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Comptes rendus de lecture

Gabriella Pironti et Corinne Bonnet (dir.), Les dieux d’Homère. Polythéisme et poésie en Grèce ancienne

Sandya Sistac
p. 253-254
Référence(s) :

Gabriella Pironti et Corinne Bonnet (dir.), Les dieux d’Homère. Polythéisme et poésie en Grèce ancienne, Kernos, Supplément 31, Liège, Presses Universitaires de Liège, 2017, 262 p., 25 euros / ISBN 978-2-87562-130-6

Texte intégral

1Cet ouvrage collectif, dirigé par G. Pironti et C. Bonnet, est le fruit d’un atelier de recherche qui s’est tenu à Rome, entre l’Academia Belgica et l’École Française de Rome en septembre 2015. Publiés dans un premier temps en italien chez Carocci Editore, ces actes sont désormais disponibles en français à l’attention des chercheurs en quête d’un renouvellement dans l’approche des poèmes homériques. L’ouvrage propose ainsi une relecture multiple de l’Iliade et de l’Odyssée à la lumière du polythéisme qui les habite.

2L’objet de la réflexion, tel qu’il est posé en introduction par les directrices de l’ouvrage, est double : armé des outils issus de l’anthropologie des mondes anciens, il s’agit de prendre toute la mesure de l’importance des dieux d’Homère dans la compréhension des poèmes eux-mêmes, mais également dans la manière d’appréhender le fonctionnement du poly­théisme grec.

3L’ouvrage se décline en trois grandes parties. La première, intitulée « Raconter les puissances divines », fait intervenir, dans un premier chapitre, une étude de M. Bettini portant sur les régimes de visibilité des dieux homériques. L’auteur montre que l’aspect des dieux varie selon le registre narratif dans lequel ils se trouvent : divin ou humain. Ce dernier est ainsi le théâtre d’une variété de procédés de mise en présence – ou de camouflage – des dieux dont la principale caractéristique serait d’être insaisissable, sans forme fixe initiale et « vraie », amenant ainsi à délaisser la notion de « métamorphose » au profit de celle de « morphose » ou de « diamorphose » (p. 26) lorsqu’il est question de l’apparence des puissances divines. Poursuivant dans le registre des perceptions du divin, A. Grand-Clément propose, dans le deuxième chapitre, une réflexion autour des rôles des couleurs et des sens dans les poèmes. L’étude prête une attention particulière aux modalités des contacts physiques entre hommes et dieux ainsi qu’à l’association de couleurs spécifiques à certaines divinités ce qui, suivant un raisonnement « théo-logique », permet de définir un peu plus leurs champs d’action. Pour clore cette première partie, G. Pironti consacre le troisième chapitre aux rôles charnières – et complémentaires – de Zeus et d’Héra dans la mécanique des récits homériques. L’étude s’arrête en particulier sur un épisode du chant VI de l’Iliade, la Dios apatē, qui voit Héra mobiliser tout un arsenal de puissances pour littéralement endormir la méfiance de Zeus et agir selon son propre dessein, tout en actionnant un rouage essentiel à la poursuite du plan de Zeus. Ainsi, tout en demeurant le « réalisateur absolu » (p. 83) de sa boulē, Zeus doit compter avec les volontés des autres divinités, en particulier celle de sa sœur-épouse qui sans cesse agit et réagit, avec et contre lui.

4La deuxième partie nous fait circuler « Entre l’Olympe et la terre », d’abord à travers l’analyse des scènes d’assemblée divine proposée par C. Bonnet dans le quatrième chapitre, qui propose d’y voir des laboratoires du polythéisme. L’assemblée des dieux est un espace hiérarchisé : les discussions et les conflits qui l’animent s’acheminent toujours vers l’accomplissement de la boulē suprême de Zeus, tout en s’accommodant des « dynamiques interpersonnelles » (p. 90). Par ailleurs, ces rassemblements, qui ne sont pas une spécificité du monde grec, ont un impact sur la vie des hommes, ce que les représentations figurées traduisent par une organisation verticale en registres qui montrent les dieux calmement observer l’agitation humaine. Le chapitre 5 s’intéresse ensuite aux puissances de médiation par le biais d’une étude de C. Pisano qui sonde le fonctionnement d’Iris et d’Hermès dans les poèmes, mettant en évidence à la fois des prérogatives propres à chacun – étroitement liées aux contextes narratifs dans lesquels ils interviennent – et la flexibilité du langage polythéiste d’Homère. C. Pisano suggère ainsi de s’intéresser moins aux modes d’action semblant prédisposer une divinité plutôt qu’une autre à agir dans un contexte donné, qu’à la façon dont les divinités choisies comme médiatrices « réagissent » à une situation pour mieux en saisir le fonctionnement. Le chapitre 6, proposé par V. Pirenne-Delforge, clôt cette partie en abordant un mode de communication particulier entre mortels et immortels : le rituel. La façon dont il est reçu par les dieux et les réponses que ceux-ci y apportent ont un impact sur la trame narrative et si le sacrifice reste le canal privilégié de cette communication, les poèmes en proposent de nombreuses variations dont l’issue demeure toujours incertaine, à la discrétion des dieux et, finalement, de Zeus. Cette incertitude montre qu’il n’existe pas, chez Homère, de procédure rituelle qui permette de se rendre automatiquement propice une divinité.

5La troisième et dernière partie de l’ouvrage, intitulée « De la guerre au salut » rassemble trois chapitres qui traitent de ces deux concepts dans une perspective qui engage les dieux comme les humains. P. Payen consacre ainsi le chapitre 7 au problème de la guerre – comprise comme un phénomène social – tel qu’il se présente aux dieux et aux mortels, en particulier dans l’Iliade. Le champ de bataille troyen constitue alors un espace propice à la manifestation de la présence divine. Les dieux – dans l’ensemble favorables à la guerre, moteur de l’intrigue – s’y affrontent entre eux et affrontent également des héros. Ces derniers tentent parfois de s’extraire des conflits, mais ce comportement n’emporte pas la faveur de Zeus dont le plan reste invarié. Ainsi, la guerre est une « nécessité interne à l’intrigue » (p. 162), mais elle est toutefois remise en question à plusieurs reprises. Le chapitre 8 s’intéresse quant à lui aux causes de la guerre de Troie que D. Bouvier propose de chercher dans la puissance d’Aphrodite, tout en se livrant à une analyse historiographique du postulat d’A. Momigliano qui faisait de la guerre un fait de nature inhérent la société grecque. D. Bouvier démontre ainsi que le polythéisme grec a pensé la guerre et le conflit en les intégrant en tant qu’entités divines à part entière – par antonomase, ce qui induit une ambiguïté sémiologique – mais aussi en les incorporant aux sphères d’influence de différentes divinités. L’étude de M. Herrero de Jáuregi, proposée au chapitre 9, vient alors conclure la troisième partie, et l’ouvrage dans son ensemble, en questionnant la « puissance salvatrice » des dieux d’Homère par le biais d’une analyse tout aussi originale qu’inédite du vers 231 du chant III de l’Odyssée, appréhendé comme une gnōmē formulée par Athéna et dont les termes permettent un examen du fonctionnement de l’assistance divine auprès des mortels des poèmes homériques.

6L’ouvrage remplit pleinement son objectif de proposer une relecture des poèmes homériques « à l’aune du polythéisme » (p. 8). À la lumière des différentes études qui forment les chapitres, le lecteur peut envisager ces œuvres d’une manière qui remet « en messoisi » ce que les épopées d’Homère peuvent nous apprendre du fonctionnement du polythéisme grec.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sandya Sistac, « Gabriella Pironti et Corinne Bonnet (dir.), Les dieux d’Homère. Polythéisme et poésie en Grèce ancienne »Anabases, 30 | 2019, 253-254.

Référence électronique

Sandya Sistac, « Gabriella Pironti et Corinne Bonnet (dir.), Les dieux d’Homère. Polythéisme et poésie en Grèce ancienne »Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 14 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10260 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10260

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