Wim Broekaert, Elena Köstner et Christian Rollinger (éds.), The Ties that Bind. Ancient Politics and Network Research
Wim Broekaert, Elena Köstner et Christian Rollinger (éds.), The Ties that Bind. Ancient Politics and Network Research. Journal of historical network research, 4, Luxembourg, Université du Luxembourg, 2020, 356 p. / ISSN 25358863. En ligne uniquement : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.25517/jhnr.v4i0
Texte intégral
1Le volume édité par Wim Broekaert, Elena Köstner et Christian Rollinger est structuré en dix chapitres qui correspondent chacun à la contribution d’un auteur, laquelle offre une étude à part entière qui peut être considérée indépendamment des autres contributions. Chacune d’entre elles propose une mise en application des outils et méthodes tirés de la « Social Network Analysis » (SNA) sur un sujet d’histoire ancienne. La technicité déployée par les auteurs rend parfois l’ouvrage difficile d’accès pour un non-spécialiste des réseaux et l’on apprécie d’autant plus les clefs de lecture livrées dans le premier chapitre – sous forme de prologue – rédigé par Christian Rollinger.
2Bien que les différentes contributions couvrent à la fois des éléments d’histoire grecque et romaine, l’accent est volontairement mis sur cette dernière, en particulier sur la fin de l’époque républicaine et le début de l’Empire. La difficulté d’obtenir des ensembles de sources adaptés à l’analyse de réseaux – possibilité d’identifier un nombre suffisant d’acteurs et leurs relations – entraine une certaine redondance dans le choix des corpus étudiés. Ainsi, l’important corpus de lettres produit et reçu par Cicéron est examiné par Christian Vogel au chapitre 4, mais aussi par Christina Rosillo-López au chapitre 5 et Gregory Gilles au chapitre 6. Les auteurs évitent cependant les répétitions en proposant chacun un axe méthodologique qui leur est propre. Il s’agit là de l’objectif principal de l’ouvrage : illustrer un inventaire de méthodes dérivé de la SNA et adapté au traitement des sources anciennes par sa mise en application. L’ambition des auteurs n’est donc pas de remettre en cause des conclusions historiques bien établies par ailleurs, mais plutôt d’évaluer dans quelle mesure un traitement des relations interpersonnelles en analyse de réseaux permet de nuancer certains aspects relatifs à ces mêmes conclusions.
3Ainsi, le chapitre 2, « Athens as a Small World », réalisé par Diane Cline, s’insère dans la continuité des travaux déjà menés dans le courant des années 1990 par Philip Stadler et Anthony Podlecki qui se sont intéressés à l’influence de l’ego-réseau de Périclès dans le conflit qui l’oppose à Cimon dans l’Athènes du ve siècle av. n.è. À partir d’un large spectre de documents extraits principalement des œuvres de Plutarque et de Platon, Diane Cline restitue et caractérise un réseau de plus de sept cents relations dans lequel sont évaluées les positions relatives de Nicias, Cimon, Alcibiade et Périclès. Sur la base de critères formels et quantitatifs, elle démontre avec rigueur que le réseau athénien du milieu du ve siècle présente les propriétés structurales d’un « Small World » : chaque acteur peut atteindre n’importe quel autre acteur du réseau en passant par un nombre minime d’intermédiaires.
4Dans la contribution suivante, « Quintus Cicero and Roman rule – Networks between centre et periphery », Christian Vogel examine l’ego-réseau de Quintus Tullius Cicero, le frère cadet de l’orateur Cicéron. L’analyse se focalise sur l’exploitation des relations informelles par Cicero (les amicitiae) comme modalité de contrôle des territoires dans les régions périphériques de l’Empire. En mobilisant la SNA, l’auteur montre que, dans le cas de l’Asie comme de la Gaule, la construction de relations hors du cadre institutionnel entre les dépositaires de l’autorité romaine et les élites locales, mais également entre membres de l’aristocratie, constitue un levier essentiel du système de domination déployé par Rome.
5Dans une optique différente, l’étude de Christina Rosillo-Lopez, « Informal political communication and network theory in the Late Roman Republic », se concentre sur l’identification des chaînes de circulation de l’information dans les conversations privées (sermones) entre membres de l’élite sénatoriale. L’auteure envisage deux cas de figures : celui de Cicéron qui occupe une position centrale au croisement de plusieurs chaînes d’informations, et celui de Marcus Caelius Rufus, un jeune sénateur romain. En explorant plus avant le cas de Cicéron, elle montre sa déconnexion progressive des cercles de discussions les plus influents à la veille du conflit entre César et Pompée. Par ce biais, l’étude justifie partiellement le ralliement de Cicéron à la cause pompéenne et met en lumière les risques encourus par les difficultés d’accès à l’information.
6Sur une période équivalente, l’étude de Gregory Gilles, « The political, social and familial networks discerned from Cicero’s Letters during the Civil War of 49-47 BC », revient sur la question des critères à la base du choix de ralliement des membres du sénat pour le parti de César ou de Pompée. En examinant en détail les interactions au sein du réseau de Cicéron et de M. Caelius Rufus, Gregory Gilles montre que l’ouverture des hostilités entre César et Pompée ne semble pas avoir d’impact significatif sur la distribution des connexions de leurs partisans : les relations qui précèdent le conflit tendent à se maintenir, y compris entre membres de camps opposés. Partant de ces connexions préexistantes, Gregory Gilles s’intéresse au poids des liens familiaux et de l’appartenance aux factions politiques sur le choix du camp de ralliement.
7Wim Broekart, dans son chapitre « The Pompeian connection. A social network approach to elits and sub-elits in the bay of Naples », met en lumière la manière dont les interactions entre deux groupes de l’élite pompéienne hiérarchiquement liés entre eux (élites et « sous-élites ») structurent les politiques locales. L’approche retrace l’évolution du réseau de l’élite pompéienne sur une longue période, depuis sa conquête lors de la guerre marsique – c. 89 av. n. è. – jusqu’à la période flavienne. L’étude mobilise en particulier les mesures du type centre-périphérie pour caractériser la position relative des membres de l’élite, ainsi que les mesures de connectivité qui permettent de délimiter les groupes familiaux dominants. L’arrivée et l’intégration de nouvelles familles dans le cercle politique de Pompéi sont également passées au crible de l’analyse de réseaux.
8La contribution d’Elena Köstner, « Genesis and Collapse of a Network : The Rise and Fall of Lucius Aelius Seianus », s’intéresse à l’évolution du réseau de relations du proche conseiller de l’empereur Tiberius. L. Aelius Seianus développe au fil des années un réseau à la fois dense et complexe de relations politiques qui atteint son apogée au cours de l’année 31 de n. è. La même année, le conseiller est accusé de complot contre l’empereur puis exécuté. La disparition de Seianus va bien sûr de pair avec la désintégration de son ego-réseau mais occasionne aussi une exposition renforcée au risque de condamnation pour ses anciens contacts. En examinant les relations des proches du conseiller condamnés ou relaxés, Elena Köstner montre que les décisions de justice sont moins dépendantes du lien avec Seianus que de la qualité des relations avec les membres de la famille impériale.
9L’apport de Fabian Germerodt, « Networking in the early Roman empire : Pliny the younger » s’articule autour de trois études de cas tirées du réseau de Pline le Jeune. L’objectif du chapitre est d’illustrer les rouages de la vie sociale et politique des élites romaines de la fin du ier au début du iie siècle. L’accent est d’abord mis sur les mécanismes d’entraide et d’obligation qui poussent Pline le Jeune à soutenir son jeune protégé, Gnaeus Pedanius Fuscus Salinator, dans son projet de mariage avec Iulia Paulina, fille de la sœur de l’empereur Hadrien ; puis à prendre publiquement la défense de Corellia Hispulla, la fille de Q. Corellius Rufus, un ami de longue date, alors même que cet engagement l’expose aux attaques du futur consul, Gaius Caecilius Strabo. L’auteur explore plus largement la manière dont les réseaux de relations informelles peuvent être manipulés pour faciliter l’accès à une position avantageuse et maintenir la défense de ses intérêts.
10Au chapitre 9, « Network Management in Ostrogothic Italy. Theodoric the Great and the Refusal of Sectarian Conflict », Christian Nitschke se penche sur les modalités de gestion mises en œuvre par Théodoric pour organiser et exploiter un vaste réseau d’acteurs dans la société ostrogothique de l’Italie du début du vie siècle. Il s’intéresse plus spécifiquement au parcours d’Anicus Manlius Severinus Boethius, un noble romain au service des Ostrogoths. Au terme d’une brillante carrière politique qui le conduit à exercer la haute charge de magister officiorum, Boethius est finalement inculpé pour haute trahison, emprisonné puis exécuté. En raison du manque de sources, les causes précises de la soudaine disgrâce de Boethius restent à ce jour inexpliquées. En mobilisant l’analyse de réseaux pour réévaluer la documentation disponible, Christian Nitschke propose d’expliquer les motivations qui conduisent Théodoric à interrompre brutalement la carrière de son chef de chancellerie comme une volonté de réagencer les propriétés structurales de son propre réseau.
11Enfin, la contribution de Johannes Preiser-Kapeller, « The ties that do not bind – Group formation, polarisation, and conflict within networks of political elites in the medieval Roman empire », étudie l’apparition des conflits au sein de l’élite byzantine du ixe au xive siècle, en se concentrant notamment sur la famille des Skléros. En comparant les propriétés structurales d’autres réseaux similaires, comme celui des élites de la Chine Tang, Johannes Preiser-Kappeller cherche à expliquer les phénomènes de polarisation et d’émergence des conflits dans les groupes dominants sur la base d’éléments structuraux. Il mobilise notamment les mesures d’assortivité introduites par M. E. J. Newman qui sont un indicateur du degré de polarisation des réseaux.
12Cet ouvrage marque ainsi un avancement important dans la mise en application des méthodes tirées de la SNA en histoire ancienne. Outre le fait qu’il s’agit du premier volume exclusivement consacré au sujet, les différentes contributions atteignent l’objectif fixé par les éditeurs : évaluer la valeur heuristique des outils extraits de l’analyse de réseaux tout en cernant les limites de ce type d’approche.
Pour citer cet article
Référence papier
Clément Dutrey, « Wim Broekaert, Elena Köstner et Christian Rollinger (éds.), The Ties that Bind. Ancient Politics and Network Research », Anabases, 34 | 2021, 276-278.
Référence électronique
Clément Dutrey, « Wim Broekaert, Elena Köstner et Christian Rollinger (éds.), The Ties that Bind. Ancient Politics and Network Research », Anabases [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 29 octobre 2021, consulté le 12 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/13109 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.13109
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page