Daniel Jew, Robin Osborne et Michael Scott (éd.), M. I. Finley. An Ancient Historian and his Impact
Daniel Jew, Robin Osborne et Michael Scott (éd.), M. I. Finley. An Ancient Historian and his Impact, Cambridge, Cambridge University Press, 2016, 333 p., $99,99 / ISBN 9781107149267.
Texte intégral
1En 2014, Anabases a publié un imposant dossier sur « Moses I. Finley (1912-1986) et sa réception en France », issu pour l’essentiel d’un colloque organisé à Paris en décembre 2012. Avec le présent livre, qui rassemble des contributions à un colloque organisé à Cambridge au mois de mai de la même année, on passe de l’étude de la réception dans un pays particulier à la réflexion sur l’impact que la personne et l’œuvre de Finley ont eu sur la recherche en histoire ancienne et sur l’enseignement de l’histoire ancienne. Sur la couverture du livre, la notion d’impact est – ironiquement ? – illustrée par un « camembert » dont les tranches de différentes couleurs et épaisseurs représentent les proportions des citations, dans des revues majoritairement de langue anglaise, des travaux majeurs de Finley, telles que les mesure un très sérieux citation index. Que l’on se rassure : dans le quinzième et dernier (très court) chapitre, Walter Scheidel a rassemblé des statistiques qui montrent, sans véritable surprise, que dans la période après 1975 Finley figure dans le peloton de tête des antiquisants les plus fréquemment cités et que The Ancient Economy est son livre le plus cité. Scheidel commence sa présentation par une défense de ce type de mesure d’impact et la termine en citant Finley lui-même qui, en 1985, répondant à une question posée par Keith Hopkins, avait évalué son propre « impact » sur l’histoire ancienne en ces termes : « … there is now an increasing number of ancient historians who do more of what I call proper historical writing. » (p. 297). Scheidel conclut, réaliste, que si l’impact de Finley a consisté à modifier la pratique de l’histoire, ce n’est pas un citation index qui peut en apporter la démonstration, mais uniquement un « careful engagement with the scholarly literature ».
2C’est ce qui est réalisé parfaitement dans ce livre, et non seulement cela. À le lire d’un bout à l’autre, le lecteur (et notamment celui qui n’a ni connu Finley personnellement ni fait l’expérience d’un séjour de recherche à Cambridge) se voit plongé dans un univers académique bien différent de l’université française ; il est confronté à des témoignages et des appréciations très vivants et plastiques de la personnalité de cet immigré américain qui, nourri de sociologie, a bousculé l’enseignement très traditionnel des études classiques, en y introduisant non seulement l’histoire économique et sociale, mais surtout des questionnements et méthodes novateurs. On apprend comment Finley a construit des réseaux scientifiques internationaux dans lesquels il fait circuler ses « élèves ». On le voit intervenir dans la presse, télévision et surtout la radio, s’engager dans la réforme de l’enseignement de l’histoire dans le secondaire. Particulièrement intéressants sont les témoignages sur sa façon de guider et solliciter ses étudiants, doctorants ou jeunes collègues dont certains, comme par exemple Quentin Skinner, sont loin de l’histoire ancienne.
3La question de l’impact est déclinée de manières diverses dans les différents chapitres. Les auteurs ne se contentent pas de recenser les recensions des publications de Finley. Ils analysent les forces et les faiblesses de ses travaux et examinent de quelle façon ses intuitions et approches ont été poursuivis ou non après sa mort. Paul Cartledge (« Finley’s Democracy : A Study in Reception (and Non Reception) ») observe même la « reception by Finley himself » qui se manifeste dans les grandes différences entre les première (1973) et deuxième (1985) éditions de Democracy Ancient and Modern.
4Signalons surtout aussi les études de Paul Millet sur Land and Credit in Ancient Athens, celle de Kostas Vlassopoulos sur « Finley’s Slavery », ainsi que celle de Robin Osborne sur The World of Odysseus. Ce sont à la fois des études de l’impact et des relectures, souvent critiques, des œuvres elles-mêmes. Le chapitre consacré par Alessandro Launaro à The Ancient Economy est en lui-même une démonstration en force de l’effet stimulant que la réflexion – inaboutie et souvent mal interprétée comme « primitiviste » – de Finley sur l’économie antique peut avoir dans un dialogue entre historiens d’époques prémodernes et économistes inspirés des New Institutional Economics. L’empreinte laissée par Finley sur l’enseignement est étudiée par Dorothy J. Thompson, celle sur l’Université de Cambridge par Geoffrey Lloyd, l’impact sur un public plus large par Mary Beard (« Finley’s Journalism »). La sociabilité du couple Finley et les rapports – amicaux, conflictuels, polémiques – entre Finley et ses collègues apparaissent notamment dans le chapitre sur Cambridge, dans l’étude du couple scientifique et amical formé par Moses Finley et Arnaldo Momigliano (Peter Garnsey), et également dans l’étude du rapport complexe – très critique voire polémique dans ses publications, toujours constructif dans la politique universitaire – qu’entretenait l’historien avec l’archéologie et les archéologues (Jennifer Gates-Foster). Plus des deux tiers des auteurs ont ou avaient un lien direct avec l’Université de Cambridge. C’est aussi le cas de Wilfried Nippel (Berlin) que les insulaires ont chargé de la tâche d’évaluer l’impact de Finley sur le « Continent ». Il se limite, en fait, au cas italiens et français et attire l’attention sur le fait paradoxal qu’en Allemagne ne s’est trouvé personne qui – à la manière de ce qu’a su faire Pierre Vidal-Naquet en France – aurait pu établir un véritable lien entre la recherche allemande et Moses Finley qui – pourtant – représentait largement une tradition savante allemande, oubliée en grande partie dans ce pays. Que Finley soit consacré champion dans le citation index n’empêche pas que dans certains cas son influence sur la recherche ultérieure soit très limitée. Jonathan R.W. Prag le montre dans son étude sur le livre de 1968 History of Sicily : Ancient Sicily to the Arab Conquest, considéré comme « popular » et dépassé par la recherche ultérieure. C’est en relisant Finley, dit Prag, que l’on se rend compte de la justesse de beaucoup de ses jugements et observations, « but no one reads him a second time ». Ce constat pessimiste risque, heureusement, d’être invalidé par les lecteurs de ce passionnant ouvrage sur un historien qui a changé la pratique et l’image de l’histoire ancienne.
Pour citer cet article
Référence papier
Hinnerk Bruhns, « Daniel Jew, Robin Osborne et Michael Scott (éd.), M. I. Finley. An Ancient Historian and his Impact », Anabases, 30 | 2019, 244-246.
Référence électronique
Hinnerk Bruhns, « Daniel Jew, Robin Osborne et Michael Scott (éd.), M. I. Finley. An Ancient Historian and his Impact », Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 16 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10209 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10209
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