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Comptes rendus

Antony Augoustakis et Stacie Raucci (éds.), Epic Heroes on Screen

Mathieu Scapin
p. 253-255
Référence(s) :

Antony Augoustakis et Stacie Raucci (éds.), Epic Heroes on Screen, Edinburgh, Edinburgh University Press, 2018, 288 p., £ 80 / ISBN 9781474424516 (hardback), 2019, £ 24,99 / ISBN 9781474454636 (paperback).

Texte intégral

1L’Antiquité au cinéma et à la télévision n’a jamais autant été étudiée que ces vingt dernières années. La raison principale est, bien entendu, le nombre de productions audiovisuelles en constante augmentation jusqu’en 2014. Dans ce contexte, avouons que les chercheurs les plus prolifiques restent les Britaniques et les Nord-Américains.

2Une nouvelle série d’ouvrages consacrée conjointement aux films et séries fait son apparition, Screening Antiquity, pour laquelle les éditeurs du premier volume, A. Augoustakis et S. Raucci, ont l’ambition de proposer des ouvrages à la pointe de la recherche académique (cutting-edge) sur la réception de l’Antiquité, à la fois sur le petit et le grand écran. Epic Heroes on Screen constitue un recueil d’actes d’une journée de conférences internationales, New Heroes on Screen, tenue à Delphes en 2015. L’ensemble des participants et des auteurs des textes sont des chercheurs plus ou moins rompus à ce travail de recherche comme J. Solomon ou L. Llewellyn-Jones par exemple. Le présent volume est séquencé en trois parties thématiques : Hercule d’abord, les héros épiques ensuite, les antihéros pour finir.

3À la date à laquelle se tient le colloque à Delphes, deux films et un direct-to-video sur le héros Hercule ont été distribués l’année précédente, ce qui suffit à justifier qu’une partie des propositions soient axées sur le demi-dieu gréco-romain. L’article de J. Solomon revient nécessairement sur la filmographie d’Hercule en omettant, on pourra lui pardonner, les productions européennes d’avant l’ère Steve Reeves. Les trois auteurs suivants, A. Blanshard, E. Stafford et A. Chiu, s’intéressent aux productions de 2014 : Hercules de Brett Ratner, The Legend of Hercules de Renny Harlin et le téléfilm de série Z Hercules Reborn de Nick Lyon. Globalement, les analyses s’orientent sur le traitement très « moderne » du personnage qui l’éloigne du demi-dieu mis en scène entre 1958 et les années 1980. On regrettera les redites inhérentes d’un article à l’autre et le manque de réflexion sur l’importance de ces créations inter-médiatiques (du comics de Steve Moore au film de Ratner par exemple) ou les éléments qui nous semblent prépondérants sur ce personnage : dans les années 1960, Hercule est présenté comme un demi-dieu, en 2014, c’est avant tout un homme construit sur le modèle d’un avatar de jeu vidéo qui apprend avec l’expérience ou avec l’aide de personnages annexes parfois aussi importants que lui. Ce dernier argument est d’ailleurs soulevé par A. Blanshard mais de manière trop rapide, alors qu’il démontre très bien qu’à l’écran, ce n’est pas Hercule que l’on remarque d’abord mais l’acteur que la plastique rapproche justement de Steve Reeves : Dwayne « The Rock » Johnson. E. Stafford, quant à elle, expose les œuvres d’un artiste pro-Poutine, qui représente le président russe en Hercule accomplissant ses Douze Travaux. Ainsi, elle introduit la notion de reprise politique déjà préexistante dans l’Antiquité et de manière continue tout au long de l’Histoire : l’Empereur Commode, le Tétrarque Maximien ou encore Henri IV. A. Chui s’intéresse à l’importance des compagnons dans le récit du film de Ratner : elle montre, mais de manière trop timide, combien le Hercule actuel au cinéma est plus un homme qu’un demi-dieu. Cette première partie se conclut sur une ouverture de M. E. Safran sur la thématique Hercule, à partir de la série américaine Supernatural, dans laquelle l’auteure montre que la mythologie d’Hercule est sous-jacente à celle du héros Dean Winchester, moins Jésus qu’Héraklès alors que les antagonistes sont tour à tour des anches déchus et des monstres proches du bestiaire monothéiste. Si, individuellement, chaque article apporte un éclairage intéressant sur la figure d’Hercule, on regrettera néanmoins la fragmentation des informations pourtant essentielles sur la façon dont le storytelling des années 2010 réinterprète Hercule au cinéma notamment.

4La deuxième partie s’intéresse à la figure des héros épiques et les modèles à partir desquels ils sont construits puis montrés à l’écran. Le premier article, celui de M. S. Cyrino, est très intéressant. Il expose des théories nouvelles en matière d’étude de personnages antiques au cinéma mais nous a paru bien trop court. Elle expose notamment le fait que Russell Crowe aurait joué intentionnellement le rôle de Noé dans le film éponyme d’Aronofsky de la même façon que Maximus dans Gladiator, afin que le public puisse s’intégrer facilement dans le récit (cela pourrait-il s’apparenter au « Syndrome Jack Sparrow » qui tourmente Johnny Deep dans ses films post-Pirates des Caraïbes ?). La résultante de ce phénomène permettrait donc aux spectateurs de voir en Noé un héros sans faille et aimant, alors que le personnage est plus sombre. Trois autres articles présentent la façon dont sont construits les héros Thésée (M. M. Toscano), Xena (A. K. Strong) et les personnages principaux de la série Atlantis (A. Potter). Les auteurs observent les renversements de perspectives dans lesquelles les protagonistes principaux n’agissent pas forcément de la façon dont on l’attendrait dans les cycles épiques mais plutôt selon des modèles contemporains aux spectateurs : ces films évacuent d’une certaine façon la quête du divin pour faire des héros des êtres humains déconnectés des enjeux supérieurs menés par les dieux et déesses antiques.

5Notons que l’article d’A. K. Strong aurait mérité un développement supplémentaire pour présenter le personnage de Xena, que l’auteure définit comme « polyamoureux » mais qui, selon nous, s’explique davantage comme le choix assumé des créateurs de la série de mettre en avant la relation homosexuelle entre Xena et Gabrielle. La construction des relations entre Xena et ses différents partenaires servirait plutôt à exacerber, dans l’esprit du spectateur des années 1990, les liens entre les deux personnages principaux féminins. Une vision plutôt audacieuse et assumée pour une production grand public de cette époque qui est, à mon sens, bien plus qu’un sous-texte queer défendu par A. Strong…

6Enfin, l’article d’H. Gardner revient sur la construction du héros dans le film Centurion (2010). Il est judicieusement placé en fin de chapitre, comme pour introduire la figure de l’antihéros qui n’agit pas comme on l’attendrait d’un récit épique : absence de sacrifice héroïque, idéologisation des thèmes, fuite en avant, absence de restau­ration d’un ordre moral...

7La dernière partie est composée de quatre articles tout aussi divers mais présentant, dans leur ensemble, les mêmes productions cinématographiques : 300 de Snyder, Alexandre de Stone et Clash of The Titans de Letterier (remakes plus ou moins assumés de péplum des années 1950-1960). D. Curley, dans le premier article, théorise les rôles joués par les antihéros dans le récit et emploie sa démarche pour films cités précédemment, ainsi que pour celui d’Hercules de Brett Ratner. Les exemples choisis correspondent à sa théorisation puisqu’elle s’applique à des histoires concentrées autour d’une figure majeure construite sur le modèle du « monomythe ». Il montre bien comment le film Alexandre d’Oliver Stone retourne complètement l’image de celui du film de Robert Rossen de 1956, tout comme le Clash of The Titans de 2010 s’émancipe de celui de 1981.

8L. Llewellyn-Jones revient sur le cas 300, et le destin qu’a connu ce film au Moyen-Orient, notamment en Iran. On regrettera cependant, comme à l’accou­tumée, lorsqu’il est question d’une adap­tation d’un comics, que l’analyse soit un peu trop décontextualisée de sa source dessinée et son auteur (dans la mesure où le film respecte plutôt graphiquement le comics) : oui, le discours présenté dans 300 est problématique et dangereux sur tous les plans, mais l’analyse du film ne doit pas être dissociée de celle de l’œuvre de Miller, ouvertement néoconservateur et dont l’œuvre fait montre de son adhésion au lobby des armes et à la guerre en Irak et Afghanistan. 300 s’inscrit dans un mouvement de création complètement bouleversé par les évènements du 11 septembre 2001 comme le montre très bien l’article de Vincent Tomasso. En effet, les productions cinématographiques sont irrémédiablement transformées et montrent une vision bien différente de la société américaine et du monde. Dans le cadre du néo-péplum, ce changement s’opère avec Troie de Petersen (2004), qui amorce une réflexion sur la représentation du divin et des dieux au cinéma : c’est la fin de la pensée mythique, de l’hégémonie des êtres puissants non-humains. Pour l’auteur, le traumatisme mondial du 11 septembre a obligé les Nord-Américains à se reposer la question de leur identité multiple. Le dernier article, celui d’A. McAuley, présente une thématique assez intéressante sur les rapports possibles à faire entre les biopics de personnages contemporains au cinéma et le mécanisme de la Laudatio funebris, en prenant notamment pour exemple celui de Steve Jobs.

9L’ouvrage est complété d’une biblio­graphie bien fournie mais anglophone (mis à part deux travaux de Claude Aziza et un de Michel Éloy). Elle est le malheureux reflet des deux traditions de réception : l’anglo-saxonne, déjà en avance sur la question de l’Antiquité au cinéma, très souvent publiée, prolifique (on ne compte plus le nombre de thèses soutenues sur la question), quitte à tourner en rond ; la francophone, bouillonnante, en pleine expansion mais peu accessible du fait des publications trop rares. Cet Epic Heroes on Screen marque cette dichotomie : intéressant pour les non-spécialistes, parfois novateur sur certaines questions théoriques mais avec ce sentiment que les thèmes ont du mal à être renouvelés. Une lecture à conseiller malgré tout.

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Pour citer cet article

Référence papier

Mathieu Scapin, « Antony Augoustakis et Stacie Raucci (éds.), Epic Heroes on Screen »Anabases, 32 | 2020, 253-255.

Référence électronique

Mathieu Scapin, « Antony Augoustakis et Stacie Raucci (éds.), Epic Heroes on Screen »Anabases [En ligne], 32 | 2020, mis en ligne le 20 octobre 2020, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/11366 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.11366

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