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Comptes rendus

Hans Kopp et Christian Wendt (éds.), Thalassokratographie. Rezeption und Transformation antiker Seeherrschaft

Hinnerk Bruhns
p. 244-246
Référence(s) :

Hans Kopp et Christian Wendt (éds.), Thalassokratographie. Rezeption und Transformation antiker Seeherrschaft, Berlin, De Gruyter, 2018, 316 p., 79,95 € / ISBN 9783110568899, ISSN 18645208.

Texte intégral

1Et si le lecteur commençait par la fin ? Dans ce cas, il visiterait des parcs d’attractions à thème dans différents pays européens, revivrait des aventures d’Ulysse et en sortirait, trempé peut-être, mais fortement impressionné par la dangerosité de la Méditerranée et la « bravery in dominating the seas » (p. 298) du héros grec. Laissons la question ouverte de savoir si Ulysse a dominé la mer ou si ce n’est pas plutôt l’inverse et revenons au début du livre où les directeurs de cette publication expliquent le néologisme qu’ils ont choisi pour titre. Ce n’est pas la « Seeherrschaft » (thalassocratie, imperium maris, dominium maris) dans sa dimension politico-militaire à certaines époques de l’Antiquité et sa « réception » dans l’historiographie ulté­rieure qui sont l’objet de l’enquête, mais au contraire la réflexion, et les traces qu’elle a laissées, sur un phénomène beaucoup moins univoque, beaucoup plus diffus, où se mêlent des dimensions politiques et stratégiques avec des discours de nature légitimatrice (la domination), de recherche identitaire ou de nature polémique avec des débats juridiques ou encore avec des aspirations à dominer le monde entier. Montrer l’enchevêtrement entre une multitude et grande variété de « discours », au sens très large, sur la thalassocratie, d’une part, la réception de l’Antiquité d’autre part, est l’ambition affichée ici. Renoncer ainsi à une définition étroite de l’objet signifie une grande liberté pour les contributeurs qui, c’est la loi du genre, n’ont pas forcément exactement la même vision que ceux qui ont organisé le colloque berlinois de 2015 et composé ce recueil.

2Mais c’est tout bénéfice pour le lecteur. S’il fait l’effort de lire la longue introduction, il a à sa disposition des instruments de méthode et de compréhension qui lui permettent de profiter doublement de la richesse de la douzaine de chapitres, dont la moitié en anglais : on peut les lire de façon « naïve », sans les relier aux réflexions méthodologiques exposées dans l’introduction, mais aussi à travers les lunettes réflexives pro­posées par Hans Kopp et Christian Wendt. Les deux premiers chapitres en sont de bons exemples : Hartmut Böhme étudie la « transformation » moderne de représentations antiques de l’océan chez Christophe Colomb et Alexander von Humboldt, tandis que Christian Wendt analyse la relation homme-mer dans l’Antiquité et sa réception ultérieure. L’analyse de la réception se transforme ici en une recherche sur de nouvelles perspectives permettant de comprendre autrement les phénomènes antiques.

3Les regards ambivalents de Rome et de l’Angleterre (dans les années 1732-1759) sur la domination maritime athénienne sont étudiés par Ernst Baltrusch et Ben Earley. Le cas anglais est d’autant plus intéressant que c’est John Dee, entre autres conseiller en science et en astrologie de la reine Elizabeth, mais aussi conseiller en navigation lors des grandes découvertes et inventeur du terme Empire Britannique, qui, vers la fin du xvie siècle, introduit le terme antique thalattocratia dans le débat politique moderne, empruntant l’expression à Strabon chez qui elle apparaît pour la première fois dans l’Antiquité. Ce chapitre de Hans Kopp sur John Dee et la redécouverte de la thalassocratie au xvie siècle montre bien la différence entre une approche philologique qui retrace l’histoire des mots dans des textes et traductions, d’une part, et d’autre part la mise à jour d’un concept, sa réinterprétation, sa trans­formation et son introduction dans un contexte nouveau. La contribution de Louis Sicking sur les Pays-Bas habsbourgeois étend le spectre des thèmes abordés au-delà des aspects symboliques et de représentation inhérents aux évocations de l’Antiquité. Pour être souverain de la mer, de quelle flotte l’Empereur a-t-il besoin : de navires loués en cas de besoin ou achetés pour constituer une flotte permanente ? Quels impôts pour la payer, quelle finalité : la sécurité de la mer pour le commerce ?

4Au tournant du xvie au xviie siècle, c’est le droit romain, comme nous le rappelle Kaius Tuori, qui est mobilisé par Hugo Grotius (Mare Liberum, 1609) dans l’intérêt de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales dans son conflit avec le Portugal et l’Espagne, défendeurs, comme l’Angleterre, de la conception du mare clausum, pour soutenir la liberté de commerce sur mer et l’exploitation libre des ressources de la mer. Pour les Romains la mer ne se trouvait pas dans le même régime juridique que la terre : « The limit of the sea was a limit of the law, it was common property of all mankind, meaning it could not be owned or controlled » (p. 214). Grotius arrivait à la même conclusion par le biais d’une argumentation différente : c’est le droit privé romain qui réservait la mer, res nullius, à l’usage de l’humanité tout entière.

5Dans la dernière section du livre trois chapitres sont consacrés à des discours très différents sur les dominations antique et moderne sur la mer. Barry Strauss traite de trois « modern naval thinkers », deux amiraux américains du xixe et du xxe siècle, ainsi que d’un géopoliticien anglo-américain contemporain. Dans les trois cas, les références aux dominations et stratégies navales antiques n’ont finalement qu’un intérêt limité. Joshua Derman s’intéresse dans une étude stimulante et bien documentée à deux penseurs de la géopolitique, deux juristes allemands de la période national-socialiste et du début de la guerre froide : Carl Schmitt et Ernst Wolgast, nés d’ailleurs la même année, 1888. On connaît la vision schmittienne de l’histoire : une lutte permanente entre des puissances terrestres et maritimes. Moins connues sont les théories de Wolgast. Si pour Carl Schmitt la thalassocratie est surtout aussi un topos de sa polémique anti-anglaise, Wolgast part de l’exemple athénien et accorde, dans une analogie directe, à la thalassocratie britannique le rôle central dans un nouvel ordre maritime du monde.

6Edith Foster, enfin, nous transporte du règne maritime d’un Périclès ou Thucydide vers les premières représentations de la domination sur les airs chez Giulio Douhet, théoricien italien de la guerre aérienne, vers la littérature de fiction d’un H. G. Wells et, en bouclant la boucle, vers Rex Warner, traducteur de La guerre du Péloponnèse (1954), qui, alors que la Luftwaffe de Hermann Göring bombarde Londres, met en scène dans son roman The Aerodrome: A Love Story (1941) une incarnation moderne de Périclès : the Air-Vice-Marshal. Ici, la question de la réception-transformation fonctionne dans le sens inverse : la guerre moderne, la guerre aérienne menée par un type d’homme qui fonctionne selon une rationalité inédite, a-t-elle influencé la traduction et l’interprétation de l’œuvre de Thucydide par Warner ?

7Somme toute un livre riche et stimulant, bien fait, agréable à lire et à tenir entre ses mains. Un index des personnes, des concepts et lieux géographiques, ainsi que d’événements historiques marquants permet au lecteur de naviguer facilement sur les océans si variés présentés ici.

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Pour citer cet article

Référence papier

Hinnerk Bruhns, « Hans Kopp et Christian Wendt (éds.), Thalassokratographie. Rezeption und Transformation antiker Seeherrschaft »Anabases, 31 | 2020, 244-246.

Référence électronique

Hinnerk Bruhns, « Hans Kopp et Christian Wendt (éds.), Thalassokratographie. Rezeption und Transformation antiker Seeherrschaft »Anabases [En ligne], 31 | 2020, mis en ligne le 27 juin 2022, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/11022 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.11022

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