Élise Lehoux, Mythologie de papier. Donner à voir l’Antiquité entre France et Allemagne (xviiie siècle-milieu du xixe siècle)
Élise Lehoux, Mythologie de papier. Donner à voir l’Antiquité entre France et Allemagne (xviiie siècle-milieu du xixe siècle), préface de François Lissarrague, Dijon, Éditions Universitaires de Dijon, 2018, 361 p., 25 € / ISBN 9782364412750.
Texte intégral
1Dans cet ouvrage de 361 pages issu de sa thèse soutenue en 2015 et dirigée par François Lissarrague à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Élise Lehoux (EL) a cherché à retracer l’histoire de la mythologie figurée en France et en Allemagne, du xviiie siècle au xixe siècle, période plutôt négligée par l’historiographie. Pour ce faire, elle a croisé plusieurs disciplines : histoire des religions, histoire du livre, histoire des techniques de reproduction, histoire de l’enseignement.
2Son étude se compose de trois parties. Débutant par l’ère des Antiquaires et leurs mythologies illustrées, elle se poursuit par la présentation des premiers livres d’images sur la mythologie qui paraissent en Allemagne puis en France. Elle s’achève avec l’histoire des deux genres majeurs du livre archéologique : les monuments et les recueils spécialisés sur la céramique. Le lecteur est conduit à comprendre la constitution d’un savoir mythologique dans le cadre de la professionnalisation de l’archéologie, entre 1820 et 1850. Pour l’auteure, en effet, « les mythologies de papier » doivent être étudiées comme des laboratoires donnant accès à une forme de connaissance ainsi qu’à sa transmission à différentes échelles. La mise en parallèle des savants de la France et de l’Allemagne souligne la différence des cadres institutionnels entre les deux pays.
3Dans la première partie qui traite de l’émergence de la mythologie figurée (p. 21-109), l’auteure s’interroge sur l’apport de trois personnalités majeures pour son sujet. Si Bernard de Montfaucon est l’« ancêtre fondateur » d’une nouvelle interprétation des images, le comte de Caylus est présenté comme l’innovateur et Johann Joachim Winckelmann comme l’inventeur d’une nouvelle discipline : l’histoire de l’art. C’est moins la biographie de ces personnalités qui nourrit l’intérêt de l’historienne que leur méthode d’analyse des images, leur réseau d’informateurs en Europe et leur place dans la construction du savoir mythologique par l’image et les textes. Le second chapitre de cette partie prend en compte l’apport pédagogique des images dans les livres illustrés. Alors qu’en France, il s’agit de former les jeunes gens à une culture élitiste, en Allemagne, un large lectorat est recherché par les premiers ouvrages archéologiques illustrés. Pour autant, ces « musées de papier » ne sont pas seulement des manuels à vocation pédagogique. S’ils cherchent autant à instruire qu’à séduire, ils ont aussi pour finalité de conserver, d’analyser et de diffuser des connaissances en colligeant tous les supports : vases, sculptures, monnaies, gemmes.
4La seconde partie, riche de trois chapitres, porte sur deux notions : la formalisation et l’uniformisation des savoirs sur la mythologie, dans les années 1800-1820 (p. 113-230). Dans sa présentation des Bildbücher sur la mythologie, EL souligne l’évolution de ces livres d’images tant pour leur forme que pour leur apport à différents publics en Allemagne (1800-1820), en France (1800-1850) et en Europe, entre 1820 et 1900. Comme dans la partie précédente, les personnalités sont les jalons de la généalogie des mythologies de papier. À tous, elle applique la même méthode : éléments biographiques, objectifs recherchés et analyse de l’image. Elle souligne l’originalité du « moment Creuzer » du nom de cet archéologue qui considéra la mythologie antique et figurée comme un langage symbolique. Traduit en français par Joseph-Daniel Guigniaut, son œuvre eut une grande influence en Europe. Le second chapitre est un hommage rendu à Aubin-Louis Millin, premier professeur d’archéologie en France, présenté comme un des derniers polymathes de l’époque moderne. Sa Galerie mythologique, dont est relatée la genèse et analysée la structure, fut publiée dans un petit format. Tout en rappelant par son titre le lieu d’exposition des œuvres d’art, ce livre est novateur par l’insertion de récits mythologiques. Dans le troisième chapitre de cette partie, l’auteure présente de façon détaillée le premier manuel de mythologie figurée, le Handbuch composé par K. O. Müller, livre dont le succès fut européen. Jean-Antoine Letronne en a souligné la qualité et l’intérêt en félicitant son auteur : « Vous êtes, Monsieur, du petit nombre de ceux qui unissent la science des mots à celle des choses. »
5Loin d’être une énumération fastidieuse de tous les savants qui ont œuvré à la constitution d’un savoir archéologique fondé sur l’étude des images mythologiques, ce livre séduit par la finesse de ses analyses, la qualité de ses illustrations et la clarté de son exposition. Il raconte comment d’esthétique, l’image mythologique est devenue un document iconographique. Dans ce type d’essai, les figures les plus fortes pourraient souffrir d’une esquisse qui les rangerait à la suite d’autres, plus mineures. Mais l’auteure ne tombe pas dans ce travers. Ses portraits sont hiérarchisés et les influences mutuelles sont soulignées tout au long de la démonstration.
6De plus, EL accorde une large place aux graveurs et aux peintres qui ont fait de ces monuments de papier des œuvres d’art par la qualité de leurs dessins ou peintures. C’est là un des intérêts de son enquête que l’attention portée à la technique de reproduction des images. Il y eut la gravure au trait aussi bien sur métal, sur bois qu’en lithographie, réalisée par John Flaxman (1755-1826), puis la « machine Collas », le pantographe en trois dimensions inventée en 1836 qui permet de réduire des bas-reliefs de grandes dimensions. Quant à la prestigieuse collection des vases grecs réunis par l’ambassadeur et collectionneur anglais Hamilton, elle est composée de 180 images qui sont de véritables tableaux. EL ne se contente donc pas d’une approche descriptive, elle ne néglige ni la mise en page, ni les jeux graphiques, ni les montages opérés pour donner sens aux images et orienter le lecteur. Elle souligne ainsi que l’évolution des techniques contribue à l’évolution de l’esthétique.
7Une bibliographie complète cet ouvrage de référence pour tous ceux qui s’intéressent aux origines de l’archéologie et au statut de la représentation dans l’étude des religions.
Pour citer cet article
Référence papier
Geneviève Hoffmann, « Élise Lehoux, Mythologie de papier. Donner à voir l’Antiquité entre France et Allemagne (xviiie siècle-milieu du xixe siècle) », Anabases, 31 | 2020, 251-252.
Référence électronique
Geneviève Hoffmann, « Élise Lehoux, Mythologie de papier. Donner à voir l’Antiquité entre France et Allemagne (xviiie siècle-milieu du xixe siècle) », Anabases [En ligne], 31 | 2020, mis en ligne le 27 juin 2020, consulté le 11 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/11056 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.11056
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