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AccueilNuméros32AteliersAntiquités numériques (n° 3)In memoriam Jean-Louis Ferrary

Ateliers
Antiquités numériques (n° 3)

In memoriam Jean-Louis Ferrary

Clément Bur et Thibaud Lanfranchi
p. 235-236

Texte intégral

1Le 9 août dernier, Jean-Louis Ferrary s’est éteint à Paris, après de longs mois à lutter contre la maladie. Avec lui, l’histoire de l’Antiquité romaine perd un de ses plus grands historiens et un érudit de premier plan. Ancien élève de l’École normale supérieure de Paris (1967-1971), agrégé de lettres classiques (1970), ancien membre de l’École française de Rome (1973-1976), Jean-Louis Ferrary était un parfait représentant de ces antiquisants au parcours d’excellence si propre à l’université française. Après avoir enseigné à la Sorbonne (1971-1973 puis 1976-1989), il devint chargé de conférences (1983-1989), puis directeur d’études (1989-2016) à l’École pratique des hautes études (section des sciences historiques et philologiques). Élu à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres en 2005, il était aussi membre ou correspondant de plusieurs académies étrangères (Istituto Lombardo, Society for the Promotion of Roman Studies, ou encore American Philosophical Society par exemple) et était le directeur de la série latine de la Collection des Universités de France. Ce parcours en droite ligne l’avait aussi conduit à assumer de multiples fonctions administratives en France et à l’étranger. Il avait ainsi assumé la direction du centre Gustave Glotz de 1995 à 2005 ou encore la direction du conseil d’administration de l’École française de Rome (2011-2016) avant de représenter l’Institut au sein du Conseil scientifique et du Conseil d’administration de cette même institution de 2017 à 2020. En Italie, il avait été un membre important du Centre d’étude des droits de l’Antiquité (CEDANT) fondé à Pavie par D. Mantovani, présent dès la première session en 2003, consacrée aux lois des XII Tables. Partout, son assiduité, son expérience, la justesse de ses jugements et de ses opinions donnés sur un ton toujours mesuré ont laissé un souvenir unique.

2Au-delà de ces éléments factuels (volontairement non exhaustifs), c’est l’ampleur des champs couverts qui impressionne. Sa thèse de doctorat d’État (publiée sous le titre Philhellénisme et impérialisme en 1988) illustre une de ses premières amours : les rapports de Rome avec le monde hellénophone et l’histoire des cités grecques sous domination romaine. Ce filon jamais interrompu le conduisit à la publication des mémoriaux des délégations de Claros et un recueil de ses articles dans ce domaine a paru en 2017 (Rome et le monde grec. Choix d’écrits). Toutefois, dès ses débuts, Jean-Louis Ferrary s’est aussi intéressé aux institutions ainsi qu’aux idées politiques et philosophiques à Rome, avec un intérêt tout particulier pour le droit romain. De ses articles sur la législation de Saturninus et Glaucia à ceux sur les pouvoirs d’Auguste en passant par ses travaux sur les lois comitiales ou ses articles du CEDANT, la production de Jean-Louis Ferrary en la matière est en tout point remarquable et trouve son point d’aboutissement dans le projet collectif du LEPOR, initié avec P. Moreau, dont la mise en ligne est annoncée dans les pages qui précèdent. De même, son article de 1982 sur « Le Idee politiche a Roma nell’ epoca repubblicana » demeure une lecture incontournable. Enfin, Jean-Louis Ferrary s’est passionné pour l’historiographie et plus particulièrement pour les recherches antiquaires de la période humaniste, notamment celles qui concernent les institutions romaines. Son livre sur Onofrio Panvinio est une bonne illustration de son apport à l’histoire de l’humanisme et il continua à travailler sur ce domaine jusque tout récemment comme en témoigne son article dans le volume du CEDANT consacré à Gaius. Dans toutes ces recherches, Jean-Louis Ferrary mettait à profit ses compétences hors pair de latiniste et d’helléniste (deux langues qu’il maîtrisait parfaitement), de philologue, d’épigraphiste et d’historien. « Il sait tout », comme le disaient souvent ceux qui le fréquentaient mais son immense érudition n’était jamais assénée pour embarrasser. Elle était là pour aider.

3Nous avons eu la chance de suivre, durant de longues années son séminaire du mercredi matin. Il faut rappeler brièvement l’impression qu’il pouvait produire sur de jeunes étudiants surtout que, lorsque nous y vînmes la première fois, en maîtrise (cela s’appelait encore ainsi), il se déroulait encore en Sorbonne, dans les vieilles salles lambrissées de l’EPHE. Jean-Louis Ferrary travaillait alors (2003-2004) sur les lois romaines et s’efforçaient de retrouver, à partir du texte grec attesté, le formulaire latin originel de certaines lois. Dans la salle, les premiers rangs étaient occupés par les professeurs et membres habitués de l’auditoire, les nouveaux venus étant relégués plus au fond (une disposition qui éclata dans les nouvelles salles de la rue Vivienne). C’était une expérience peu commune que de le voir poursuivre ses raisonnements, passer du grec au latin puis au français, convoquer une historiographie pluriséculaire pour élaborer sa démonstration. Nous ne comprenions pas tout, si ce n’est peut-être que se jouait là une démarche authentiquement scientifique dont nous n’étions pas sûr d’être jamais capables. Même sans tout comprendre, même en nous y perdant un peu parfois, il y avait toujours quelque à chose à retirer. Nous avons suivi ce séminaire jusqu’à ce que la vie professionnelle nous éloigne de Paris : les lois romaines, la carrière de Q. Mucius Scaevola, la prosopographie des mémoriaux de Claros, etc. Les thèmes étaient variés, rarement directement utiles pour nos recherches, mais en réalité toujours profitables par la démarche et par ce qui s’y déroulait : les conclusions auxquelles parvenait Jean-Louis Ferrary étaient des gouttes de savoir pur obtenues après une longue et scrupuleuse distillation. Elles donnaient lieu à des articles qui semblaient presque clore définitivement le problème abordé, à l’instar de celui sur les pouvoirs d’Auguste. À tous les deux, Jean-Louis Ferrary fit l’honneur de nous demander de présenter un aspect de nos travaux de recherche durant son séminaire. Honneur peu fréquent mais redoutablement angoissant, qui nous conduisit à des semaines d’intenses préparations dans le but de ne pas se ridiculiser. Inquiétude bien inutile tant il faisait en fait preuve de gentillesse et de bienveillance. S’il prêtait les livres rares dont nous avions besoin, il offrit aussi à l’un d’entre nous une brochure sur les pouvoirs tribuniciens de 1826 que ce grand acheteur de livres avait trouvée lors de ses pérégrinations sur internet. Il était toujours généreux de son temps, acceptant de nous relire avec minutie ou de discuter longuement des différents problèmes que nous rencontrions. Pour cela, nul besoin de rendez-vous, il suffisait de toquer à sa porte. Nos thèses à tous les deux (et à tant d’autres) sont assurément sorties moins imparfaites de la fréquentation de ce séminaire, des lectures et des conseils prodigués par Jean-Louis Ferrary. À chaque passage au Centre ANHIMA, nous retournions le voir car il était toujours là, fidèle au poste, dans son bureau du premier étage donnant sur la rotonde, où s’amoncelaient livres et travaux en cours. Il n’y sera plus désormais et le vide qu’il laisse ne se comblera pas.

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Pour citer cet article

Référence papier

Clément Bur et Thibaud Lanfranchi, « In memoriam Jean-Louis Ferrary »Anabases, 32 | 2020, 235-236.

Référence électronique

Clément Bur et Thibaud Lanfranchi, « In memoriam Jean-Louis Ferrary »Anabases [En ligne], 32 | 2020, mis en ligne le 20 octobre 2022, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/11343 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.11343

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Auteurs

Clément Bur

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