’utilisation de canons littéraires antérieurs.
5Par la suite, Cecilia Pavarani prend pour exemple la nécrologie de Comenius par Leibniz, au xviie siècle, en explicitant la manière dont le philosophe allemand rend hommage à son maître, dans son éloge, tant par le contenu que la forme utilisée. L’angle d’étude choisi est celui de la spécialité des deux savants allemands, la science de l’éducation moderne, Comenius étant considéré comme l’inventeur de la pédagogie moderne. Le recours à Virgile et Lucrèce sert, selon l’autrice, à affirmer l’universalisme de la pédagogie prônée par Comenius, entre Humanisme et Réforme.
6Dans l’article suivant, Jeroen Jansen présente la publication du rhétoricien Jacob Duym en 1606 de six pièces de théâtre, dont le but est de démontrer l’importance de la révolte des Néerlandais face à l’Espagne, de la nécessité de poursuivre le combat contre le Duc d’Alba. Pour ce faire, Jacob Duym utilise le mythe de Persée et Andromède, en guise d’avertissement et d’appel aux armes auprès de la population néerlandaise. Sa démarche s’appuie sur l’emphase auprès des lecteurs, en mélangeant allusions historiques, concepts et symboles culturels, afin « d’activer un schéma mental de savoirs ».
7Dans un but assez similaire, Ronny Kaiser étudie les publications humanistes (entre le xve et le xviie siècle), tant sur le fond (le texte en lui-même) que sur la forme (le para-texte qui vient avec le texte notamment), en prenant pour exemples les biographies de Cornélius Nepos et Suétone. Ici aussi, l’auteur montre l’importance de l’allélopoièse, de l’interaction étroite entre biographie et historiographie de ces œuvres, depuis leur origine jusqu’à leur réappropriation à l’époque moderne, alors que ces deux approches étaient déjà différenciées dans l’Antiquité.
8La mise en scène du patrimoine antique dans les textes comme cadre rhétorique est au centre de la réflexion de Susanna de Beer, dans son article sur l’utilisation de la ville de Rome chez des poètes italiens des xve et xvie siècles. L’autrice fait appel notamment au concept de Pierre Nora, les lieux de mémoire, pour mieux comprendre pourquoi certains poètes, comme le Florentin Landino et le Romain Vitalis, convoquent l’image des ruines de la Ville Éternelle, soit pour la mettre en miroir avec une autre puissance contemporaine comme Florence, soit pour justifier un héritage religieux papal. C’est donc les domaines de l’identité et de la légitimité politique dont il est question. Les lecteurs découvrent un texte comme un touriste visite un site patrimonial alors que, paradoxalement, la majorité de ces poètes n’ont jamais vu le Colisée ou le Capitole romain : ils font donc appel à une mémoire collective.
9Les deux derniers articles nous transportent dans le monde contemporain, d’abord celui du Brésil du xxe siècle, puis dans celui de la création audiovisuelle du début du xxie siècle. Rodrigo Tadeu Gonçalves et Guilherme Gontijo Flores, tout d’abord, s’intéressent aux traductions brésiliennes très récentes des textes anciens, souvent influencées par l’École française, à partir de la poétique de Manuel Odorico Mendes, Carlos Alberto Nunes et Haroldo de Campos. Leur démonstration apporte un éclairage assez intéressant sur la façon dont une traduction remodèle complètement un texte ancien au prisme de la culture native de ces poètes. Dans le dernier article (et le moins convaincant de tous), Koen Vacano cherche à démonter l’intérêt d’une comparaison dépassant les frontières de l’Histoire et des cultures, entre Médée et la série américaine Breaking Bad. L’idée de base est séduisante mais elle est parcourue de scories méthodologiques ennuyeuses, dont celle de trouver absolument des liens inconscients entre thèmes antiques et œuvres contemporaines non historiques. Ainsi, pour l’auteur, la traduction du titre de Breaking Bad (« tourner mal ») et la résolution de l’histoire du personnage principal trouve une comparaison idoine à celle de Médée, par l’intermédiaire du tertium comparationis et de l’harmatia. Dans ce cas, l’auteur conclut que, comme Walter White, Médée breaks bad.
10Il revient enfin à David Rijser de conclure par un épilogue très intéressant, dont la base est similaire à celle de Koen Vacano, avec comme fil rouge la série Top of the Lake de la néo-zélandaise Jane Campion et les liens philosophiques avec l’Œdipe de Sophocle. Mais la véritable réflexion est celle de la question de la réception, constituant un acte réfléchi et engagé : The past, in other words, is being subjected to a judgment excluvively based on the present. Chacun des articles l’a démontré, tant dans les méthodes de cadrage de l’Antiquité, dans leurs aspects théoriques, que dans les exemples développés, depuis l’Antiquité tardive.
11En résumé, il faut redire l’excellente impression que nous laisse la lecture de cet ouvrage, dans lequel les articles sont accessibles et peu jargonneux. Les quelques images en couleur sont les bienvenues et les exemples développés au fil des chapitres sont assez originaux compte-tenu des publications antécédentes sur le même sujet. Les « cadres » analytiques très riches et les enjeux posés par les éditeurs sont largement respectés, et de manière convaincante.
Pour citer cet article
Référence papier
Mathieu Scapin, « Maarten De Pourcq, Nathalie de Haan et David Rijser (éds.), Framing Classical Reception Studies. Different Perspectives on a Developing Field », Anabases, 34 | 2021, 279-281.
Référence électronique
Mathieu Scapin, « Maarten De Pourcq, Nathalie de Haan et David Rijser (éds.), Framing Classical Reception Studies. Different Perspectives on a Developing Field », Anabases [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 29 octobre 2021, consulté le 19 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/13133 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.13133
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