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L'atelier de l'histoire : chantiers historiographiques
Atelier « L’Antiquité au musée » (11)

Le Mystère Mithra. Plongée au cœur d’un culte romain

Laurent Bricault
p. 259-262

Texte intégral

1Exposition internationale,
Musée royal de Mariemont 20 novembre 2021-17 avril 2022 ;
Musée Saint Raymond de Toulouse 14 mai-30 octobre 2022 ;
Archäologisches Museum Frankfurt 19 novembre 2022-15 avril 2023

2Cette exposition trouve son origine dans l’accueil intrigué puis enthousiaste réservé par les étudiants à un cours de licence donné à l’Université de Toulouse Jean Jaurès en 2017-2019 sur le culte de Mithra dans le monde romain. Condensé en deux conférences pour un public cette fois non-universitaire, le sujet suscita maintes interrogations dont une, récurrente : mais pourquoi ne savons-nous quasiment rien de ce dieu et de son culte ? Il est vrai que Mithra ne jouit guère de la même renommée qu’Isis, Osiris, Dionysos ou Cybèle. Pourtant, les traces qu’il a laissées dans le sol et que des fouilles nombreuses révèlent davantage chaque année, les illustrations à son image qui parsèment les ouvrages érudits – et les autres – depuis la Renaissance, les passages des Pères de l’Église qui le pourfendent permettent aujourd’hui d’en dresser un portrait de plus en plus vif et saisissant. Qui est donc ce dieu chasseur, cueilleur, archer, tueur de taureau et finalement conducteur du char solaire que des générations d’hommes, des plus modestes aux plus puissants, honorèrent dans des antres souterrains ou obscurs plusieurs siècles durant ? Que peut-il nous apprendre sur nos besoins de fraternité, d’entraide, sur nos affinités électives, sur le vivre ensemble, sur nos peurs de l’inconnu et du chaos ? La structure des communautés qui en pratiquèrent le culte, les rites auxquels elles se soumirent, l’image qu’elles choisirent de donner d’elles-mêmes sont éminemment modernes et, à y regarder de plus près au fil de l’exposition, sont infiniment plus proches de nous que le polythéisme traditionnel des Grecs et des Romains, parfois bien exotique et déconnecté de notre présent.

3Ce sont ces familiarités méconnues qui ont déterminé le montage, pour la toute première fois, d’une exposition entièrement consacrée au dieu Mithra. Parce que son culte – ou peut-être plutôt ses cultes – sont à l’image des sociétés européennes actuelles : chaque communauté se veut et se revendique, par ses choix rituels ou iconographiques, indépendante des autres, mais toutes se font écho parce qu’elles appartiennent à un même ensemble culturel et politique, celui de l’Empire de Rome. Trois siècles durant, le culte de Mithra a oscillé entre local et global.

4Les dieux étaient partout et il n’est guère de province romaine à ne pas avoir vu s’édifier de temple de Mithra sur son territoire. Présenter une exposition sur le dieu, c’est mobiliser quasiment toute l’Europe autour d’un même projet. Les pièces rassemblées proviennent ainsi de 20 pays et l’exposition elle-même sera présentée en Belgique, en France et en Allemagne. C’est à Mariemont, terre fertile en amitié qui accueillit à maintes reprises, au tournant du xixe et du xxe siècles, aux bons soins de Raoul Warocqué, un certain Franz Cumont, jeune universitaire belge appelé à devenir le Pater fondateur des études consacrées à Mithra, que s’ouvre précisément cette exposition itinérante.

5Pour raconter Mithra et entraîner les visiteurs à sa rencontre, le choix s’est porté sur des variations spatiales et temporelles. Tout d’abord en le remontant, ce temps qui nous sépare des communautés animées qui se réunissaient autour de l’autel du dieu. Car Mithra, à bien y regarder, est plus présent qu’on ne le croit : sur nos écrans, dans les pages de nos livres, sur nos murs, dans les enceintes de nos chaînes hi-fi. Nombreux sont ceux qui se sont inspirés d’un culte singulier dans un polythéisme antique omniprésent, plein de vie, de parfums, de couleurs, de sons et d’images. C’est en effet bien plus par l’image que par les textes que Mithra nous parle comme il parlait à ceux qui venaient l’adorer. C’est à la rencontre de ces images (statues, peintures et bas-reliefs), de ces espaces de réunion (le temple reconstitué au cœur de l’exposition), des parfums, des bruits et des couleurs des banquets qui s’y déroulaient en présence d’initiés aux grades mystérieux (le Corbeau, le Lion, le Perse) que sont invités les visiteurs, dans une véritable expérience immersive et poly-sensorielle.

6Le cheminement proposé, à la rencontre des lieux, des hommes et des dieux, nourri à la source des études scientifiques les plus récentes, se veut aussi familier et personnel, suscitant son lot de surprises et de questions. Jusqu’à s’interroger sur les raisons de la disparition d’un culte dont les plus grands savants, au xixe siècle, dans un aimable enthousiasme, n’hésitèrent pas à dire qu’il fut sans doute le rival le plus éminent du christianisme naissant.

7Le déroulé de l’exposition, dans sa version mariemontoise initiale, se décline en neuf sections.

8L’ouverture s’opère avec les réceptions modernes de Mithra dans les arts. Longtemps présenté comme un dieu avant tout militaire, Mithra apparaît ainsi comme tel à plusieurs reprises dans l’œuvre poétique et romanesque de Rudyard Kipling, qui va jusqu’à composer A Song to Mithras, un poème publié en 1906 et resté célèbre jusqu’à nos jours, dont le sous-titre évocateur est Hymn of the XXX Legion: circa A.D. 350. Dans l’après Première guerre mondiale, les références à Mithra, allègrement puisées chez Cumont, qu’Henry de Montherlant distille dans son roman Les Bestiaires, paru en 1926, inaugurent la fertile association du motif du tauroctone (« le tueur de taureau ») à la tauromachie et à ses aficionados. En 1992, pour rendre hommage à Picasso et à sa fascination pour le taureau, qu’il s’agisse du Minotaure vaincu par Thésée dans la mythologie grecque ou de la bête mise à mort dans les arènes contemporaines, le plasticien français Ernest Pignon-Ernest le représente, sur une immense toile, tuant le taureau (un peu) à la manière de Mithra. Ce double aspect de dieu militaire concurrent du dieu des chrétiens se retrouve sur les écrans, grands ou petits. Le film The Eagle, sorti en 2011, ou la récente série Raised by Wolves produite notamment par Ridley Scott, illustrent à merveille cette distorsion entre la recherche scientifique, qui depuis bientôt trente ans s’est éloignée de cette vision très militaro- et christiano-centrée du culte de Mithra, héritée d’un xixe siècle romantique et orientaliste, et la culture populaire qui continue de véhiculer une vision traditionnelle séculaire.

9Après une mise en contexte de la pluralité divine au sein de l’Empire romain, le visiteur est convié à la rencontre de ceux qui, du poète ferrarais Giraldi au xvie siècle jusqu’à Cumont et Maarten Vermaseren au xxe siècle ont permis, par leurs enquêtes, de redécouvrir Mithra, son culte, ses adeptes et son mythe.

10Un mythe qui a longtemps obsédé les scientifiques, orphelins d’un texte littéraire leur proposant un récit ou au moins une trame de ce qu’il aurait pu être. Sur les centaines de bas-reliefs, de peintures et de statues évoquant visuellement l’histoire de Mithra, on a pu dénombrer 49 scènes différentes, comme autant de cases juxtaposées dans une bande dessinée. Mais une bande dessinée où chaque case concentre un épisode, une péripétie, une action. Des cases muettes, car il n’y a aucune bulle et nul texte ancien pour nous dire ce que font, ce que disent, ce que pensent les protagonistes. Et, pour simplifier les choses, lorsque plusieurs saynètes figurent sur un même monument, leur agencement diffère souvent d’un cas à l’autre, remettant en question notre conception moderne du « sens de la lecture ». Reconstituer une narration, raconter le mythe de Mithra, c’est se heurter à toutes ces difficultés. Dans l’exposition, par une riche infographie, Mithra lui-même se fait le conteur de ses aventures, de sa version d’une histoire du monde qui s’inscrit dans le cadre d’un ordre cosmique et temporel dont il devient, au final, la puissance responsable. Mais cette histoire, comme toutes les histoires, se prête à différents niveaux de lecture, d’un sanctuaire à l’autre, d’un relief historié à l’autre, d’un individu à l’autre, d’un parcours à l’autre.

11Dans l’Antiquité, cette histoire se racontait, par l’image et la parole, au sein d’antres reproduisant la grotte où avait eu lieu la mise à mort mythique du taureau lunaire. Aménagés à l’abri des regards, en milieu urbain, au sein de bâtiments déjà existants, dans l’espace rural, sous l’aspect de bâtiments isolés et délimités par une palissade, voire dans des sites naturels, investissant des grottes aisément aménageables, ces lieux de cultes constituaient de véritables microcosmes. La reconstruction immersive d’un mithréum grandeur nature, au cœur de l’exposition, en est l’un des moments forts. Une mise en scène activant marqueurs visuels et sonores plonge en outre le visiteur dans l’ambiance supposée d’un temple mithriaque.

12Le public est alors plus à même d’appréhender les cérémonies rituelles qui rythmaient le cours des réunions d’adeptes – tous masculins –, qu’il s’agisse des initiations permettant d’intégrer la communauté ou des banquets réactivant périodiquement les rapports d’entraide fraternelle unissant les membres entre eux. Durant l’initiation comme le banquet, individus et communautés mobilisaient l’ensemble de leurs sens dans la perspective d’entrer en contact avec les puissances divines et de les présentifier. Des mises en scènes très théâtrales usant de mécanismes parfois sophistiqués (avec ici une statue de Mithra pétrogène apparaissant et disparaissant à volonté ou là des autels ajourés de Sol et de Luna éclairés par l’arrière, faisant resplendir croissant lunaire et rayons solaires dans la pénombre du temple), contribuaient à stimuler leurs perceptions visuelles, auditives, olfactives, gustatives et tactiles. Cette dimension sensorielle était une composante à part entière du dispositif rituel et de son efficacité, en agissant sur les adeptes, leur comportement et leur état émotionnel, tout en participant à la construction de la puissance divine.

13Les adeptes retrouvaient au sein du mithréum, du groupe, les structures familières du monde romain extérieur, mais avec des cartes rebattues, où chacun, une fois les portes franchies, abandonnait le statut qui était le sien dans la société romaine. Ils se voyaient ainsi offrir une forme de renaissance, ou d’existence autre, au sein d’un groupe marqué par différents grades, depuis celui du Corbeau (le novice) jusqu’à celui du Père (le guide de la communauté). Chaque adepte trouvait ainsi sa place au sein de la communauté et pouvait alors se mettre, en tant qu’individu, au service de la collectivité.

14Après ces étapes successives d’imprégnation, d’immersion dans l’univers mithriaque par la mobilisation de monuments impressionnants et expressifs servis par une riche scénographie, les trois sites d’exposition invitent à découvrir les plus récentes trouvailles archéologiques, révélant pour le premier les mithréums de Tienen et Angers, en Gaules Belgique et Lyonnaise, pour le deuxième ceux de Bordeaux et Mérida, en Gaule Aquitaine et en Lusitanie, enfin ceux de Nida et Güglingen en Germanie Supérieure, pour le troisième. Car, depuis 20 ans, ce ne sont pas moins de 12 sanctuaires mithriaques qui ont été mis au jour et fouillés avec la plus grande attention, livrant une masse d’informations nouvelles qui invitent à nuancer voire, à reconsidérer notre regard sur ce culte si méconnu et pourtant si présent d’un bout à l’autre de l’Empire.

15Une dernière section évoque la fin des cultes rendus à Mithra dans un Empire devenu chrétien, mais aussi sa survie au travers de certaines appropriations tardives, réelles ou fantasmées, comme celle qui veut voir en la fête de Noël la récupération d’une fête mithriaque, et propose de substituer au Merry Christmas traditionnel un Merry Mithras tout aussi coloré.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurent Bricault, « Le Mystère Mithra. Plongée au cœur d’un culte romain »Anabases, 34 | 2021, 259-262.

Référence électronique

Laurent Bricault, « Le Mystère Mithra. Plongée au cœur d’un culte romain »Anabases [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 29 octobre 2023, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/13072 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.13072

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