Philip Walsh (éd.), Brill’s Companion to the Reception of Aristophanes
Philip Walsh (éd.), Brill’s Companion to the Reception of Aristophanes, Leyde et Boston, Brill, 2016, 433 p., 155 € / ISBN 9789004270688.
Texte intégral
1La réception d’Aristophane a suscité plusieurs travaux ces dix dernières années, dans le sillage des études sur la réception des poètes tragiques. Paru deux ans après la somme de plus de mille pages réunies par S. Douglas Olson, le volume de 433 pages édité par Walsh pourrait faire pâle figure. Plusieurs chapitres méritent cependant largement le détour. C’est le cas par exemple du premier, dans lequel Niall Slater propose un panorama utile de la réception antique d’Aristophane, c’est à dire du devenir à la fois du texte et des représentations. Charles Platter parcourt ensuite les différentes approches interprétatives dont Aristophane a fait l’objet au xxe s. (féministe, politique, anthropologique avec Bakhtine, intertextuelle) et termine avec la prise en compte de la performance et des études de réception. Cette conception au sens large du champ de la réception, qui englobe celui des interprétations savantes, est tout à fait bienvenue et montre bien que les études de réception ne sont pas à côté des études classiques mais essentielles à toute étude sur un auteur donné : l’état de l’art fait partie de la réception, qu’il modèle à son tour. James Robson, « Aristophanes, Gender and Sexuality », porte sur la réception « on the page, on the stage » des contenus sexuels chez Aristophane et plus précisément de Lysistrata dans le monde anglophone. Stavroula Kiritsi s’intéresse à la place d’Aristophane dans l’enseignement et les mises en scène pour enfants en Grèce ; c’est un matériau peu exploré qu’elle présente là, en repartant du xiie s. byzantin, et qui permet de dresser bien des parallèles avec ce qui s’est fait dans le reste du monde. Le très beau chapitre qui suit, dû à Josh Given et Ralph Rosen, élargit encore, avec bonheur, le champ de la réception en s’intéressant à la place d’Aristophane dans l’enseignement des undergraduates aux États-Unis, dans le cadre de cours ayant pour objectif le développement des compétences en communication écrite et orale et de la pensée critique. Il présente deux expériences pédagogiques, celle d’un cours transversal sur le scandale et les arts dans les sociétés ancienne et moderne et celle d’une mise en scène de Lysistrata. Les deux posent la question de savoir ce que l’on souhaite qu’un étudiant non helléniste retienne d’Aristophane – qu’il résume pour sa part ainsi : « a desire to understand a distant past in terms that make sense to ourselves » (p.108) – et le meilleur moyen d’y parvenir. Matthew Kinservik centre son propos sur Fielding et Foote, qui tous deux furent qualifiés de « modern Aristophanes » dans l’Angleterre du xviiie s. Il propose une analyse fouillée des utilisations de la comparaison avec le poète comique et montre qu’elle est rarement positive. Mark Payne s’intéresse au rôle des animaux et plus généralement de l’animalité dans la comédie ancienne à la lumière des recherches récentes en études animales. Donna Zuckerberg analyse la construction de la persona du poète comique en dressant un parallèle avec des figures contemporaines de la culture populaire américaine comme Stephen Colbert ou Bill Cosby.
2La seconde partie, « Outreach : Adaptations, Translations, Scholarship, and Performances », s’ouvre sur deux chapitres consacrés à la réception d’Aristophane en France. Cécile Douduyt montre de manière très convaincante comment les deux tentatives françaises de réécrire Aristophane au xvie puis xviie s., La Néphélococcugie de Pierre Le Loyer et Les Plaideurs de Racine, ne relèvent ni de la traduction ni de l’adaptation mais d’un mélange des deux, car l’on retrouve dans les deux cas de longs passages traduits mais aussi un profond remaniement notamment de l’intrigue. Rosie Wyles révèle comment Anne Dacier, en changeant le genre des deux Discours dans sa traduction des Nuées non seulement gomme le contenu homosexuel alors problématique de l’agôn, pour réhabiliter le poète comique et le rendre acceptable, mais aussi influe sur la réception notamment anglaise du poète et de cette comédie. Philip Walsh présente différentes traductions d’Aristophane en anglais au xixe s., qui se caractérisent par une attention commune pour la métrique du poète comique et le souci de la rendre en anglais. Il poursuit avec la « traduction en images » de Lysistrata que constituent les illustrations d’Aubrey Beardsley ; à la différence des traductions textuelles, ces illustrations n’expurgent pas la comédie et annoncent en cela la fascination qu’elle a suscitée au xxe s. Gonda Van Steen étudie une réécriture réflexive d’Aristophane due au poète grec Nikolaras, qui invente alors un genre proche de la revue et appelé à un bel avenir en Grèce. Le Cambridge Greek Play est évoqué par C.W. Marshall à travers le prisme d’un personnage, J.T. Sheppard, et d’une comédie, les Oiseaux, dans laquelle il joua, encore étudiant, le rôle de Peisthetairos en 1903 avant de reprendre la pièce en 1924. Il montre de manière tout à fait convaincante l’entrelacement de l’évolution des études classiques à Cambridge et le rôle grandissant de l’outreach, dont le Cambridge Greek Play fut très tôt un élément essentiel. Mike Lippman analyse la réception d’Aristophane par le grand vulgarisateur que fut Gilbert Murray, davantage connu pour ses travaux sur Euripide : il dresse du même coup un panorama des différentes lectures savantes du poète comique dans la première moitié du xxe s. Gregory Baker expose le contexte nationaliste de réflexion sur la langue qui a vu naître les traductions d’Aristophane en Écosse, et l’importance politique de ces traductions. Le dernier chapitre est consacré à l’analyse de quarante affiches de mises en scène de Lysistrata ; Alexandre Mitchell décèle deux grands courants, l’un « traditionnel », donnant à voir des femmes se refusant aux hommes et les manipulant, et l’autre, qu’il qualifie de féministe, où l’on trouve de nombreuses allusions à l’iconographie pacifiste.
3On le voit, les pistes sont nombreuses et riches. On pourra regretter que le volume n’accorde qu’une place très réduite au devenir d’Aristophane à Byzance, comme s’il s’agissait d’une parenthèse sans importance, limitée à la pure reproduction du texte, avant que l’Occident ne vienne lui redonner du sens. De la même manière, la réception du poète comique dans l’Europe de la Première modernité, essentielle, est en bonne partie passée sous silence : sans les contributions sur la France, ce qui se passe après la redécouverte du poète grec en Occident et jusqu’au xviiie s. est largement escamoté. L’apport fondamental de l’Italie, l’abondance des traductions latines, les expériences de mises en scène n’existent pas, alors qu’elles furent le terreau de l’explosion que connaît la réception du poète comique au xviiie s. Plus généralement, même après cette date, l’apport de l’Italie, de l’Allemagne, de l’Espagne, du Portugal est absent. Cette réserve mise à part, on reconnaîtra à l’ouvrage, et notamment à l’introduction, une réflexion approfondie sur le concept même de réception. C’est peut-être en cela que ce volume est le plus intéressant, et se distingue de celui de Douglas Olson : par la manière réflexive dont il définit tout en l’élargissant le champ des études de réception.
Pour citer cet article
Référence papier
Malika Bastin-Hammou, « Philip Walsh (éd.), Brill’s Companion to the Reception of Aristophanes », Anabases, 30 | 2019, 258-259.
Référence électronique
Malika Bastin-Hammou, « Philip Walsh (éd.), Brill’s Companion to the Reception of Aristophanes », Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10280 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10280
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