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Comptes rendus de lecture

Laurent Olivier (dir.), La mémoire et le temps. L’œuvre transdisciplinaire d’Henri Hubert (1872-1927)

Sarah Rey
p. 251-253
Référence(s) :

Laurent Olivier (dir.), La mémoire et le temps. L’œuvre transdisciplinaire d’Henri Hubert (1872-1927), Paris, Demopolis, 2017, 347 p., 31,50 € / ISBN 9782354571214.

Texte intégral

1Sa vie durant, Henri Hubert (1872-1927) se trouva dans une position d’entre-deux : historien aspiré par les sciences sociales, archéologue sans fouilles, voyageur inter­mittent, sociologue méfiant à l’égard des idées trop générales. À l’occasion du 90e anniversaire de sa mort et du 150e anniversaire du Musée d’Archéologie nationale (MAN) de Saint-Germain-en-Laye, les contributeurs de ce volume rendent hommage à Hubert, qui incarna ce qu’au début du xxe siècle l’archéologie française pouvait avoir de plus ambitieux : une archéologie ne se voulant plus la simple féale de l’histoire, mais ouverte aux autres sciences de la société, spécialement la sociologie. L’activité professionnelle d’Hubert se déploya principalement au MAN, où il travailla dans l’ombre de Salomon Reinach, le conservateur en chef. Son œuvre ne prit jamais réellement forme en raison de ses difficultés de santé et d’une mort prématurée, mais aussi de ses fonctions administratives qui l’accaparèrent : il mit beaucoup de soin et d’énergie à acquérir quantité d’objets pour le Musée. Il souffrit aussi de certaines difficultés à mener jusqu’à leur terme les co-écritures entreprises avec Marcel Mauss, qui fut – malgré un tempérament très différent, plus flamboyant – son jumeau scientifique et son ami intime. Normalien, agrégé d’histoire, excellent helléniste, Hubert, nommé également directeur d’études à l’EPHE, fut tenté par l’histoire byzantine et les études orientales, mais ne termina jamais sa thèse sur la Déesse syrienne. Dans le présent ouvrage, ces jalons biographiques sont bien restitués par Ivan Strenski.

2Comme Marcel Fournier le relate par la suite, Henri Hubert collabora activement à la jeune Année Sociologique, dirigée par l’oncle de Marcel Mauss, Émile Durkheim. De son vivant, il écrivit d’innombrables comptes rendus et quelques études marquantes de sociologie religieuse, dont l’« Étude sommaire de la représentation du temps dans la religion et la magie » (1904), sur laquelle Thomas Hirsch revient dans ce volume, mais aussi – en collaboration avec Mauss – l’« Essai sur la nature et la fonction du sacrifice » (1899) et l’« Esquisse d’une théorie générale de la magie » (1902). Quant à ses synthèses sur Les Celtes (1932) et Les Germains (1952), elles ont été éditées à titre posthume.

3Hubert ne fut jamais un homme de terrain, mais il développa une conception originale de l’objet archéologique et de sa muséographie. Non sans hériter de directives antérieures, notamment celles de Gabriel de Mortillet, il mit sur pied à partir de 1910, dans la salle du château de Saint-Germain, une étonnante salle de comparaison conçue comme un « microcosme ». Hubert comprit sans délai l’importance du comparatisme dans l’appréhension du matériel archéologique, ce que Laurent Olivier résume ainsi : « bien avant la révolution de la New Archaeology américaine, Hubert ouvrait l’archéologie à l’ethnographie et aurait pu faire sien le mot d’ordre qu’allait populariser Lewis Binford au début des années 1960 : Archaeology is Anthropology or it is nothing » (p. 120), tandis que les linéaments de la pensée sociologique d’Hubert sont exposés ici par Serge Lewuillon.

4L’ouvrage aide donc à mieux cerner la trajectoire d’un individu au profil presque effacé, mais qui comprit les grands enjeux de la discipline archéologique telle qu’elle se développait depuis le xixe siècle. Hubert saisit de la sorte les menaces portées par les interprétations racialistes de Vacher de Lapouge et du linguiste allemand Gustaf Kossinna (1858-1931) prompt à parer les anciens Germains de toutes les qualités : première domestication du cheval, première métallurgie du bronze et même invention de l’alphabet ! Pour Hubert, au contraire, il était dangereux de faire intervenir les caractéristiques biologiques des populations dans le champ de l’archéologie.

5Ce volume permet en outre de retrouver l’atmosphère d’une époque de grande ébullition intellectuelle, à la veille de la Première Guerre mondiale. Les sciences humaines et sociales n’ont jamais été aussi ouvertes les unes aux autres qu’en ce temps. Ce fut le moment où, pour sa collection « L’Évolution de l’Humanité », Henri Berr rassembla autour de lui plusieurs jeunes savants enclins à la transdisciplinarité, dont Henri Hubert. Mais la guerre décima les rangs de cette génération scientifique : « Notre groupe ressemble à ces petits bois d’une région dévastée où, pendant quelques années, quelques vieux arbres, criblés d’éclats, tentent encore de reverdir », constatait tristement Marcel Mauss en 1925 (p. 77). Après s’être mis au service du ministre de l’Armement Albert Thomas à partir de 1915 (contribution de Marine Dhermy-Mairal), Hubert survécut au conflit mondial, puis poursuivit son activité au MAN, quoique de manière moins soutenue, et ce jusqu’à sa mort en 1927. Une vie brève, donc, mais qui laissa son empreinte : les cours qu’il donna à l’École pratique, ou à l’École du Louvre, eurent une influence discrète. Il patronna les recherches sur l’art irlandais de Françoise Henry (1902-1982) et dirigea les travaux d’un étudiant polonais Stephan Czarnowski (1879-1937), auteur d’un ouvrage singulier : Le culte des héros et ses conditions sociales. Saint Patrick, héros national de l’Irlande (1919). Un chapitre signé Damien Thiriet et Joanna Wawrzyniak s’intéresse à ce surprenant héritage polonais d’Hubert.

6Laurent Olivier et ceux qui l’accompagnent ont donc contribué, par ce volume, à recomposer le parcours d’un savant qui voulait faire de l’archéologie une science sociale à part entière. Le travail d’édition est soigné et les coquilles sont rares (il est vrai que l’épouse d’Hubert est tantôt appelée Anna, tantôt Alma, tantôt Emma…). Le lecteur trouvera en fin d’ouvrage une biographie sommaire, puis une bibliographie complète (1894-1979) d’Henri Hubert, ainsi qu’un portfolio de huit figures. On pourra regretter que l’influence du protestantisme de sa mère ou les années de formation du savant n’aient pas été davantage explorées, mais l’ensemble de ce livre constitue néanmoins une belle entreprise d’histoire intellectuelle.

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Pour citer cet article

Référence papier

Sarah Rey, « Laurent Olivier (dir.), La mémoire et le temps. L’œuvre transdisciplinaire d’Henri Hubert (1872-1927) »Anabases, 30 | 2019, 251-253.

Référence électronique

Sarah Rey, « Laurent Olivier (dir.), La mémoire et le temps. L’œuvre transdisciplinaire d’Henri Hubert (1872-1927) »Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10253 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10253

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