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Comptes rendus de lecture

Marie-Laurence Haack (éd.), avec la collaboration de Martin Miller, Les Étrusques au temps du fascisme et du nazisme

Jan Nelis
p. 241-242
Référence(s) :

Marie-Laurence Haack (éd.), avec la collaboration de Martin Miller, Les Étrusques au temps du fascisme et du nazisme, Bordeaux, Ausonius, 2016, 337 p., 25 € / ISBN 978-2-35613-156-0

Texte intégral

1Les Étrusques au temps du fascisme et du nazisme, édité par Marie-Laurence Haack avec la collaboration de Martin Miller, est une très belle édition, riche en images, et avec une bibliographie finale très bien fournie. Ce livre pose entre autres la question, importante, de la damnatio memoriae concernant la réception de l’Antiquité par les régimes nazifascistes. Là où cette question est souvent, et certainement dans l’étude de la réception italienne de l’Antiquité, noyée par un focus incessant sur le travail d’antichisti individuels, le présent volume évite sciemment ce piège et offre plusieurs réponses (pas nécessairement convergentes) à cette problématique. C’est pourquoi nous focaliserons cette recension sur les première et troisième parties du livre, qui présentent des réflexions plus globales et donc plus utiles à un lecteur non initié.

2Après une introduction complète et nuancée dédiée à la question de l’étruscologie pendant l’entre-deux-guerres, le livre s’ouvre sur une étude de Raffaella Della Vela, qui aborde un sujet éminemment politique. Son article sur l’educazione scolastica, qui applique des méthodologies historiques mais surtout sociologiques, traite aussi bien du fascisme que du nazisme, et montre de façon incisive comment la rhétorique fasciste telle que l’on pouvait la rencontrer dans le langage scolaire, littéraire et plus généralement symbolique, envahissait tout le champ social, avec une force et une ampleur jamais vues. Della Vela montre comment les renvois au passé, son instrumentalisation, « infiltrando nelle menti dei bambini e dei giovani idee che, sotto l’aspetto di essere innocue e slegate dai totalitarismi, tennero in vita, per molto tempo dopo la loro caduta, parte del loro costrutto ideologico ». Elle poursuit par une réflexion qui interroge non seulement l’utilisation fasciste de l’antiquité, mais aussi notre propre positionnement par rapport au passé : « Aldilà della riflessione sui rischi di una strumentalizzazione totalitaria del passato, l’analisi di quanto accaduto all’immagine degli Etruschi e degli Italici propone una sfida relativa alla potenzialità di queste culture per la formazione di una società pluralista ed al modo in cui questa immagine si vuol tramandare alle future generazioni. » (p. 66). Dans la suite, après une étude de Jean-Paul Thuillier sur le sport étrusque, sujet hautement pertinent au vu de l’intérêt porté par les nazifascistes au concept de virilité, et peu connu notamment à cause du manque de sources, et une autre étude sur la présence des Étrusques dans la pensée d’Alfred Rosenberg, auteur du Mythus des 20.Jahrhunderts dont l’importance est ici soulignée (p. 92-93), l’article de Marie-Laurence Haack mérite que l’on s’y attarde car il aborde un sujet « osé » : la race et la « raciologie ». En effet, si dans les reception studies dédiées à la réception italienne de l’Antiquité, le racisme, malgré son omniprésence dans l’Italie fasciste, est quasiment absent, la situation n’est pas bien meilleure pour ce qui est de la réception par les nazis. À ceci, Haack répond par une analyse du travail du médecin généticien Eugen Fischer, point de départ d’une discussion qui montre la pluralité des positionnements dans le « débat sur les origines ».

3Comme nous le disions, la deuxième partie du volume ne fera pas l’objet de cette recension ; soulignons tout de même le fait que les quatre études qui constituent ce volet sont très bien documentées, et qu’elles font en quelque sorte office de charnière entre les sections 1 et 3. Cette dernière commence par des études sur la linguistique étrusque en Autriche/Allemagne (art. de Belfiore) et en Italie (art. de Benelli) en 1928-1942, période de consensus maximal avec les régimes nazifascistes. C’est dans l’étude de Benelli qu’un débat intéressant est introduit, qui touche à la profondeur de la fascistizzazione, de la « fascisation ». Benelli penche clairement pour la thèse de la superficialité de ce dernier phénomène quand il rapproche l’essence de l’utilisation fasciste de l’Antiquité, la fascisation, et donc le fascisme, à des effets de slogan en parlant de l’archéologie fasciste (qui n’est par ailleurs pas le sujet de l’article) : « In questa situazione si può capire come mai [...], se in Italia vi furono senz’altro un certo numero di archeologi fascisti, solo con qualche difficoltà si potrebbe individuare un’archeologia fascista, al di là dei generici slogan propagandistici sulla grandezza della romanità. » (p. 229). Ainsi la question de l’efficacité et du degré d’intériorisation de la rhétorique fasciste est posée, question qui ces dernières années a fait l’objet d’un débat qui touche à l’essence de ce qu’est le fascisme, voire l’extrême droite. Dans ce cadre, la réduction d’une idéologie politique ayant connu un succès fulgurant pendant les années 1920 et 1930 à des effets de rhétorique nous semble quelque peu sous-estimer l’une des principales caractéristiques du fascisme, à savoir son essence théâtrale, pour ne pas dire cultique pensons ici au phénomène de « religion politique » développé notamment par Emilio Gentile. Car la parole fasciste, qui inclut le langage propagandiste, symbolique et les slogans, est une source essentielle pour connaître sa vraie nature et ses intentions. Ces aspects sont traités de façon incisive dans la dernière étude que nous souhaitons relever, de Giuseppe Pucci, sur art étrusque et idéologie. Dans son article, Pucci montre avant tout que pendant l’entre-deux-guerres le passé antique faisait l’objet d’un débat, d’une négociation entre différents secteurs de la société, une négociation qui en soi n’était pas fort différente de celles qui ont lieu aujourd’hui, entre passé et présent, et entre différentes idéologies. Dans ce contexte, l’étruscologie bénéficiait pendant un certain temps d’un intérêt général pour l’antiquité, pour finalement en payer les frais. Car, en effet, il s’agissait d’un dialogue « qui, au cours des années vingt et trente, s’établit en Italie au sujet des Étrusques entre artistes, archéologues et idéologues (notamment les idéologues de la race), et [...] alla se heurter à des difficultés croissantes, jusqu’à devenir décidément embarrassant, puis finalement inactuel. » (p. 241). Un dernier mot, comme il est question ici de dialogue : notre seul véritable regret, dans ce bel et important volume dont nous recommandons chaleureusement la lecture, est la quasi absence de la littérature secondaire anglosaxonne.

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Pour citer cet article

Référence papier

Jan Nelis, « Marie-Laurence Haack (éd.), avec la collaboration de Martin Miller, Les Étrusques au temps du fascisme et du nazisme »Anabases, 30 | 2019, 241-242.

Référence électronique

Jan Nelis, « Marie-Laurence Haack (éd.), avec la collaboration de Martin Miller, Les Étrusques au temps du fascisme et du nazisme »Anabases [En ligne], 30 | 2019, mis en ligne le 21 octobre 2019, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/anabases/10184 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/anabases.10184

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Auteur

Jan Nelis

Fondation de la Mémoire Contemporaine / Université libre de Bruxelles
jnelis@ulb.ac.be

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