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Historiographie

L’Empire romain tardif était-il coercitif ? Un débat allemand depuis le XIXe siècle

Sylvain Destephen
p. 11-27

Résumés

Depuis le milieu du xixe siècle, l’histoire de l’Antiquité tardive est marquée dans le monde universitaire allemand par une présentation majoritairement négative de cette période. Cette dévalorisation systématique résulte dans une large mesure de l’approche strictement juridique que Theodor Mommsen applique à l’histoire romaine. Il divise cette histoire en deux périodes opposées : d’un côté le principat, situé aux ier-iie siècles et caractérisé par un équilibre harmonieux des pouvoirs entre l’empereur, le Sénat de Rome et les magistrats représentant le peuple romain, d’un autre côté le dominat, daté des iiie-ve siècles et marqué par l’exercice d’une autorité monarchique, voire autocratique. Cette interprétation duale et dépréciative de l’histoire romaine perdure jusqu’au siècle dernier et se trouve théorisée par le concept d’État coercitif (ou Zwangsstaat). Emprunté au philosophe Fitchte, mais revêtu d’une valeur négative nouvelle, le Zwangsstaat est utilisé pour assimiler l’Empire romain tardif à un système despotique ou même totalitaire. Il faut attendre la fin du xxe siècle pour que ce concept soit abandonné par le milieu universitaire allemand grâce à une interprétation plus nuancée de l’Antiquité tardive, en particulier de ses riches sources juridiques, et un abandon consécutif du dualisme historique hérité de Theodor Mommsen.

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Dédicace

En hommage à Jean Gascou

Texte intégral

Je remercie Peter Riedlberger, de l’université de Bamberg, et Thibaud Lanfranchi, de l’université de Toulouse, pour leur relecture et leurs suggestions ainsi que les relecteurs anonymes de cet article pour leurs remarques et leurs conseils

  • 1
  • 2 Marrou 1977 [1949].

1Les derniers siècles du monde romain ont été qualifiés d’Empire romain tardif au tout début du xxe siècle dans les travaux de l’historien de l’art autrichien Alois Riegl1. D’abord conservateur au musée des Arts appliqués de Vienne, puis professeur d’histoire de l’art à l’université de cette ville, Riegl est un des plus brillants représentants d’un mouvement de théorie critique et systématique de l’art qu’il est désormais convenu d’appeler la première École de Vienne. La redénomination et la re-sémantisation de la fin de l’Antiquité s’accompagnent, chez Riegl et ses disciples, d’un réexamen de son art et d’une revalorisation de cette période qui devancent d’un demi-siècle la reprise du terme d’Antiquité tardive et de sa valeur positive par l’historien français Henri-Irénée Marrou2. Entre Riegl le théoricien et Marrou le patristicien apparaît une filiation intellectuelle assumée et encouragée par une approche esthétique de la fin du monde antique. De manière paradoxale, bien qu’elle soit rédigée en allemand, l’œuvre de Riegl exerce une forte influence sur les théoriciens de l’art allemands, en particulier Walter Benjamin, mais reste ignorée dans une large mesure des romanistes allemands. Dans ce milieu prévaut une stricte approche juridico-institutionnelle de l’Empire romain depuis le milieu du xixe siècle jusque dans les années 1970 sous l’influence de l’historien Theodor Mommsen. Le primat accordé au droit pour étudier et évaluer les derniers siècles de Rome singularise la recherche historique allemande et détermine longtemps son interprétation négative des derniers siècles de l’Empire romain, mesurés à l’aune des principes politiques et philosophiques associés à la République romaine, au Haut-Empire et à l’Allemagne contemporaine. Le propos de cet article est d’examiner les soubassements idéologiques de cette interprétation dépréciative, considérée comme indéniable parce que revendiquant l’objectivité immanente du droit, qui réduisit l’Empire romain tardif à une organisation coercitive condamnée à disparaître en Occident et à survivre en Orient sous une forme despotique. Plutôt qu’une approche comparatiste entre écoles historiques qui encouragerait au relativisme, nous avons fait le choix de privilégier l’immersion dans la seule école historique allemande, non seulement pour en souligner les particularismes heuristiques mais surtout pour montrer comment le discours réflexif sur l’historiographie d’une période déterminée comme l’Antiquité tardive induit un regard introspectif sur l’histoire et les historiens.

Science et préjugé au xixe siècle

  • 3 En raison de son ampleur considérable – au total vingt-sept volumes de texte et deux volumes de t (...)
  • 4 Voir en ligne le Digitales Wörterbuch der deutschen Sprache, s.u.
  • 5 Ibid.

2Les derniers siècles de l’Antiquité reçoivent une périodisation distincte et une désignation particulière au milieu du xviiie siècle avec la parution progressive de la monumentale Histoire du Bas-Empire commençant à Constantin le Grand de l’historien français Charles Le Beau, membre puis secrétaire perpétuel de l’Académie royale des inscriptions et belles-lettres3. Il est inutile de gloser sur le caractère péjoratif de cette expression alors nouvelle qui, peu à peu, se diffuse parmi les historiens de langue romane à partir du siècle des Lumières et plus encore durant l’âge industriel qui lui succède. Bien que les différentes éditions et mises à jour de son grand-œuvre trouvent assurément leur chemin et leur place dans les principaux centres intellectuels et universitaires du Saint-Empire puis de la confédération germanique, la formule dépréciative inventée par Le Beau pour désigner la fin de l’Antiquité et surtout la période byzantine ne rencontre aucun succès particulier. Le Bas-Empire ne donne naissance à aucun « Niederreich » dans les pays de langue allemande d’autant que l’adjectif et l’adverbe nieder possèdent une dimension géographique ou bien hiérarchique mais non chronologique4. Quant au substantif Niedergang, il apparaît dans les années 1950 et se diffuse à partir des années 19705.

  • 6 Burckhardt 1898 [1853], 26, 73, 100, 122, 129, 136, 141, 148, 159, 162, 186, 192, 199, 202, 203, (...)
  • 7 Ibid., 293. Deux chapitres plus loin, l’époque tardive est clairement assimilée au règne de Const (...)

3En revanche, dans la synthèse consacrée en 1853 à l’époque constantinienne par le jeune historien suisse Jakob Burckhardt, la dimension temporelle est davantage présente par l’emploi de l’adjectif spät, « tardif ». Outre son emploi habituel pour exprimer la postériorité, ce qualificatif désigne parfois le paganisme finissant, l’hellénisme du iiie siècle, plus souvent la littérature et la philosophie contemporaines de la fin de l’Antiquité et surtout l’empire romain et ses dirigeants à partir de Constantin (306-337), voire dès Gallien (260-268), ainsi que leurs successeurs respectifs6. Burckhardt crée en passant la « période tardo-antique » (spätantike Zeit), une formule appelée à rencontrer un grand succès au siècle suivant, mais qui est dépourvue alors de toute théorisation et constitue un simple élément de périodisation7. Pour cette raison, on cite quelquefois pour mémoire la monographie de Burckhardt, qui livre un portrait à charge de l’empereur Constantin accusé d’opportunisme religieux. Force est de reconnaître que cette étude exerce une influence historiographique limitée parce qu’elle aborde le sujet de manière personnelle et narrative, comme Jules Michelet en France à la même époque, et ignore l’histoire philologique et documentaire alors en plein essor dans le monde germanique.

  • 8 Sur la méfiance de Mommsen envers le positivisme, voir Heuss 1996 [1956], 119-121 ; dans le domai (...)
  • 9 Mommsen 1887 [1875], 760-763, 982.
  • 10 Mommsen 1907 [1893], 191-192. Il s’agit de la deuxième édition de l’Abriss des römischen Staatsre (...)
  • 11 Dans sa Römische Kaisergeschichte, éditée plus d’un siècle après la mort de Mommsen par Barbara D (...)

4La seconde moitié du xixe siècle correspond à un essor scientifique allemand qui éblouit l’Europe et s’incarne, dans le domaine des sciences de l’Antiquité, en la figure éminente ou écrasante de Theodor Mommsen, le seul historien lauréat du prix Nobel de littérature. Il serait inexact d’opposer Burckhardt à Mommsen, qui restent tous deux méfiants envers le positivisme ambiant et partagent parfois des positions ou des interprétations historiques communes, même s’ils défendent des idées politiques opposées8. En revanche, Mommsen ne pratique pas l’universalisme disciplinaire défendu par Burckhardt, célèbre par ses histoires culturelles du monde grec et surtout de la Renaissance davantage que pour sa biographie partiale de Constantin. L’intérêt de Mommsen se concentre sur le monde romain, de la République aux premiers siècles de l’Empire, et l’historien adopte une approche résolument institutionnelle et juridique. Dans son œuvre, l’intérêt pour les derniers siècles de l’Empire romain vient, pourrait-on dire, assez tard. Pour désigner cette période, Mommsen délaisse le Bas-Empire et l’Antiquité tardive, deux dénominations dépourvues de fondement politique, et propose celle de dominat par opposition au principat. Le choix des deux substantifs, peu employés par les auteurs anciens pour désigner le régime impérial à haute ou basse époque, est justifié par une évolution de la titulature officielle marquée par l’emploi, transitoire sous Domitien (81-96) puis définitif à partir de Dioclétien (284-305), de dominus au lieu de princeps pour désigner un souverain qui, selon Mommsen, aurait été assimilé à Dieu sous l’influence du christianisme9. Précisant son propos, l’historien affirme que la monarchie « orientale » établie par Dioclétien et Constantin aurait supplanté la prééminence impériale instaurée par Auguste en conformité avec le mode de pensée occidental et dans le respect des prérogatives des magistrats et de la souveraineté populaire10. Les derniers siècles de l’Empire sont ainsi définis par une évolution politique qui l’éloigne de ses origines italiennes ou occidentales et le rapproche de Byzance et de l’Orient11.

  • 12 Seeck 1920-1923 [1895-1901], vol. 2, 8-9.
  • 13 Ibid., vol. 1, 328 ; vol. 2, 160 ; vol. 3, 17 ; vol. 4, 173.
  • 14 Ibid., vol. 2, 199, 223 ; vol. 4, 134, 139.
  • 15 Ibid., vol. 1, 61 ; vol. 2, 9, 111 ; vol. 3, 135, 207, 406 ; vol. 4, 127, 134, 316, 329.

5Malgré sa prééminence, voire sa prépondérance, parmi les historiens allemands de Rome, Theodor Mommsen exerce une influence limitée sur Otto Seeck, un de ses plus brillants élèves, même si les relations avec le maître ne sont pas toujours faciles, et qui est l’auteur au tournant du xxe siècle d’une étude monumentale de la fin du monde romain. Seeck fait d’ailleurs allusion aux concepts défendus par Mommsen de principat et de dominat, mais pour en contester avec un certain courage la pertinence chronologique et la justesse politique. Selon Seeck, le système institutionnel et administratif établi par Dioclétien n’est pas original dans l’histoire romaine et constitue la conséquence « inévitable » du régime établi par Auguste en mettant fin aux faux semblants12. Pour caractériser la période 284-476 qui l’intéresse, Seeck insiste dès le titre sur l’idée de chute (Untergang), qui rappelle le grand-œuvre d’Edward Gibbon, The History of the Decline and Fall of the Roman Empire, paru à la fin du xviiie siècle et couvrant près d’un millénaire et demi d’histoire romaine et byzantine. Le propos de Seeck est plus resserré et, dans une perspective romaine, considère la période comme une conclusion, raison pour laquelle il emploie l’adjectif « tardif » ou la notion d’Antiquité tardive (spätes Altertum), voire très tardive (spätestes Altertum)13. La valeur de spät n’est pas seulement chronologique dans la mesure où Seeck insiste sur l’idée de décadence, concomitante d’un renforcement jugé excessif de l’autorité impériale. En effet, pour définir le pouvoir suprême, les notions de souverain absolu et de pouvoir absolu sont quelquefois utilisées14. Le terme de despotisme est davantage employé pour qualifier la nature du système établi depuis Dioclétien. Pour Seeck, les dirigeants romains sont despotiques, ils exercent un despotisme effréné et Constantinople est le siège de ce nouveau despotisme15. Le despotisme est également associé à plusieurs occasions aux Sassanides. Malgré sa connaissance remarquable des sources, Seeck s’inscrit dans un long continuum idéologique qui, combinant des critères institutionnels et des jugements culturels, survalorise le Haut-Empire et l’Occident pour mieux déprécier le Bas-Empire et l’Orient.

  • 16 Ibid., vol. 1, 199-200, 206, 216, 219, 225.
  • 17 Aubin 1968 [1921], 53-54. Nous devons cette référence à Rilinger 1985, 321-322. À propos de l’opi (...)

6Tandis que la servitude constituerait un système de gouvernement presque mortifère pour l’Empire romain pendant les derniers siècles de son existence et expliquerait in fine sa chute, la liberté semble caractériser et vivifier le monde germanique selon le même auteur. Dans un chapitre consacré aux Germains, Seeck estime que les esclaves ruraux bénéficient chez ce peuple d’une grande liberté, que l’honneur est encore plus valorisé que la liberté, tandis que la guerre et le vol sont des manifestations d’un esprit farouche, épris de liberté et hostile à toute forme d’administration organisée. Seule importe la liberté absolue de l’individu, et l’idée même de contrainte (Zwang) est intolérable non seulement aux Germains mais encore aux Allemands16. L’usage par Seeck des termes de Germain et d’Allemand comme des synonymes achroniques révèle une exaltation nationaliste personnelle et traduit une construction idéologique où se mêlent des jugements de valeur à la fois politique et ethnique présentés comme des vérités scientifiques intangibles et intemporelles. L’opposition entre coercition romaine et liberté germanique se trouve même renforcée en 1921, chez le médiéviste Hermann Aubin, par l’idée d’un déclin économique et culturel (à entendre ici dans le sens de culture matérielle) des Romains. Leur déclin aurait été provoqué par leur propre organisation considérée comme un État coercitif (Zwangsstaat). Il est toutefois important de souligner que chez Aubin le déclin romain conduit à un abaissement civilisationnel qui place finalement le monde romain au niveau des peuples germaniques et facilite l’adoption par ces derniers d’une culture romaine dévaluée ou amoindrie. Il n’est pas question ici d’une prétendue supériorité germanique naturelle et d’une infériorité romaine supposée, mais plutôt le contraire, du moins pour la période du Haut-Empire17. Bien que nationaliste fervent, Aubin n’oppose pas de manière irréductible Romains et Germains, l’opposition radicale se situant selon lui plus à l’est, entre Allemands et Slaves.

L’ombre de Fichte au xxe siècle

  • 18 Nous lisons La doctrine de l’État (Die Staatslehre, oder über das Verhältniß des Urstaates zum Ve (...)

7Quand l’historien Hermann Aubin utilise de manière négative la notion d’État coercitif ou d’État de contrainte (Zwangsstaat), il fait un emprunt, volontaire ou involontaire, à un concept original mais non central dans la pensée du philosophe saxon Johann Gottlieb Fichte. Durant son dernier semestre d’enseignement à l’université de Iéna, d’avril à août 1813, celui-ci donne plusieurs leçons en forme de bilan doctrinal ou de récapitulation scientifique de son œuvre polymorphe. Bien éloigné des spéculations de Hegel appliquées au domaine de la pensée politique et de l’histoire universelle, Fichte développe une réflexion agissante, une philosophie appliquée pour reprendre sa formule, qui encourage l’intervention individuelle et collective dans le domaine politique et l’espace social pour les transformer. Il oppose en particulier un ancien monde, en réalité le monde antique puisqu’il l’associe explicitement à l’Empire romain au moment de l’apparition et de l’essor du christianisme, à un monde nouveau, c’est-à-dire le monde moderne, qui voit triompher la raison et où la seule contrainte légitime demeure celle du droit dans la mesure où le droit est connu de tous et accepté par tous. De cette manière, opérant un renversement sémantique paradoxal, Fichte attribue une valeur positive à la contrainte dans la mesure où elle contribue à l’avènement du règne de la raison en encourageant l’éducation à la liberté tandis que le despotisme ancien (et donc antique) impose l’obéissance aveugle18.

  • 19 Enßlin 1954, 450-452, 464-467.

8Réminiscence philosophique ou néologisme historiographique, le concept d’État de contrainte appliqué de manière négative par Aubin aux derniers siècles de l’Empire romain exerce pendant plusieurs décennies une influence réduite, même parmi les historiens allemands de la fin de l’Antiquité. Prenons l’exemple de Wilhelm Enßlin, éminent spécialiste d’Ammien Marcellin, de l’empereur Julien et des structures administratives et militaires romaines, auteur d’innombrables notices thématiques et prosopographiques dans la Realencyclopädie der classi­schen Altertumswissenschaft. Peu après son passage à l’éméritat au sein de l’université franconienne d’Erlangen où il a fait carrière, il publie au milieu des années 1950 un article sur « l’empereur dans l’Antiquité tardive ». Le titre de la publication indique clairement l’adoption de la formule forgée au siècle précédent par Jakob Burckhardt pour qualifier la fin du monde romain, période dont les limites sont discutées par Enßlin et situées entre le règne de Dioclétien (284-305) et celui d’Héraclius (610-641). Dans son essai de définition de la fonction impériale à cette époque, l’historien évite les notions de despotisme et d’État coercitif. Il préfère les concepts politiques voisins, cependant moins chargés moralement ou philosophiquement, d’absolutisme et d’autocratie, qui auraient été tous les deux présents dès la fondation du principat augustéen. Il souligne également que la dimension charismatique et religieuse du souverain encourage la naissance de ce pouvoir qu’il qualifie de surhumain. Enßlin estime cependant que l’autocratie est tempérée par un droit de résistance en cas d’abandon par le souverain du conservatisme institutionnel, incarné par la bureaucratie, et de son devoir de philanthropie envers ses sujets19. Cette analyse, qui renouvelle la compréhension du système impérial tardif sans toutefois le réhabiliter ou le justifier, constitue un changement considérable par comparaison avec Otto Seeck qui présente l’Empire romain tardif comme un despotisme pur.

  • 20 Vittinghoff 1964, 545-547. Nous avons découvert cet article grâce à Rilinger 1985, 336, n. 1. Il (...)

9Pourtant, une opinion négative du Bas-Empire demeure présente, peut-être même dominante, parmi les romanistes allemands dont les travaux sont consacrés au Haut-Empire, comme Friedrich Vittinghoff. Professeur pendant quelques années à l’université d’Erlangen et personnage influent dans les sciences de l’Antiquité en Allemagne après la Seconde guerre mondiale, Vittinghoff publie dix ans après Enßlin, dans la même revue scientifique, un article appro­fondi sur la compréhension de l’histoire, en particulier le thème de la succession des empires, dans l’Antiquité tardive. Il s’agit d’une contribution utile à l’histoire culturelle de cette période, mais qui continue d’en transmettre une image dégradée sur le plan à la fois moral et politique. Les deux registres interprétatifs fournissent des justifications qui doivent se renforcer, même si l’interprétation institutionnelle revêt une plus grande valeur scientifique et donc argumentative. L’historien met néanmoins en garde contre les auteurs de l’Antiquité tardive, comme Augustin ou Sidoine Apollinaire, qu’il accuse d’appartenir à une petite classe de privilégiés et de contribuer à une idéologie romaine de supériorité morale détachée des réalités. S’il évite de parler de monarchie, de despotisme ou d’absolutisme, trois termes souvent associés à cette période de l’histoire romaine, Vittinghoff résume l’Empire romain tardif à un État coercitif (Zwangsstaat) et bureaucratique20. La condamnation est brève et paraît définitive.

  • 21 Langhammer 1973.
  • 22 Polverini 1978, 187.
  • 23 Langhammer 1973, 278-279.
  • 24 Frei Stolba 1974 ; Béranger 1975 ; Wolff 1976 ; Gascou 1976 ; Polverini 1978 (inter alia).

10De même, une dizaine d’années plus tard, le même concept fichtéen de Zwangsstaat, appliqué de manière négative à l’Antiquité tardive, est utilisé par Walter Langhammer dans sa thèse d’habilitation. Son long titre est explicite : La position juridique et sociale des magistrats municipaux et des décurions durant la période de transition des cités de communautés autogérées en organes d’exécution de l’État coercitif tardo-antique (iie-ive siècle de l’époque impériale romaine)21. Un recenseur italien jugea d’ailleurs que le titre était d’une « précision plus que germanique »22. Réfugié avec son épouse en Allemagne fédérale après avoir subi l’hostilité de ses collègues en Allemagne de l’Est et fui en 1959 la dictature communiste, Langhammer a été manifestement influencé par les travaux de Theodor Mommsen et de Friedrich Vittinghoff, et meurtri par le totalitarisme. Son propos se résume presque à son titre : opposer le Haut-Empire, période idéale d’autonomie voire d’indépendance administrative des cités, au Bas-Empire, époque de complète soumission des communautés civiques à un État oppressif au point d’être qualifié non pas d’autoritaire mais de totalitaire dans le résumé conclusif du livre23. Fraîchement accueilli par le milieu universitaire en Europe occidentale au moment de sa parution d’après la lecture de recensions publiées en Suisse, en Belgique, en Italie et en Allemagne24, le livre, manifestement trop vaste et trop vague, est aujourd’hui un peu tombé dans l’oubli, mais il a le mérite de susciter un vif débat en Allemagne sur la pertinence du concept d’État de contrainte appliqué à l’Empire romain tardif. En revanche, l’emploi du terme de Zwangsstaat ne semble poser aucun problème aux différents recenseurs du livre, tous spécialistes du Haut-Empire et qui semblent partager, de manière tacite, une conception négative du Bas-Empire.

  • 25 Schubert 1976, 351, 353-354, 357.
  • 26 Vittinghoff 1982, 111-113, 128-130, 138-140.

11Une exception, annonciatrice d’un tournant historiographique, est constituée par la recension détaillée de la thèse d’habilitation de Walter Langhammer par Werner Schubert, professeur pendant près de vingt-cinq ans d’histoire du droit, de droit romain et de droit comparé à l’université de Kiel. Sans doute exempt des préjugés de certains romanistes sur le Bas-Empire dans la mesure où il n’est pas historien, Schubert conteste le jugement de valeur favorable à l’autogestion civique et défavorable à l’interventionnisme étatique. Il rappelle que la contrainte socio-juridique est déjà exercée localement par la cité sur ses membres fortunés en leur confiant l’administration fiscale pour répondre aux difficultés financières survenues dès le Haut-Empire, avant que le Zwangssystem ne soit renforcé à partir de Dioclétien25. Conséquence de la prise en compte des mises en garde des recenseurs et des corrections argumentées de Schubert, Friedrich Vittinghoff révise peu après son jugement personnel et surtout son opinion d’historien dans un essai de synthèse sur l’évolution de l’administration municipale dans l’Occident latin. Il mentionne certes en note la thèse de Langhammer, mais seulement pour la critiquer. L’Empire romain est présenté de manière positive comme une superstructure assurant la sécurité et déléguant la fiscalité aux cités. Vittinghoff reconnaît également, à la suite de Schubert, qu’une véritable contrainte financière est exercée par les cités sur les magistrats et les décurions, bien que dissimulée dans les inscriptions honorifiques du Haut-Empire, et que les premières lois obligeant les notables locaux à financer des charges publiques statutaires (munera) datent de l’empereur Vespasien (69-79). Vittinghoff rejette désormais l’idée, selon ses propres mots, que « le centralisme, le dirigisme et le fiscalisme en constant essor d’un État bureaucratique auraient anéanti l’autonomie administrative des communautés civiques ». Il conteste enfin la notion fichtéenne de Zwangsstaat appliquée au Bas-Empire, considère l’époque de Dioclétien et Constantin comme un prolongement et non une césure dans les relations entre État et cités – une opinion déjà défendue par Otto Seeck et en partie par Wilhelm Enßlin –, et dénonce le caractère hypothétique et simplificateur d’un déclin civique général au regard du dynamisme persistant des cités, en particulier dans l’Afrique du Nord romaine26.

La revalorisation tardive

  • 27 Horstkotte 1984, 12, 17-20, 23.
  • 28 Bleicken 1978, 10-17, 24, 28. Nous remercions Mme Aude Busine, chargée de cours à l’université li (...)

12Ce profond changement de point de vue sur la fin de l’Antiquité romaine n’est pas isolé et se trouve exprimé par deux autres historiens, qui sont toute­fois deux élèves de Friedrich Vittinghoff. En 1984, Hermann-Josef Horstkotte publie sa courte thèse soutenue six ans auparavant devant l’université de Cologne et intitulée : La théorie de l’État coercitif romain tardif et le problème de la responsabilité fiscale. L’auteur prend soin d’employer des guillemets pour les concepts d’État coercitif (Zwangsstaat) et de responsabilité fiscale (Steuerhaftung), l’un d’inspiration philosophique, l’autre de nature institutionnelle, mais unis par une approche juridique de la société. Une vingtaine de pages de la thèse de Horstkotte sont consacrées, en guise de première partie ou en forme de préambule, au « dogme » de l’État de contrainte appliqué à l’Empire romain tardif et associé de nouveau à la question des impôts. Cependant Horstkotte élargit le débat à l’interventionnisme étatique somme toute limité dans l’économie, à l’impossibilité de mesurer l’augmentation de la pression fiscale et au constitutionnalisme moderne centré sur la séparation des pouvoirs depuis Montesquieu mais foncièrement inadapté à expliquer le système impérial romain27. Opposé à la position de Langhammer, influencé par les interprétations de Schubert, de Vittinghoff aussi, mais peut-être surtout de Carl Schmitt sur la rationalité prétendue du droit, Horstkotte est également sensible aux arguments développés quelques années plus tôt par Jochen Bleicken. Professeur d’histoire ancienne à l’université de Göttingen, Bleicken esquisse une réfutation en règle des concepts de principat et de dominat utilisés par Theodor Mommsen pour théoriser politiquement et hiérarchiser idéologiquement l’histoire impériale romaine. En réponse à l’histoire juridique de Mommsen, et rappelant en partie l’opinion de Seeck et d’Enßlin, Bleicken insiste sur la profonde continuité institutionnelle de la position du souverain, princeps ou dominus, tout au long de l’Empire, car elle demeure fondée sur la collaboration de l’aristocratie, le soutien de l’armée et la sacralisation de sa personne. En aucun cas l’empereur romain tardif n’est un monarque absolu et l’Empire romain tardif ne constitue une césure institutionnelle par rapport au Haut-Empire28.

  • 29 Rilinger 1985, 324-325, 334.
  • 30 Ibid., 333.

13Le second élève de Friedrich Vittinghoff à rejeter catégoriquement l’inter­prétation absolutiste du système impérial tardif est Rolf Rilinger, professeur à l’université de Bielefeld, également spécialiste de la République romaine et proche de Jochen Bleicken. En 1985, année de la mort de Wilhelm Enßlin, il publie pour le soixante-quinzième anniversaire de Vittinghoff un article dans la revue de l’association allemande des professeurs d’histoire. Le fait de publier dans une revue de didactique de l’histoire et non pas d’histoire ancienne manifeste le souci d’élargir le débat à un public plus varié que le milieu universitaire des spécialistes d’histoire romaine. Rilinger récapitule depuis Hermann Aubin l’historiographie de l’État coercitif dans les études romaines allemandes et montre que le débat, d’abord limité à l’économie, s’est étendu après la Seconde guerre mondiale à l’histoire politique, ensuite à l’histoire sociale et finalement à l’histoire culturelle. Rilinger est le premier historien à évoquer de manière explicite l’origine fichtéenne de la notion d’État de contrainte et à rappeler son sens originel de pouvoir légitime et non de régime despotique dans la pensée du philosophe. Le renversement notionnel est attribué à Jakob Burckhardt et repose sur une périodisation dichotomique à la fois déterministe et erronée29. Toutes les réfutations apportées dans le domaine des institutions, de la société, de l’économie et de la culture, insistent en effet sur la profonde continuité du Bas-Empire avec le Haut-Empire. De manière personnelle et très originale, Rilinger défend l’idée que la diffusion du concept d’État coercitif dans la recherche historique reflèterait les débats contemporains en Allemagne sur l’expérience totalitaire. Pour le paraphraser, le Zwangsstaat en histoire ancienne serait une conséquence du Zeitgeist30.

14Une réponse en forme de correctif est donnée l’année suivante, toujours dans la revue de l’association allemande des professeurs d’histoire, par Alfred Heuss, spécialiste de la République romaine et du Haut-Empire. Quelques détails sur le milieu universitaire donneront une dimension un peu plus personnelle au débat scientifique. Quand il publie sa réponse, Heuss est déjà professeur émérite de l’université de Göttingen depuis moins de dix ans après avoir enseigné à l’université de Kiel où il a eu pour élève puis assistant Jochen Bleicken. Par ailleurs, Friedrich Vittinghoff a été le successeur immédiat d’Alfred Heuss à la chaire d’histoire ancienne de Kiel, université dans laquelle exerça également Werner Schubert au sein du département de droit. La présence durant les années 1950-1970 dans une même université d’historiens romanistes défendant des interprétations divergentes de l’Antiquité tardive reflète l’absence d’esprit d’école ou de système, la libre expression des opinions et le caractère strictement scientifique des arguments. Il est par conséquent inutile de réduire l’historiographie de ce débat intellectuel à une opposition entre universitaires conservateurs et chercheurs progressistes, pour reprendre la terminologie binaire et trop simpliste de la Whig history. La réaction de Heuss doit plutôt s’expliquer par la mention discrète mais récurrente dans les notes de bas de page de son Histoire romaine. Paru en 1960, cet ouvrage figure à plusieurs reprises dans les publications de Vittinghoff, Horstkotte et Rilinger mais aussi de Bleicken, qui tous contestent et critiquent l’usage que fait Heuss de la notion d’État de contrainte appliquée à l’Empire romain tardif.

  • 31 Heuss 1986, 607, 609, 614-615.
  • 32 Ibid., 611, 617, n. 4. Cf. Demandt 2014 [1984], 584 : « Der sogenannte antike Zwangsstaat ist ein (...)

15Reprochant à Rolf Rilinger une approche « nominaliste » qui examine de manière abstraite une expression en la détachant de son contexte, Heuss propose de re-historiciser la notion d’État de contrainte, c’est-à-dire d’étudier son contenu factuel plutôt que sa portée conceptuelle. Toutefois, il propose d’abord de retracer un panorama historiographique détaillé de la question depuis Edward Gibbon, Barthold Georg Niebuhr et Friedrich Carl von Savigny, en insistant sur le témoignage livré par le Code Théodosien concernant les obligations statutaires des individus dans l’Antiquité tardive. D’évidence, Heuss est influencé par Otto Seeck et surtout Mikhail Rostovtzeff dans la mesure où, comme ces derniers, il considère que la chute de Rome résulte du déclin des cités, de la bureaucratisation de ses structures politiques et de l’étatisation de l’économie31. Il dénonce également, en une note de bas de page, « l’arrogance ou l’ignorance » de l’historien Alexander Demandt qui, dans son style toujours incisif, avait écrit deux ans plus tôt que « le prétendu État coercitif antique est un fantasme de chercheurs qui ont confondu les dispositions législatives avec les faits historiques »32.

  • 33 Szidat 1995, 490.
  • 34 Winterling 1997, 4, n. 8.
  • 35 Vössing 2002, 243-244. Nous remercions l’auteur pour l’envoi de cette publication. La dimension s (...)

16Malgré les propos véhéments de Heuss pour légitimer la notion d’État de contrainte, en particulier aux dépens du concept mommsénien de dominat qui est définitivement récusé et abandonné, il faut reconnaître que ses efforts n’ont pas été concluants. En 1996, année de la mort d’Alfred Heuss, Joachim Szidat, spécialiste du monde romain tardif, considère que le Zwangsstaat constitue une notion ancienne et discutable33. Aloys Winterling, qui s’est distingué par ses travaux sur la cour impériale romaine, estime qu’il s’agit d’une dénomination ambiguë et controversée34. Konrad Vössing, professeur à l’université de Bonn et auteur d’une thèse remarquée sur l’éducation dans l’Afrique romaine, réfute l’idée de contrôle public étroit sur les écoles durant l’Antiquité tardive35. Désormais, dans la production scientifique allemande, le terme est rarement utilisé ou avec précaution et parfois des guillemets.

  • 36 Horstkotte 1999, 243.
  • 37 Palme 1999, 118-119 ; Kruse 2006, 95.
  • 38 Horstkotte 1984, 22 : « Dans la mesure où le législateur a imposé des services obligatoires, il a (...)
  • 39 Courrier électronique daté du 12 décembre 2020.

17Hermann-Josef Horstkotte juge néanmoins utile, au tournant du xxie siècle, de contester encore l’interprétation de Heuss dans un article sur les services publics accomplis par les notables municipaux publié dans la Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik36. Le choix de privilégier les sources documentaires (les inscriptions) plutôt que juridiques (les codes de lois) est indicatif du changement de point de vue sur la fin du monde romain. Si les inscriptions et plus encore les papyrus prouvent le développement administratif et la fonctionnarisation des décurions, ils attestent également les progrès menés par le pouvoir romain depuis l’époque sévérienne (193-235) et accomplis à partir de Dioclétien et des Constantiniens pour assurer la continuité des charges de service public (munera) assumées par les élites locales et ne permettent plus désormais de définir l’Empire romain tardif comme un État de contrainte37. Déjà, en 1984, Hermann-Josef Horstkotte avait souligné que l’objectif fondamental de la législation impériale était de faire passer l’intérêt général avant l’intérêt particulier38. Autrement dit, pour reprendre une formule du papyrologue français Jean Gascou, l’État tardo-antique se souciait peu de qui accomplissait effectivement un munus tant que le service était rendu39.

  • 40 Meier 2003, 197. Nous remercions l’auteur pour l’envoi de cette publication ainsi que l’éditeur d (...)
  • 41 Ibid., 206-208.
  • 42 Wiemer 2007, 8-9, 12. Nous remercions l’auteur pour l’envoi de cette publication.

18La persistance, bien que discrète et déclinante, de la notion d’État de contrainte dans la littérature scientifique allemande sur l’Antiquité tardive paraît justifier la rédaction d’un article de synthèse par Mischa Meier, prolifique professeur d’histoire ancienne à l’université de Tübingen. Après avoir évoqué la controverse entre Rolf Rilinger et Alfred Heuss et rappelé leurs arguments respectifs, Meier met en garde contre le risque méthodologique d’employer des concepts anhistoriques dont la valeur heuristique est du coup très incertaine40. Il souligne ainsi les différences entre le sens moderne, la valeur grecque et la notion romaine de liberté à l’occasion d’un colloque polono-allemand consacré précisément au concept de liberté dans l’Antiquité. Dépendant de la collaboration et de l’opinion des élites, responsable de la sécurité de ses sujets jugée indissociable de leur liberté individuelle, contraint de démontrer sa piété pour conserver la protection divine, l’empereur romain tardif n’est pas omnipotent. Quant au poids de la bureaucratie et des impôts durant les derniers siècles de l’Antiquité, il est relativisé par la faible administration du Haut-Empire et, argument nouveau, par la récurrence du discours antifiscal des auteurs anciens41. Une nouvelle mise au point sur la notion d’État de contrainte est fournie quelques années plus tard par Hans-Ulrich Wiemer, éminent spécialiste de l’Antiquité tardive et lointain successeur de Wilhelm Enßlin et de Friedrich Vittinghoff à la chaire d’histoire ancienne de l’université d’Erlangen42.

Conclusion

  • 43 Nous empruntons l’expression d’émancipation de Mommsen à Heuss 1986, 612.

19L’adoption au début du xxe siècle dans le discours scientifique allemand du concept d’État coercitif associé au Bas-Empire, et sa relégation à partir des années 1970 dans les débats d’idées entre spécialistes d’histoire de Rome et de son droit, traduisent à l’évidence le passage, sans doute définitif, de ce concept philosophique du domaine de l’histoire à celui de l’historiographie et sa mise à distance par les historiens romanistes qui lui contestent désormais toute valeur heuristique. De manière plus large, les débats et surtout les critiques suscités par la notion controversée de Zwangsstaat résultent du fait que ce concept a été pris dans une acception négative, éloignée ou inverse de sa signification fichtéenne originelle. Le propos de ses partisans était de remplacer par cette formulation, apparemment savante et objective, les termes trop ouvertement péjoratifs d’autocratie, d’absolutisme et de despotisme, utilisés depuis le milieu du xixe siècle, afin de pouvoir justifier une conception dévalorisante de la fin du monde romain en invoquant des arguments d’abord moraux et culturels, puis institutionnels et juridiques. De manière plus générale, la remise en cause de la notion d’État de contrainte dans son application à l’Empire romain tardif illustre un réexamen en profondeur et une revalorisation durable de l’Antiquité tardive par le milieu universitaire allemand. Ce changement de perspective suit une évolution historiographique qui est perceptible également dans le reste de l’Europe occidentale et en Amérique du Nord à la même époque, voire avant. Il ne faut en effet pas oublier le rôle pionnier ou primordial joué, depuis le début et surtout le milieu du xxe siècle, par des savants européens aussi différents que Santo Mazzarino et Henri-Irénée Marrou pour l’histoire culturelle ou bien Alois Riegl et Ranuccio Bianchi Bandinelli dans le domaine des arts. Toutefois, en Allemagne, le débat s’est concentré sur les aspects institutionnels et fiscaux avec un intérêt évident pour les formes réglementaires et les sources normatives. En ce sens, le Zwangsstaat constitue le prolongement historiographique du dominat et son abandon traduit l’émancipation de la recherche historique allemande vis-à-vis du juridisme dogmatique et de la périodisation dépréciative imposés à l’étude du monde romain par Theodor Mommsen43.

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Bibliographie

Bibliographie

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Notes

1

Riegl 1901.

2 Marrou 1977 [1949].

3 En raison de son ampleur considérable – au total vingt-sept volumes de texte et deux volumes de tables englobant les derniers siècles de l’empire romain et toute l’histoire de l’empire byzantin – l’œuvre envisagée par Charles Le Beau était inachevée à sa mort survenue en 1778. Par conséquent, il est revenu à l’historien et bibliothécaire Hubert-Pascal Ameilhon d’en poursuivre la rédaction à partir du vingt-deuxième volume, après le règne de l’empereur byzantin Manuel II Paléologue (1391-1425). La première édition complète parut finalement à Paris en 1818, sept ans après la mort d’Ameilhon.

4 Voir en ligne le Digitales Wörterbuch der deutschen Sprache, s.u.

5 Ibid.

6 Burckhardt 1898 [1853], 26, 73, 100, 122, 129, 136, 141, 148, 159, 162, 186, 192, 199, 202, 203, 208, 214, 226, 231, 245, 254, 260, 274, 275, 283, 284, 298, 364, 393, 408, 468, 475. Nous avons utilisé la troisième édition parue à Leipzig chez Seemann un an après la mort de l’auteur. Le livre, qui couvre les années 180-337, multiplie aussi les allusions aux événements de la seconde moitié du ive siècle. Traduit en italien en 1954 puis en anglais deux ans plus tard, il bénéficie d’une traduction française à paraître aux éditions du Cnrs en 2021.

7 Ibid., 293. Deux chapitres plus loin, l’époque tardive est clairement assimilée au règne de Constantin (ibid., 378).

8 Sur la méfiance de Mommsen envers le positivisme, voir Heuss 1996 [1956], 119-121 ; dans le domaine du droit, voir Hölkeskamp 1996, 106-107. À propos des points communs scientifiques entre Burckhardt et Mommsen, par exemple dans le domaine de l’étruscologie, voir Flaig 2005, 187-188. En revanche, Burckhardt et Mommsen défendent des positions politiques antagonistes, ce qui n’aurait pas été sans conséquence sur leur conception et leur écriture de l’histoire selon Flaig 1993. Nous remercions l’auteur pour l’envoi de cette publication.

9 Mommsen 1887 [1875], 760-763, 982.

10 Mommsen 1907 [1893], 191-192. Il s’agit de la deuxième édition de l’Abriss des römischen Staatsrechts. Nous empruntons cette référence à Demandt 2008 [1998], 497, qui renvoie toutefois à la première édition.

11 Dans sa Römische Kaisergeschichte, éditée plus d’un siècle après la mort de Mommsen par Barbara Demandt à partir de notes de cours prises par des étudiants, à peine 150 pages sont consacrées à la période postérieure au règne de Dioclétien pour un ouvrage qui compte plus de 600 pages. Voir Mommsen 2005.

12 Seeck 1920-1923 [1895-1901], vol. 2, 8-9.

13 Ibid., vol. 1, 328 ; vol. 2, 160 ; vol. 3, 17 ; vol. 4, 173.

14 Ibid., vol. 2, 199, 223 ; vol. 4, 134, 139.

15 Ibid., vol. 1, 61 ; vol. 2, 9, 111 ; vol. 3, 135, 207, 406 ; vol. 4, 127, 134, 316, 329.

16 Ibid., vol. 1, 199-200, 206, 216, 219, 225.

17 Aubin 1968 [1921], 53-54. Nous devons cette référence à Rilinger 1985, 321-322. À propos de l’opinion d’Aubin sur la chute de l’Empire romain, voir également les commentaires de Heuss 1986, 612 ; Demandt 2014 [1984], 236-237.

18 Nous lisons La doctrine de l’État (Die Staatslehre, oder über das Verhältniß des Urstaates zum Vernunftreiche) dans la traduction dirigée par Goddard et Lacaze 2006, 120-122, 187-188, 243. Dans l’édition complète des œuvres du philosophe (Fichte-Gesamtausgabe), publiée sous les auspices de l’Académie des Sciences de Bavière, il s’agit dans la seconde série du volume 4, 437-439, 519-520, 592.

19 Enßlin 1954, 450-452, 464-467.

20 Vittinghoff 1964, 545-547. Nous avons découvert cet article grâce à Rilinger 1985, 336, n. 1. Il est mentionné seulement en passant par Demandt 2014 [1984], 45.

21 Langhammer 1973.

22 Polverini 1978, 187.

23 Langhammer 1973, 278-279.

24 Frei Stolba 1974 ; Béranger 1975 ; Wolff 1976 ; Gascou 1976 ; Polverini 1978 (inter alia).

25 Schubert 1976, 351, 353-354, 357.

26 Vittinghoff 1982, 111-113, 128-130, 138-140.

27 Horstkotte 1984, 12, 17-20, 23.

28 Bleicken 1978, 10-17, 24, 28. Nous remercions Mme Aude Busine, chargée de cours à l’université libre de Bruxelles, pour la transmission de cette publication.

29 Rilinger 1985, 324-325, 334.

30 Ibid., 333.

31 Heuss 1986, 607, 609, 614-615.

32 Ibid., 611, 617, n. 4. Cf. Demandt 2014 [1984], 584 : « Der sogenannte antike Zwangsstaat ist ein Wahngebilde von Forschern, die gesetzliche Bestimmungen mit historischen Tatsachen verwechseln ».

33 Szidat 1995, 490.

34 Winterling 1997, 4, n. 8.

35 Vössing 2002, 243-244. Nous remercions l’auteur pour l’envoi de cette publication. La dimension scolaire du Zwangsstaat mériterait une étude particulière dans la mesure où elle constitue un point essentiel de la conception fichtéenne de l’État de contrainte. Voir à ce propos les remarques d’un spécialiste de l’éducation : Heydorn 1980 [1969], 35-40 ; plus récemment Stadler 1999, 32 ; Piché 2003 passim ; Robin 2013, 8-10.

36 Horstkotte 1999, 243.

37 Palme 1999, 118-119 ; Kruse 2006, 95.

38 Horstkotte 1984, 22 : « Dans la mesure où le législateur a imposé des services obligatoires, il a indubitablement donné la priorité aux intérêts publics sur les visées et les intentions privées » (« Soweit der Gesetzgeber Zwangsverpflichtungen aussprach, hat er zweifellos den öffentlichen Belangen den Vorrang vor privaten Zielen und Absichten eingeräumt »). Selon Vittinghoff 1982, 134, le propos des empereurs de la fin de l’Antiquité consistait à répartir les charges de manière rationnelle et équilibrée.

39 Courrier électronique daté du 12 décembre 2020.

40 Meier 2003, 197. Nous remercions l’auteur pour l’envoi de cette publication ainsi que l’éditeur des actes du colloque, le professeur Dariusz Brodka de l’université Jagellone de Cracovie.

41 Ibid., 206-208.

42 Wiemer 2007, 8-9, 12. Nous remercions l’auteur pour l’envoi de cette publication.

43 Nous empruntons l’expression d’émancipation de Mommsen à Heuss 1986, 612.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sylvain Destephen, « L’Empire romain tardif était-il coercitif ? Un débat allemand depuis le XIXe siècle »Anabases, 34 | 2021, 11-27.

Référence électronique

Sylvain Destephen, « L’Empire romain tardif était-il coercitif ? Un débat allemand depuis le XIXe siècle »Anabases [En ligne], 34 | 2021, mis en ligne le 29 octobre 2023, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/12398 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.12398

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Sylvain Destephen

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