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Comptes rendus

Jean-Michel David, Frédéric Hurlet et Martin Jehne (dir.), « La culture politique de la République romaine. Die politische Kultur der römischen Republik »

Clément Bur
p. 281-283
Référence(s) :

Jean-Michel David, Frédéric Hurlet et Martin Jehne (dir.), « La culture politique de la République romaine. Die politische Kultur der römischen Republik », dans Trivium, 31, 2020 (revue en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/trivium.6971).

Texte intégral

1C’est un fait bien connu que le pluri­linguisme en vigueur en histoire ancienne constitue une richesse, mais aussi un frein à la connaissance des travaux de l’historiographie étrangère. C’est particulièrement vrai des travaux publiés dans la langue de Goethe. C’est cet obstacle que s’efforce de lever ce numéro de la revue Trivium, revue en ligne franco-allemande publiant des traductions d’articles de sciences humaines, consacré à la culture politique de la République romaine. Naturellement un tel dossier se place sous les auspices de C. Nicolet et de C. Meier qui furent les pionniers de ces études en France et en Allemagne. Or ces deux « pères-fondateurs » ne collaborèrent pas ensemble et si C. Nicolet s’est intéressé aux travaux de C. Meier, la réciproque n’est pas vraie. Ce sont leurs héritiers, au premier rang desquels J.-M. David, M. Jehne et H. Bruhns, qui, depuis une trentaine d’années, s’efforcent de favoriser le dialogue entre les historiens français et allemands. Cette entreprise est une nouvelle occasion d’y encourager en proposant un bilan de plus d’un demi-siècle de recherches et en faisant (re)découvrir des textes essentiels ayant renouvelé notre conception du politique à Rome.

2Le dossier s’ouvre sur une présentation par J.-M. David des deux modèles interprétatifs de la République romaine, allemand et français, nés dans les années 1960 sous la plume de C. Meier et de C. Nicolet. Bien que les deux suivissent une démarche structurale, ils divergeaient quant à leur approche : C. Meier s’attachait à la crise de l’aristocratie romaine à l’origine de l’effondrement de la République à travers les mutations de la grammaire politique, tandis que C. Nicolet examinait le « métier de citoyen ». L’un restait dans la tradition allemande d’histoire juridique et politique s’appuyant sur la sociologie et l’autre s’inscrivait dans la filiation des Annales en conservant un intérêt pour les questions sociales et économiques. Ces deux modèles, qui s’ignorèrent tout d’abord, eurent une grande postérité, et ce sont donc leurs élèves qui font le bilan de plusieurs décennies de recherche.

3J.-M. David et F. Hurlet offrent un tour d’horizon exhaustif de l’historiographie française de la République romaine depuis 1960. Naturellement la figure de C. Nicolet y occupe une place centrale parce que nombreux furent ses élèves et ceux qui suivirent son exemple. Toutefois l’article commence par souligner la diversité des recherches en rappelant les progrès de l’histoire économique avec J. Andreau, le renouveau de l’histoire religieuse influencée par l’école de Paris avec J. Scheid, ou la portée des travaux de romanistes comme A. Magdelain, M. Humbert et Y. Thomas. Vient seulement ensuite la présentation du « moment Nicolet » puis de « l’École fondée par Nicolet » qui offre une synthèse des travaux de la majorité des historiens français de la République romaine depuis une cinquantaine d’années, signe de l’influence profonde qu’exerça C. Nicolet. Le renouvellement générationnel et thématique est enfin abordé pour souligner la pertinence toujours actuelle du concept de culture politique qui va de pair avec la continuité du recours aux sciences sociales. Une remarque intéressante porte sur la particularité française de l’association de l’histoire et de la géographie dans les cursus universitaires dont découle la sensibilité aux questions spatiales.

4M. Jehne répond par une présentation de l’historiographie allemande sur la République romaine, citant moins d’auteurs mais détaillant davantage leurs travaux. Cette fois, c’est bien sûr C. Meier qui occupe le devant de la scène, plus particulièrement la rupture opérée par son opus magnum et par son concept de « crise sans alternative ». Contrairement à C. Nicolet, C. Meier ne fit pas école mais eut néanmoins des élèves qui prolongèrent ses travaux dans des domaines variés : sur la crise (H. Bruhns et K. Raaflaub), l’ordre public (W. Nippel), les élections (R. Rilinger), ou l’émergence de la nobilitas (K.-J. Hölkeskamp). Sont ensuite abordés l’essor de l’anthropologie historique, les changements de l’histoire économique et sociale, l’histoire du droit où se distingua J. Bleicken, et la réception des ouvrages de C. Nicolet et de P. Veyne en Allemagne. Ce sont en réalité les travaux de F. Millar sur la nature du régime républicain qui rassemblèrent les historiens allemands dans une opposition à l’idée d’une démocratie à Rome. Ce débat favorisa la poursuite des travaux sur la culture politique, comme ceux d’E. Flaig autour du consensus ou d’H. Mouritsen sur les contiones.

5De tels panoramas, nécessairement allusifs, ont toutefois le double mérite de signaler les travaux de la rive du Rhin dont on est le moins familier et de les mettre en perspective. Ils visent ainsi avant tout à favoriser le dialogue en éliminant la barrière de la langue et en faisant connaître les avancées marquantes. C’est le même objectif que suit le reste du dossier composé de traductions en français d’articles de M. Jehne, de K.-J. Hölkeskamp, d’U. Walter puis de celle en allemand d’articles de J.-M. David, de F. Hurlet, de M. Bonnefond-Coudry et de J.P. Guilhembet. Les deux figures tutélaires, C. Meier et C. Nicolet, inaugurent chaque section avec la tra­duction de la préface de leur livre classique : Res publica amissa et Le métier de citoyen.

6S’il n’est pas nécessaire de revenir sur ces travaux bien connus, nous pouvons dire un mot de leur choix. Tous mobilisent bien sûr le concept de culture politique : en le présentant pour s’opposer aux théories de F. Millar (K.-J. Hölkeskamp) ; pour explorer l’inscription des manifestations de violence collective (J.-M. David) ou des appels au passé (U. Walter) dans la grammaire politique ; pour montrer la continuité de la concurrence, typique de la République, sous le Principat (F. Hurlet). Ils sont aussi représentatifs des différentes écoles historiques. Ainsi les articles de M. Bonnefond-Coudry et de J.-P. Guilhembet illustrent l’attention aux questions topographiques caractéristique de l’école française tandis que celui de M. Jehne témoigne de l’intérêt porté aux formes de communications entre les élites et le peuple par l’historiographie allemande.

7Ce numéro de Trivium constitue donc un nouvel appel bienvenu au dialogue entre historiens français et allemands et une initiative salutaire pour préserver le multilinguisme, essentiel pour la finesse et la diversité de la réflexion. L’intérêt d’une telle démarche ne peut que sauter aux yeux à la lecture du dossier que nous recommandons à tous les historiens de Rome.

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Pour citer cet article

Référence papier

Clément Bur, « Jean-Michel David, Frédéric Hurlet et Martin Jehne (dir.), « La culture politique de la République romaine. Die politische Kultur der römischen Republik » »Anabases, 33 | 2021, 281-283.

Référence électronique

Clément Bur, « Jean-Michel David, Frédéric Hurlet et Martin Jehne (dir.), « La culture politique de la République romaine. Die politische Kultur der römischen Republik » »Anabases [En ligne], 33 | 2021, mis en ligne le 10 avril 2021, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/12239 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.12239

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